L’Antiquité Classique 81 (2012), p. 87-110. Factio Tarquiniana ? Enquête sur les origines de la gens Cornelia

Tenter d’éclairer les origines de la gens Cornelia peut sembler une gageure tant leur souvenir est perdu dans l’obscurité des premiers siècles de Rome. Les textes se montrent en effet silencieux sur l’apparition de cette gens, pourtant la plus prolifique de l’aristocratie patricienne. Nous n’avons pas de récit historique ou légendaire qui ait transmis un souvenir assez précis et circonstancié de l’origine des Cornelii ou, du moins, de leurs propres prétentions à ce sujet1. Cette discrétion de la tradition littéraire peut paraître somme toute assez surprenante, puisque bien d’autres éléments indirects certifient par ailleurs de manière incontestable l’enracinement et la puissance précoce de la gens Cornelia dans la cité romaine dès l’aube de l’époque républicaine. Assez remarquable, cette discrétion n’est sans doute pas seulement due au hasard et aux aléas de la documentation. Pour un clan aussi important, aussi fécond et aussi durable que celui des Cornelii, si des traditions écrites légendaires ou historiques un tant soit peu consistantes à propos des origines de la gens avaient existé, nous aurions fatalement dû en recevoir un écho, même minime. En réalité, si les Cornelii n’ont pas développé ou entretenu de manière assez vivace de récit étiologique évoquant leurs origines, c’est peut-être parce que la tradition orale, celle qui devait conserver et transmettre les souvenirs les plus anciens de la gens, ne fut pas recueillie et consignée avec assez de soin. En effet, au moment où se fixait avec plus d’assurance la mémoire des principaux clans de l’aristocratie, quand celle-ci commençait alors à être mise par écrit, vraisemblablement à partir du IIIe siècle avant notre ère, les Cornelii connaissaient déjà depuis plusieurs générations un éclatement sensible de leur structure gentilice : au IVe siècle notamment, de nombreuses branches s’étaient émancipées, et au IIIe siècle la gens Cornelia avait fini par devenir une vaste nébuleuse sans unité. On comprend que cette structure désormais très éclatée n’ait pas pu favoriser la mise en forme, la conservation et la diffusion d’une tradition bien assurée qui aurait nécessité une sorte de consensus gentilice. Au contraire, il est probable que chaque lignage, désormais autonome, se soit alors plutôt concentré sur sa mémoire propre, lignagère, ce qui évidemment ne les inclinait pas à remonter plus haut que le IVe ou le IIIe siècle av. J.-C.

1. Les Cornelii et les cultes latins traditionnels : Diane et Jupiter

La seule allusion directe à l’existence des Cornelii antérieurement à l’ère républicaine est transmise par Plutarque qui dit l’avoir lui-même recueillie de Juba et de