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Trois auteurs montréalais associés au réseau interuniversitaire Villes, régions, monde (VRM) ont coordonné la publication de cet ouvrage collectif, une cinquième parution dans la collection Études urbaines des Presses de l’Université Laval. Ces auteurs justifient leur entreprise par les transformations récentes de la ville et des courants urbanistiques ainsi que par l’accès nouveau à divers types de données ou d’informations, qui peuvent être recueillis par les nouvelles technologies. Dans l’ensemble, il s’agit d’un ouvrage solide et original à plusieurs égards, notamment sur le plan des sujets traités et des méthodes proposées. Il faut aussi souligner la qualité d’édition du document, qui est pratiquement exempt de coquilles et affiche des images clairement reproduites.

De manière détaillée, ce collectif se situe dans le champ des études culturelles et de l’approche phénoménologique en études urbaines. On a quelquefois l’impression que ce dernier champ de recherche a peu avancé, après les écrits fondateurs des années 1960 et 1970 : ceux de Kevin Lynch, Yi-Fu Tuan, Abraham A. Moles et Elisabeth Rohmer, Edward Relph ou Armand Frémont. Le « sens du lieu » apparaît toujours aussi complexe pour les géographes, les urbanistes, les sociologues et les spécialistes en tout genre s’intéressant aux territoires. Ainsi, il n’y a pas de théorie englobante, du moins à ma connaissance, qui décrirait les relations entre les aspects esthétiques, cognitifs ou identitaires, expliquerait l’arrimage entre l’individuel et le collectif ou illustrerait l’évolution dans le temps de ce complexe. Il y a bien les travaux magistraux d’Augustin Berque, mais il demeure difficile de tirer des méthodes ou des indicateurs précis de ces écrits philosophiques.

Dans cette optique, l’ouvrage Représenter l’urbain : apports et méthodes n’apporte pas, lui non plus, de réponses significatives. Malgré tout, des apports intéressants sont énoncés à l’aide de démarches scientifiques ou artistiques, dans certains cas. De toute façon, l’établissement d’une théorie sur les relations humains-environnement relève probablement d’une conception positiviste contraire aux fondements mêmes de l’approche phénoménologique. Celle-ci est peut-être condamnée à conserver son opacité. Pour revenir au livre, les apports au domaine sont davantage méthodologiques que substantiels, quoique l’on puisse toujours arguer que la méthode conditionne le regard, comme le font effectivement plusieurs contributeurs de ce recueil.

De manière plus prosaïque, le document comporte 12 chapitres encadrés par une introduction et une conclusion. Les contributions et leur ordonnancement sont cohérents, mais je dois avouer que mon intérêt a progressivement diminué à mesure que je progressais dans le livre. En effet, les premiers chapitres apparaissent plus classiques en traitant, entre autres, des dynamiques d’acteurs et des représentations sociales ou spatiales. Les chapitres qui suivent sont plus « alternatifs », abordant des sujets comme l’approche géolittéraire, les ambiances urbaines ou encore les sons, la musique et les territoires. On peut y voir une forme de dérive pseudoscientifique ou, à l’opposé, des démarches imaginatives qui ouvrent de nouveaux fronts de recherche utiles à la connaissance sous toutes ses formes.

Si l’on regarde le contenu des différents textes, plusieurs éléments méritent d’être soulignés. Pour débuter, les deux Sénécal, père et fils, nous présentent une réflexion théorique sur l’approche de la transaction sociale pour ouvrir la première partie du collectif. Ils proposent une catégorisation type des rôles que peuvent prendre les acteurs impliqués dans une controverse, à l’image de ce qui se passe dans le monde du théâtre. En toute logique, le texte qui suit, de Geneviève Cloutier, nous offre un exemple d’application de cette démarche dans l’analyse du processus de revitalisation intégrée d’un quartier montréalais. Fort pertinente pour la recherche, l’approche en question est peut-être plus ardue à utiliser par les acteurs concernés, qui peuvent difficilement être juge et partie. Le chapitre qui suit est des plus instructifs. Lucie-K. Morisset y traite des processus de patrimonialisation comme étant des construits sociaux ou culturels. Elle revient également sur le thème des régimes d’authenticité qu’elle a déjà proposé antérieurement. Il s’agit probablement du texte le plus achevé de l’ouvrage.

Toujours à l’intérieur de la première section, plus précisément au chapitre IV, la sociologue Andrée Fortin discute des représentations sociales. Elle présente une grille d’analyse et une description des représentations des Québécois telles qu’illustrées par le cinéma d’ici. Pour sa part, le chapitre V utilise la littérature pour faire ressortir les représentations de grandes catégories spatiales (ville, banlieue, etc.). Muriel Rosemberg tente alors de nous convaincre que les images transmises par les romans ne sont pas exclusives à l’univers des auteurs, mais constituent plutôt des référents partagés par les lecteurs ou la population en général, dans une certaine mesure. Le chapitre VI aborde le thème de la musique et des territoires. Yves Raibaud y explique comment le son et la musique peuvent être des sources d’information sur l’espace, son organisation, voire sa gouvernance. Pour clore la première partie de l’ouvrage, trois auteurs (Borrero-Luz, Boucher et Janni) nous informent du rôle du multimédia en recherche urbaine, rôle qu’ils déclinent à quatre niveaux : collecte de données, terrain de recherche, analyse des données et diffusion des résultats.

La deuxième partie du document nous conduit encore plus profondément dans l’univers des nouvelles méthodes reliées aux technologies mobiles. Tout d’abord, Miaux et Breux se penchent sur les ambiances urbaines, travaux qui trouveraient leur utilité dans l’analyse des nouveaux projets urbains. Les deux auteures utilisent un modèle qui met en relation trois éléments : situation, perception et action. Cela leur permet d’étudier le « vécu » des ambiances urbaines de divers individus effectuant des parcours commentés et filmés sur le territoire montréalais. Au chapitre IX, Denis Martouzet nous parle de l’emploi des spatiogrammes dans l’étude de récits de vie. Au chapitre X, Chloé Buire résume ses études doctorales en épiloguant sur les films de terrain et la vidéo comme instruments d’investigation de l’urbain. Finalement, les chapitres XI et XII abordent la question de la musique et des territoires, en particulier dans le contexte montréalais.

En bref, Représenter l’urbain: apports et méthodes comporte de nombreuses contributions intéressantes. Il trouvera sa juste place dans l’univers des livres savants en études urbaines.