LA QUESTION DE LA TRANSITION
EN EUROPE DU FÉODALISME
AU CAPITALISME AUJOURD'HUI
ET L'APPORT D'A. SOBOUL*
Hier comme encore aujourd'hui la question globale du passage des sociétés d'Ancien Régime fortement marquées par la seigneurie, l'emprise de la noblesse et la monarchie absolutiste, aux sociétés bourgeoises et libérales a été et demeure peu abordée par l'historiographie française à la différence d'autres écoles historiques, des Etats-Unis, d'Angleterre ou d'Allemagne comme de l'ex-URSS1. En effet, en dehors des travaux de P. Vilar et d'A. Soboul, on ne compte, malgré le nombre important de synthèses d'histoire universelle et d'histoire nationale, que fort peu de travaux consacrés à ce que les historiens étrangers appellent couramment la transition ou le passage du féodalisme au capitalisme : entre 1970 et 1991 une quinzaine de livres et articles2 en traitent explicitement, en totalité ou en partie, sous la plume
* Bulletin d'histoire de la Révolution Française, C.T.H.S., 1992-93.
1 Signalons entre autres : M. DOBB, Etudes sur le capitalisme, 1956, trad. Paris, 1969 ;
D. NORTH et R. THOMAS, The rise of the western world, New-York, 1973 ; éd.
E. KAMENKA et R.S. NEALE, Feudalism, capitalism and beyond, Londres, 1975 ; B. HINDESS et P.Q. HIRST, Precapitalist modes of production, Londres, 1975 ; S. AMIN, Class and nations, historically and in the current crisis, New- York, 1980 ; éd. Th. ASTON et C.H. PHILPIN, The Brenner debate : agrarian class structure and economic development in pre- industrial Europe, Cambridge, 1985 ; R.J. HOLTON, The transition from feudalism to capitalism, Londres, 1985. Du côté des pays ex-socialistes la référence aux modes de production était courante, cf. entre autres, en français : W. KULA, Théorie économique du système féodal. Pour un modèle de l'économie polonaise XVI-XVIIle siècle, Paris, 1970 ; deux livraisons de Recherches internationales à la lumière du marxisme comportent des articles d'historiens de l'Est : Le féodalisme, 1963 ; Le deuxième servage en Europe centrale et orientale, 1970. Il convient de signaler que, malgré la déconsidération qui affecte actuellement les concepts d'origine marxiste, la production anglo-saxonne les utilisant au moins partiellement n'en continue pas moins : cf. par exemple R. S. DUPLESSIS, Transitions to capitalism in early modern Europe, Cambridge, 1997.
2 Les uns sont des recherches de portée théorique générale : A. GUERREAU, Le féodalisme un horizon théorique, Paris, 1980 (centré en fait sur le Moyen- Age) ; M. AYMARD, « L'Europe moderne féodalité ou féodalités ? Annales ESC (Ann.), 1981, 3 ; du même, « Autoconsommation et marché, trois modèles », Ann., 1983, 6 ; M. BACCOUCHE, « Les systèmes d'exploitation fondés sur l'impôt », Revue Historique (R.H.), 1986, 4 ; A. GUERREAU, « Fief, féodalité, féodalisme, enjeux sociaux et réflexion historienne», Ann., 1990, 1. D'autres s'attachent surtout à une modalité ou un moment de la transition particulièrement à l'époque de la Révolution française : éd. J. GODECHOT, L'abolition de la féodalité dans le monde occidental, Paris, 1971, 2 vol. ; R. ROBIN, « Fief et seigneurie dans le droit et l'idéologie juridique à la fin du XVIIIe siècle », Annales Historiques de la Révolution Française (A.H.R.F.), 1971, 4 ; G. IKNI, « Sur la propriété foncière. Problèmes théoriques et de méthode », A.H.R.F., 1980, 3 ; H. KIESER, « La Révolution et la féodalité : bilan du thème de l'abolition dans l'historiographie 1815-1914 », A.H.R.F., 1986, 3 ; G. LEMARCHAND, « Les études agraires, le féodalisme et la révolution, un itinéraire historiographique » dans La Révolution française et le monde rural, Paris, 1989. D'autres encore sont des monographies s' appuyant sur le thème de la transition et essayant de le préciser : G. BOIS, Crise du féodalisme. Economie rurale et démographie en Normandie orientale XlVe-milieu du XVIe siècle, Paris, 1976 ; G. LEMARCHAND, La fin du
Cahier des Annales de Normandie, 2000, n° 30
