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Education is the most powerful weapon by which you can change the world

Nelson Mandela

INTRODUCTION

La période d’études à l’université représente un moment particulier dans la vie des jeunes. Les répercussions des différents problèmes psychopathologiques sur la réussite des études sont importantes.

Nous présentons les données de la plus large enquête sur des étudiants à l’université datant de 2016. Parmi les 1 563 000 étudiants contactés par mail, 8 875 ont répondu. Parmi les problématiques le plus souvent rencontrées chez les jeunes se trouvent les troubles de l’humeur : la dépression, l’anxiété, mais également une détresse psychologique. Selon l’Observatoire de la vie des étudiants (OVE, 2018), 37 % des étudiants se sont sentis tristes, déprimés, sans espoir (dans les 12 mois précédant l’étude, sur une période d’au moins 12 semaines, ce qui constitue le premier critère d’évaluation d’un épisode dépressif caractérisé ou majeur). Ces symptômes sont présents chaque jour ou presque, et toute la journée ou pratiquement, pour 22 % des étudiants, contre 11 % en population générale (Beck, Guilbert et Gauthier, 2006). De plus, 25,7 % des étudiants ont présenté au moins un trouble mental au cours des 12 mois précédant l’enquête, 16,6 % des étudiants évoquant des symptômes de fatigue, de stress et d’épuisement présents dans la semaine précédant l’enquête (OVE, 2018). Ces troubles seraient plus fréquents chez les étudiants de premier cycle. Soulignons que la présence de difficultés d’ordre psychologique est associée à des résultats universitaires plus faibles et à une baisse des performances professionnelles futures (Saleh, Camart, Sbeira et Romo, 2017).

Les recherches sur les interventions visant à prévenir les problèmes de santé mentale ont montré des effets prometteurs et incitent à multiplier les expériences, y compris en utilisant des outils innovants basés, entre autres, sur les technologies numériques.

Des difficultés psychiques et des comportements à risque, obstacles à la réussite des études universitaires

Des données saisissantes

La population étudiante se trouve au coeur de la période où commencent à manifester de nombreuses pathologies psychiatriques (Morvan, Coulange, Krebs, Boujut et Romo, 2016). Dès lors, il parait important de bien différencier ce qui sera transitoire et lié à un moment de vie spécifique, de ce qui représente un risque d’entrée dans une pathologie chronique. C’est pourquoi il est nécessaire de mettre en place des actions de repérage précoce ainsi que des prises en charge adaptées aux besoins des étudiants qui présentent des profils différents (Morvan et al., 2016). Cela implique de pouvoir offrir des interventions variées permettant à chacun un réel engagement dans les soins. Rappelons qu’il a été montré que la présence d’un trouble psychique aura un impact fonctionnel sur le travail, sur les relations sociales et familiales, ainsi que sur la capacité d’adaptation à l’environnement universitaire, et donc sur la réussite académique (Morvan, Coulange, Krens, Boujut et Romo, 2016). Il convient de noter que 22,3 % des étudiants ayant des problèmes de santé mentale déclarent ne pas demander d'aide, ce qui renforce la nécessité d’élaborer et mettre en place des stratégies de prévention et de protection variées et adaptées dans le milieu universitaire (Morvan, Coulange, Krebs, et al., 2016; Saleh, Camart et Romo, 2017). Chez les étudiants de première année, les sources de stress peuvent concerner la peur des examens, le manque de capacités personnelles (ou la perception de cela) et la peur d’une réorientation. Ils considèrent bien moins importantes les difficultés matérielles et liées aux tâches quotidiennes que celles liées à la motivation et au style de vie adapté (alimentation équilibrée, alcool…). La prévention et la gestion du stress sont des dimensions clés dans la prise en charge de ces étudiants (Maze et Verlhiac, 2014).

La place du stress comme facteur majeur de souffrance chez les étudiants est soulignée également par d’autres études (Regehr, Glancy et Pitts, 2013; Rotenstein et al., 2016). Une étude réalisée en région parisienne sur 600 étudiants montre que 86,81 % d’entre eux présentent un score de stress élevé et 73,1 % un score significatif de détresse psychologique (Saleh et al., 2017). Dans le cas des étudiants inscrits dans un cursus universitaire en lien avec la santé, les taux de dépression et de suicide sont très élevés et seulement une minorité reçoit un traitement. La confidentialité, la stigmatisation, les implications potentielles sur la carrière et les contraintes de coûts et de temps seraient des obstacles majeurs à une demande de prise en charge. Selon une étude menée en 2013 au Royaume-Uni sur plus d’un millier d’étudiants, les causes les plus fréquentes du stress sont, pour 65 %, les cours, les mémoires; pour 54 %, les examens et pour 47 % d’entre eux les difficultés financières (Vailes, 2017).

De plus, une étude réalisée à Nice entre septembre 2012 et juin 2013 auprès d’étudiants de première année ayant subi un examen médical obligatoire au service médical universitaire[2] et comprenant des informations sur le mode de vie des élèves (conditions de vie, comportement alimentaire, activité physique, consommation de drogues récréatives), montre que sur l’échantillon de 4184 étudiants, la prévalence de la dépression, de l'anxiété et des crises de panique étaient respectivement de 12,6 %, 7,6 % et 1 %, au moment de l’évaluation. L’étude enseigne, par ailleurs, que dans les 30 jours précédant l'évaluation, 0,6 % des étudiants avait consommé de l’alcool régulièrement, 6,3 % étaient fumeurs et 10 % fumaient de la marijuana. Ce travail souligne enfin que les difficultés financières et les difficultés d'apprentissage étaient associées à des problèmes psychiatriques (Tran et al., 2017).

En prolongeant l’exploration des troubles du comportement et des dépendances auprès de certaines catégories d’étudiants, il est possible d’observer que certaines filières d’enseignement peuvent montrer des particularités, par exemple, en médecine. Les étudiants de cette filière présentent un plus grand risque de présenter des comportements de consommations de produits psychoactifs. Les étudiants de 35 facultés de médecine françaises, recrutés à travers des listes de diffusion et de réseaux sociaux entre décembre 2016 et mai 2017, ont complété des questionnaires anonymes sur Internet. Au total, 10 985 de ces étudiants, d’âge moyen de 21,8 ans, dont 87,8 % des femmes, ont participé à l’étude. Les données collectées montrent que, comparativement aux hommes, les femmes fument moins souvent du tabac et du cannabis; les hommes consomment plus fréquemment de l'ecstasy, de la cocaïne, des champignons, de l'amphétamine, du LSD, de la codéine et de la kétamine (pour rechercher le plaisir, la nouveauté et l'effet de groupe, mais aussi les trois effets conjointement). Les femmes sont plus fréquemment suivies par un psychiatre et/ou un psychologue; elles consomment plus fréquemment des anxiolytiques et des antidépresseurs; elles rapportent des taux de satisfaction inférieurs aux hommes en termes de qualité de vie physique et mentale; elles sont plus fréquemment exposées à des agressions sexuelles et à la violence domestique, alors que les hommes sont plus fréquemment exposés à des agressions physiques pendant leurs études médicales (Fond et al., 2018). Néanmoins, des études auprès des étudiants en sciences humaines donnent des chiffres souvent similaires (Winzer, Lindberg, Guldbrandsson et Sidorchuk, 2018).

Enfin, soulignons que certains auteurs ont identifié des typologies de pathologies chez les étudiants. À titre d’exemple, Morvan distingue cinq types de profils d’étudiants en fonction de la présence et du type de troubles. Chaque profil correspond à un trouble spécifique : troubles du sommeil, épuisement, dépression, stress et solitude/isolement (Morvan, Coulange, Krens et al., 2016).

Les addictions, avec et sans substances

Les étudiants utilisent souvent des médicaments pour augmenter leurs performances, mais s’exposent sans en avoir particulièrement conscience à leurs effets négatifs. Une étude menée en Amérique du Nord auprès d’étudiants consommateurs des substances âgés de 18 à 25 ans (Abelman, 2017) montre qu’ils présentent une faible auto-efficacité perçue et des problèmes de santé mentale. Ceci pourrait être en lien avec le fait qu’il existe de nombreuses idées fausses sur la santé et les effets des médicaments pour augmenter les performances sur la concentration et la réussite académique. Ces médicaments, comme le méthylphénidate, n'améliorent pas particulièrement l'apprentissage, alors qu'ils pourraient augmenter temporairement la mémoire ou faciliter la concentration, mais avec des effets néfastes sur la santé. Dès lors, l’information et la prise en compte de la balance du risque-bénéfice pour chaque personne s’imposent, ainsi que des actions qui traitent les facteurs sous-jacents d'utilisation (Abelman, 2017).

Par ailleurs, le mésusage de substances, notamment l’alcool, produit un impact sur la structure et le fonctionnement du cerveau. Les déficits observés à moyen terme sont corrélés à la quantité d’alcool consommée et au mode de consommation, le binge-drinking étant particulièrement délétère. Des programmes de prévention et d’intervention sur Internet se sont développés et ont montré leur efficacité (Vrillon, Romo, Kern, Dereux et Gorwood, 2015).

Concernant d’autres comportements « d’excès », des travaux ont montré que l'utilisation de la technologie et des médias, sous différentes formes, peut avoir des effets très sérieux sur le bien-être physique et mental des adolescents et des jeunes adultes s’ils n’arrivent à gérer le temps passé sur ces outils.

À titre d’exemple, l’usage problématique d’Internet (Internet Addiction Disorder, IAD) est fréquent chez les étudiants universitaires. Une méta-analyse récente sur la prévalence de l’IAD et des facteurs associés, réalisée sur 70 études couvrant 122 454 sujets, montre que 11,3 % des étudiants chinois rempliraient les critères d’IAD. En utilisant le questionnaire de diagnostic IAT (Internet Addiction Test) de Young modifié de 10 items, le test de dépendance à Internet de 20 items et l'échelle de dépendance à Internet de 26 items de Chen, la prévalence de l’IAD est de 9,3 %, 11,2 % et 14,0 % respectivement. Des analyses de sous-groupes révèlent que la prévalence combinée de l’IAD est significativement associée à l'instrument de mesure et au fait de vivre dans des centres urbains (Li et al., 2018). Une autre étude d’intérêt est celle de Zeeni (Zeeni, Doumit, Abi Kharma et Sanchez-Ruiz., 2018), qui analyse l'utilisation de différents types de technologies et de médias, les attitudes à leur égard et la relation avec le bien-être physique et mental des étudiants universitaires libanais. Ce travail montre que parmi 244 étudiants de premier cycle, l'utilisation abusive d’applications sur le téléphone mobile (musique, images et vidéos) serait liée à une mauvaise alimentation et au stress. L'anxiété de séparation et la dépendance aux appareils technologiques seraient associées à une augmentation du risque de dysfonction érectile, de dépression et d’anxiété. Pour comprendre la relation des étudiants avec Internet et les réseaux sociaux, la référence au modèle d’auto-efficacité de Bandura peut être utile (Bandura, 2004). Des auteurs ont travaillé sur la théorie sociale et la théorie de l'influence triadique (ITT) de Bandura afin de déterminer le rôle médiateur des résultats positifs de l'utilisation d'Internet dans la relation entre influence sociale et la dépendance à Internet (IAD). L’analyse des usages des 1 922 participants de l’étude indiquent que la gravité de l'IAD est prédite de manière significative et positive par l'influence sociale et qu'elle est médiatisée par l’attente de l’utilisateur d’un résultat positif de l'utilisation d'Internet (Lin, Wu, Chen et You, 2018). De plus, l’étude de Mei et al. (2018) sur la prévalence de la dépendance au téléphone mobile et les liens avec le soutien social et l'impulsivité auprès un millier d’étudiants indique que la dépendance à la téléphonie mobile s’élève probablement à 7,4 % et que cette dépendance serait corrélée de manière statistiquement significative au fait d’être un homme ainsi qu’au niveau d’impulsivité. En revanche, il ne semblerait pas y avoir de relation avec le soutien social (Mei et al., 2018).

L’une des dimensions qui apparait fréquemment perturbée pendant les études universitaires est celle du comportement alimentaire. Une étude évaluant le binge eating disorders (BED) et l’addiction à l’alimentation (AA) chez 965 étudiants, dont 72,8 % de femmes de 18 à 25 ans, utilisant le Eating attitude test (EAT-26) et l’échelle d’addiction à l’alimentation de Yale et al. (YFAS), montre un taux plus élevé de troubles de l'alimentation chez les femmes que chez les hommes. La présence de BED et de AA chez les étudiantes est significativement plus élevée que chez les hommes (BED :11,6 % chez les femmes contre 5,7 % chez les hommes; AA : 12,3 % chez les femmes et 4,6 % chez les hommes) (Yu et al., 2018).

Au sujet de la dépendance à Internet, Chou et ses collaborateurs (2018) trouvent chez ces étudiants une faible flexibilité psychologique, de l’évitement expérientiel, une dépression et des tendances suicidaires. Les effets prédictifs de l’évitement expérientiel et la rigidité psychologique, ainsi que des stratégies d'adaptation au stress, sont examinés en utilisant une analyse de régression logistique contrôlant les effets du sexe et de l'âge. Les résultats indiquent que des niveaux élevés d’évitement expérientiel et de rigidité psychologique lors de l'évaluation initiale augmentent le risque de dépendance, de dépression et sont en lien avec un niveau de risque suicidaire plus élevé, et ceci diminue également l’efficacité de la prise en charge (Chou, Yen et Liu, 2018). Par ailleurs, la problématique suicidaire serait également en lien avec les résultats académiques.

Concernant la problématique suicidaire, soulignons que dans les pays à revenu élevé, les meilleurs résultats scolaires sont associés à des probabilités plus faibles de comportements suicidaires. Mais cela semble s’atténuer dans les pays à revenu intermédiaire. Dans une étude sur la situation au Mexique, Orozco et ses collaborateurs montrent en effet que la prévalence des tentatives de suicide est de 3,0 % chez les collégiens et de 4,2 % chez les lycéens et qu’elle plus faiblement associée aux résultats scolaires. Cela doit attirer l’attention des professionnels de santé sur ce sujet, notamment lors de l’arrivée des étudiants à l’université, période de changements potentiellement déstabilisante (Orozco et al., 2018).

Trouble du déficit d’attention avec et sans hyperactivité ou TDAH chez les étudiants

Le TDAH est un trouble neuro-développemental qui persiste en général à l’âge adulte sous des formes différentes (impulsivité prédominante, déficit d’attention prédominante et type mixte de deux dimensions précédentes), dans 65 % des cas, dont la présence chez la population générale chez l’adulte est estimée à approximativement de 2 à 8 % de la population (Weyandt et Dupaul, 2012). La présence d’un TDAH est associée à de l’impulsivité, des difficultés de planification et d’organisation, une dysrégulation émotionnelle, ainsi que souvent, à une consommation de substances psychoactives (Egan, Dawson et Wymbs, 2017).

Les manifestations de ce trouble à l’âge adulte peuvent ressembler à des troubles bipolaires, des troubles anxieux, des troubles de la personnalité borderline, ce qui rend difficile le diagnostic et une prise en charge adaptée. Il est important que les interventions psychothérapeutiques puissent se mettre en place de façon rapide avant l’arrivée à l’université, mais également à l’université, car souvent, les jeunes atteints de ce trouble ne pourront pas accéder à des études universitaires à cause des échecs scolaires.

Les addictions, avec et sans substances, chez les étudiants sont parfois associées à la présence d’un Trouble du déficit d’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), ce qui augmente le risque de problèmes de gestion des émotions, d’impulsivité et des difficultés d’organisation pouvant entrainer en plus, des problèmes de dépression (Romo et al., 2018).

La situation de handicap, un facteur aggravant

Les études montrent que comparativement aux étudiants non handicapés, ceux handicapés signalent davantage d'anxiété et de détresse liée à leurs études, ainsi que des taux plus élevés d'idées suicidaires, de tentatives de suicide et d'automutilation. Les élèves handicapés présentent notamment des niveaux de détresse plus élevés dans des domaines qui peuvent avoir une incidence sur leur réussite scolaire. Les tendances à l'auto-agression sont, en général, particulièrement marquées chez les étudiants handicapés (Coduti, Hayes, Locke et Youn, 2016). Un article de ce numéro est entièrement consacré à l’étudiant et jeune adulte en situation de handicap.

L’impact des conditions économiques sur la santé mentale des étudiants

D’un point de vue sociologique et économique, les conditions de vie des étudiants vont également conditionner tant la santé mentale des jeunes étudiants que l’accès aux soins. Une étude de Porrovecchio et son équipe en 2017, sur la pratique de l’activité physique en région de Hauts de France, met en évidence l’importance du contexte socioéconomique dans la réussite académique. Les étudiants qui doivent travailler et qui présentent des difficultés financières représentent 5 à 21,8 % des étudiants; ceux qui ont des problèmes de logement représentent 27,61 % de l’échantillon étudié. Parmi ces étudiants, 41,5 % considèrent négliger leur vie et 5,1 % se considèrent isolés. C’est pourquoi Porrovecchio avance que l’éducation supérieure présente des risques de « ségrégation socio-spatiale » (Porrovecchio, Di Francesco et Ladner, 2017). Par ailleurs, d’autres auteurs soulignent que la notion de pauvreté peut avoir une composante subjective : être originaire d’un milieu aisé procure probablement un sentiment de sécurité qui atténue le sentiment de difficultés financières, même lorsque celles-ci apparaissent. Ainsi, Galland et son équipe montrent dans leur étude que 41 % des étudiants originaires des familles pauvres rencontrent des difficultés financières contre 14,4 % de ceux venant des familles plus aisées (Galland, Verley et Vourc’h, 2011). Les difficultés économiques imposées par les études, comme le renoncement aux soins, aux loisirs et un travail contraint, ou en dehors de leur champ professionnel, sont liées souvent aux difficultés financières rencontrées par les familles et les étudiants les plus âges sont souvent dans une position encore plus difficile. Par ailleurs, des renoncements aux soins sont également évoqués dans des enquêtes nord-américaines, surtout concernant les troubles anxieux, la dépression, les troubles alimentaires et d’abus de substances. Ces renoncements aux soins s’additionnent à d’autres problématiques comme une faible estime de soi, un faible soutien social et le recours à un « coping » émotionnel plutôt qu’à un « coping » centré sur le problème. Dans l’enquête OVE 2018, un tiers des étudiants déclarait avoir renoncé à des soins à cause de problèmes financiers. Et un tiers d’étudiantes ne consultait pas un gynécologue pour les mêmes raisons économiques. La perception de l’état de santé des étudiants étrangers et de ceux de plus de 25 ans était moins bonne (OVE, 2018).

L’intérêt des programmes de prévention de la santé mentale des étudiants

Le potentiel des actions de prévention

Les recherches sur les interventions visant à prévenir les problèmes de santé mentale ont montré des effets prometteurs à court terme, même si, sur la durée, ces résultats restent à confirmer. En effet, une revue de la littérature des essais contrôlés randomisés (ECR), réalisés entre 1995 et 2015 sur les effets des interventions visant à promouvoir la santé mentale à trois mois et plus (Winzer et al., 2018), met en lumière une amélioration de la santé mentale des étudiants. Les 26 études évaluant les résultats à différents moments (de 3 à 6 mois, de 7 à 12 mois et de 13 à 18 mois) montrent que les effets combinés après 3 mois sont essentiellement faibles, mais significatifs pour plusieurs troubles. Ainsi, concernant les situations où sont présents plusieurs problèmes de santé mentale, la réduction des symptômes se maintient jusqu'à 7 à 12 mois après l'intervention. De plus, il est montré que le maintien de la réduction de symptômes peut aller jusqu'à 13 à 18 mois pour la dépression, jusqu'à 7 à 12 mois pour l’anxiété et jusqu'à 3 à 6 mois pour le stress. Soulignons un maintien à long terme de l'effet pour les interventions psychologiques visant à réduire les symptômes de dépression et d'anxiété (Winzer et al., 2018).

Aperçu de quelques démarches de prévention et de soutien éprouvées

Conley, Durlak et Dickson ont réalisé en 2013 une revue systématique sur l’efficacité des programmes de promotion et de prévention « universels » pour les étudiants. Ils ont comparé 83 interventions impliquant des étudiants des cycles supérieurs et des professionnels, en mettant l'accent sur trois résultats principaux : les compétences sociales et émotionnelles, l’image de soi et la détresse émotionnelle. L’analyse des programmes axés sur les compétences psychosociales montre des bénéfices importants et est prometteur en termes de promotion de la santé mentale (Conley, Durlak et Dickson, 2013). Néanmoins, pour la mise en place de ces programmes, le travail sur la motivation des étudiants est clé, il doit comporter une évaluation de la motivation et des aspects dynamiques liés à l’engagement dans les études et dans les changements de styles de vie, la consommation de substances, mais également l’inactivité et l’utilisation des écrans. Les interventions motivationnelles permettent également des adaptations culturelles dirigées à des populations hétérogènes (Romo, Le Rocheleuil, Coeffec et Kern, 2014)

Une mauvaise gestion des émotions, par exemple en ce qui concerne les addictions, entrave directement l’atteinte des buts personnels et a des conséquences négatives sur la réussite académique (Duckworth et Seligman, 2005; Mikolajczak et Desseilles, 2012). Dans ces cas, la personne a conscience que la récompense différée (par exemple, réussir un examen) est plus importante que la récompense immédiate (surfer sur Internet), mais il choisit pourtant cette temporalité et, ainsi, la récompense la plus proche. Le modèle de Gross et Thompson en 2007 sur la régulation des émotions dans les situations d’apprentissage aide à comprendre le rôle de la modification de l’environnement ou de la réévaluation cognitive sur la réponse comportementale (Magen et Gross, 2007). Par ailleurs, des déterminants comme la spiritualité, les valeurs, les croyances peuvent représenter des facteurs de protection très importants pour la santé des étudiants. Les approches sur la santé mentale devraient tenir compte de ces facteurs dans la mise en place de programmes de gestion des émotions, de résilience, sur l’empathie et sur la méditation (Keyes, 2002). À titre d’exemple, les programmes basés sur la méditation de pleine conscience (mindfulness) sont de grand intérêt, notamment pour prévenir des problèmes de santé et de stress, car ils facilitent la modification de la relation de la personne avec ses pensées et émotions négatives (Russell et Siegmund, 2016). Une étude sur les effets d’un programme de pleine conscience sur 2 336 étudiants de deuxième année a été récemment réalisée par l’équipe de Tubbs (Tubbs, Savage, Adkins, Amstadter et Dick, 2019). Elle étudie en particulier l’exposition aux traumatismes de l’année précédente. Les données montrent que la pleine conscience est associée à des niveaux plus bas de dépression et d'anxiété et que le traumatisme est un facteur prédictif significatif de l'anxiété, mais pas de la dépression. Par ailleurs, des niveaux élevés de pleine conscience semblent atténuer l'association entre l'exposition aux traumatismes et la sévérité accrue des symptômes d'anxiété.

Concernant les pistes identifiées en matière de prévention pour les jeunes, certains travaux montrent que chez les étudiants, les expériences d’induction d’émotions positives provoquent une réduction du niveau d’anxiété et des biais d’attention liés aux stimuli alimentaires. Tout comme chez des patients avec des troubles des conduites alimentaires (TCA), par exemple des patentes boulimiques, chez lesquelles, le rôle protecteur du développement des émotions positives a été démontré (Tchanturia, Dapelo, Harrison et Hambrook, 2015). Dans cette perspective, des interventions centrées sur les émotions positives semblent être une piste intéressante à explorer. De plus, concernant la problématique du suicide, une expérience intéressante est celle de Brown, Straub, Bohnacker et Plener (2018) qui évalue une formation de « sentinelle » pour le personnel scolaire. Brown et son équipe évaluent notamment l’acceptabilité et l’intérêt d’une formation de « sentinelle » abordant notamment : les connaissances, les attitudes, la confiance dans les compétences et les connaissances perçues, évaluées avant et après les ateliers et à six mois de suivi. Les 603 travailleurs sociaux, psychologues et enseignants ayant participé à l’étude en suivant un atelier de formation montrent un très haut niveau de satisfaction, ils confirment l’acceptabilité du dispositif et sont satisfaits de l’acquisition de compétences utiles dans les situations d’accompagnement de jeunes en souffrance, malgré la présence d’obstacles tels que le manque de ressources et du soutien de l'administration scolaire (Brown et al., 2018).

De plus, soulignons que les étudiants sont susceptibles de bénéficier des programmes utilisant la participation sociale comme levier de prévention et de promotion de la santé. Cela offre la possibilité de développer des actions visant à promouvoir les activités de groupe et des loisirs comme des moyens de prévention auprès des étudiantes (Saïas et al., 2014).

D’autres expériences de prévention de la santé étudiante se développent, comme l’éducation par les pairs concernant des problématiques diverses comme le sommeil, le sevrage tabagique et l’activité sportive (Masson et Houvet, 2017). Des applications Web et mobiles, conçues pour favoriser le bien-être et réduire le burn-out, la dépression et le risque de suicide, constituent des outils pertinents, car ils répondent aux contraintes temporelles, économiques et d’emploi du temps, spécifiques de la population étudiante. Les travaux de Pospos et al. (2018) offrent des précieux points de repère, car ils listent ces applications en évaluant leurs points forts et leurs faiblesses. Les neuf applications testées en population générale ou auprès de professionnels de santé proposent, entre autres approches, de la méditation, un entrainement sur la pleine conscience et des techniques de respiration et de relaxation. Elles montrent des résultats positifs sur le burn-out, les idéations suicidaires, la dépression et l’anxiété, le bien-être ainsi que sur l’estime de soi.

Concernant plus spécifiquement les étudiants avec TDAH, il existe des programmes qui tiennent compte tant de ce trouble comme de possibles comorbidités souvent associées, entre autres, les programmes de Young et Brahman pour les adultes (Barkley et Benton, 2012; Young et Bramhan, 2012). Ces programmes abordent en particulier la gestion du temps et des stratégies pour éviter la procrastination qui génère du stress et, par conséquent, influence négativement l’image de soi et les relations avec les autres, tant dans le domaine académique que dans celui des relations familiales et sociales de la vie quotidienne (Ferrari, Johnson et McCown, 1995). Les étudiants atteints décrivent souvent des problèmes de procrastination et des évitements visant à échapper à la frustration, aux problèmes de mémoire, à la peur de l’échec, à la peur de la réussite. Il est nécessaire d’évaluer les motivations, les différentes situations, les avantages et inconvénients, les croyances et les autres symptômes associés (Koeltz, 2006).

Au sujet des l’utilisation d’Internet et des outils numériques, soulignons que même si les études montrent parfois un mésusage des outils numériques de la part des étudiants, il est néanmoins possible d’envisager une utilisation bien différente et positive des médias sociaux qui peuvent devenir une plate-forme idéale pour des programmes d’intervention et de prévention visant à réduire, entre autres, la dépression et l’anxiété (Zeeni, Doumit, Abi Kharma et Sanchez-Ruiz, 2018).

Par ailleurs, il convient de prendre en compte que les étudiants universitaires sont des « natifs » du numérique ayant facilement accès à Internet et aux nouvelles technologies. Par conséquent, les interventions numériques offrent de nouvelles possibilités prometteuses pour la promotion de la santé (Montagni, Cariou, Feuillet, Langlois et Tzourio, 2018). Les auteurs ont étudié les opinions des étudiants universitaires concernant les technologies de l'information et de la communication et les applications sur la santé et le bien-être. Cette étude a été réalisée en 2017 auprès d’étudiants âgés de 18 à 24 ans dans 4 campus universitaires de Bordeaux (France) et 59,8 % des participants étaient des femmes. En ce qui concerne l'utilisation numérique et la santé, 34,9 % des étudiants ont téléchargé au moins une application de santé, principalement pour l'activité physique (49,4 %), presque tous (94,8 %) ont recherché des informations relatives à la santé sur le Web au moins une fois au cours des 12 mois précédant l’enquête. Les thèmes liés à la santé les plus recherchés sont la nutrition (68,1 %), les douleurs et les maladies (64,5 %) ainsi que le stress, l’anxiété ou la dépression (51,1 %). Wikipedia (79,7 %) et les sites Web de santé générale sont les sources les plus consultées. Enfin, l’étude met en lumière des différences significatives dans l'utilisation de la santé numérique par sexe, domaine et année d'étude. Aucune association statistiquement significative n'apparait entre l'utilisation de ces outils de santé numérique et l'état de santé général et mental auto-évalué. Concernant les avis sur ces outils, 94,1 % des étudiants estiment que la « santé numérique », dans son état actuel, ne peut remplacer les « services de santé et des consultations traditionnels », néanmoins, pour 44,6 %, ces outils peuvent faciliter l’accès aux soins. Ces données suggèrent que la santé numérique a le potentiel d'améliorer la santé et le bien-être à l'université, surtout si les interventions prennent en compte les profils et les besoins des étudiants (Montagni et al., 2018). Les interventions numériques dédiées aux étudiants peuvent notamment aider à susciter chez eux une demande d’aide ou de consultation en cas de besoin.

Une expérience française

Dans l’objectif de promouvoir la santé mentale et le bien-être de ses étudiants, l’Université Paris Nanterre a créé depuis 2017 un « Espace santé et bien-être ». Cet espace est destiné à offrir à ses étudiants la possibilité d’avoir des lieux d’accueil psychologique, ainsi que des programmes d’intervention et de prévention. Parmi ces programmes figurent des groupes d’habilités sociales, des groupes de relaxation et des groupes de mindfulness, inspirés du programme MBCT (Mindfulness Based Cognitive Therapy) et MBSR (Mindfulness pour la réduction du stress). Une évaluation systématique est réalisée avant l’inclusion de ces groupes. L’espace santé et bien-être permet, par ailleurs, d’orienter les étudiants soit vers le service de médecine préventive et/ou vers d’autres centres de soins extérieurs, en fonction de leurs besoins et de leurs lieux de résidence. Le premier bilan de cette expérience à l’issue de deux années de fonctionnement montre que les effets sur le bien-être des étudiants, ainsi que sur leur capacité à gérer des situations stressantes, sont positifs. Les exercices issus des thérapies cognitives et comportementales sont bien appréhendés par les participants, qui s’en approprient et les utilisent dans leur quotidien. Les différentes sessions de groupes permettent de partager ces expériences avec les animateurs. Ces premiers résultats positifs sont encourageants et incitent à soutenir le développement de cet espace santé et bien-être grâce à un partenariat avec des services déjà existants et à réaliser des évaluations régulières des interventions proposées (Labaune, Romo et Nann, 2018; Romo, Nann, Esteban, Riazuelo et Kern, 2018).

Enfin, il est envisagé d’élargir le dispositif, notamment en créant des programmes et une orientation par Internet, dans le but de faciliter l’accès aux soins et aux activités de prévention, au-delà des interventions en présentiel proposées dans le campus. À titre d’exemple, citons la réalisation d’un support numérique de relaxation et de méditation de pleine conscience (mindfulness) pour les étudiants. De plus, afin de mieux cerner les problématiques des étudiants, est à l’étude également la possibilité d’augmenter le temps de présence de psychologues qui reçoivent les étudiants sur le campus. D’autres groupes vont se mettre en place à la rentrée 2019, comme un groupe de gestion de stress et un autre sur les habiletés sociales. Cela permettra d’améliorer les différents programmes en les adaptant au mieux aux besoins des étudiants et de mettre en place des dispositifs de « pair aidant » parmi les étudiants, dispositifs ayant déjà montré leur efficacité dans ce contexte (Kuhlman, McDermott, Kridel et Kantra, 2018).

CONCLUSION

La littérature scientifique montre que le développement des capacités psychosociales des étudiants est crucial à leur réussite académique. Dès lors, la possibilité de participer, sur le campus et via les outils numériques, à des programmes de promotion et de prévention de la santé mentale et du bien-être s’impose comme une nécessité (Conley et al., 2013). C’est pourquoi nous sommes engagés à favoriser l’essor dans les universités françaises des interventions et des programmes de prévention, ainsi que de toute forme d’initiative en faveur de la santé et du bien-être des étudiants. L’expérience de chaque acteur de la vie universitaire est précieuse dans cette démarche d’innovation et nécessaire pour les étudiants.