ACCUMULATION ET DEMANDE EFFECTIVE :

QUELQUES NOTES

par Heinz D. KURZ

I. Introduction

Avant d'entrer dans le vif de mon sujet, trois remarques me paraissent utiles sur le thème général de la journée d'études, « Actualité et spécificité de la pensée classique ».

Tout d'abord, l'existence d'une spécificité de la pensée classique n'implique pas qu'il y ait « une » analyse économique classique. Il n'existe rien de pareil, surtout pas sur la question des rapports entre accumulation et demande effective. Une lecture même superficielle des auteurs classiques montre qu'ils ont une variété d'approches des diverses questions, et que l'opposition des points de vue est plus fréquente que leur convergence. Cela est particulièrement clair avec la controverse entre Ricardo et Malthus, quant à la possibilité ou non d'une « surproduction générale » de marchandises, sur laquelle nous reviendrons plus loin. Aussi paraît-il souhaitable de raisonner en termes de diversité et non de singularité de « la » pensée classique.

Ceci une fois admis, il n'est pas surprenant que cette pluralité se retrouve dans la pensée classique actuelle. A l'examen, la littérature économique contemporaine qui se réclame explicitement d'une volonté de continuation de « la » (ou plutôt « d'une ») tradition classique donne l'impression qu'il existe plusieurs reformulations et développements des idées et des concepts « classiques », qui ne sont pas nécessairement compatibles entre eux, et peuvent même s'opposer diamétralement les uns aux autres.

Enfin, même lorsqu'un auteur contemporain peut être rattaché à l'une des conceptualisations de la pensée classique, cela n'implique généralement pas, étant donnée l'accumulation de connaissances qui a eu lieu dans les deux siècles écoulés depuis la publication de la Richesse des Nations d'Adam Smith, que la formulation classique originelle se trouve préservée dans le détail. L'importance d'auteurs comme Adam Smith, David Ricardo ou Karl Marx réside moins dans les propositions analytiques spécifiques qu'ils ont pu mettre en avant que dans les questions soulevées par eux, les concepts auxquels ils ont recourus et les méthodes d'analyse qu'ils ont mises au point. Au cours du temps, différents auteurs ont fait des usages divers de l'héritage reçu des auteurs passés au niveau de la méthode, du champ ou du contenu de leurs analyses respectives. De nombreux croisements de concepts se sont produits, combinés à des changements de perspectives en réponse aux

Cahiers d'Économie Politique, n" 22, L'Harmattan, 1992.