RECHERCHES ET PRÉVISIONS N° 67-2002 21 JEUNESSE

ouvoir se déplacer dans la rue, seul, dans la journée et même le soir, sans être agressé, constitue un droit social inégalement accessible. A de nombreuses époques, les femmes ont été tenues dans le cercle clos des espaces domestiques et, dans certaines cultures, elles le sont encore. Cela n’est pas incompatible avec le fait qu’elles puissent avoir le «pouvoir » dans ces lieux ; comme le souligne Pierre Bourdieu (1972), c’est l’envers de la domination des hommes qui règne sur l’autre espace, celui des rues et des places dans les villes et villages. En Occident, les hommes ont bénéficié du droit au déplacement tandis que les femmes l’ont revendiqué progressivement. Elles ont refusé le fait que l’expression «femme publique » signifie à la fois une femme qui se promène le soir dans la rue et une femme qui se prostitue. Cette équivalence demeure encore dans les fantasmes de certains hommes qui, en voyant une femme seule le soir, pensent qu’elle est disponible. Il faudrait établir une histoire de cette conquête, inachevée, de l’espace public par les femmes, par exemple avec le droit de sortir tête nue, de fumer en public... Pour analyser le droit de «sortir » des femmes au XIXe siècle, Michelle Perrot cite Marie-Reine Guindorf qui se suicidera, après n’être pas parvenue à gagner ce droit : «Une femme ne doit pas sortir du cercle tracé autour d’elle » (Perrot, 1991). Pour devenir «visibles » , les femmes sont sorties et ont circulé sans être accompagnées par leur mari. Ainsi, dans des sociétés comme les sociétés occidentales modernes, un individu ne peut accéder au statut d’ «individu individualisé »