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Les normes techniques et les standards[1] jouent un rôle de plus en plus important pour définir les règles de conformité des produits qui s’échangent sur les marchés. Ce rôle croissant déclenche des polémiques chez certains juristes qui considèrent que ces normes, qui se sont développées parallèlement au droit, deviennent progressivement une source du droit[2], leur multiplication, ces dernières années, conduisant à se demander si l’on n’assiste pas à un envahissement du droit par la norme (Dudouet, Mercier et Vion, 2006). Au coeur de cette interrogation réside la question de l’origine des normes et de leur légitimité à organiser la vie des citoyens, notamment sur les plans sanitaire, sécuritaire et environnemental. Le problème principal soulevé par les normes techniques est qu’elles sont souvent produites par un petit nombre d’acteurs privés ou semi-privés qui, selon les juristes, ne peuvent légitimement décider au nom de l’intérêt général.

La question se pose de façon plus cruciale encore lorsque ce recours aux différents dispositifs de labels, normes et certification volontaires se développe au point de suppléer les déficiences de la réglementation. Or, la norme n’est pas un règlement. Avant tout, il s’agit d’un instrument de marché. Les normes sont définies dans des instances représentant les acteurs du marché et leur utilité dépend de l’adoption par le marché. Ces caractéristiques ont des conséquences importantes qui nous semblent insuffisamment explorées au moment où le recours aux standards volontaires se généralise pour tenter de répondre à des enjeux internationaux de régulation. Parmi ces conséquences, nous souhaitons particulièrement souligner le fait que la création d’un standard peut avoir comme effet imprévu la création d’un standard rival. Nous analysons cette situation inattendue d’une concurrence non anticipée entre les tenants des standards en posant plus spécifiquement les questions suivantes : la concurrence entre standards est-elle de même nature que la concurrence entre produits et marques ? Comment la situation de concurrence est-elle vécue par les créateurs des standards ? Quelle est son intensité ? Peut-on identifier de véritables actions concurrentielles telles que définies par Smith, Grimm et Cannon (1992), c’est-à-dire des actions menées à l’encontre des standards concurrents, dans ce contexte très institutionnalisé ?

Pour répondre à ces interrogations, nous avons réalisé l’étude approfondie du cas de la gestion durable des forêts. Face à la situation de la déforestation des forêts tropicales et après avoir tenté en vain d’obtenir une mobilisation internationale des gouvernements sur cette question notamment au moment de la conférence de Rio en 1992, certains acteurs de la gestion forestière, assemblés surtout autour d’ONG, ont proposé des standards volontaires permettant de signaler la qualité environnementale des produits finis aux acheteurs finaux. Après un foisonnement de ces dispositifs au cours des années 1990, la situation s’est aujourd’hui stabilisée en la coexistence de deux standards dominants : un premier standard, le Forest Stewardship Council (FSC) créé en 1993, avec l’appui d’ONG d’environnement (WWF, Greenpeace, Friends of the Earth), positionné comme leader de la certification jusqu’en 2000, qui a suscité en réaction la création en 1999, d’un standard rival, à l’initiative des propriétaires forestiers européens,le Program for the Endorsement of Forest Certification (PEFC), aujourd’hui leader en termes de surfaces certifiées.

Nous analysons cette situation dans une approche processuelle, en examinant les différentes étapes ayant conduit à l’émergence du premier standard puis de son rival jusqu’à la situation présente de concurrence, ce qui nous conduit à opter pour l’étude approfondie d’un cas sectoriel unique (Yin, 1994; Eisenhardt, 1989). Dans un souci de validité interne et conformément aux principes de l’étude de cas, les sources de l’information ont été triangulées pour l’analyse des deux standards en concurrence. Pour ce faire, nous avons examiné le phénomène de la concurrence en réalisant plusieurs analyses successives. Le premier standard est issu d’une problématique de déforestation en particulier tropicale, mais la demande de produits finis certifiés est essentiellement européenne et la certification se développe surtout dans les forêts européennes. Un premier ensemble d’entretiens (40) est donc réalisé en 2006 auprès de l’ensemble des intervenants de la filière, dans une analyse comparative entre la France et l’Angleterre qui constituent respectivement les pays d’origine des deux standards et dans lesquels ils sont les plus diffusés. Puis, nous affinons l’analyse en nous centrant sur la situation française qui est devenue une cible commune pour les deux standards depuis la création de FSC France en 2006. En 2012, nous interrogeons les responsables de FSC et PEFC France pour recueillir leur analyse des relations concurrentielles.

L’examen de ce cas permet de montrer que la création d’un standard volontaire peut produire comme riposte la création d’un standard rival et engager les organisations de standardisation dans des relations dont nous analysons la nature dans cette contribution. Nous nous inscrivons dans l’approche néoinstitutionnaliste du travail institutionnel de Lawrence et Suddaby (2010), en qualifiant les actions menées pour soutenir le favori dans la concurrence entre standards.

La première partie présente les éléments conceptuels associés à l’analyse de la situation de concurrence entre standards. Nous décrivons comment la rivalité entre standards volontaires est appréhendée dans le contexte de la certification forestière et quelles actions sont identifiées pour créer et défendre son propre standard dans un contexte de rivalité. La seconde partie expose la méthodologie employée. La troisième partie décrit la nature des relations entre les organisations des standards alternatifs et nous discutons des éléments institutionnels et stratégiques qui rendent cette situation si particulière.

La concurrence entre standards de qualité environnementale

La situation de concurrence entre standards rivaux dans le domaine de la qualité environnementale n’est pas une situation véritablement explorée. Aussi existe-t-il à la fois un manque de connaissances pratiques et de développements théoriques sur de tels processus de compétition entre standards de qualité. En effet, soit nous nous situons dans le domaine de standards, normes et certifications de qualité et l’attention semble davantage porter sur le recours aux standards volontaires en lieu et place de la règlementation, ou sur l’analyse comparative de l’efficacité environnementale et sociale des dispositifs en présence, sans que la question de la concurrence et des actions concurrentielles que cela suppose soient clairement envisagées; Soit les situations de concurrence et de compétition entre standards sont analysées sur un mode stratégique voire agressif mais alors nous nous situons plutôt dans le domaine des technologies de réseau (Arthur, 1989; David, 1985, 1987; David et Greenstein, 1990; David et Foray, 1995; Shapiro et Varian, 1999).

L’analyse de la concurrence dans la certification forestière

Dans le domaine de la certification forestière, l’émergence et la concurrence entre dispositifs sont traditionnellement abordées dans une perspective institutionnelle. Les spécialistes soulèvent la problématique du recours aux normes volontaires comme instrument de régulation et examinent, sur un mode comparatif, les projets alternatifs qu’ils identifient clairement comme rivaux. Ainsi, Buttoud et Karsenty (2001) soulignent les limites de l’écocertification. Les auteurs observent comment la certification qui a été, à l’origine, pensée pour traiter de la déforestation tropicale, est revenue comme un effet boomerang sur l’ensemble des forêts de la planète, et donc les forêts tempérées ce qui pose la question de leur adéquation à ces sites. Ils montrent la difficulté de résoudre les représentations collectives diverses à propos de la forêt, les exigences de démocratie participative et la multiplicité des conditions cadres (fonctions écologiques, équité sociale, identité culturelle des populations, etc.…) en quelques seuils quantifiables, objectivement mesurables. Ils observent la tendance des pays exportateurs à développer leurs propres standards nationaux et concluent que l’écocertification apparaît aujourd’hui toujours comme une sorte de vraie “fausse solution”, car personne ne croit sérieusement à la formule miracle, mais n’a rien d’autre d’immédiat à proposer du point de vue technique et surtout politique.

Poursuivant la critique, Guéneau et Tozzi (2008) soulignent les risques de privatisation associés au recours aux standards volontaires auxquels Djama (2011) répond en préconisant la combinaison des normes volontaires privées aux régulations publiques. Le débat est donc bien ouvert sur la délicate évaluation des performances des politiques environnementales (Mermet, Billé et Leroy, 2010), mais également sur l’idéologie sous-jacente à l’emploi des standards privés pour une problématique de régulation internationale.

Les approches plus techniciennes de comparaison entre dispositifs alternatifs donnent également lieu à des débats de fonds. Récemment, Clark et Kozar (2011) en réalisent une méta-analyse. Se fondant sur l’examen de vingt-six références issues de la littérature grise (livres, rapports issus du monde industriel et des organisations non gouvernementales) et sur neuf publications académiques, les auteurs identifient les éléments clés sur lesquels la comparaison est effectuée. Les comparaisons portent sur l’adaptabilité, l’applicabilité, la certification, les résultats écologiques, la crédibilité, le système de certification, le monitoring et la recherche, la participation publique, la fiabilité, les résultats socio-économiques, la participation des parties prenantes et la transparence. Mais au-delà de ces indicateurs, les auteurs observent que les études réalisées portent dans leur majorité (62 %) sur les principes de la certification, tandis que seulement 34 % portent sur le recueil de données de terrain. L’émergence et la coexistence simultanée de dispositifs de certification concurrents donnent donc lieu à des comparaisons et des débats de fond sur les principes sur lesquels ils s’appuient.

Certains auteurs envisagent plus spécifiquement cette coexistence comme une compétition, voire comme une guerre. C’est le cas d’Humphreys qui observe les actions menées entre FSC et PEFC entre 1986 et 2006 et n’hésite pas à affirmer que « les dispositifs concurrents au FSC n’ont pas été créés pour offrir plus de choix mais pour affaiblir le FSC, et l’une des façons par lesquelles ils y sont parvenus est en embrouillant les consommateurs » (Humphreys, 2006 : 130). La question que pose ce constat est celle de la concurrence. La concurrence entre standards d’une part, et les actions concurrentielles, d’autre part : Comment se gère la concurrence dans le cadre institutionnel de la protection environnementale ? Quelles actions sont nécessaires pour créer, promouvoir et défendre son standard ?

Créer, promouvoir et défendre son standard

L’approche qui pose clairement ces questions est celle de Lawrence et Suddaby (2010), qui la qualifient de « travail institutionnel ». Dans la foulée de l’intégration de la stratégie à la lecture institutionnelle déjà réalisée par DiMaggio et Powell (1983) et confirmée par Garud, Jain et Kumaraswamy (2002) autour de la notion de l’entrepreneur institutionnel, Lawrence et Suddaby (2010) n’hésitent pas à envisager les stratégies de création, maintien et déstabilisation de standards, conçus dans une perspective dynamique. Leur approche permet de donner la part belle aux actions stratégiques menées par les tenants des standards. Comme l’indiquent Ben Slimane et Lecas (2010) en effet, pour que les acteurs puissent envisager de créer, de remettre en cause ou de maintenir une institution, il faut que celle-ci soit clairement identifiée comme une construction sociale susceptible d’être mise en place ou remise en cause par le biais d’actions stratégiques. Notre contribution s’inscrit dans l’identification de ces actions.

Ces actions stratégiques sont décrites par Shapiro et Varian (1999), pionniers incontestés des guerres de standards technologiques qui les décrivent comme très particulières. Elles sont effectivement insérées dans un champ de forces structurantes définies par l’existence de rendements croissants d’adoption, la dépendance au sentier et le phénomène de l’irréversibilité. En particulier, les auteurs ont souligné l’importance de la capacité du sponsor principal à endosser le rôle d’un leader dans les premières phases de diffusion des standards, avant que les phénomènes d’irréversibilité ne soient enclenchés (Farrell et Saloner, 1985 ; Katz et Shapiro, 1985; Arthur, 1989). Ils soulignent également la logique du winner takes all dans une bataille fatale au perdant. Dans cette véritable guerre, les combattants doivent compter leurs forces et Shapiro et Varian (1999) désignent les sept armes essentielles pour gagner le conflit : le contrôle d’une base installée, les droits de propriété intellectuelle, l’aptitude à innover, l’avantage pionnier, les capacités de production, la présence de produits complémentaires, le capital marque et la réputation. Retirant les leçons de leur analyse d’une douzaine de guerres de standards, les auteurs préconisent des recommandations concrètes :

  • Avant de partir au combat, assemblez vos alliés. Vous aurez besoin du soutien des consommateurs, des fournisseurs et même de vos concurrents. Même les compagnies les plus importantes ne peuvent pas se permettre d’aller seules dans une guerre de standards.

  • La préemption est une tactique critique dans les guerres de standards. Les cycles de vie rapides, des coréalisations avec les clients clé, une politique de pénétration par les prix en sont les éléments constitutifs.

  • Gérer les attentes des consommateurs est crucial dans les marchés de réseaux. Votre but est de convaincre vos clients et les fournisseurs de produits complémentaires aux vôtres que vous ressortirez gagnant du conflit. Cet affichage peut facilement se transformer en prophétie auto réalisatrice lorsque les effets de réseaux sont importants. Pour cela, il ne faut pas hésiter à s’engager dans un marketing agressif, en faisant des préannonces de nouveaux produits, en rassemblant des alliés et en communiquant sur les engagements de votre technologie.

  • Si vous ne gagnez pas le combat, ne restez pas inerte. Vous devez satisfaire votre base installée et éviter la suffisance. Ne cessez pas d’améliorer votre produit et rendez votre offre plus séduisante notamment par des produits complémentaires.

  • Même devancé, évitez une tarification à la baisse, cela ne fait que signaler votre faiblesse. Une meilleure tactique est de mettre au point un avantage irrésistible. Vous pouvez aussi installer des dispositifs de conversion permettant de rejoindre le standard dominant.

Ce considérable et novateur effort de clarification des guerres des standards, des stratégies et des tactiques à adopter n’est pas contredit aujourd’hui. Demil et Lecocq (2009) les confirment et soulignent également l’importance des stratégies de lobbying dans les instances de normalisation. Mais pour ce qui concerne le contexte de la certification forestière, ces recommandations sont-elles adaptées ? Les représentants des organisations de standardisation envisagent-ils la coexistence de standards alternatifs comme une bataille ? Définissent-ils des actions concurrentielles au sens de Smith et al. (1992, 2001) et Ferrier (2000), c’est-à-dire destinées à déstabiliser le concurrent ? La méthodologie permet de comprendre à la fois le contexte concurrentiel et la nature des actions qui y sont menées dans la création et la promotion des certifications forestières.

Méthodologie

Notre objectif est de qualifier la nature des relations entre tenants de dispositifs de certification alternatifs. Notre premier but est donc l’identification des actions stratégiques des représentants des standards. Dans cette perspective, nous nous appuyons sur les descriptions des spécialistes de la promotion des standards et des actions concurrentielles. Mais nous devons également tenir compte de la spécificité du contexte. Pour éviter de projeter systématiquement une lecture stratégique de la coexistence des standards alternatifs, nous choisissons d’approcher la situation en deux temps. En premier lieu, la description du contexte qui nous est faite par les utilisateurs des standards nous permet d’identifier les niveaux de concurrence sur les marchés. Ensuite, nous obtenons la réaction des représentants français des deux standards sur notre interprétation des actions que nous pourrions considérer comme stratégiques et au sujet desquelles ils donneront leur propre analyse.

Cette façon de procéder revient à utiliser les deux conceptions de la concurrence : l’approche structuraliste et comportementaliste (Le Roy, 2004). La première met l’accent le rôle des structures pour déterminer l’intensité de la concurrence. Dans notre approche, nous examinons deux filières pour en tirer des enseignements sur l’intensité de la concurrence. Les deux standards peuvent-ils exister de façon indépendante dans deux filières distinctes ou bien sont-ils amenés à se confronter ? Dans la seconde approche, ce sont les firmes en concurrence qui décident d’augmenter ou de diminuer la rivalité dans le secteur (D’Aveni, 1995). Cette approche comportementaliste nous amène à nous interroger sur la conception de la concurrence par les acteurs eux-mêmes. Nous nous focalisons sur la situation du marché français sur lequel FSC s’est implanté en 2006, en considérant la concurrence du point de vue des deux responsables concernés.

L’analyse structurelle de la concurrence

Les standards de certification forestière garantissent la qualité environnementale et sociale de la production de bois. Ces standards concernent les propriétaires et gestionnaires forestiers qui s’engagent à respecter des modes de production spécifique, mais également toute la chaîne de production : importateur, grossiste, transformateur, distributeur qui respectent également un cahier des charges précis (une chaîne de contrôle) pour garantir au client final que la qualité du bois initialement produit a été respectée tout au long de la chaîne de fabrication et de distribution. Nous avons donc interrogé les différents acteurs de la filière qui sont tous concernés par le standard et le dispositif de certification. Au total, quarante entretiens sont réalisés avec propriétaires, administrateurs forestiers, industriels, acheteurs, importateurs, distributeurs, gouvernements, organisations non gouvernementales et organismes de normalisation et de certification. La liste des intervenants provient des participants aux différents forums organisés sur la question des standards (meeting sur les forêts humides, sur la double certification en Guyane, meetings FSC). La liste s’est élargie ensuite aux personnes jouant un rôle important dans la filière bois. La même démarche a été réalisée pour la partie anglaise. Nous avons tenté de respecter le rôle et le statut des personnes interrogées dans les deux pays. Quelques contacts ont été obtenus par une étude antérieure sur la certification forestière (ENGREF, 2006).

Parce que les standards, développés pour protéger de la déforestation, se sont finalement surtout diffusés en Europe, nous nous sommes centrés sur une comparaison entre la France et l’Angleterre. On observe un développement plus important du standard FSC en Angleterre et une diffusion plus importante du standard PEFC du côté français (Humphreys, 2006; Oliver, 2006). Pour réaliser cette comparaison, un équilibre a été recherché entre les deux pays, mais finalement 23 acteurs français et 17 anglais ont pu être interrogés. L’étude de ces deux cas nous permet d’éclairer les raisons qui expliquent ces prédominances et leur lien avec les caractéristiques propres à chaque système de certification.

Les entretiens ont été réalisés essentiellement en présence, et pour quelques uns, par téléphone. Nous avons utilisé un questionnaire semi-ouvert, basé sur un guide d’entretien qui permet de clarifier les positions sur les dispositifs de certification, de mesurer la conception de la gestion durable des forêts et de recueillir la position concurrentielle des tenants d’un des standards par rapport aux tenants du standard concurrent (annexe 1). À partir des réponses apportées par les acteurs, il est possible d’esquisser les grandes lignes de leur perception de la gestion durable des forêts, en nous appuyant sur les travaux de Brédif et Boudinot (2008) qui distinguent cinq catégories de conceptions : originelle, environnementale, intuitive, technoscientifique et fonctionnaliste (Irola, 2007). Cette approche est complétée par l’identification d’actions concurrentielles.

L’analyse comportementale de la concurrence

Les actions de promotion de son standard sont décrites très précisément par Shapiro et Varian (1999). De façon synthétique, il s’agit d’assembler des alliés, de mener une stratégie de préemption, de gérer les attentes des consommateurs, de se présenter comme le gagnant, réaliser un marketing agressif, s’améliorer toujours et, même devancé, d’éviter une tarification à la baisse et de proposer un dispositif de conversion. Les actions peuvent également être décrites par leur caractère concurrentiel. Certaine approches spécifiques appartenant aux nouvelles approches de la concurrence permettent cet examen. Il s’agit d’analyser si les actions sont menées pour déstabiliser et affaiblir les concurrents. Dans cette perspective, l’action est caractérisée par plusieurs dimensions : sa spécificité, sa visibilité, son caractère irréversible et par l’appréciation de la possibilité qu’elle laisse d’une riposte ou à une imitation (Chen et al., 1992; Chen et Miller, 1994; Bensebaa, 2000).

Pourtant, l’identification d’actions concurrentielles et de défense des standards pose un problème méthodologique particulier dans le cadre de la gestion durable des forêts. En premier lieu, les batailles de standards sont souvent examinées dans le cadre de technologies de réseau. Dans le domaine de la certification forestière, si un effet réseau est susceptible d’exister, il n’est pas nécessairement exclusif, les propriétaires de forêts pouvant obtenir plusieurs certifications. L’approche concurrentielle, pour sa part, n’est pas non plus utilisée dans le cadre plus large des standards. Ainsi, la création de standards n’est pas envisagée parmi les actions concurrentielles définies par Khandwalla, (1981), Chen et MacMillan, (1992) ou Ferrier (2000). Nous considérons néanmoins que cette création et la promotion d’un standard peuvent être réalisées pour déstabiliser un standard concurrent. Toutefois, nous devons tenir compte du fait que le caractère parfois agressif associé à l’affrontement et aux actions concurrentielles est rarement affirmé. Nous choisissons donc d’identifier quelques actions qui pourraient être qualifiées de concurrentielles en analysant le secteur, puis, nous inspirant de la méthode Delphi, nous faisons alors réagir les représentants des standards sur cette analyse et obtenons ainsi leur propre interprétation.

La méthodologie se réalise donc en en deux temps : Une première étape a pour objectif la compréhension du contexte concurrentiel et l’évaluation de l’existence et de l’intensité de la concurrence. Cette étape nous permet d’identifier des actions concurrentielles précises. Dans la seconde étape, nous obtenons l’interprétation des responsables FSC et PEFC France sur ces actions. Les responsables interrogés ont été investis dans le développement des standards au niveau international. Ils se trouvent également en concurrence sur un même marché, le marché français, où FSC a une antenne en France depuis 2006, dont nous interrogeons la directrice. Les deux responsables se connaissent. Ils ont travaillé sur des projets communs sans qu’aucun projet n’aboutisse. Ils constituent un lieu d’observation intéressant d’une concurrence comportementale, c’est-à-dire de l’analyse des relations directes entre concurrents et pas seulement par l’intermédiaire des clients sur les marchés.

Résultats

Les analyses permettent d’enrichir la connaissance des situations de concurrence entre standards de qualité de deux façons : par la description de la nature de la concurrence dans le contexte de certification forestière, puis par l’identification des actions concurrentielles et leur interprétation par les responsables concernés.

La nature de la concurrence

En premier lieu, nous en expliquons les raisons, nous considérons son intensité et nous montrons comment la bataille entre standards se révèle en tant que confrontation de registres de légitimité.

Les raisons de la concurrence

La création de PEFC est une réponse à la création de FSC. Ainsi, ce cas expose une situation dans laquelle la création d’un premier standard a conduit à l’émergence d’un standard rival. En effet, la création de FSC est en lien direct avec les alertes sur la déforestation des forêts tropicales dans les années 1980 (Buttoud et Karsenty, 2001). Les ONG d’environnement, après avoir soutenu des opérations de boycott des bois tropicaux en 1986 qui se sont révélées défavorables aux populations, ont choisi de développer des standards volontaires et leur dispositif de certification pour signaler la qualité environnementale aux consommateurs de produits finis. Une première initiative de l’Organisation Internationale des Bois Tropicaux (OIBT)[3] de mise en place, sur une base volontaire, d’une éco-certification de gestion durable des forêts tropicales, s’est heurtée au blocage des pays producteurs (en particulier Indonésie et Malaisie). Ensuite, Le WWF, avec l’appui d’autres ONG mais aussi le soutien de la Banque Mondiale, ont proposé alors la création du FSC et la définition de principes, critères et indicateurs permettant au consommateur d’évaluer et de reconnaître les forêts gérées durablement (Humphreys, 2006).

La stratégie de FSC s’est développée à partir de l’Angleterre. Le choix de ce pays n’est pas neutre car il réserve une écoute attentive aux ONG. FSC a choisi de communiquer aux clients finaux de meubles et plus particulièrement aux distributeurs spécialisés en ameublement, pour cette filière. Les distributeurs spécialisés, des grandes surfaces de bricolage, ou simplement les grandes surfaces, attentifs à leur image, ont eu un effet déterminant sur la demande de certification. Le grand nombre de sites concernés et le poids financier qui en découle, ont eu un impact très fort sur leurs fournisseurs, par l’intermédiaire des importateurs négociants qui ont donc joué un rôle traditionnel de jonction entre l’amont et l’aval de la filière bois. Ce sont donc essentiellement les distributeurs qui ont introduit la demande de certification au Royaume-Uni. Or, les distributeurs et les grands négociants anglais achètent partiellement en Europe. Leur demande s’est donc propagée, par l’intermédiaire des importateurs, jusqu’aux fournisseurs qui se sont trouvés dépourvus face à cette demande de bois certifié. C’est à ce moment-là que les propriétaires et les administrateurs forestiers ont réagi. Après avoir admis que la certification devenait une réalité du marché, ils ont refusé de se soumettre aux exigences des ONG, considérant que c’était aux professionnels de définir les règles. Ils ont riposté en créant leur propre dispositif : le standard PEFC.

La création de PEFC tient également à l’exigence d’équité et de réciprocité demandée par les pays du Sud-Est asiatique qui s’est répandue sur l’ensemble des forêts dont les forêts tempérées. PEFC, à l’origine Pan European Forest Council, a ainsi été créé en 1999, à l’initiative des petits propriétaires forestiers européens, en réaction à des exigences de performance imposées par une tierce partie qu’ils estimaient insoutenable économiquement. Ils proposent une adhésion des propriétaires à des systèmes nationaux et régionaux régissant la profession qui permet de certifier en bloc de vastes zones et d’éviter une certification individuelle par une société spécialisée (Buttoud et Karsenty, 2001 : 698). Ce système, initialement cantonné à l’échelle européenne, s’est ensuite internationalisé en 2003 en adoptant un nouveau nom Programme for the Endorsement of Forest Certification et des objectifs désormais globaux.

Après avoir tenté de maintenir l’institution précédente (les façons de faire précédentes), et devant le succès de la certification, les tenants de PEFC ont choisi, non pas de se conformer au nouvel ordre établi, mais de proposer leur propre standard. La création du second standard est donc en lien direct avec la création du premier. Ce n’est pourtant pas la création du premier standard en tant que tel qui a aussitôt entraîné la création de son rival. Mais c’est lorsque la demande de produits certifiés s’est diffusée jusqu’à concerner les producteurs européens que ceux-ci, qui étaient au départ réticents à certifier leur production, ont décidé non seulement d’opter également pour cette stratégie, mais surtout de proposer un standard alternatif. Les gestionnaires de forêts se trouvent finalement, aujourd’hui, dans une situation de choix face à des dispositifs de certification concurrents.

L’intensité de la concurrence

Les propriétaires et gestionnaires forestiers et les industriels de transformation des filières bois et papier se trouvent effectivement placés devant un arbitrage : Soit ils choisissent de ne pas obtenir de certification, soit ils choisissent l’un des deux dispositifs, soit les deux certifications. Cette décision est largement influencée par les attentes des clients finaux et de l’appartenance à telle ou telle chaîne de production.

Ainsi, les filières anglaise et française ont chacune leur préférence pour le standard FSC ou PEFC, mais les deux certifications peuvent souvent permettre de répondre à la même demande du marché. Si certains distributeurs exigent le label FSC, d’autres sont moins exclusifs dans leur demande. En outre, le manque de produits certifiés FSC conduit à une substituabilité plus grande entre les certifications. L’enquête montre que la plupart des acteurs se plaignent d’un manque de produits FSC et d’un manque de valorisation de produits PEFC : « D’un côté il y a un marché mais pas de matière, de l’autre côté pas de marché mais de la matière. C’est un problème pour les négociants et les industriels. Ce problème existe depuis le début de la certification, et ça continue. Il n’y a pas assez de forêts FSC et trop de forêts PEFC. » (un importateur). Ces dispositifs sont perçus comme différents bien qu’ils soient pourtant souvent considérés comme substituables. Lorsque FSC n’est pas disponible, alors la demande se porte sur PEFC. Or, le caractère substituable est le signal de la concurrence. Dans ce cas, pour répondre à la demande de bois certifiés, et sauf exigence précise soutenue par les distributeurs, aussi bien l’un ou l’autre des standards peuvent convenir. Le problème est alors que si l’un est plus facile à obtenir que l’autre et qu’il répond à la même demande, alors le jeu de la concurrence desservira le plus exigeant. La question de l’exigence est effectivement l’objet d’un débat entre les tenants des deux standards.

Les verbatims des utilisateurs des standards expriment également un effet d’entraînement dans la filière, effet qui structure l’adoption de la certification. Pour ce qui concerne l’adoption de FSC par les distributeurs : « La certification s’est mise en place en réponse à des demandes de clients. »; « Leur adhésion à FSC s’explique, à la fois, parce qu’ils y croient (en la démarche), mais aussi parce qu’ils sont obligés. Les gros dépendent de capitaux internationaux (fonds de pension). Tous ces grands groupes sont passés à la loupe par les organismes de notation. Ils sont vulnérables en termes de communication vis-à-vis des ONG. En définitive, ils épousent une cause à laquelle ils croient et apportent des garanties à leurs actionnaires. Tout le monde est dans cette logique. De ce fait, leurs concurrents ont dû bouger également. Ça a provoqué un effet d’entraînement. » Pour le standard PEFC, des effets d’entraînement existent également : « Si l’industriel demande du PEFC, les propriétaires et l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en amont sera obligé de fournir du bois PEFC ».

L’analyse comparative des filières et du poids de chacun des acteurs dans la filière montre des différences sensibles qui ont joué sur la diffusion du standard. Le poids des producteurs n’est pas le même dans les deux pays. La France produit davantage de bois que l’Angleterre. Les producteurs ont donc une voix plus prépondérante dans la filière. En outre, en France, 48,4 % des propriétaires ont une surface supérieure à 25 hectares, tandis qu’en Angleterre, 75 % des propriétaires possèdent moins de 2 hectares. Ceci explique un pouvoir de lobbying plus important de la part des propriétaires français qu’anglais, avec, en France, un poids déterminant de l’Office National des Forêt qui a opté pour la certification PEFC (100 % des forêts domaniales métropolitaines sont déjà certifiées PEFC). Finalement, la France se distingue par le poids des propriétaires forestiers, ralliés par les industriels, tandis que l’Angleterre se caractérise par le crédit accordé aux ONG, rejoints par les distributeurs. Ainsi la diffusion de l’un ou l’autre des standards est en lien direct avec le poids des vecteurs de la diffusion dans les filières. Les entretiens montrent toutefois qu’au-delà de ces préférences, les utilisateurs des standards gagneraient à ce qu’un même dispositif soit valable pour l’ensemble des marchés.

Les entretiens avec les utilisateurs des standards montrent effectivement qu’à la fois les clients des produits finaux et les propriétaires et intervenants de la filière bois éprouveraient un avantage à l’existence d’un seul système. Les entretiens auprès des distributeurs qui représentent les intérêts des clients estiment que cette situation crée de la confusion dans l’esprit des consommateurs, ce qui constitue un risque pour les labels et pour la certification de perdre leur crédibilité et compromet le système de normalisation en général. Les entretiens menés auprès des propriétaires forestiers, qui sont nombreux à demander actuellement la certification aux deux systèmes, soulignent que deux certifications au lieu d’une introduisent une bureaucratie lourde et accroissent les dépenses parce que chaque système entre dans une compétition pour apparaître le plus exigeant. Les entretiens auprès des organismes de certification et syndicats professionnels mettent en évidence également une pression du marché manifestée par un nombre important de réunions institutionnelles pour conduire à la reconnaissance mutuelle et à la convergence des deux standards. Or, la concurrence entre les dispositifs de certification peut être rendue plus intense si le marché réclame un seul référentiel.

Du reste, un fait économique souligne un mouvement vers la concentration. En effet, la concurrence qui se réalise entre différents standards de qualité environnementale émis dans les années 1990 se réduit, au terme d’une dizaine d’années, à la rivalité entre deux standards dominants qui se partagent le marché mondial de la certification forestière. Pour sa part, Humphreys (2006) considère que, conformément aux guerres de standards qui sont fatales au perdant, cette bataille entre FSC et PEFC est un combat pour l’hégémonie (Humphreys, 2006 : 116). Pourtant, les représentants français des standards ne considèrent pas souhaitable ce mouvement vers un seul référentiel. Si la directrice de FSC l’admet : « Il est vrai que les utilisateurs trouvent casse-pieds d’avoir deux systèmes concurrents, c’est cher », les responsables de PEFC et FSC France rejettent uniformément les avantages associés à l’existence d’un seul référentiel. Le secrétaire général de PEFC : « Peu d’utilisateurs réclament une politique exclusive FSC ou PEFC. Aujourd’hui, il vaut mieux ne pas mettre tous les oeufs dans le même panier pour la certification forestière. La coexistence de deux systèmes est bénéfique au plan économique. Les entreprises se sentent plus à l’aise avec un système ou l’autre. Mais quel serait l’impact sur les forêts certifiées de n’avoir qu’un seul système de certification ? Le monopole n’est bon pour personne ». La directrice de FSC partage les mêmes termes : « Les utilisateurs se plaindraient en situation de monopole ». Les deux s’accordent donc sur la nécessité de leur présence mutuelle, mais n’envisagent pas l’arrivée d’un troisième « et puis quoi encore ?...à quoi cela servirait-il ? » (Secrétaire général PEFC) « c’est déjà assez compliqué » (La directrice de FSC).

Le mouvement de concentration vers deux référentiels principaux est interprété dans une logique institutionnelle. Le Secrétaire Général de PEFC considère pour sa part que « C’est l’effet de l’expérience. Depuis 1992, on a assisté à un foisonnement de tentatives pour promouvoir la certification forestière. Les choses se sont concentrées ensuite. On est désormais en état d’identifier deux grandes approches de la certification forestière qui ont des conceptions différentes de la certification ». Deux standards coexistent car finalement deux représentations alternatives de la gestion forestière s’opposent.

Un conflit entre registres de légitimités

Le Secrétaire Général de PEFC France admet clairement l’idée d’une offre alternative : « La création de PEFC est une alternative à FSC. Au niveau européen, la forêt privée européenne ne correspondait pas à la logique de FSC. En particulier, FSC prévoit un système à l’unité de gestion qui ne peut convenir. Pilotée par les ONG, ce système est mal perçu par les propriétaires privés Il est difficile d’admettre que les ONG gouvernent ».

Les valeurs sur lesquelles se fondent les standards s’opposent et les tenants des standards concurrents se prévalent, sur ces valeurs différentes, d’un même souci de légitimité. Les différences entre les standards ont été précisément examinées (voir également : Hanff, Descaves et Maurel, 2007; Tozzi, Guéneau et Ndiaye, 2011). Les discordances se fondent sur des principes de différente nature : d’ordre procédural (les contrôles se faisant de façon systématique vs par échantillonnage; à partir d’une analyse du résultat vs du processus d’amélioration; par unité de production vs par communauté de production), de choix techniques (refuser les plantations vs les soutenir; interdire les OGM vs les accepter), de mode de gouvernance, qui s’appuient sur des positions qui sont philosophiquement et idéologiquement différentes. Chacun campe sur ses positions et revendique une conception légitime de la certification.

  • Les contrôles : Pour les tenants de FSC, PEFC ne réalise pas de façon exhaustive les contrôles. La directrice de FSC observe : « Comment évaluer la gestion forestière et son niveau de protection environnementale sans un audit initial de terrain dans la forêt en question ? ». Pour les tenants de PEFC, les propriétaires européens sont trop petits pour pouvoir financer une certification par unité de production. Le secrétaire général de PEFC : « Nous ne voulons pas de certification à l’unité de gestion tout simplement parce que c’est inenvisageable en France. En France, 3,5 millions de propriétaires forestiers détiennent 10 millions de forêts. L’ONF gère 1,5 millions d’ha qui appartiennent à l’Etat. La Caisse de dépôt gère quelques centaines de milliers d’ha. Certains propriétaires n’ont que 3,5 ha. Ils ne peuvent pas s’offrir le bureau Veritas. L’idée est de construire un système permettant un accès à tous les propriétaires forestiers de France ». La directrice de FSC précise : « La certification FSC permet aussi de certifier des groupes de forêts, afin précisément de permettre à l’accès à la certification FSC à de petits propriétaires en mutualisant les coûts de gestion et d’audit. D’ailleurs, la plupart des forêts certifiées FSC en France sont précisément des certificats de groupe et non des certificats de forêts individuelles ».

  • L’amélioration continue : FSC s’appuie sur l’exigence d’une analyse de résultat. Le discours de PEFC répond par le principe d’amélioration continue dont les certificateurs sont fiers car ils réalisent l’« accompagnement des forestiers, depuis là où ils en sont. »

  • La subsidiarité : FSC a un cahier des charges, une certification centralisée dite « descendante », basée sur des principes et critères internationaux, valables dans tous les pays, déclinés ensuite à l’échelon local, par les acteurs locaux en indicateurs adaptés au contexte local et qui certifie des forêts individuelles. De son côté, PEFC a des principes et critères qui varient selon les pays, mais promeut une reconnaissance mutuelle des initiatives nationales de certification. PEFC constitue une certification dite « parapluie », qui propose une adhésion des propriétaires à des schémas de certification locaux (régionaux) régissant la profession qui permet de certifier en bloc de vastes zones, et revendique, face aux critiques de FSC, la nécessaire « coproduction des indicateurs » pour permettre ensuite l’ « appropriation des standards ».

  • La gouvernance : La gouvernance de PEFC est constitué de trois collèges : producteurs, transformateurs, utilisateurs (comprenant les associations d’utilisateurs dont agriculteurs et chasseurs, des ONG telle que France Nature Environnement mais ni le WWF, ni Friends of the Earth). Dans le système de FSC la gouvernance est constituée de trois chambres : économique (les producteurs, transformateurs, distributeurs,..), environnementale (ONG, chercheurs) et sociale (ONG de défense des populations locales, syndicats, chercheurs,..). Ainsi la dimension économique est moins présente dans le standard FSC que pour son rival. Le secrétaire général de PEFC rejette pourtant catégoriquement l’idée que le standard PEFC « recèle une orientation productiviste ».

L’affrontement se situe donc bien au niveau des principes. Ainsi, le secrétaire général de PEFC l’admet-il : « Sur les chaînes de contrôle ou sur les marques on pourrait s’entendre. En deux coups de cuillère à pot on pourrait trouver un arrangement : on travaille avec les mêmes industriels, sur les mêmes contraintes, on a des modes de fonctionnement comparables, la traçabilité identique. Le débat n’est pas là. Il n’est pas technique. Ce qui empêche la reconnaissance s’est une affaire de principes. Pourtant, il n’y a pas trente-six mille situations : soit une forêt est gérée durablement, soit elle ne l’est pas ». Cependant, l’examen des relations de concurrence montre des comportements stratégiques forts centrés sur l’affrontement plutôt que la connivence.

Les actions concurrentielles

Dans cette seconde partie, nous confrontons les arguments légitimistes aux actions qui peuvent être qualifiées de concurrentielles ce qui nous conduit à identifier une représentation politique du concept même de concurrence qui explique qu’un discours stratégique paraisse inaudible dans ce contexte.

L’échec des négociations

En premier lieu, les responsables admettent que les nombreuses tentatives d’harmonisation entre les deux standards ont échoué. Le secrétaire général de PEFC observe : « Par exemple, en Guyane Française, des travaux entre FSC et PEFC ont bien avancé au niveau local en 2005, 2006, 2007 avec WWF France. Il y avait un bon travail dans l’élaboration des indicateurs et on avançait beaucoup sur des standards communs. Il y avait des problèmes mais on les surmontait. Or, quand FSC France s’est constitué en 2008/2009, et qu’il a constitué une courroie de transmission avec FSC international, le dialogue s’est refermé. FSC est revenu sur qui avait été négocié. … En Finlande, le sujet est très délicat concernant les droits des familles indigènes. On a trouvé un minimum d’entente. On est arrivé à une volonté de consensus concernant la reconnaissance par FSC du travail de PEFC. FSC international a à nouveau remis tout par terre… » Du côté de FSC, la représentante estime que cela dépend des dossiers, mais que « Tout va bien et puis…on n’y arrive pas ».

Dans les discours, PEFC soutient une position d’ouverture et se montre favorable à une reconnaissance mutuelle des standards, tandis que FSC se refuse à toute conciliation. La réaction de rejet de PEFC de la part de FSC est claire et les militants critiquent ouvertement PEFC. Mais la stratégie de l’affrontement peut apparaître comme la seule possible quand la coopération conduirait mécaniquement à la domination du standard le plus facile à satisfaire (« Même si PEFC reconnaît FSC, FSC est complètement opposé à l’inverse. Une reconnaissance mutuelle serait à l’avantage de PEFC, qui deviendrait le système unique [qui reconnaît et englobe tous les autres ] » (Un propriétaire forestier)). Au-delà de l’échec des tentatives de coopération, les relations concurrentielles prennent un tour agressif au travers de quelques actions spécifiques.

Des actions agressives

Plusieurs actions sont identifiées comme concurrentielles voire agressives : le changement de nom de PEFC, l’indication instantanée du nombre des adhérents et la mise en ligne d’une pétition et sa lettre ouverte de réponse.

Le changement de nom de PEFC

Une interprétation stratégique permet de penser que le coeur du problème se constitue par le développement du standard PEFC. Conçu initialement pour les forêts européennes, ce standard s’est progressivement positionné également sur les bois exotiques et les forêts primaires. En effet, le 31 octobre 2003, en modifiant le sens de son intitulé, PEFC a donné une nouvelle dimension à la certification : Ce qui était alors le Programme européen des forêts certifiées (ou Pan European Forest Certification) a assumé officiellement sa vocation mondiale en devenant Programme de reconnaissance des certifications forestières (Programme for the Endorsement of Forest Certification). Cette modification peut être perçue comme une action concurrentielle annonçant la conquête d’un nouveau territoire, celui des forêts tropicales, jusque-là plutôt ciblées par le standard FSC.

Pourtant, l’interprétation stratégique du changement de nom comme signal de conquête d’un nouveau territoire n’est pas confirmée dans les entretiens. Cette modification est présentée comme s’imposant par la venue spontanée d’autres standards nationaux pour intégrer ce standard transnational. Le secrétaire général PEFC « Les système brésilien, canadien, américain sont venus voir PEFC parce qu’ils se reconnaissaient dans la philosophie de PEFC. On s’est rapprochés au niveau international parce qu’on avait la même approche. Le changement de nom a été la conséquence logique de ce mouvement ». Du côté de FSC également, le changement de nom n’est pas véritablement perçu comme une action concurrentielle. La directrice de FSC : « A posteriori, cela peut apparaître comme une action concurrentielle, mais on doit dire que l’on ne l’a pas pensé comme cela. Même de leur côté, je suis sûre qu’ils n’ont pas raisonné comme cela. C’est plutôt du coup par coup et le fait d’avancer selon la demande. Leur discours est très technicien... Pourtant, ils ont aussi intégré une certification qui est très contestée pour se développer sur le marché des bois tropicaux ».

Ainsi, alors qu’a posteriori le changement de nom peut apparaître clairement comme une action concurrentielle de rivalité, les principaux intéressés éprouvent des réticences à adopter cette conception stratégique. Du côté de FSC, on n’admet pas non plus que le standard défini pour les forêts tropicales s’est imposé dans les forêts européennes et que ce déplacement de l’objectif initial a été mal ressenti en France. Le Président de FSC France : « Au départ la certification s’est plutôt développée pour le Brésil et concernant la certification des bois pour l’industrie du bricolage. Mais la certification FSC est universelle et ne se spécialise pas sur les forêts tropicales. Elle a été créée pour résoudre les problèmes des forêts, des forêts tropicales en Amérique du sud et en Afrique mais aussi des forêts boréales (Australie, Europe du Nord). La certification a été conçue dans le contexte de la déforestation et de la mauvaise gestion forestière soulignés particulièrement par les ONG Amis de la terre. Mais en fait les problèmes de déforestation, de gestion des forêts et de respect des populations indigènes se posent partout ». Telle qu’elle est abordée ici, la question de la certification n’est pas posée en termes de concurrence. De même, l’inscription instantanée du nombre des adhérents n’est pas revendiquée comme relative au rival.

L’inscription instantanée du nombre des adhérents

Les sites internet de FSC et PEFC mentionnent en continu les chiffres des adhésions : sont précisés les surfaces forestières certifiées, le nombre des propriétaires et le nombre de chaînes de contrôle Cet élément entre en résonance avec l’importance d’apparaître comme capable d’endosser le rôle de leader dans une course aux bases installées, conformément aux conseils de Shapiro et Varian (1999). Les schémas de l’annexe 2 indiquent les chiffres de diffusion des deux standards au niveau international, français et anglais. PEFC communique précisément sur sa domination. Parti plus tardivement, son développement est plus rapide, vraisemblablement favorisé par une certification plus aisée à obtenir. Pourtant, cette fois encore, l’indication instantanée du nombre des adhérents n’est pas clairement identifiée comme une course à la certification. Ainsi, le Président de FSC France rejette catégoriquement cette interprétation. « Les chiffres ne sont absolument pas présentés en référence à PEFC. Nous signalons ces résultats pour rendre compte de notre mission. » Une fois de plus, la situation concurrentielle est niée. Chaque organisation se positionne comme un expert qui doit rendre compte des missions environnementales qui lui sont confiées et non comme une organisation de marché située dans un contexte de concurrence. La mise en ligne d’une pétition paraît pourtant bien constituer une action agressive.

La mise en ligne d’une pétition contre le rival

Il est rare de repérer des actions d’éclat aussi directement agressives entre concurrents. Pourtant, l’attaque va jusqu’à l’ouverture d’un appel à signer une pétition contre PEFC, mis en ligne le 30 10 2006, intitulée : « L’incroyable certification : la destruction des forêts de Tasmanie reçoit le label PEFC ». PEFC répond par une lettre ouverte, également disponible sur son site, qui garantit son professionnalisme et sa rigueur. Nous observons ici un couple d’action-réaction directement enchaîné. Depuis octobre 2006 jusqu’en octobre 2011, la tension est donc perceptible sur les sites. FSC critique très ouvertement le manque d’exigence de PEFC qui répond point par point et tente de démontrer son professionnalisme. La situation concurrentielle apparaît donc paradoxale entre des actions qui peuvent être très agressives et une situation de concurrence peu assumée. Cette observation conduit à tenter de mieux comprendre le concept même de concurrence dans les représentations institutionnelles.

Le concept de concurrence dans un contexte institutionnel

De façon synthétique, la perspective des interactions concurrentielles permet de souligner trois couples actions-réactions concurrentielles déterminantes :

  • Création FSC (1993) – Création PEFC (1999)

  • Changement de nom PEFC (2003) – Communications critiques de la part de FSC

  • Pétition contre PEFC venant des ONG, reprise par FSC (2006) – lettre ouverte de réponse de la part de PEFC

Pourtant, les protagonistes ne se reconnaissent pas dans cette lecture stratégique. Chacun des points est justifié et argumenté et cette conception se réfère, en tous cas aujourd’hui, à une lecture institutionnelle. En ce sens, les actions n’apparaissent pas véritablement comme des actions concurrentielles en tant qu’elles ne sont ni revendiquées, ni assumées ni envisagées comme telles. Ceci nous conduit à une appréciation particulière de la situation de la coexistence des deux standards. Nous nous situons dans une « drôle de guerre » qui ne se dit pas, une concurrence non assumée, des actions concurrentielles non identifiées et l’échec de la coopération qui ne trouve pas d’explication. Le mot lui-même de concurrence est ressenti comme inadapté. Plusieurs éléments peuvent expliquer cette situation. Soit elle n’est pas concurrentielle et certains arguments peuvent alimenter cette conviction :

Du côté de PEFC « La bataille est absurde car seulement 10 % des forêts sont certifiées. Nous avons un objectif commun, certifier les 90 % autres ! Il y a de la place pour tout le monde » Du côté de FSC « Si PEFC se rapproche, cela sera finalement favorable car cela génère une préoccupation, une sensibilisation, une éducation qui sert à l’ensemble du marché. Les actions des deux servent aux deux ». Egalement, le concept même de concurrence semble inadéquat : « Nous sommes plus en compétition qu’en concurrence. En concurrence via les marché, mais sinon nous sommes plus en compétition. Nous ne sommes pas en guerre en tout cas. Les certifiés peuvent choisir 0, 1 ou les 2 certifications. Ce n’est pas une vraie concurrence ». Mais d’autres faits rendent toutefois sceptiques et sont contradictoires avec une conception pacifiée des relations. La directrice de FSC exprime « de vraies différences. Il y a des hostilités réciproques, parfois définitives, allergiques, qui ont pu s’amplifier avec des membres ayant eu des réactions extrêmeslorsque FSC s’est implanté en France en 2006 ».

L’autre possibilité est que la situation soit effectivement concurrentielle, mais qu’elle ne soit pas envisagée comme telle. Ainsi la concurrence est analysée d’une façon étonnante. Le Président de FSC observe : « l’exigence de PEFC a crû récemment. Or si PEFC rejoint FSC, alors il n’y a plus de concurrence ». La directrice de FSC « Si on vend la même chose, on n’est pas en concurrence…Si les deux outils font la même chose, il n’y a pas de concurrents. La concurrence vient de différentes légitimités. Un seul outil signifie pas de concurrence entre les fonctionnalités, les résultats ». Or, dans la logique économique, plus les produits se ressemblent et satisfont les mêmes besoins et plus ils sont en concurrence. Le concept de concurrence monopolistique tel que défini par Chamberlin montre bien que pour éviter de se trouver en concurrence frontale, les entreprises ont intérêt à proposer des éléments de différenciation et toute les approches stratégiques depuis Porter jusqu’aux approches fondées sur les ressources montrent que la concurrence est d’autant plus vive que les entreprises se ressemblent et que c’est une situation qu’il convient d’éviter. Or, le raisonnement des protagonistes n’est pas du tout celui-là. Si les deux standards finissent par se ressembler alors, il n’y a plus de concurrence, parce qu’ils réalisent la même performance. Ce raisonnement s’ancre clairement à l’inverse d’une logique de marché. Nous nous situons dans une perspective de mission publique très éloignée des stratégies de marché.

Pour le secrétaire général de PEFC également la question de la concurrence est absurde : « Il est certain que plus de liens serait bénéfique pour les deux systèmes. Alors pourquoi cela ne se produit-il pas ? Je ne sais pas quoi vous répondre … Les organisations représentent différents standards; En France, PEFC est plus important; c’est normal, c’est parce qu’ils l’ont montée et qu’ils croient en sa valeur. Si demain ces organisations souhaitent travailler avec FSC ce sera bête : pourquoi refaire le travail ? La question n’a pas de sens. ». Pourtant dans les faits, nous observons que FSC France vient de se développer et ne limite pas ses prospections aux forêts non certifiées.

La question de la concurrence n’est donc pas clairement envisagée par les protagonistes et ceci peut avoir l’inconvénient de ne pas préparer ces organisations de standardisation à la situation concurrentielle. Mais avant de considérer les conséquences de cette observation, plusieurs points méritent d’être discutés.

Discussion

La première interrogation du cas concerne la difficile intégration des modèles d’analyse stratégique au contexte de la certification forestière. La source du premier standard s’inscrit effectivement dans un cadre institutionnel de protection environnementale et l’on conçoit que l’approche réponde à une logique globale et à une philosophie politique éloignées des représentations stratégiques guerrières de conquête des marchés. Du côté de PEFC, également, le discours se place sur le professionnalisme et la protection des forêts comme enjeu commun. Le contexte et la sensibilité des interlocuteurs aux enjeux globaux peuvent expliquer que le langage stratégique paraisse presque incongru. Nous ne devons toutefois pas écarter la possibilité d’une naïveté feinte dans les entretiens ou bien l’expression du souhait de ne pas envenimer une situation délicate, pour des personnes qui sont amenées à se rencontrer. Pourtant, l’enseignement principal de cette analyse demeure celui de la prégnance de la question de la légitimité. Cette observation est cohérente avec l’approche institutionnaliste (Di Maggio et Powell, 1983) et nous trouvons une nouvelle confirmation que les batailles de standards recèlent des conflits de registres de légitimité. Les débats de fonds portant sur l’idéologie et sur les principes sous-jacents aux dispositifs de certification se justifient concernant l’émergence et la diffusion de standards et de normes : normes et standards traduisent les prescriptions comportementales cohérentes au système de valeurs sous-jacent. Les auteurs tels que Merton (1957) ont bien désigné ce rôle des normes comme dispositif intermédiaire de traduction des valeurs en comportements souhaitables. Ceci se traduit de façon concrète dans les dispositifs, par les différences de procédures, de choix techniques et de modèle de gouvernance qu’ils mettent en place pour modifier les comportements. L’approche institutionnaliste de l’analyse des normes techniques (DiMaggio et Powell, 1983; Garud, Jain et Kumaraswamy, 2002) et sociales (Elster, 1989), montre combien l’affrontement entre systèmes de normes exprime plus profondément un conflit de valeurs. Les auteurs expliquent aussi comment la dynamique dans l’affrontement entre systèmes concurrents s’appuie sur des régularités et favorise une solution moyenne qui n’est pas optimale mais qui est adoptée par le plus grand nombre (Young, 1996). La confrontation entre normes techniques recèle donc un conflit plus profond et les acteurs ne s’y trompent pas.

Le cas permet aussi d’interroger l’analyse de la concurrence. De façon étonnante, les interactions concurrentielles sont provoquées par une première action (la création de FSC) qui n’est pas définie en direction des concurrents, mais qui est perçue comme telle et provoque une riposte par imitation. Cette analyse est intéressante à deux points de vue pour l’approche des interactions concurrentielles. En premier lieu, elle nous conduit à interroger l’origine du couple action-réaction. C’est effectivement une critique apportée à cette approche, la difficile identification d’un point de départ. Dans notre cas, l’origine semble claire, mais elle n’est pas une action concurrentielle. Peut-on envisager qu’une action non concurrentielle, parce qu’elle n’est pas formulée en direction des concurrents, déclenche une riposte concurrentielle (parce que cette action ne se serait pas réalisée sans le premier déclencheur) ? En second lieu, la réaction par imitation qui est décrite dans le cas, au travers de la création du standard PEFC, n’est pas une réaction aisée à mettre en oeuvre. En tant que stratégie collective, cette stratégie requiert le soutien d’une communauté et le cas montre que la création de PEFC s’est inscrite sur la durée et qu’elle a été soutenue par les pouvoirs publics. Peut-on considérer des actions collectives comme une vraie arme dans une bataille concurrentielle ? Finalement, l’analyse de cas questionne les standards au regard de la théorie des interactions concurrentielles. Il démontre que l’imitation est une stratégie possible en matière de standardisation.

Cette approche nous semble aussi enrichir les approches institutionnalistes réalisées dans la certification forestière (Bass et Guéneau, 2007; Guéneau et Tozzi, 2008; Bartley 2007; Pattberg, 2004), par une lecture institutionnelle des actions concurrentielles. Par notre ancrage stratégique, nous avons fait le choix de nous centrer d’abord sur les actions des organisations elles-mêmes (FSC et PEFC), ce qui comporte des limites. En effet, cette position ne permet pas de rendre compte du poids des Etats eux-mêmes sur la diffusion de l’un ou l’autre des standards notamment par les subventions qu’ils accordent à l’un ou l’autre des systèmes. De ce point de vue, notre étude doit être complétée des décisions stratégiques des Etats eux-mêmes.

Enfin, il serait nécessaire de poursuivre le suivi de cette compétition, car la variable temporelle est un enjeu central. Nous examinons une situation qui s’est avérée concurrentielle sur le long terme (20 ans), mais nous ne savons pas où nous nous situons réellement aujourd’hui dans le processus. Sommes-nous encore dans la phase d’émergence d’un standard, en ce cas nous pourrions être dans une phase préalable à la domination d’un seul standard ? Ou bien nous situons-nous dans la phase conclusive de l’émergence, le phénomène de standardisation ayant amené la domination de deux standards irréductibles et complémentaires ? Finalement assisterons-nous à un effet de consolidation ou de convergence (Humphreys, 2006) ? Au fil du temps s’est en effet déjà produit un phénomène de convergence et en même temps un processus de consolidation des deux standards. Le suivi du processus a donné lieu à plusieurs phases d’enquêtes et il sera indéniablement intéressant de poursuivre les investigations sur le long terme.

Conclusion

Le recours aux normes volontaires et certifications de qualité n’est pas neutre pour ce qui concerne les tentatives de régulation du marché. Nous avons montré que les standards de qualité peuvent provoquer une situation de concurrence complexe à gérer car ils recèlent des affrontements entre discours de légitimité. Nous avons également observé que la création d’un standard, ou la défense de son standard dans la rivalité avec un autre, peut engendrer des réactions concurrentielles agressives que les protagonistes ne semblent pas prêts à assumer.

C’est pourtant clairement le pas suivant qu’il est nécessaire d’accomplir lorsque l’on choisit un instrument de marché. Le choix d’un standard volontaire ne signifie pas seulement d’accepter la philosophie commerciale et de développer des actions marketing et de communication en vue de développer des incitations et parfois des menaces en direction des cibles pour les inciter à consommer. Le recours aux standards volontaires et à leur dispositif de certification suppose aussi de considérer les situations de concurrence et les actions qui seront menées contre le rival.

Au delà de ces recommandations, le cas renvoie à un constat assez inquiétant. Si les hectares de forêts certifiées augmentent, elles sont, à 90 % des forêts européennes et nord américaines, alors que la création du standard FSC était conçue pour protéger en particulier les forêts tropicales. La mission initiale des ONG de passer par des normes volontaires pour pallier les échecs de la réglementation peut clairement être interrogée. La certification a été immédiatement appropriée par le marché en tant que signal marketing, mais son but initial demeure inachevé. Le problème des forêts tropicales, qui sont largement affectées par la déforestation, qui était à l’origine de ce processus de normalisation, demeure entier.