LE PORTAIL CENTRAL DE LA FAÇADE OCCIDENTALE DE SAINT-DENIS
par Sumner McK. CROSBY et Pamela Z. BLUM
« Façade défigurée, dépourvue à tout jamais d'intérêt historique et fort laide d'ailleurs (1). » Ainsi Didron Aîné exprimait-il en 1846 ce qu'il pensait de la restauration de la façade occidentale de Saint- Denis, achevée seulement quelques années plus tôt sous la direction de François Debret (2). De semblables réactions persistent et jettent la confusion dans les recherches, si bien que la compréhension des portails occidentaux de Saint-Denis reste peu claire (3). On s'accorde pour dire que ces portails, consacrés le 9 juin 1140, sont les premiers de la série des « portails royaux » du premier art gothique (4). Toute discussion sur le passage de l'art roman à l'art gothique est faussée au départ tant qu'une étude précise et objective de l'étendue des restaurations du xixe siècle à Saint-Denis n'aura pas révélé ce qui reste de la sculpture originelle du xne siècle (5).
C'est à la suite d'un coup de foudre, en 1837, que fut entreprise la restauration de la façade occidentale (6). Bien que ce phénomène naturel n'ait pas endommagé les portails, des dégâts antérieurs justifiaient certainement leur remise en état. Il est peu probable qu'ils aient pu échapper à des mutilations au cours du xve siècle, pendant la guerre de Cent ans, lorsquel a ville et l'abbaye subissaient des assauts et des prises répétées, ou encore en 1567, à la fin des guerres de religion, lorsque l'abbaye fut sérieusement pillée par les Huguenots ; mais aucun document n'établit l'étendue des dommages qui leur furent causés (7).
(1) Cet article a été traduit par Mlle Dominique Thibaudat, chargée de mission au Musée de Cluny [N. D. L. R.]
(2) A. N. Didron, Achèvement des restaurations de Saint-Denis, dans Annales archéologiques, V (1846), p. 109. François Debret, architecte de la ville de Paris, professeur à l'École des Beaux-Arts, membre de l'Institut, était l'architecte chargé de Saint-Denis de 1813 à 1846 ; cf. Nouvelles archives de l'art français, 1889, p. 331-334.
(3) « Si pourtant on veut bien triompher d'une répugnance trop légitime (à cause des restaurations), on s'apercevra qu'un des portails, celui du milieu, conserve ses dispositions primitives. Ici, comme ailleurs, les têtes et les mains ont été refaites, les draperies ont été sans doute retouchées mais les grandes lignes de la scène sont restées intactes. » Ainsi écrivait Emile Mâle dans La part de Suger dans la création de V iconographie du Moyen Age, dans Revue de l'art ancien et moderne, XXXV (1914), p. 339. Mais plus récemment Whitney Stoddard a écrit : « Par des preuves aussi bien visuelles que documentées, nous sommes obligés d'éliminer — • pour retrouver l'œuvre du xne siècle ■ — • presque toute la sculpture de la façade ouest de Saint-Denis, sauf certaines plinthes sous les pieds des anciennes figures des piédroits, des fragments conservés dans des musées de France et des États-Unis, et certaines parties du tympan et des archivoltes du portai] central. » The West Portais of Saint-Denis and Chartres, Sculpture in the Ile-de-France from 1140 to 1190, Cambridge, Mass., 1952, p. 3.
(4) La plupart des érudits acceptent aujourd'hui que les portails de Saint-Denis ont été sculptés avant les portails occidentaux de la cathédrale de Chartres. Louis Grodecki, La « première sculpture gothique » ; Wilhelm Vöge et l'état actuel des problèmes, dans Bulletin monumental, CXVII (1959), p. 273. Willibald Sauerländer, Gotische Skulptur in Frankreich, 1140-1270, München, 1970, p. 65 ; cependant on exprime encore des doutes sur leurs dates respectives ; René Jullian, La sculpture gothique, Paris, 1965, p. 15.
(5) Les opinions récentes qiii suivent démontrent cette confusion : « Cette recherche des origines possibles des styles de Saint-Denis et de Chartres nous a conduit en Bourgogne. » Stoddard, West Portais, p. 53. « A Saint-Denis il n'y a, autant que je puisse l'affirmer, aucune trace d'inspiration bourguignonne. » Willibald Sauerländer, Sculpture on early gothic churches : The State of Research and Open Questions, in Gesta, ix/2 (1970), p. 34.
(6) La foudre a frappé la flèche de la tour nord le 9 juin 1837. Debret a profité de cet accident pour obtenir de nouveaux fonds qui lui permirent de reconstruire la tour et de restaurer la façade entière. Paul Vitry et Gaston Brière, L'église abbatiale de Saint-Denis, Paris, 1925, p. 39-40.
(7) Pour le siège et le pillage de Saint-Denis en 1435, cf. Michel Félibien, Histoire de l'abbaye royale de Saint-Denis en France, Paris, 1706, p. 347-348 ; et de nouveau en 1567, Félibien, Ibid., p. 398, et Dom F. Jacques Doublet, Histoire de l'abbaye de S. Denys en France, Paris, 1625, p. 1313-1314, 1347-1349.
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