STATISTIQUES, LANGAGE ET POUVOIR DANS LA SOCIETE COLONIALE

par Raymond GERVAIS

L'approche des sources coloniales de l'histoire démographique africaine, tout en étant multidimensionnelle, se cristallise autour des deux grandes catégories de «critique» : la critique interne et la critique externe. Sous le classicisme de la formule, il y a une part de vérité importante. Néanmoins une dichotomisation excessive n'apporterait aucun éclaircissement sur l'utilité de certaines sources, ou pourrait amener un dénigrement des données sur la base d'un seul type de critique. D'où l'importance d'une dialectique des critiques, seul moyen de poser l'ensemble des questions. Il est évident qu'on pourrait -et sur ce point les démographes applaudiraient- expédier aux poubelles de l'historiographie un ensemble de chiffres qui ne présenteraient qu'un faible niveau de corrélation, aux divers tests statistiques. Malheureusement, ce serait escamoter du même coup l'ensemble des questions sur l'origine de ces (mauvaises) évaluations, sur le «comment» de leur émergence.

C'est un peu à ces questions que nous voudrions nous attaquer. Nous ne désirons aucunement minimiser l'importance de la critique interne, mais il nous a semblé que plusieurs raisons justifient notre parti pris :

1. Nous croyons que, comme dans toute société totalitaire, les produits (statistiques entre autres) du système colonial sont le reflet des formes monolithiques du pouvoir, et qu'à ce titre, dans un premier temps, il est vital de s'interroger sur la place des statistiques de population dans l'ensemble et, dans un second temps, de définir notre position personnelle, en tant qu'analyste, face au système et à ses produits.

2. L'absence de grandes séries reconstituées pour une seule ou plusieurs colonies rend difficile la comparaison, et, à la limite, la critique interne elle- même.

3. Finalement, les conditions de production des données, en terme de personnel, méthodologie, et environnement socio-politique, sont à ce point dissemblables que toute généralisation pour l'instant, nous semble abusive. Il faut espérer, si cela est envisageable, que la multiplication des analyses fines nous entraînera vers quelques dénominateurs communs.

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