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Ce petit livre présente, en cinq entretiens, quelques-uns des meilleurs experts et observateurs actuels du phénomène religieux. Il dresse particulièrement un état des lieux du christianisme. Les auteurs nous livrent la « radioscopie » du monde chrétien contemporain et aident à évaluer la faille qui sépare les chrétiens de la réalité moderne. Leurs approches et leurs conclusions divergent mais tous arrivent à un constat unanime : sans changement d’attitude et de mentalité, l’avenir du monde chrétien risque bien d’être compromis.

Pour René Rémond, auteur du livre Le christianisme en accusation, le constat ne fait guère de doute : on observe tous les indices d’une régression, sinon d’un déclin plus ou moins marqué des pratiques religieuses dans l’Église catholique. Il déplore particulièrement le fait que les générations qui grandissent n’auront aucune information religieuse, aucune culture chrétienne. Jadis, les gens étaient tentés de juger la religion sur son utilité sociale. Aujourd’hui, on s’intéresse surtout à ses effets thérapeutiques personnels. De plus, les gens ne raisonnent plus dans la perspective d’une longue durée. Il est donc difficile de présenter un ensemble de vérités à croire, un message qui devrait métamorphoser toute une vie. La disparition progressive du personnel permanent de l’Église ne favorise pas les choses. Les laïcs vont être obligés, dit l’A., de prendre en charge une partie des responsabilités dans l’Église. Cela risque, évidemment, de les rendre indisponibles pour certains engagements dans la société.

Pour Jean Delumeau, auteur du livre choc Le christianisme va-t-il mourir ?, il faut plus qu’un enseignement sommaire pour discerner un brevet de christianisation. On ne peut, selon l’A., parler de christianisation quand il n’y a pas à la fois un minimum de connaissance du dogme chrétien et une certaine pratique évangélique. Selon lui, l’adhésion au dogme chrétien se résume ainsi : croire au Dieu créateur, au Christ fait homme mort et ressuscité. C’est aussi, pour lui, la mise en relief de deux sacrements majeurs que sont le baptême et la sainte Cène.

Le christianisme, loin de là, n’a pas fini sa carrière. Il a d’abord un très beau passé. Il est porteur d’un message original du point de vue religieux : le Christ est le premier à avoir présenté Dieu comme un père et un père qui va chercher l’enfant prodigue. Dieu est le compagnon de route de tous les hommes. L’A. plaide en faveur de structures où l’on mettrait en commun ce qui rassemble du point de vue doctrinal les grandes religions monothéistes.

Pour Marcel Gauchet, philosophe, spécialiste des religions et auteur du livre Le désenchantement du monde, le combat, depuis deux siècles, tourne autour de la question de la mort de Dieu. On annonce périodiquement le décès de Dieu, puis finalement, Dieu ne meurt jamais, la religion et les croyances se recomposent et Dieu réapparaît sous un angle nouveau.

L’A. affirme que l’originalité du christianisme se retrouve dans ce qu’il y a de plus fragile, c’est-à-dire dans l’incarnation du Christ lui-même. Cette idée, forcément, ne brille pas par sa rationalité. Un Dieu qui prend forme d’homme, un Christ qui ne vient pas renforcer la loi mais qui vient témoigner de l’intérêt du Père pour le salut des hommes. Un Christ qui ne nous dit pas immédiatement ce qu’il faut faire, mais qui vient nous dire que la création est en gestation et qu’elle se réalisera, mystérieusement, dans une seconde naissance, dont les prémices se retrouvent dans sa propre Résurrection. L’actualisation de ce témoignage christique est à faire dans notre monde. La question la plus fondamentale pour l’A. est de savoir comment, dans le monde actuel, et la culture de notre temps, penser Dieu à travers ce que dit le Christ. Il faudrait, selon lui, un nouveau saint Thomas d’Aquin, pour traduire la foi en un langage qui parle à nos contemporains.

Pour Danièle Hervieu-Léger, sociologue des religions et auteur du livre Le pèlerin et le converti, le constat est frappant : la vraie vie est ailleurs. Pour un grand nombre de nos contemporains, la religion est une question non pertinente, pas du tout centrale. La spiritualité est devenue une activité et une référence personnelle qui joue son rôle, mais seulement dans un registre particulier. L’A. prétend qu’il n’y a pas une perte radicale du religieux chez les individus, mais une perte sous l’angle des institutions religieuses qui ne peuvent plus prétendre offrir à la société des codes de sens et encore moins de les monopoliser. Ce qui compte aujourd’hui pour un fidèle, ce n’est pas d’être conforme à des dogmes, mais d’être authentique dans une démarche personnelle. Il n’y a donc plus de croyances communes, de vérité vraie. Il n’y a que celles que l’on s’est appropriées.

L’A. rappelle qu’il est souvent demandé aux théologiens de se mettre au service de l’institution, plutôt qu’au service de l’intelligence. Devant ce constat, que peut-on attendre de leurs réflexions ? L’A écrit qu’il y a des ressources dans l’Église et des hommes capables de faire évoluer les choses, mais celle-ci n’est pas persuadée qu’il y a actuellement un certain nombre de dispositifs pour y parvenir. Elle semble ne pas avoir la volonté d’opérer certains changements. En ce sens, Danièle Hervieu-Léger est pessimiste sur le catholicisme d’aujourd’hui.

Enfin, pour Paul Valadier, jésuite et professeur de philosophie du Centre Sèvres à Paris, et auteur du livre Un christianisme d’avenir, le regard des sociologues est important, mais il ne s’intéresse, par définition, qu’au temps présent, à l’actualité. L’A. souhaite que l’on consulte aussi les anthropologues pour les entendre sur la nature religieuse de l’homme et sur la philosophie des religions.

L’homme moderne, pour différentes raisons, ne veut pas entrer dans le rang des institutions. Il semble, selon l’A., qu’il est dans la nature du religieux d’être un peu sauvage, non domesticable. Là-dessus, l’institution catholique n’est pas sans reproche.

Interrogé à savoir si l’homme moderne peut encore croire à quelque chose, l’A. nous invite à bien examiner ce qu’il appelle « le nouvel ordre libertaire ». Le monde est sorti d’une façon de faire où tout ce qui était à faire était bien indiqué. Les mentalités actuelles sont plutôt imprégnées d’un esprit libertaire qui invite chacun à faire ce qu’il veut bien faire. Il n’est plus facile, alors, dans un tel climat, de faire raisonner le monde.

Abordant la question des relations ente raison et foi, l’A. pense que l’effondrement de l’un est très nocif pour l’autre. C’est la grande leçon que l’on peut tirer du xxe siècle : lorsque la raison est malade, lorsqu’elle divague, la religion loin de mieux se porter, en pâtit elle aussi. C’est lorsque la raison garde ses exigences que la religion se trouve obligée de rester rigoureuse et évite de tomber dans les pires excès de l’irrationalité. L’A. propose, à la fin de son exposé, une piste pour rénover sérieusement les institutions chrétiennes. Elle se résume en trois mots : collégialité, subsidiarité et catholicité liée à un certain oecuménisme.

Pour ne pas tourner définitivement la grande page du christianisme, les croyants convaincus devront sans doute tourner rapidement les pages poussiéreuses des habitudes figées qui rendent la « bonne nouvelle » si difficile à comprendre pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui.