La conciliation famille-emploi par l’accession à un congé parental aux États-Unis : un lent cheminement inachevé
Bernard Fusulier Chercheur qualifié du Fonds de la recherche scientifique et professeur de sociologie à l’Université catholique de Louvain, membre du GIRSEF et du CIRFASE.
«La possibilité pour les parents d’accéder à un congé protégé est l’une des dimensions importantes des politiques sociales dans la plupart des pays développés, l’un des instruments de la boîte à outils des États modernes. À quelques exceptions près, aujourd’hui dans ces pays, les parents peuvent bénéficier du droit de prendre un congé, souvent rémunéré par l’État, à l’occasion de la naissance d’un enfant (et, dans la plupart des pays, en cas d’adoption) ou dans les premières années de l’enfance » (Moss et Kamerman, 2009: 1) (1). Selon le Alfred P. Sloan Work and Family Research Network,
reprenant les chiffres fournis en 2007 par le
National Partnership for Women & Families, aux États-Unis, les trois quarts des mères ayant un enfant âgé de moins de 18 ans sont en emploi et la moitié des travailleurs ont un jeune enfant ou une personne âgée à charge, alors qu’ils ne sont que 8 % à pouvoir accéder à un congé rémunéré pour des raisons familiales et médicales (2). En n’offrant pas de pareils congés accessibles à l’ensemble des travailleuses et travailleurs du pays, les États-Unis font figure d’exception dans le monde occidental. Ce constat interpelle et attise la curiosité envers ce pays. Certes, si l’étude de l’institutionnalisation de mesures légales est déjà en soi une chose bien complexe, que dire de l’étude de l’inexistant, d’une non-institutionnalisation de tels congés ; une véritable gageure susceptible d’être l’objet d’une multitude de thèses à travers des regards disciplinaires et théoriques très divers et contradictoires. Le propos ne peut, dès lors, qu’être modeste. Il s’appuie principalement sur une revue de la littérature ciblée et des discussions avec différents collègues (3), dont Sheila B. Kamerman, l’une des universitaires pionnières à s’être intéressées à ce sujet aux États-Unis, au nom du bien-être des enfants. L’objectif est circonscrit : repérer de façon synthétique et sociohistorique les principaux termes de la problématisation sociale de l’articulation travail-famille et souligner l’appel à la reconnaissance d’un congé payé pour raisons familiales du milieu des années 1970 jusqu’à aujourd’hui. Pour organiser l’information collectée, on a utilisé comme prisme théorique l’approche par la transaction sociale en sociologie (Remy et al., 1978). Dans un premier temps, quelques caractéristiques du contexte des États-Unis sont livrées et le questionnement sur la non-institutionnalisation est explicité. Ensuite, à travers la revue de la littérature et le relevé d’actes législatifs ou autres posés au cours des dernières décennies, quatre périodes seront
Politiques sociales et familiales n° 101 -septembre 2010 5 Comparaisons internationales
(1) Traduction par l’auteur de l’extrait suivant : «Entitlements to job-protected leave for parents are an important part of social policy in most developed countries, a necessary part of the tool-kit for running a modern state. With very few exceptions, today’s parents in these countries can expect the right to take leave at and around the time of childbirth (on, in most countries, adoption), then for a period of the child’s early years, and often to be paid by the state while taking that leave » . (2) http :// wfnetwork. bc. edu/ pdfs/ Paid% 20Leave% 20Fact% 20Sheet% 20Oct% 2017% 202007% 20doc. pdf (3) Cette étude a été initiée lors d’un séjour, en décembre 2009, à la Columbia University (New York).
