Acessibilidade / Reportar erro

Une nouvelle discipline: la psychoeducation

ENTREVISTA

Une nouvelle discipline - la psychoeducation1 1 Texto originalmente publicado no Sans Frontière, Les Forces Psychologiques, Hors Série No 2, Mars 1995.

Entrevista com Jeannine Guindon

Julien Alain

Endereço para correspondência Endereço para correspondência: Jeannine Guindon Institut de Formation Humaine Intégrale de Montréal 55 Boulevard Gouin Ouest Montréal, Québec, H3L 1H9, Canadá.

Avant de me former en Psychologie à l'Université de Montréal, j'ai enseigné l'éducation physique aux niveaux primaire et secondaire en Ontario. Mon souci était d'aider les jeunes et de leur apprendre à vivre en santé. Ceci a joué un rôle dans l'importance accordée à la relecture de l'expérience et à l'autonomie corporelle dans le processus de formation humaine intégrale.

Comment est né l'engagement auprès des jeunes enfants?

En 1949, au moment ou je terminais ma licence en Psychologie, j'ai reçu le mandat de fermer un centre d'observation pour enfants appelé le Placement Familial. Une oeuvre qui lui fournissait des fonds jusque là cessait de le faire trouvant trop élevé le prix à payer pour chacun des enfants qui y habitaient. Ce centre devait servir à des examens psychologiques d'enfants en vue de leur trouver un foyer d'accueil. En fait, il servait souvent à trouver une résidence pour les cas les plus difficiles. Il est facile d'imaginer comment ils étaient reçus dans les foyers et vite renvoyés au centre, les institutions refusant de les reprendre. Je me demandais ou iraient cette quinzaine d'enfants abandonnés et sans parents dont personne ne voulait.

Le conseil d'administration voulait fermer par manque d'argent. Ces enfants avaient besoin d'aide. Nous avons réussi à nous en occuper durant quatre ans sans salaire. Il est difficile de demander la démission de quelqu'un qui n'est pas payé. Nous avons réussi à les rééduquer suffisamment pour les placer dans des foyers nourriciers.

Comment après en êtes-vous venue à oeuvrer auprès des surdoués?

Je voyais rester sans réponse les besoins des surdoués profondément perturbés, des enfants hostiles qui ne pouvaient rester ni dans les écoles ni dans les familles. Personne n'était prêt pour un tel travail dans un internat.

Nous n'avions que vingt places pour ces enfants de six à douze ans. Je formais sur place un personnel choisi entre vingt-deux et vingt-sept ans. Nous avions besoin d'argent pour faire vivre les enfants. Ce fut l'occasion d'ouvrir ce qui a été la première clinique psychologique à Montréal, le Centre d'Orientation, qui est encore en fonction. L'argent reçu pour les thérapies des clients faisait vivre l'internat. Le personnel, même s'il n'était pas payé, ne comptait pas son temps. Durant près de dix ans, nous avons procédé ainsi avant d'obtenir des subventions.

La psychanalyse a-t-elle influencé votre approche auprès des enfants?

La psychothérapie ne se pratiquait à cette époque qu'influencée par la Psychanalyse. Je travaillais avec des enfants et des adultes et je me spécialisais avec les petits de deux à quatre ans. Ces derniers venaient à la clinique avec leur mère et je les aidais en jouant avec eux. J'ai rencontré Françoise Dolto qui m'avait impressionnée. Je me suis rendue à sa clinique privée de Paris où elle a accepté que je l'observe durant trois jours pendant qu'elle travaillait des dessins d'enfants.

Freud était mort en 1934, donc depuis peu de temps. Sa fille, Anna, lui avait fait lire avant sa mort son livre2 2 P-U-F-, Paris, 12e édition : 1990. intitulé «Le moi et les mécanismes de défense », oeuvre qui demeure un classique encore aujourd'hui. Au moment de sa parution en 1936, cette oeuvre eut l'effet d'une bombe. Les mécanismes de défense sont des activités du moi et Freud avait traité de l'appareil psychique et des instances du ça, du moi et du surmoi en 1923, donc tardivement dans sa vie professionnelle. Il dit dans «Inhibition, symptôme et angoisse » trouver difficile de réaliser avant de mourir qu'il aurait à faire un autre cheminement pour développer le moi. Lui qui avait fait la découverte de l'inconscient, il aurait voulu avoir autant de temps pour préciser le rôle du moi. Anna a montré comment le moi se défend des impulsions par les mécanismes de défense. Les chercheurs ont continué à développer cette veine qui a aidé notre action et notre recherche auprès de notre clientèle.

L'observation de l'expérience nous a fait découvrir que les délinquants ont peu développé leur inconscient qui se constitue de ce qui est refoulé entre trois et six ans au moment de la situation oedipienne et n'est pas résolu de façon appropriée. Au sens psychanalytique, l'inconscient est différent de ce qui n'est pas conscient. L'enfant refoule ce qui est prohibé, c'est-à-dire les interdictions parentales. Alors se forment les mécanismes de défense dont le rôle consiste à maintenir en respect les impulsions d'un moi incapable de prendre des décisions appropriées. L'individu a besoin d'avoir atteint un certain niveau de développement pour ainsi se munir de mécanismes de défense.

La formation des éducateurs auprès des délinquants a été une de vos préoccupations importantes. Que se faisait-il dans ce sens?

Aichhorn était un psychanalyste très connu et populaire en ce domaine à l'époque. Il s'occupait d'un centre de rééducation où il a tenté d'appliquer la psychanalyse avec les délinquants. Ces derniers ont détruit le centre où ils vivaient mais cet homme a pu faire face à une telle hostilité destructrice. Même quand ils ont saccagé le centre, il y est resté.C'est en le leur faisant reconstruire qu'il les a rééduqués.

D'autres ont voulu faire comme lui sans y parvenir. Aichhorn a réussi par la force de sa personnalité. Comme il était resté, les jeunes sont revenus et ont pu faire face à leur propre hostilité. Ils en ont eu moins peur parce que cet éducateur leur a fait voir qu'il n'en avait pas peur en ne se retirant pas. Sa façon de faire n'a pas été comprise par les spécialistes. Ils se sont arrêtés au contenu des interventions de ce praticien auprès des jeunes plus qu'à la dynamique qui sous-tendait son action.

Cette façon de faire nous a inspirés par ce qu'elle révélait de la dynamique des délinquants.

Quels sont les collaborateurs qui ont aidé votre recherche?

À diverses occasions, j'ai pris contact avec Fritz Redl et Erik Erikson. Redl avait été un des premiers psychanalysés de Freud. Il avait ouvert une école à Vienne avec Erikson, un artiste lui aussi psychanalysé par Freud, de même que Peter Bloss qui s'est occupé des adolescents et est l'auteur de quelques livres sur ce thème. Ces trois chercheurs ont ouvert une école pour les enfants de ceux qui étaient psychanalysés par Freud avec l'intention d'appliquer la psychanalyse à l'éducation. Étant amis, ils ont oeuvré ensemble durant trois ou quatre ans. C'est alors que Redl a commencé à s'intéresser aux délinquants.

Redl a travaillé avec Aichhom au moment de la reconstruction du centre. Son rêve était d'ouvrir une maison de rééducation semblable à celle des États-Unis. Il l'a fait vingt ans plus tard grâce à une subvention pour un an et demi de La Ligue des Femmes de Détroit. Il pensait recevoir de l'argent du gouvernement, mais ce ne fut pas le cas et il a dû fermer son centre connu sous le nom de Pioneer House.

Au début de 1948, j'ai eu l'occasion de le recevoir. Il m'a dit que je devais persister à tout prix car, à son avis, c'est en vivant directement avec les enfants que pourrait se découvrir la façon d'intervenir auprès d'eux. Il souhaitait me voir continuer ce qu'il n'avait pu faire. Ces échanges ont joué un rôle décisif sur l'orientation future de l'internat. Ce fut l'occasion d'échanges fructueux sur l'application du processus de rééducation totale, selon la terminologie de Redl3 3 « Le processus de rééducation du jeune délinquant par l'actualisation des forces du moi » dans Contributions à l'Étude des Sciences de l'homme, Montréal, Centre de Recherche en Relations Humaines, 1969, p.53-54. .

Cet auteur a précisé la façon d'intervenir auprès des enfants agressifs pour tenter de les comprendre4 4 Les fruits de son expérience sont décrits dans une oeuvre intitulée « L'enfant agressif » et traduite en français aux éditions Fleuras (1964). Le premier tome a pour titre : « Le moi désorganisé » et le deuxième « Méthodes de rééducation». L'édition originale de « The Agressive Child a été publiée en deux volumes sous les titres de « Children who hate » (1951) et « Controls from within » (1952). . Il a formulé dans ses livres des concepts descriptifs utilisables par l'observation participante. Vivant avec les enfants, il avait été lui-même un de ces observateurs participants, avait décrit ce qui arrivait et formulé des concepts qu'il appelait les fonctions de l'ego. Ses visites à Montréal ont permis de longs échanges. Je me suis servie de ces concepts de Redl tels que décrits dans son livre sur l'enfant agressif.

En plus de ces fonctions du moi, il précisait les stratégies utilisées par le moi délinquant.

Aucun volume n'a par la suite traduit avec autant de justesse les vingtquatre stratégies dont se sert le délinquant pour exploiter les autres. Il importe de les connaître car le délinquant n'est pas le seul à les employer. Elles se retrouvent chez tous ceux qui exploitent les autres et qui ont un narcissisme bien développé.

Bruno Bettelheim avait ouvert un centre pour enfants prépsychotiques en lien avec l'Université de Chicago. Très sélectif dans l'accueil des étudiants, il n'ouvrait pas son centre facilement. Redl, un de ses amis me référant à lui, il a accepté des stagiaires en psychoéducation à son école durant quatre ans. Ces stages ont favorisé des échanges fructueux. Cet apport a été précieux car aucun internat québécois ne disposait du personnel nécessaire à une telle fomation.

Comment a commencé à s'élaborer la formation des enfants au Centre d'orientation?

Nous avons engagé des psychanalystes, des psychologues, des psychiatres et une travailleuse sociale. Cette équipe, dans ses études de cas, s'intéressait aux moments de crise où se voyaient les problèmes et non aux comportements accompagnés de décisions appropriées. Elle faisait la même recommandation dans tous les cas, celle de la psychothérapie. Ces professionnels qui n'avaient pas vécu avec les enfants allaient vers la psychopathologie plutôt que vers l'éducation. La psychothérapie se faisait avec des psychologues ou des psychiatres durant une heure, si l'enfant acceptait la rencontre. Plusieurs la refusaient.

Une psychanalyse dans un cabinet privé avec des enfants passant continuellement à l'acte et gardés dans un internat sept jours sur sept s'avérait impossible. Ils sortaient avec les parents le dimanche après-midi et revenaient désorganisés au retour car leurs problèmes avaient débuté dans la famille. Nous limitions les contacts pour en venir peu à peu à ce que les parents et les enfants puissent se rencontrer sans qu'il y ait de crise.

J'ai modifié les façons de faire en vue de former des généralistes qui vivraient avec les enfants pour tenter de les rééduquer. Les éducateurs ont commencé à observer les comportements qui faisaient preuve de décisions appropriées. Tout en demeurant préoccupés des perturbations du moi dans ses fonctions, ils ont porté de plus en plus leur attention sur les fonctions propres d'un moi normal dans l'adaptation à la vie quotidienne5 5 J. Guindon, idem, p. 54 . Cette découverte a amené peu à peu l'équipe à miser sur les forces encore présentes chez l'enfant perturbé. Les éducateurs se sont mis à noter des faits dans le comportement des enfants. Comme ces derniers faisaient souvent des crises, les faits rapportés touchaient ce qui était observé à ces moments-là. J'ai alors demandé de noter au moins cinq faits par jour se produisant en dehors des moments de crise, des faits où ils voyaient l'enfant prendre une décision ajustée. J'en ai fait la relecture pour chercher à saisir comment fonctionnait le moi chez ces surdoués qui étaient profondément perturbés.

Comment en êtes-vous arrivés à utiliser les fonctions du moi?

Nous nous sommes inspirés des fonctions du moi décrites par Redl pour comprendre le niveau de tolérance à la frustration des enfants et découvrir comment les aider à faire face à l'imprévu. Par une observation participante, nous avions à préciser dans le vécu des jeunes comment ces fonctions opéraient.

En relisant les comportements, nous les utilisions pour voir comment elles se vérifiaient là où l'enfant se comportait de façon ajustée à la situation. Nous présentions un défi qui tenait compte de la capacité de concentration du jeune et qui était susceptible de lui permettre de prendre des décisions appropriées.

Nous observions combien de temps il pouvait se concentrer sur ce qui lui était demandé. Certains ne dépassaient pas cinq minutes. S'il parvenait à relever le défi, il regardait l'éducateur, fier de ce qu'il avait exécuté. Ce dernier l'approuvait par un signe et l'enfant se remettait à un autre défi de même durée. Une période de concentration trop longue nuisait à l'atteinte de ses buts. Le dosage de la durée a exigé une grande minutie dans l'observation participante. Les problèmes de discipline se sont mis à diminuer avec la présentation des défis ajustés à chacun.

Le président de l'Union internationale des éducateurs spécialisés d'Europe en visite au centre quelques années plus tard s'est dit impressionné par la formation qui y était pratiquée. Il m'a partagé l'avis que j'étais socialement responsable de former le personnel des autres institutions. Cette formation des éducateurs spécialisés avait commencé avec les besoins des orphelins de la guerre en Europe.

Comment a commencé le formation des éducateurs pour délinquants à Boscoville?

Albert Roger, des Pères de Sainte-Croix, m'a demandé de former le personnel de l'internat de Boscoville en vue de faire la rééducation des délinquants. Jusque là, la formation s'était faite en cours d'emploi. Dans ce cas, il était souhaitable de la faire avant d'ouvrir le centre. De la quinzaine de professionnels qui travaillaient avec moi, aucun n'a voulu collaborer par crainte de créer une profession à rabais.

Je n'avais pas comme but de fonder une profession mais de répondre à un besoin. J'étais convaincue de l'utilité et de l'efficacité des interventions dont je faisais l'expérience depuis trois ans.

Albert Roger m'a offert un appui financier substantiel à l'époque (1950). J'ai présenté ma proposition au conseil d'administration en insistant sur le fait que je continuerais à faire mon travail en plus de rapporter de l'argent. Devant un budget déficitaire, ils n'ont pu refuser et la formation a commencé.

Les éducateurs devaient travailler non avec des jeunes de six à douze ans, mais avec des adolescents de seize à dix-huit ans sortis des prisons. Des spécialistes tant d'Europe que des États-Unis m'ont prévenue que la rééducation des délinquants ne pouvait pas se faire. Ceux qui avaient tenté l'aventure n'avaient pas réussi. George Baker's Foundation avait essayé pendant cinq ans. Avec douze psychanalystes, la fondation qui faisait de la psychothérapie avec des délinquants a subi un échec total. Bowlby, professionnel d'Angleterre, a même écrit que plusieurs spécialistes qui s'y étaient intéressés avaient cessé de croire en cette possibilité. À leur avis, le processus de la délinquance avait atteint à cet âge une phase trop critique pour qu'il soit encore possible de songer à une rééducation6 6 J. Guindon, idem, p. 11 .

Je trouvais inadmissible comme éducatrice de considérer inéducables les jeunes avant que soit tentée une expérience dans un centre assurant les conditions essentielles à la rééducation de l'adolescent délinquant. Un tel centre demande: (1) un cadre de vie spécifiquement organisé de façon à être en mesure d'assumer le jeune dans tous les aspects de sa vie; (2) la présence d'adultes spécialement formés à cette fin; (3) un laps de temps de rééducation assez prolongé pour permettre à ces jeunes de vivre une expérience significative et corrective7 7 J. Guindon, idem, p. 13 .

Je me posais la question à savoir comment des spécialistes pouvaient se permettre des affirmations de ce genre sans avoir tout essayé. Les psychanalystes voyaient les délinquants une heure par jour. Comment les rééduquer s'ils peuvent passer à l'acte durant les vingt-trois autres heures de la journée? Je leur demandais s'ils vivaient avec les délinquants, s'ils organisaient les conditions pour leur donner un milieu différent de celui de la délinquance. Ils ne l'avaient pas fait. Nous essaierions.

Comment a été mis en place le programme de formation?

Au moment où commençait ce travail, le cofondateur de la psychoéducation, Gilles Gendreau, était en Europe car il n'avait pu trouver au Québec un endroit de formation adéquat. Il a voulu mettre en application ce qu'il avait appris avec Jean Piaget et l'a enseigné lui-même. Dès le début, en 1951, nous avons utilisé l'apport piagétien. La formation a débuté au Centre d'Orientation et, deux ans plus tard, elle est devenue une section de l'Institut de Psychologie de l'Université de Montréal.

Vers 1960, le programme était organisé de façon efficace. Après leur formation, les étudiants devenaient professeurs, faisaient l'application dans le milieu, relisaient les faits et enseignaient ce qu'ils apprenaient.

Ils connaissaient Piaget, Redl, Erikson, Bettelheim, Anne Freud. Sachant ce sur quoi porter leur attention, ils faisaient des observations adéquates en créant le milieu et les défis éducatifs à présenter. Étant la consultante et formant le personnel dans les autres internats qui se sont ouverts, je pouvais collecter de nombreux faits sur les délinquants et mésadaptés socio-affectifs. Ce fut le début de la conceptualisation.

À l'Université de Montréal en 1952, le programme a été subventionné par le Club Richelieu comme le seul qui s'occupait des délinquants et offrait une cohérence. Il a été accepté au Département de l'éducation permanente. J'étais la seule professeure depuis trois ans et je suis demeurée sans salaire pendant dix ans. J'avais cependant la possibilité de faire le programme que je voulais.

Les psychoéducateurs qui détenaient un baccalauréat au début de leur formation ne recevaient qu'un certificat après trois ans d'étude. Seulement treize ans plus tard, en 1963, ils ont pu recevoir des Licences en Éducation Spécialisée. Ce nom a été changé en 1966 par celui de Psychoéducation.

Ce programme a-t-il été reconnu ailleurs?

Des spécialistes européens qui ont passé six mois ou un an à observer ce que nous faisions m'ont demandé un an à l'avance si j'acceptais de donner la conférence du Congrès international des éducateurs de jeunes inadaptés se tenant à Rome. Dans un premier temps, j'ai refusé la requête.

Je dirigeais le Centre d'Orientation de même que le secteur de Psychoéducation. J'avais fondé aussi le centre de psychoéducation du Québec que je dirigeais aussi. On me demandait de décrire la formation donnée aux éducateurs spécialisés du Québec. Trois spécialistes du comité international venus à Montréal ont fait circuler mon nom comme la seule conférencière invitée au congrès et je n'ai pu finalement refuser. Mille cinq cents personnes de cent vingt pays y ont participé. Huit ateliers en autant de langues se penchaient sur le thème de la conférence. J'ai été ensuite reçue comme consultante en formation des éducateurs spécialisés dans différents pays.

Le Sous-Ministre du Bien-être Social et de la Santé du Québec s'est laissé dire en 1961 à Paris par un sous-ministre français : «Dans cinq ans, nous arriverons au niveau du Québec.»

Le Québécois ignorait de quoi on voulait lui parler. J'avais demandé des subventions au gouvernement. J'étais reçue mais sans rien obtenir. Quelqu'un m'a raconté l'incident, me disant que le moment était venu de faire une demande. J'ai commencé à recevoir de l'argent.

Comment la psychoéducation a-t-elle été reconnue une discipline nouvelle?

En 1971, le Sous-Ministre de l'Éducation a voulu savoir à l'occasion d'une rencontre pourquoi je fonctionnais hors des cadres de l'université. La raison étant le manque d'argent, il m'a offert son aide pour avoir une place dans le milieu.

J'hésitais car je connaissais les rouages. J'ai téléphoné à l'Université de Montréal au secrétaire général et à un responsable de la Faculté des Arts et des Sciences pour m'informer de leur intérêt à la Psychoéducation. Ils ont voulu savoir le pourquoi de ma demande et je leur ai parlé de mon entrevue avec le Sous-Ministre qui avait d'ailleurs ajouté que d'autres universités étaient intéressées par la discipline en question. Prenant soin de vérifier la véracité de mes dires, ils ont demandé à me rencontrer dans l'heure qui a suivi.

L'ouverture de l'École de Psychoéducation a été mise à l'ordre du jour du conseil de la Faculté des Arts et des Sciences. Ouvrir un département universitaire autonome exige de démontrer la nouveauté de la discipline en question. Je n'avais que vingt-quatre heures pour élaborer la preuve avant la réunion du conseil. C'était un grand pas à franchir. Le directeur du Département de Psychologie refusait d'accepter que cette nouvelle école soit mise sur le même pied que la Psychologie et la Philosophie. Je devais relever le défi de préciser avec le plus de clarté possible les caractéristiques de la Psychoéducation et montrer en quoi elles différaient de la Psychologie pour constituer une discipline nouvelle.

Pour ce faire, je me suis inspirée de la façon dont d'autres disciplines avaient été reconnues comme nouvelles plusieurs années avant. Je pense à la Biologie et à la Chimie qui ont donné la Biochimie et permis de faire de la recherche en Médecine et de développer des concepts utiles à la recherche.

J'avais à prouver que les concepts avaient besoin d'être réorganisés et étaient différents de ceux de la Psychologie. Je savais le rôle important de ma présentation pour en avoir fait l'expérience lors de la défense de ma thèse.

J'ai présenté ma thèse sur la rééducation des jeunes délinquants en 1968. J'avais dû insister auprès d'Erikson pour qu'il publie son livre « Éthique et psychanalyse » dont j'avais besoin pour finir mon texte.

Pour la première fois, il y traitait des vertus psychologiques qu'il nommait aussi forces psychologiques ou vitales. Les membres du jury n'ayant pas travaillé avec des délinquants, j'avais pris soin de présenter une conceptualisation théorique étoffée. Le psychanalyste et ami d'Erikson, David Rapaport, m'avait averti de l'importance de cette présentation.

En quel sens les concepts étaient-ils nouveaux?

La psychoéducation a besoin de concepts qui expliquent le devenir, non de concepts statiques. Elle a besoin de concepts qui sont dynamiques et démontrent l'évolution faite par étapes ou niveaux d'organisation.

Certaines théories psychologiques voient le développement dans une ligne continue sans présence de stades. J'allais à leur encontre car parler de stades, c'est parler de discontinuité. Je devais faire le lien entre la continuité et la discontinuité et prouver que les deux sont présentes.

Prenons un enfant avec son hochet à neuf mois et à treize mois. Le hochet caché à un enfant de neuf mois semble disparaître et ne plus exister. À treize mois, l'enfant qui a grandi cherche à retrouver le hochet en poussant le carton qui le cache. Un tel fait demande une explication pour voir ce qui fait que l'enfant de treize mois est plus équipé au point de vue cognitif que celui de neuf mois. Un niveau d'organisation s'est ajouté qui traduit une discontinuité. L'enfant de treize mois devient capable de se représenter le hochet sans le voir donc sans avoir les indices sensoriels alors que l'enfant de neuf mois ne le peut pas. Sans voir l'objet, il est capable de se représenter qu'il existe encore.

Des schèmes cognitifs se sont développés pour ajouter une spire à son développement. Le travail avec des enfants exige de voir cette discontinuité. J'ai montré que la rééducation des jeunes adolescents délinquants ou des mésadaptés demandait le développement de concepts appuyés sur l'épigenèse (épi = sur; genèse = élaboration, formation, naissance).

Le symbole qui la désigne le mieux est la spirale où chaque spire prend naissance de la précédente et contribue à la formation de la suivante. Chaque niveau d'organisation psychique s'élabore en trouvant appui sur le précédent et en préparant la qualité du suivant. Le premier niveau mis en place permet au second de s'élaborer et les deux ensemble donnent naissance au troisième et ainsi de suite. Le deuxième s'élabore à partir du premier et sur le premier et de même pour les trois autres.

Le petit Robert définit l'épigenèse comme la théorie selon laquelle un embryon se développe par la différenciation successive de parties qui sont nouvelles. L'épigenèse qui s'oppose à la préformation se développe tant du coté affectif que cognitif.

Présenter les concepts en tenant compte de l'épigenèse demande de décrire comment les éléments impliqués dans le processus du développement se construisent. J'avais à démontrer que l'épigenèse fait appel à des niveaux d'organisation psychique qui évoluent à la fois selon une discontinuité présente dans les stades et une continuité expérimentée dans les forces vitales.

Le cadre théorique vise l'application clinique qui, à son tour, demande d'expliquer ce qui est fait. Ce ne sont pas de simples intuitions mais des explications démontrables par les faits. Celui qui connaît la conceptualisation théorique doit savoir comment l'appliquer et ne pas le faire n'importe comment.

Le travail avec les mésadaptés ne peut tenir compte seulement de la façon dont ils prennent contact avec le monde extérieur mais doit aussi considérer ce qu'ils vivent en eux au niveau affectif. Ceci demande de traiter l'épigenèse dans ses aspects cognitif et affectif. Les concepts psychoéducatifs sont nouveaux par l'intégration qu'ils font de ces deux dimensions. La rééducation se fait par une discipline qui les intègre et qui tient compte du fait que dans l'expérience, les deux sont vécus ensemble.

Plusieurs théories parlent de ces dimensions mais de façon parallèle et sans les intégrer. Les forces vitales les conjuguent. Les concepts intégrés s'utilisent dans un contact direct avec les personnes par une observation participante.

Comment la Psychoéducation tient-elle compte de l'entourage et des autres dans le développement ?

J'ai démontré dans ma présentation que l'individu ne grandit pas dans un vacuum. Il ne croît que s'il reçoit de son entourage physique et humain ce qui est nécessaire à son développement normal. L'éducateur doit créer les conditions voulues et graduer les défis de façon à ce que l'enfant prenne des décisions appropriées et actualise ses forces vitales humaines. L'individu en soi est étudié par la Psychologie Clinique. La Psychoéducation l'observe sans le séparer de 1 entourage où il s'insère.

Le concept de la représentation de soi en interaction avec la représentation de l'entourage et des autres n'a été formulé qu'en 1980. Mais le sens était déjà inclus dans ma présentation. Je parle de rééducation ou d'éducation et non seulement de Psychologie. Et en ce sens, les valeurs à transmettre entrent en ligne de compte. Le délinquant en a besoin pour se rééduquer.

Dans ma présentation, j'ai affirmé que les forces vitales humaines sont liées à un engagement et à une ouverture envers l'entourage et les autres. Sous cet aspect, la Psychoéducation est aussi une nouvelle discipline. Au point de vue scientifique, le psychologue ne traite pas des valeurs.

J'ai étayé ma présentation des arguments de Piaget sur l'épistémologie tirés de son livre « Logique et connaissance scientifique ». Ces citations appuyaient avec force ce que j'avais découvert par l'expérience. Reliées à la conclusion de ma thèse parue deux ans auparavant, ces citations d'un homme de science estimé de ceux qui m'écoutaient ont permis de rallier les votes du conseil de la Faculté des Arts et des Sciences. Ma présentation et mes arguments ont ensuite été étudiés de plus près au Conseil des études qui a aussi conclu à la nouveauté de la Psychoéducation comme discipline.

Le cadre théorique a-t-il continué son évolution depuis ce temps ?

Le psychoéducateur trouvait sa force dans l'application. Il relisait ce qu'il avait fait en vue de parvenir à une conceptualisation clinique selon sa clientèle composée de délinquants et de mésadaptés. Partant de ce qui avait été observé, il induisait ce qui était généralisable. Il appliquait ensuite ce qu'il avait trouvé pour voir à le vérifier. La conceptualisation théorique présentée dans la thèse doctorale a permis de généraliser l'application non seulement auprès des jeunes inadaptés mais aussi à l'éducation des enfants normaux.

Un certain nombre de psychoéducateurs ont lu ma thèse et se sont montrés intéressés aux applications cliniques possibles. Voyant les modifications adoptées dans ma façon d'accompagner les personnes en thérapie, certains m'ont demandé de les former à cette approche. La façon de concevoir et de développer l'autonomie psychique s'est précisée de plus en plus et s'est élargie à toute personne, enfant ou adulte.

Certains s'étonnent de voir apparaître de façon régulière des changements dans la conceptualisation du cadre de référence de l'actualisation des forces vitales humaines. Nous améliorons notre façon d'observer dans des contextes différents. Quand nous allons dans d'autres pays, nous tentons de voir ce qui peut être généralisé à partir des expériences vécues ailleurs. Nous avons à observer et tenir compte de l'entourage et des traits culturels qui diffèrent d'un pays à l'autre.

L'observation continuelle dans notre milieu autant qu'ailleurs nous incite à enrichir constamment de façon cohérente ce modèle appelé à se développer sans cesse parce qu'à l'écoute de l'expérience et des personnes.

Mon livre sur l'autonomie psychique écrit pour des professionnels fait la synthèse de trente-cinq années de recherche. Il expose le concept charnière de la représentation de soi qui est à la base de la représentation de l'entourage et des autres et qui sert à faire l'application de tous les autres concepts théoriques. Présenté en lien avec les quatre axes de développement (sois corporel, productif, adaptatif et social), il englobe le cognitif et l'affectif, le normal et le pathologique. Une dizaine d'années d'usage du concept des axes de développement a laissé voir la nécessité de précisions plus poussées. J'ai formulé des concepts nouveaux plus près de la personne et plus ajustés. Dès 1985, j'ai opté pour travailler avec le concept d'identité de soi et de ses cinq facettes. Ce concept est présenté avec celui des phases de la vie adulte dans le livre « Prendre sa vie en main, l'enjeu de la vingtaine» (1992). Et depuis 1991, on parle de l'actualisation des forces vitales humaines comme d'un processus de formation humaine intégrale qui rejoint la personne dans toutes les facettes de sa personnalité de sa naissance à sa mort.

  • Endereço para correspondência:
    Jeannine Guindon
    Institut de Formation Humaine Intégrale de Montréal
    55 Boulevard Gouin Ouest
    Montréal, Québec, H3L 1H9, Canadá.
  • 1
    Texto originalmente publicado no Sans Frontière, Les Forces Psychologiques, Hors Série No 2, Mars 1995.
  • 2
    P-U-F-, Paris, 12e édition : 1990.
  • 3
    « Le processus de rééducation du jeune délinquant par l'actualisation des forces du moi » dans Contributions à l'Étude des Sciences de l'homme, Montréal, Centre de Recherche en Relations Humaines, 1969, p.53-54.
  • 4
    Les fruits de son expérience sont décrits dans une oeuvre intitulée « L'enfant agressif » et traduite en français aux éditions Fleuras (1964). Le premier tome a pour titre : « Le moi désorganisé » et le deuxième « Méthodes de rééducation». L'édition originale de « The Agressive Child a été publiée en deux volumes sous les titres de « Children who hate » (1951) et « Controls from within » (1952).
  • 5
    J. Guindon, idem, p. 54
  • 6
    J. Guindon, idem, p. 11
  • 7
    J. Guindon, idem, p. 13
  • Publication Dates

    • Publication in this collection
      31 July 2009
    • Date of issue
      Dec 1999
    Universidade de São Paulo, Faculdade de Filosofia Ciências e Letras de Ribeirão Preto, Programa de Pós-Graduação em Psicologia Av.Bandeirantes 3900 - Monte Alegre, 14040-901 Ribeirão Preto - São Paulo - Brasil, Tel.: (55 16) 3315-3829 - Ribeirão Preto - SP - Brazil
    E-mail: paideia@usp.br