L'ART BELGE
A L'EXPOSITION HISTORIQUE DE BRUXELLES
LA PEINTURE
e qu'il est intéressant de remarquer à l'Exposition, c'est la suc-
cession des tentatives pour arriver à une formule rationnelle
et conforme au tempérament de la race. Une accumulation de
recherches la plupart du temps contradictoires prépare petit à
petit le débrouillemenl du génie national, et il faut que toute
une génération d'arListes s'use à la peine pour réveiller chez les
derniers venus le sentiment d'un art compatible avec le goût
et les aptitudes universels.
Les origines sont marquées d'une confusion qui a sa grandeur; on est tourmenté
d'abord par des aspirations italiennes, espagnoles et françaises plutôt que flamandes;
quelques-uns toutefois croient ressusciter l'école de Rubens en peignant des arcs-en-
ciel baroques et crus; il est aisé de s'apercevoir que le rôle moderne de la couleur
n'est pas défini. Et l'esthétique de la forme ne l'est pas davantage; pendant près de
trente ans on s'attarde dans une fabrication de grands corps symétriques et parés ;
une mise en scène conventionnelle est substituée à l'expression franche de la nature;
et il y a deux sortes d'humanité : celle des ateliers et celle de la rue.
Pourtant une chose domine : l'effort général pour s'arracher à la froideur guindée
des classiques. David avait engendré une école belge-française mortellement ennuyeuse
de peintres corrects et inattendris, les Duvivier, les Ducq, les Paelinck, les Odevaere;
mais dès \ 830, la sève flamando s'irrite d'être maintenue dans ce moule rigide, et
brusquement fait irruption dans le Van der Werff do Wappers. C'est le cri de la
révolte : aussitôt les camps s'organisent, les pontifes d'une part, bataillant pour la
Doctrine, les sectaires de l'autre, proclamant la Révolution; et l'on dresse des
barricades dans l'art comme on en avait dressé dans la politique. Les Salons de cette
époque, ceux de 1833 et de 1836 surfout, sont pleins de luttes épiques; les casques
à pompiers s'opposent aux hauts-de-chausses et aux pourpoints; une furie de couleur
grise les néo-flamands, tandis que les néo-grecs s'abreuvent sobrement d'idéal; et
en 1839, le dernier carré est rompu : les Davidiens meurent et ne se rendent pas.
Le vieil instinct de la couleur a désormais reconquis ses droits : il déborde dans une
large production exaspérée, avec une allure de combat ; et en même temps que la condi-
tion extérieure et plastique, la condition intime et spirituelle se transforme. On renonce
décidément aux antiques, aux marbres, aux chlamydes, à la ferblanterie des classiques,
XXIII. — 2e PÉRIODE. 8
A L'EXPOSITION HISTORIQUE DE BRUXELLES
LA PEINTURE
e qu'il est intéressant de remarquer à l'Exposition, c'est la suc-
cession des tentatives pour arriver à une formule rationnelle
et conforme au tempérament de la race. Une accumulation de
recherches la plupart du temps contradictoires prépare petit à
petit le débrouillemenl du génie national, et il faut que toute
une génération d'arListes s'use à la peine pour réveiller chez les
derniers venus le sentiment d'un art compatible avec le goût
et les aptitudes universels.
Les origines sont marquées d'une confusion qui a sa grandeur; on est tourmenté
d'abord par des aspirations italiennes, espagnoles et françaises plutôt que flamandes;
quelques-uns toutefois croient ressusciter l'école de Rubens en peignant des arcs-en-
ciel baroques et crus; il est aisé de s'apercevoir que le rôle moderne de la couleur
n'est pas défini. Et l'esthétique de la forme ne l'est pas davantage; pendant près de
trente ans on s'attarde dans une fabrication de grands corps symétriques et parés ;
une mise en scène conventionnelle est substituée à l'expression franche de la nature;
et il y a deux sortes d'humanité : celle des ateliers et celle de la rue.
Pourtant une chose domine : l'effort général pour s'arracher à la froideur guindée
des classiques. David avait engendré une école belge-française mortellement ennuyeuse
de peintres corrects et inattendris, les Duvivier, les Ducq, les Paelinck, les Odevaere;
mais dès \ 830, la sève flamando s'irrite d'être maintenue dans ce moule rigide, et
brusquement fait irruption dans le Van der Werff do Wappers. C'est le cri de la
révolte : aussitôt les camps s'organisent, les pontifes d'une part, bataillant pour la
Doctrine, les sectaires de l'autre, proclamant la Révolution; et l'on dresse des
barricades dans l'art comme on en avait dressé dans la politique. Les Salons de cette
époque, ceux de 1833 et de 1836 surfout, sont pleins de luttes épiques; les casques
à pompiers s'opposent aux hauts-de-chausses et aux pourpoints; une furie de couleur
grise les néo-flamands, tandis que les néo-grecs s'abreuvent sobrement d'idéal; et
en 1839, le dernier carré est rompu : les Davidiens meurent et ne se rendent pas.
Le vieil instinct de la couleur a désormais reconquis ses droits : il déborde dans une
large production exaspérée, avec une allure de combat ; et en même temps que la condi-
tion extérieure et plastique, la condition intime et spirituelle se transforme. On renonce
décidément aux antiques, aux marbres, aux chlamydes, à la ferblanterie des classiques,
XXIII. — 2e PÉRIODE. 8