Ctésias romancier

Que V Histoire de l'Orient de Ctésias ait déjà quelques traits de ce que sera le roman, une simple lecture suffit à le faire sentir1. Loin d'être considéré comme une heureuse trouvaille, ce goût pour l'affabulation et la fiction lui a été d'ailleurs suffisamment reproché2 pour qu'il soit inutile de reprendre le dossier : depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, les critiques se succèdent, toutes plus acerbes et méprisantes les unes que les autres, refusant de voir en lui un historien digne de ce nom, ce que nous admettrons volontiers, mais aussi fustigeant sa «vulgarité» et niant jusqu'à ses qualités littéraires3. Sans vouloir faire de Ctésias un romancier au sens strict du terme puisqu'il écrivit bien avant que le roman fût inventé4, nous aimerions néanmoins mettre en valeur les petits cailloux négligemment semés par notre homme (car un tel dilettante ne ! saurait être que négligent !), cailloux qui seront bien plus tard ramassés,

: précieusement conservés par les générations futures et replacés dans une

toute nouvelle construction littéraire où ils seront alors acceptés, \ respectés et considérés même comme les outils indispensables à l'élabo-

1 ration de ce nouveau moule narratif que sera le roman. Notre étude

j n'envisagera que trois éléments, car rien ne sert d'accumuler les indices

et de décortiquer inutilement un texte qui n'existe qu'à l'état de traces, fragments heureusement assez nombreux pour permettre d'imaginer un système d'écriture5, mais trop disparates, trop modifiés en cours de route par ceux-là mêmes qui les ont pillés et critiqués pour que le chercheur moderne puisse espérer retrouver un jour ce qu'était le style de Ctésias et même ses motivations6. Nous étudierons successivement la