ANNALES DE DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE 1990 Société de Démographie Historique - E.H.E.S.S. Paris, 1990
LA DÉMOGRAPHIE HISTORIQUE DE L'EUROPE L'ÉTAT DES RECHERCHES EN U.R.S.S.
par Youri BESSMERTNY
On ne saurait comprendre la situation actuelle des recherches de démographie historique en U.R.S.S. sans prendre en compte les dramatiques épreuves auxquelles cette science a dû faire face dans un passé encore tout proche. Afin que le lecteur occidental puisse mieux juger de toute l'étendue de ce drame, il convient de rappeler que les études démographiques en Russie tsariste avaient atteint un niveau extrêmement brillant. La tradition en remontait au XVIIIe siècle, avec la publication à Saint-Pétersbourg des travaux fondamentaux de D. Bernoulli, L. Euler, G.W. Kraft, qui travaillaient à l'Académie des sciences de Russie, sur les méthodes de calcul de la durée moyenne des mariages, de la période du doublement de la population, des tables de survie etc. Depuis, et jusqu'aux années 1920, l'école russe d'histoire démographique a fait partie intégrante du monde scientifique international, et les contacts avec les chercheurs occidentaux, dans ce domaine, sont restés réguliers. Peut-on dès lors s'étonner que des noms de la science occidentale tels que T.R. Malthus, Em. Duvillard, Ch.W. Hufeland ou L.-A. Quételet aient été élus membres de l'Académie des sciences de Russie ?
La parution en Russie des traductions de travaux de démographie et de statistique allait de soi, elle aussi (citons simplement les oeuvres de Bertillon, Lexis, Quételet, A. Wagner, Rumelin, K. Dietérici, E. Mayer, K. Inama-Sternegg, G. Mayr...). Dans le même temps les chercheurs russes prenaient une part active à la vie scientifique internationale. Ils étudiaient les problèmes généraux de statistique démographique1, organisaient des congrès internationaux et y faisaient des communications2, avaient accès aux archives et aux bibliothèques occidentales3, faisaient paraître leurs travaux non seulement en Russie, mais en Europe occidentale4. Ils étaient quelquefois à l'origine d'innovations importantes. Ainsi, deux ans après la Révolution d'Octobre, en 1919, M.V. Ptoukha créa à Kiev un Institut démographique spécialisé. Ce fut là, si je ne m'abuse, l'un des premiers instituts d'Europe à envisager l'étude scientifique des problèmes et des lois de
1. K.F. Guerman, Istoritcheskoïé obozrénié litératoury i statistiki, v ossobennosti rossiïskogo gossoudarstva (Aperçu historique de littérature et de statistique, concernant particulièrement l'Etat russe), Saint-Pétersbourg, 1817 ; Y.E. Ianson, Otcherk nassélénia iévropeïskikh gossoudarstv (Essai de description démographique des Etats européens), Saint-Pétersbourg, 1877.
2. En 1872 eut lieu, à Saint-Pétersbourg, la 8e session du Congrès international de statistique, la délégation russe étant conduite par Y.E. Ianson, qui fut également l'un des principaux rapporteurs. En 1938, M.V. Ptoukha, de Kiev, fit un rapport au Congrès international de population qui se tint à Paris, cf. M.V. Ptoukha, "John Graunt, fondateur de la démographie", in Hle Congrès international de population. Démographie historique, Paris, 1938.
3. M.V. Ptoukha, déjà cité, au cours d'un séjour à Londres en 1916, rédigea sa thèse Essais de statistique démographique et de morale.
4. A la fin du XIXe et au début du XXe siècles, les spécialistes russes d'histoire démographique les plus connus en Europe occidentale étaient Y.E. Ianson, A.I. Tchouprov, Bortkewitsch, Erissman, M.- M.Kowalewski, S.A. Novosselski, M.V. Ptoukha.
