Phu mkhar rdzong, un lieu de pèlerinage au Ladakh
Pascale DOLLFUS *
Ces dernières années, les recherches portant sur la géographie sacrée et les pèlerinages ont connu un certain engouement auprès des tibétologues et des ethnologues, comme en témoigne la floraison d'articles, de colloques et de travaux universitaires sur le sujet '. Mon intention ici n'est pas d'en faire une lecture critique, mais plus modestement d'apporter de nouveaux matériaux sur le lieu saint de Phu mkhar rdzong2, «la Forteresse de Phu mkhar » qui, à ma connaissance, constitue le seul lieu de pèlerinage « naturel » - c'est-à- dire non construit3 - du Ladakh, exception faite des petits lacs d'altitude où les villageois se rendent les jours fastes dans l'espoir de voir s'y refléter des établissements bouddhiques illustres, une vision en elle-même porteuse de chance.
Depuis 1993, sous l'influence de rTogs ldan Rin po che, hiérarque ladakhi d'obédience 'Bri gung bKa' brgyud pa, cet ensemble de grottes creusées dans les parois rocheuses d'un cirque de montagne connaît un regain de popularité, marqué l'été par la venue d'un nombre croissant de pèlerins à l'occasion du pèlerinage annuel du dixième jour du cinquième mois lunaire tibétain.
* Chercheur au CNRS, UPR 299. Je me suis rendue à trois reprises à Phu mkhar rdzong, en juillet 1984 et 1996 à l'occasion du pèlerinage annuel, et en octobre 1993 pour visiter les lieux avec une nonne du village voisin de Shergol et tâcher d'obtenir un guide de ce lieu saint. J'ai acquis en 1994 une copie manuscrite de « la nouvelle explicitation du lieu saint » (gnas bshad gso ma) composée par rTogs ldan Rin po che, dont je propose ici la traduction de quelques extraits. Je tiens à remercier tout particulièrement T.T. Namgyal d'Hémis-shukpa-chan, qui, à force de persévérance, a réussi à obtenir ce texte, Thupstan Paldan et Tsering Norbu de la Cultural Academy de Leh, qui m'ont aidée à le comprendre, A. -M. Blondeau et F. Meyer qui en ont revu et corrigé la traduction. 1. Citons entre autres les numéros spéciaux de The Tibet Journal, 1994, vol. 19 (2), (3) & (4) sous la direction de T. Huber, le livre Reflections of the Mountain (1996) né d'une table ronde organisée conjointement par A.-M. Blondeau et E. Steinkellner en 1994, le volume d'essais réunis par A. W. Macdonald, Mandata and Landscape (1997) et, surtout, la thèse soutenue par K. Buffetrille en 1996, intitulée Montagnes sacrées, lacs et grottes : lieux de pèlerinage dans le monde tibétain (3 vol.), premier travail ethnographique d'envergure sur le sujet, dans lequel l'auteur analyse le processus de « bouddhisation » à travers les pèlerinages. 2. Je privilégie l'orthographe donnée par le guide du lieu saint, orthographe qui évoque le village voisin de Phu mkhar bâti en haut d'une vallée (phu) au pied d'un château (mkhar) et la position en hauteur du lieu saint typique des forteresses (rdzong). D'autres sources donnent les orthographes suivantes : phu dkar rdzong, pho mkhar rdzong ou encore pho dkar rdzong, cf. D. Snellgrove et T. Skorupski (1980 : 76). 3. Les dévots visitent les grands monastères de la vallée de l'Indus à l'occasion de la venue d'une grande incarnation ou des danses masquées ( 'cham) qui y sont présentées chaque année. Ils accomplissent alors d'innombrables fois le tour du lieu et de chacun de ses temples, dont ils honorent les statues en
Bulletin de l'École française d'Extrême-Orient, 86 (1999), p. 33-64.
