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Comptes Rendus

La prévention vaccinale du bioterrorisme
Comptes Rendus. Biologies, Volume 325 (2002) no. 8, pp. 897-899.

Résumés

La prévention des risques du bioterrorisme se heurte à la multiplicité des armes possibles. Contre la variole, la préparation de réserves du vaccin traditionnel est possible et s’impose, mais on n’emploiera ce vaccin dangereux qu’en cas de nécessité absolue ; des recherches doivent être menées sur un vaccin moderne. Contre la maladie du charbon, un vaccin devrait pouvoir être mis au point assez rapidement. L’optimisme est plus limité en ce qui concerne la peste, car il n’est pas certain que l’on puisse protéger efficacement contre sa forme pulmonaire, mais des recherches s’imposent d’urgence. Préparer des vaccins contre les virus des fièvres hémorragiques pose un problème difficile, étant donné leur multiplicité. À côté des vaccins, il faut en outre envisager la mise au point de sérothérapies passives par anticorps monoclonaux, qui pourraient être essentielles pour lutter contre des toxines, comme celle du botulisme, ou contre des formes de bactéries résistantes aux antibiotiques.

Prevention against the weapons of bioterrorists is limited by the multiplicity of agents that could be used. Against smallpox, stocks of the classical vaccine must be prepared, but this vaccine is dangerous and we must look for a new and safer vaccine. A vaccine against anthrax is probably possible relatively soon. One may be less optimistic concerning plague, since it is not sure that we could protect against the pulmonary plague, but research in this field is an emergency. The large number of viruses capable of inducing haemorrhagic fevers makes especially difficult the preparation of vaccines against these infections. We must also make available monoclonal antibodies that could be used as therapies against toxin, notably botulism, or against antibiotic-resistant bacteria.

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DOI : 10.1016/S1631-0691(02)01504-4
Mot clés : bioterrorisme, variole, peste, vaccin, maladie du charbon, fièvres hémorragiques, sérothérapie passive
Keywords: bioterrorism, smallpox, plague, vaccine, anthrax, haemorrhagic fevers, passive serotherapy

Jean-Paul Levy 1

1 Institut Pasteur, 28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris cedex 15, France
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Jean-Paul Levy. La prévention vaccinale du bioterrorisme. Comptes Rendus. Biologies, Volume 325 (2002) no. 8, pp. 897-899. doi : 10.1016/S1631-0691(02)01504-4. https://comptes-rendus.academie-sciences.fr/biologies/articles/10.1016/S1631-0691(02)01504-4/

Version originale du texte intégral

La première difficulté, en matière de bioterrorisme, réside dans la détermination de ce que contre quoi on doit se protéger, puisque les terroristes ont à leur disposition, pour peu qu’ils possèdent une certaine compétence, de multiples bactéries, virus et toxines. Nous risquons d’avoir à courir derrière leur imagination fertile pour savoir contre quoi lutter, à tel ou tel moment. On se limitera donc à quelques « armes » vraisemblables, en insistant sur les recherches que l’Institut Pasteur, aujourd’hui en première ligne dans ce combat, peut mener à bien.

Quel que soit le vaccin envisagé, il faut se rappeler tout d’abord – on l’oublie très souvent – que tout vaccin souhaité n’est pas forcément réalisable et qu’un nouveau vaccin demande sept à dix ans de travail entre le moment où la recherche est entreprise et sa mise à disposition. Nous ne pouvons œuvrer que sur le moyen terme. Entre temps, on dispose parfois, en cas d’urgence, de vaccins dont la sécurité n’est pas assurée : serions-nous amenés à les utiliser en cas d’attaque terroriste ? Il faudrait une épidémie redoutable, et l’on peut raisonnablement espérer ne pas se trouver devant une telle extrémité. On peut noter, par ailleurs, que tous les vaccins que l’on pourrait envisager étaient impossibles à réaliser il y a seulement quelques mois, car si l’on meurt toujours des maladies correspondantes, c’est dans des pays insolvables qui n’intéressent guère les industriels. Tout change depuis qu’il ne s’agit plus de trouver des marchés, mais de préparer des réserves de vaccins achetées par les gouvernements, au titre de la défense nationale. Du coup, il n’est pas exclu que certaines populations défavorisées, qui n’en auraient jamais bénéficié, puissent bientôt disposer de vaccins contre les infections qui les touchent.

Premier exemple, la variole : c’est celui d’un virus contre lequel on possède un vaccin que l’on n’a pas envie d’utiliser. Ce virus peut malheureusement constituer une arme redoutable, d’autant plus que les personnes jeunes ne sont plus du tout vaccinées, en France comme dans le reste du monde. Qui vacciner ? Toute la population, selon certains. Ce serait une opération lourde, très coûteuse et surtout très difficile à réaliser, car nous ne disposons pas immédiatement des réserves suffisantes de vaccins. Dans l’état actuel, on sait qu’elle entraînerait un certain nombre d’accidents graves, notamment des encéphalites. Une autre conséquence, moins redoutable, serait la fin des recherches sur l’utilisation des vecteurs vaccinaux recombinants comme vaccins contre certains cancers, le sida et bien d’autres infections, car ces vecteurs seraient inefficaces chez des sujets déjà vaccinés. Il semble plus logique de vacciner seulement des populations exposées, en cas d’attaque, en sachant qu’il y aurait alors initialement quelques victimes. En tout état de cause, une certitude s’impose : il faut que les gouvernements disposent de stocks de vaccins importants et régulièrement renouvelés. Mais de quel vaccin ? Il reste quelques réserves de vaccin ancien, à la limite probable de la péremption. Préparé au flanc de la génisse et responsable d’accidents mortels dans un petit nombre de cas, ce produit ne serait probablement même pas enregistrable aujourd’hui et son emploi poserait d’énormes problèmes de responsabilité pour les compagnies qui le distribueraient. En préparer de nouveaux lots selon les mêmes méthodes n’est guère possible ; en revanche, on peut préparer un tel vaccin en cultures de tissus, à échéances de quelques années, mais ce vaccin restera dangereux. La conclusion qui s’impose est double : il est logique de préparer, dans un premier temps, des stocks de vaccins, que l’on n’utiliserait qu’en cas d’extrême urgence, et il est indispensable de mettre en route la mise au point d’un vaccin moderne. Il est indispensable aussi de tester l’efficacité protectrice contre la variole de virus de vaccine recombinants, tels que NYVAC ou MVA, qui sont actuellement utilisés comme vecteurs d’autres vaccinations et qui pourraient être produits à large échelle, tout en comportant probablement moins de risques que le vaccin traditionnel. Mais il faut alors pouvoir mener des expériences de protection comportant l’inoculation à des singes du virus de la variole, dont la manipulation est aujourd’hui interdite.

Le charbon, deuxième exemple, est une bactérie sans vaccin vraiment valable à ce jour, mais contre laquelle la mise au point d’un vaccin efficace est vraisemblablement possible, comme le montrent à l’Institut Pasteur les travaux de l’équipe de Michèle Mock. La pathologie due à cette bactérie présente deux composantes, septicémique et toxémique, et il faut protéger contre les deux. Le vaccin vétérinaire utilise la souche « Sterne », isolée avant la seconde guerre mondiale. Il est efficace, mais dangereux, car la souche n’est pas complètement détoxifiée. Les armées anglo-saxonnes se sont attachées à un vaccin constitué de la protéine PA, le composant commun des deux toxines du charbon, mais ce vaccin est beaucoup moins efficace, comme on pouvait s’y attendre, puisqu’il n’agit pas sur la composante septicémique. L’équipe de l’Institut Pasteur vient de montrer, en revanche, que l’on peut obtenir d’excellentes protections chez la souris et chez le cobaye, en utilisant à la fois PA et des spores tuées provenant d’une souche RPCL2, dérivée de Sterne, mais complètement détoxifiées. Les essais chez l’homme sont envisageables dans un avenir relativement proche, si les autorités acceptent, au moins comme première génération, un vaccin comportant des spores. Cela devrait être possible, puisque ces spores sont à la fois dépourvues de toxine et tuées. De toutes façons, une deuxième génération de vaccin doit être étudiée dès maintenant, comportant par exemple, outre la protéine PA, des antigènes de spores bien caractérisés. Ces antigènes restent encore aujourd’hui à identifier.

La peste, troisième exemple, est celui d’une bactérie contre lequel le vaccin dont on aurait besoin n’existe pas et dont on n’est même pas certain qu’il pourra être réalisé. Mais la peste doit absolument être considérée comme une priorité dans le domaine du bioterrorisme. Le vaccin devrait être bien toléré et, si possible, administrable en une seule dose, mais il devrait surtout avoir une efficacité prolongée et protéger contre la peste pulmonaire. Ceux qui existent ont une efficacité courte, contre la peste bubonique seulement, et ils restent sans action réelle contre la peste pulmonaire, qui serait évidemment le principal problème en cas de bioterrorisme. Quel vaccin mettre au point ? Le vaccin tué n’a pas l’efficacité souhaitée. Les vaccins sous-unités, que les armées anglaises ou américaines ont utilisés pour leurs troupes en opération, comprennent les antigènes F1 et V, que l’on envisage aussi par exemple d’administrer en microsphères, avec l’espoir d’induire une immunité muqueuse. En fait, les chances de protéger à long terme avec un tel vaccin sont faibles et, s’il semble avoir une certaine efficacité contre la peste bubonique, il y a peu de chance qu’il en ait une contre la forme pulmonaire. En tenant compte du fait que le vieux vaccin vivant EV76 était probablement plus efficace, mais qu’il était aussi dangereux, il semblerait raisonnable de s’attacher à la mise au point de vaccins vivants, atténués ou recombinants, selon diverses modalités possibles. C’est de ce côté que pencherait la réflexion de l’Institut Pasteur, avec l’équipe d’Élisabeth Carniel.

Faut-il aussi penser aux fièvres hémorragiques ? Devrons-nous élaborer des vaccins contre les virus Ebola, Lassa, Nipah, Marburg, etc. ? Ce sont tous des virus différents, et il en est d’autres contre lesquels autant de vaccins seraient nécessaires. On souhaiterait alors que ce soient, si possible, des vaccins mixtes, permettant en même temps de protéger contre des problèmes majeurs des pays du Sud, la dengue ou la fièvre jaune, par exemple. Pour l’heure, à l’Institut Pasteur du moins, la réflexion est focalisée sur un seul modèle, celui du virus de la fièvre de la vallée du Rift, sur lequel travaille l’équipe de Michèle Bouloy. Il est ravageur pour les troupeaux et pourrait constituer une arme économique fort dangereuse, mais il passe aussi à l’homme, et les moustiques qui le transportent existent aussi dans nos pays. Dans le proche avenir, cependant, d’autres vaccins pourront être envisagés, en utilisant les possibilités offertes par le laboratoire P4 récemment mis en service à Lyon, grâce à la collaboration de la Fondation Mérieux et de l’Institut Pasteur.

À côté des vaccins, il faut aussi penser à l’immunothérapie passive. Elle peut constituer une défense importante, soit dans le cas de toxines pour lesquelles nous n’avons pas de traitement médicamenteux, comme celle du botulisme, soit dans celui de la lutte contre des bactéries qui seraient multirésistantes aux antibiotiques, hypothèse tout à fait crédible en matière de bioterrorisme, puisque ces bactéries ne sont pas très difficiles à fabriquer. En règle générale, il s’agit de préparer des anticorps monoclonaux chez la souris, puis de les « humaniser » ou de les « chimériser » pour les rendre utilisables en thérapeutique humaine et enfin d’en vérifier l’efficacité dans des modèles animaux et la tolérance chez l’homme. Il ne faut en outre pas exclure d’utiliser des anticorps polyclonaux animaux hautement purifiés, plus faciles à obtenir et qui pourraient s’avérer plus efficaces et utilisables en situation d’urgence. De tels travaux sont bien sûr en cours, mais avec des délais de mise au point variables. Ainsi, à l’Institut Pasteur, devrait-il être possible de disposer relativement rapidement d’anticorps actifs contre le charbon, parce qu’ils existent chez la souris, à plus long terme, d’anticorps contre la toxine botulique, pour laquelle ils restent encore à obtenir, et, certainement à beaucoup plus long terme, d’anticorps contre la peste, pour laquelle les cibles elles-même sont encore à identifier.


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