Les Baux, haut-lieu de Provence

Au troisième chant de Mireille, les jeunes filles, rassemblées au Mas des Micocoules pour le dépouillement des cocons, échangent projets d'avenir et rêveries. L'une d'elles s'imagine reine de Provence : « Des Baux, dit-elle, je ferais ma capitale 1. » Qu'est-ce que ces Baux que la gentille Clémence, interprète des rêves de son poète, songeait à rebâtir ?

La ruine des ruines ? Sans doute ; mais aussi le nid d'aigles d'une race indomptée, l'Acropole de la Provence, à la fois cité- fantôme et formidable chaos. Au pied des Baux, le Val d'Enfer, où Mistral place l'antre de la sorcière Taven 2 et dont les rochers fantastiques auraient inspiré à Dante certaines descriptions de sa Divine comédie ; au-dessus, la colline farouche où château, remparts et maisons s'incorporent au roc, où donjon éventré et murs croulants évoquent le passé guerrier, tandis que par contraste les gracieux hôtels du xvie siècle nous rappellent les fastes de la Renaissance et, par analogie, les fabuleuses Cours d'Amour. Bref, « un des sites du monde les plus riches en légendes et en souvenirs 3 ».

En légendes : dans le Val d'Enfer s'ouvre le « Trou des Fées » que l'imagination populaire faisait communiquer avec la « Grotte des Fées » du Mont des Cordes, près de Montmajour, autre haut-lieu de Provence ; au pied des Baux se cache la « Chèvre d'Or », peut-être symbole d'un mystérieux trésor enseveli par les Sarrasins en fuite ; dans le ciel des Baux brille l'« Étoile aux seize rais ».

Quant aux souvenirs, on les rencontre à tous les pas, qu'ils se rattachent à la préhistoire et à la romanité avec les « camps de Marius », en réalité oppida ligures ; au moyen âge avec le château ; à la Renaissance avec le bourg ; aux temps modernes avec le camp de Richelieu. En classant intégralement Les Baux monument historique l'État a simplement rendu officielle une situation de fait. Haut-lieu de Provence, le rocher avait reçu auparavant la consécration littéraire du Félibrige.