Corps de l’article

Il y a dix ans que Sven Steinmo et ses collègues faisaient paraître Structuring Politics : Historical Institutionalism in Comparative Analysis[1]. La publication de cet ouvrage en 1992 marquait la reconnaissance d’un mouvement théorique innovateur développé en réaction à l’analyse des choix rationnels dominante en science politique depuis les années 1980. Comme dans la théorie des choix rationnels, les calculs stratégiques que les acteurs font sur la base de leurs intérêts sont au coeur des explications privilégiées par l’institutionnalisme historique pour rendre compte des changements de politiques publiques. Mais pour ce dernier, les acteurs sont également équipés de visions diverses du monde selon leurs positions sociales et les contextes sociétaux. Les intérêts ne sont pas donnés comme les préférences dans la théorie des choix rationnels, mais ils sont plutôt construits politiquement dans le cadre d’institutions héritées du passé et structurées autour de relations de pouvoir asymétriques.

S’inspirant des méthodes de la sociologie interprétative wébérienne, tout un courant de recherche issu de l’institutionnalisme historique accorde une place importante aux processus cognitifs et d’apprentissage, aux idées et au savoir dans les changements de politiques publiques, puisque c’est par le biais de ce type de facteurs que les acteurs construisent leur compréhension du monde et forment leurs intérêts[2]. Dans cette perspective, les idées précèdent en quelque sorte les intérêts dans la mesure où ceux-ci ne « s’expriment qu’à travers la production de cadre d’interprétation du monde[3] ».

L’institutionnalisme historique est souvent assimilé à une perspective théorique mettant l’accent sur les trois « i » dans l’analyse des politiques : idées, intérêts et institutions[4]. Si les études se réclamant davantage du premier « i » prétendent privilégier autant l’acteur ( agency ) que les structures pour expliquer le changement de l’action gouvernementale, celles qui se servent surtout des deux autres « i » ont plutôt tendance à souligner les contraintes institutionnelles et historiques pour rendre compte de l’absence de changement de politiques publiques[5]. Du moins, en est-il ainsi des études sur l’État-providence où une version de l’institutionnalisme historique met en évidence les phénomènes de « dépendance au sentier » ( path dependency ) mettant l’accent sur la persistance des politiques sociales héritées de l’après-guerre[6]. Selon cette approche, les décisions et institutions héritées du passé ( policy legacies ) canalisent les développements ultérieurs dans des directions ou des logiques pré-établies posant aux acteurs du présent des obstacles qu’ils sont souvent incapables de contourner. Dans cette vision, l’État-providence est perçu comme une institution figée, paralysée ou inamovible, que même les leaders les plus déterminés comme Madame Thatcher et Ronald Reagan ont été incapables de transformer radicalement[7]. C’est ce type d’argument, à saveur de déterminisme historique, que ce texte veut soumettre à l’analyse critique et empirique par l’étude des cas récents de réforme de la politique sociale au Canada et en Grande-Bretagne.

La nouvelle politique de « l’investissement dans l’enfance »

Le nouveau Parti travailliste en Grande-Bretagne et le Parti libéral du Canada ont tous deux placé la réduction de la pauvreté des enfants au centre de leurs objectifs politiques. Une série de mesures récentes, de rapports officiels, d’études et de nouvelles dépenses montrent toute l’importance que les gouvernements canadien et britannique accordent maintenant à la réforme de la politique sociale en général et à la lutte à la pauvreté des enfants en particulier. À travers ces transformations, se profile une stratégie que Gøsta Esping-Andersen appelle de « reconstruction de l’État-providence centré sur l’enfant[8] ». Dans cette vision, les enfants représentent des « investissements » pouvant produire des bénéfices potentiellement significatifs à la fois pour la formation du capital humain futur et pour combattre la pauvreté familiale en facilitant l’entrée des femmes sur le marché du travail — permettant ainsi aux femmes de se « dé-marchandiser » ( decommodifying ) pour reprendre les termes d’Ann Orloff [9].

Nul ne sait encore si la préoccupation politique actuelle autour des questions reliées aux enfants est semblable à ce qui s’est passé au xixe siècle lorsque l’adoption de mesures favorisant le bien-être des enfants a ouvert la voie au développement subséquent de mesures sociales plus inclusives[10]. Seul l’avenir le dira. Ce qui apparaît de plus en plus évident cependant, c’est que les différentes réformes discutées dans la partie suivante contredisent un certain nombre d’arguments clés de l’approche du retrait ( retrenchment ) de l’État-providence. Suite à l’ouvrage innovateur de Paul Pierson[11], les analystes de l’État-providence ont souvent décrit les années 1990 comme une décennie de démantèlement et de compressions, ou comme une période d’inertie ou de paralysie due à la résistance menée par des intérêts sociaux disposant de ressources conférées par les programmes sociaux du passé[12].

Mais comment l’approche du retrait de l’État-providence mettant l’accent sur la dépendance au sentier peut-elle nous aider à comprendre l’émergence récente de ce que certains ont appelé le « paradigme de l’investissement dans l’enfance[13] » ou ce que Theda Skocpol dans son dernier ouvrage désigne sous le terme de « libéralisme centré sur l’enfant[14] »? C’est à cette question que le présent article tente de répondre. L’objectif est de ramener le rôle des idées au centre de l’analyse des politiques sociales pour montrer que le paysage de l’État-providence n’est pas aussi « figé[15] » que le prétendent les arguments de la dépendance au sentier. Pour ce faire, l’article se réfère à l’approche cognitive des politiques publiques pour étudier les réformes récentes de la politique sociale au Canada et en Grande-Bretagne, deux pays faisant partie de la famille libérale de l’État-providence[16]. Entre la dichotomie de l’expansion et du retrait, se trouve un espace pour l’expérimentation de politiques publiques où les processus d’apprentissage social ( social learning ) sont beaucoup plus importants que ne le reconnaissent les tenants de l’approche du retrait de l’État-providence. Quand la réforme de la politique sociale est conçue à l’intérieur des paramètres étroits de l’expansion ou du retrait, les seules transformations qui comptent sont celles, de nature quantitative, pouvant être mesurées en termes de croissance ou de réduction. Cependant, entre l’expansion et le retrait, il existe également toute une série de changements qualitatifs dans les valeurs, les normes et la configuration des politiques ( policy design ) qu’une approche cognitive axée sur les idées contribue à mettre en lumière. En d’autres mots, si le retrait de l’État-providence a surtout été le fait d’une politique de résistance menée par des intérêts sociaux ayant hérité de ressources conférées par les institutions du passé, ce texte développe l’hypothèse que les expérimentations et les réformes actuellement entreprises au nom de « l’investissement dans l’enfance » sont également motivées par les idées et les processus d’apprentissage social.

La « troisième voie » et l’État d’investissement social

Comme l’ont récemment écrit John Myles et Jill Quadagno, « si la “troisème voie” a un parti pris, c’est pour les enfants[17] ». La « troisième voie » est un terme actuellement en vogue dans le monde politique anglo-saxon pour décrire les divers éléments d’une idéologie en émergence cherchant à établir une position mitoyenne entre les alternatives dominantes du néo-libéralisme radical et du socialisme démocratique[18]. La « troisième voie » est apparue récemment en réaction à la montée de la « nouvelle droite » à la fin des années 1970. Depuis la fin des années 1990, les gouvernements de l’OCDE ont de plus en plus accumulé des surplus budgétaires. En elle-même, cette situation fiscale ouvre de nouvelles possibilités pour la politique sociale. Cependant, il y a fort peu de chance pour que les partisans de la « troisième voie » réutilisent les approches qui dans la période de l’après-guerre ont contribué à la croissance de l’État-providence. Bien que la plupart ne partagent probablement pas l’opinion de Thatcher selon laquelle « il n’existe pas de telle chose que la société », les partisans de la « troisième voie » — comme leurs prédécesseurs de la « nouvelle droite » — adhèrent néanmoins aux valeurs du conservatisme fiscal[19].

Depuis quelques années, des termes comme le modèle de « l’investissement social » ou « l’État d’investissement social » sont apparus dans les milieux politiques et intellectuels pour décrire une façon alternative de concevoir l’État-providence post-industriel[20]. Le concept « d’État d’investissement social » a d’abord été formulé par Anthony Giddens dans son ouvrage The Third Way qui prône une nouvelle forme de partenariat dans le partage des fonctions de soutien social entre l’État, le marché et les familles. Au niveau international, l’OCDE invite ses membres à situer leur politique de réforme de l’État-providence dans la « perspective de l’investissement social, et non plus de la dépense sociale[21] ». L’approche d’investissement social requière que les « dépenses soient concentrées dans les secteurs où les bénéfices produits contribuent à maximiser la cohésion sociale, et la participation active dans la société et le marché du travail […] Comme avec tout investissement, une telle approche implique une vue à long terme des coûts et bénéfices, cela implique également plus d’investissements dans les enfants […] de même que l’enrichissement du capital humain durant tout le cycle de vie productif[22] ». Puisque les résultats que l’investissement social est censé produire se situent dans le futur, les enfants, en tant que futurs travailleurs, sont au centre des scénarios imaginés par la « troisième voie [23] ». Les enfants sont importants parce que la formation du capital humain est importante. Ou comme G. Esping-Andersen le soutient, « dans une société et une économie axées sur les connaissances, la directive la plus claire à suivre pour la politique sociale est celle-ci : donner la priorité absolue au bien-être et au développement des enfants[24] ».

La Grande-Bretagne

En 1998, le gouvernement de Tony Blair s’est engagé à poursuivre cette priorité après avoir fait paraître un énoncé de politique intitulé les Children Firs dans lequel le premier ministre écrit en préface que « le bien-être de tous nos enfants est au coeur de la réforme de l’État-providence […] Donner aux enfants un bon départ dans la vie est le meilleur investissement que le gouvernement peut faire[25] ». En Grande-Bretagne, la lutte à la pauvreté infantile est devenue le moteur de la réforme de la politique sociale. En 1999, à l’occasion de la conférence Beveridge, Blair s’est donné comme « mission historique » de faire disparaître la pauvreté infantile partout en Grande-Bretagne dès 2020. Durant son premier mandat, le nouveau Parti travailliste a mis en place différentes mesures pour réaliser cet engagement, dont les plus importantes incluent :

  • le Crédit d’impôt pour les familles en emploi introduit en octobre 1999. Cette nouvelle mesure réduit l’impôt et augmente le salaire des travailleurs ayant des enfants. Ce supplément est octroyé aux bas salariés via leur chèque de paie. Selon les plus récents chiffres du ministère des Finances ( Treasury ), le montant additionnel introduit par cette mesure en termes de dépenses pour les enfants se situe autour de £2 milliards en 2001[26].

  • des hausses de paiements dans la Prestation pour les enfants. Pour le premier enfant, la Prestation est passée de £2.95 par semaine en 1999 à £15 en avril 2000 — une hausse de 36 % depuis 1997. La Prestation pour le deuxième et les autres enfants a aussi été augmenté à £10 par semaine en avril 2000. En termes de dépenses pour les enfants, ces changements représentent un montant additionnel de £1,8 milliard en 2001.

  • le Crédit d’impôt pour les enfants annoncé dans le budget de 1999 pour remplacer la Prestation pour les couples mariés. Le Crédit d’impôt apporté par ce changement est 2,5 fois plus important que la mesure remplacée et s’applique aux familles avec des enfants en bas de 16 ans, environ 5 millions de familles au total. Sa mise en place injecte £1,8 miliard d’argent supplémentaire dans les dépenses pour les enfants.

  • le programme Sure Start adopté en 1999. D’une valeur de £450 millions, ce programme a pour objectif de contribuer au développement physique, intellectuel et social des enfants d’âge pré-scolaire. En juillet 2000, le ministère des Finances a annoncé une somme supplémentaire de £850 millions pour Sure Start au cours des trois prochaines années[27].

  • lancement du Fond pour les enfants en novembre 2000. Le Fond fournit de l’aide et des services aux enfants qui démontrent des signes de difficulté et a pour but de lutter contre l’exclusion sociale des enfants et des familles[28].

  • la création de nouveaux organismes centraux responsables du développement et de la coordination des politiques concernant les enfants. En novembre 2000, le premier ministre a annoncé la mise en place d’une Unité pour les enfants et les jeunes rattachée au Cabinet Office. L’Unité a pour mission de faciliter l’horizontalité en ce qui concerne le programme de lutte à la pauvreté des enfants et s’occupe également de la gestion du Fond pour les enfants. L’Unité se rapporte directement au nouveau ministre pour les enfants et les jeunes et est placée sous la direction d’un nouveau comité du Cabinet sur les enfants et les jeunes.

  • enfin, en avril 2001, peu avant les élections, le ministère des Finances a lancé un processus de consultation pour étudier une nouvelle proposition, la création d’un Fond fiduciaire pour les enfants. Le Fond versera à chaque enfant dès sa naissance une somme de £500 à être placée en fiducie jusqu’à l’âge adulte. Le ministère des Finances prévoit qu’une fois atteint l’âge adulte, la somme pourrait valoir plus de £2000. « Nos enfants de cinq ans sont nos futurs docteurs, infirmières, enseignants, ingénieurs et notre main d’oeuvre future » déclarait le Chancelier Gordon Brown au moment de rendre publique l’annonce du projet de création du Fond fiduciaire pour les enfants. « Pour des raisons à la fois de justice sociale et d’efficience économique, nous devons investir — non seulement dans quelques enfants — mais investir, comme nous le proposons aujourd’hui, dans le potentiel de tous nos enfants [29] ».

Le Canada

Le Plan d’action nationale pour les enfants est au coeur du processus de transformation de l’État-providence canadien. Le Plan d’action est une initiative conjointe du fédéral et des provinces — à l’exception du Québec — menée par le Conseil fédéral-provincial-territorial sur la refonte des politiques sociales. Le Conseil a été mis sur pied en 1996 à la rencontre des premiers ministres, après la conclusion d’une entente visant à faire de la lutte à la pauvreté un objectif prioritaire de tous les gouvernements au Canada. Dans le cadre du Plan d’action, les mesures suivantes ont été adoptées depuis 1998 :

  • la Prestation nationale pour enfants, instaurée conjointement par les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux en 1998. Son but est de prévenir et de réduire la pauvreté chez les enfants et d’aider les parents de familles à faible revenu à entrer sur le marché du travail et à y rester. Dici 2004, Ottawa aura dépensé environ 9 $ milliards pour la Prestation, ce qui représente une augmentation de 3,3$ milliards ou de 58 % depuis la mise en place de la réforme en 1998.

  • l’Entente sur le développement de la petite enfance conclue en septembre 2000, dans laquelle le gouvernement fédéral s’est engagé à injecter 2,2$ milliards pour les quatre prochaines années.

  • extension de la durée du congé de maternité et du congé parental dorénavant porté à un an par rapport au maximum précédent de six mois. Cette modification est censée profiter à quelque 150000 familles par année et représenter un coût annuel approximatif de 900$ millions[30].

  • mise en place de nouveaux organismes de coordination pour le développement du Plan d’action nationale pour les enfants. Au fédéral, un comité interministériel portant le nom de « Groupe de travail sur l’investissement dans l’enfance » a été créé en 1999. Ce groupe de travail est composé de sous-ministres adjoints provenant de divers ministères et dont la fonction consiste à soumettre au Cabinet des projets de politiques reliés au Plan d’action. De même, le ministère des Ressources humaines et du développement a mis en place au sein de sa Division de recherche appliquée un nouveau programme de recherche,« Investir dans les enfants et les familles », dont les projets se concentrent sur les enfants vulnérables, la maturité scolaire, les familles uniparentales, et les effets du chômage[31].

L’approche du retrait de l’État providence rencontre la politique de « l’investissement dans l’enfance »

Que peut-on apprendre de l’approche du retrait de l’État-providence lorsque des changements comme ceux discutés dans la partie précédente sont pris en considération? C’est à cette question que sont consacrées les pages suivantes. Mais avant d’expliquer pourquoi cette approche est d’une utilité limitée pour comprendre les réformes que les gouvernements ont récemment entreprises au nom de « l’investissement dans l’enfance », il faut d’abord la décrire, de même que ses postulats et sa méthode.

Le powering et la politique du retrait de l’État-providence

Dans son étude sur la politique sociale en Suède et en Grande-Bretagne, Hugh Heclo a expliqué que le processus de développement des politiques publiques n’était pas simplement qu’une affaire de powering, c’est-à-dire de luttes de pouvoir entre des intérêts sociaux en concurrence pour des ressources rares[32]. Selon H. Heclo, la politique publique implique aussi la résolution de casse-tête ( puzzling ) — réfléchir, apprendre et chercher des solutions aux problèmes complexes auxquels sont confrontés les gouvernements. Depuis quelques années, l’idée de policy puzzling soulignant la dimension cognitive du processus de développement des politiques gouvernementales a donné naissance à une littérature de plus en plus importante sur la notion d’apprentissage politique ( policy learning ) ou social ( social learning ). Peter Hall définit la notion d’apprentissage social comme « une tentative délibérée d’ajuster les buts ou les techniques de la politique publique à la lumière des expériences antérieures et d’information nouvelle de façon à mieux atteindre les objectifs ultimes de la gouvernance[33] ». L’approche de l’apprentissage social se concentre sur les idées, le savoir, et explique les grandes transformations dans l’action publique par le biais des « changements de paradigme[34]  ».

Ainsi, au début des années 1990, alors que des chercheurs comme P. Hall tentaient de décrire les changements dans la politique économique en termes de « changement de paradigme », d’autres comme P. Pierson étaient plutôt préoccupés à montrer que la « nouvelle droite » avaient échoué dans ses tentatives de réduction radicale de l’État-providence[35]. Cet échec fut en grande partie attribué aux contraintes institutionnelles et au pouvoir de mobilisation des intérêts pluralistes attachés aux programmes sociaux développés au cours des « trente glorieuses ». Cherchant surtout à souligner les sources de résistance au changement, les travaux de P. Pierson ont mis en lumière le peu de transformation subi par les États-providences américain et britannique et ce, malgré toute la volonté et les convictions idéologiques de Reagan et Thatcher. Suite à ces recherches, l’inertie de l’État-providence et la continuité des politiques sociales dans le temps sont devenus des thèmes de recherche majeurs dans les années 1990[36].

À quel moment des petites transformations incrémentales et successives peuvent-elles donner lieu à un « grand » changement?

L’approche du retrait de l’État-providence a fortement été influencée par la politique de la « nouvelle droite » des années 1980, mais est-elle toujours aussi pertinente dans le contexte actuel où la « troisième voie » plutôt que la « nouvelle droite » constitue l’idéologie politique la plus en vue en Europe mais aussi au Canada? Les partisans de la « troisième voie » comme Blair, Schroeder et même les libéraux fédéraux n’ont pas été élus sur une plate-forme de réduction et de retrait de l’État-providence. Ils ont promis de réinventer, de ré-organiser l’État-providence, et non pas de le réduire à une peau de chagrin. Bien sûr, les partisans plus à gauche adoptent une attitude souvent méfiante et très sceptique à l’égard de telles promesses. Mais pour les chercheurs s’intéressant à la politique sociale, il n’y a aucune raison valable de ne pas prendre ces promesses au sérieux. Après tout, ceux qui comme P. Pierson et d’autres ont étudié la politique du retrait de l’État-providence n’ont pas questionné le sérieux de Reagan et Thatcher lorsque ceux-ci ont promis de faire des coupes dans les programmes sociaux, pourquoi cela serait-il différent maintenant? Les tenants de la « troisième voie » affirment vouloir moderniser l’État-providence. Leur but déclaré n’est pas de réduire ou d’accroître le coût des programmes sociaux. Il est encore trop tôt pour déterminer si cet objectif sera effectivement réalisé dans le futur. Mais pour le moment, c’est un objectif qui pose problème pour l’approche du retrait qui conçoit l’histoire de l’État-providence seulement à partir d’une opposition binaire entre une politique d’expansion dans l’après-guerre contre une politique de démantèlement à partir des années 1980. Où se situe la reconceptualisation ou la reconfiguration ( policy redesign ) dans cette logique? Comment expliquer les changements qualitatifs dans un modèle équipé pour décrire les changements de nature plus quantitatives définies en termes de croissance ou de réduction?

Dans l’approche du retrait de l’État-providence, l’évolution de la politique sociale depuis les vingt dernières années est marquée par l’incrémentalisme. Mais ceci « soulève la difficile question de comment faire pour distinguer un changement radical d’un ajustement incrémental[37]  ». Dans le monde de la politique publique, la plupart des changements sont de nature incrémentale. Le mot « radical » est souvent utilisé à des fins politiques et doit être constamment traité de façon critique par l’analyste des politiques. Seule une perspective historique de plus ou moins longue durée permet de voir si un changement a été radical ou non. Vu à la lumière du présent, la plupart des changements de politique ont une apparence d’ajustement mineur et d’incrémentalisme. Autrement dit, ceux qui comme P. Pierson étudient la politique du retrait de l’État-providence ont les yeux trop collés à la réalité qu’ils analysent. Ils n’ont pas suffisamment de distance historique pour établir une distinction convaincante entre changement de politique radical ou incrémental. Leur seule mesure de comparaison historique est la période d’expansion de l’État-providence durant les « trente glorieuses ». Mais comme Fiona Ross l’a très justement remarqué, dans l’après-guerre, « la croissance de l’État-providence s’est aussi faite de façon incrémentale… Les États-providences ne se sont pas construits en une décennie ou deux, alors pourquoi supposer qu’ils seront démantelés en une décennie ou deux[38] ? ». Contrairement à une bonne bouteille de vin, l’approche du retrait de l’État-providence semble peu susceptible de s’améliorer avec l’âge. Qu’arrive-t-il lorsque le démantèlement ne semble plus être l’objectif visé? Ou l’État-providence est-il destiné à être la cible d’attaques et de coupes pour toujours, ce que P. Pierson appelle « l’austérité permanente »? Est-il possible que les ajustements mineurs qui, selon P. Pierson, sont désormais les seuls types de changements pouvant être réalisés par les leaders politiques, peuvent, une fois mis ensemble, donner lieu à quelque chose qui ressemblerait peut-être à un changement de paradigme? Voilà le type de questions auxquelles l’approche du retrait de l’État-providence est incapable de répondre étant donné, comme nous le verrons dans la partie suivante, le peu d’importance qu’elle accorde au rôle des idées, au savoir et aux processus d’apprentissage dans le développement des politiques publiques.

Quand la politique publique devient une structure

Pour reprendre les termes de H. Heclo discutés plus tôt, dans la politique du démantèlement de l’État-providence, le processus de développement des politiques constitue une question de powering et non de puzzling. Selon P. Pierson, « dans la politique du démantèlement, les arguments reliés à l’apprentissage politique ( policy learning ) semblent moins applicables. Peu importe la pertinence de ce type d’arguments dans d’autres contextes, leurs effets dans la formation des positions en faveur du démantèlement ont été minimaux[39] ». Il n’est pas tout à fait clair pourquoi P. Pierson pense que la notion d’apprentissage politique ne s’applique pas à la politique du démantèlement. Cela semble en partie relié aux convictions ou à la force idéologique des positions de la « nouvelle droite ». Reagan et Thatcher étaient tellement aveuglés par leur idéologie en faveur du « démantèlement radical de l’État-providence que les leçons tirées des expériences du passé ne les intéressaient pas beaucoup[40] ». En d’autres termes, lorsque l’idéologie est forte, l’apport de l’apprentissage social ou politique est presque nul. Toutefois, et de façon un peu contradictoire, P. Hall soutient que les processus d’apprentissage — le puzzling — ont joué un rôle fondamental dans le passage du keynésianisme vers le monétarisme en matière de politique économique, un secteur de politique qui était pourtant lui aussi soumis à l’influence de Thatcher et de ses profondes convictions idéologiques.

Chez P. Pierson, la politique publique est conçue comme une variable indépendante. Comme il l’écrit « les politiques doivent être vues comme des structures ayant elles-mêmes des conséquences politiques[41] ». Dans cette conception, les politiques publiques sont des structures qui déterminent comment les acteurs sociaux agissent. Bien que les politiques peuvent certainement avoir un effet structurant, leur signification, la façon dont elles sont comprises par les acteurs sociaux, n’est jamais complètement donnée à l’avance. Comme la recherche sur la mise en place des politiques ( policy implementation ) le montre clairement, la même politique peut vouloir dire plusieurs choses pour différents acteurs parce que les choix se font presque toujours dans des conditions d’incertitude et de rationalité limitée. En ne tenant pas compte des processus par lesquels les acteurs confèrent des significations aux politiques gouvernementales, l’approche du retrait de l’État-providence accorde un pouvoir de causalité plus grand aux structures plutôt qu’aux acteurs. Elle ne prend pas en considération ce que Philip Abrams appelait l’aspect bi-dimensionnel ( two-sidedness ) du monde social[42]. Autrement dit, c’est une approche qui n’arrive pas à concevoir les changements de politiques en termes d’une relation entre des possibilités structurelles et le pouvoir d’agir ( agency ) des acteurs sociaux.

L’apprentissage social et la reconfiguration de l’État-providence

L’hypothèse avancée dans ce texte est que les processus d’apprentissage, de même que le rôle des idées et du savoir sont plus importants que ne l’a prétendu P. Pierson parce que la situation actuelle ne correspond pas à sa conception de l’histoire récente de l’État-providence, divisée selon une opposition binaire entre croissance et réduction. Bien sûr, le genre de changements que ce texte associe à la politique de « l’investissement dans l’enfance » représentent peut-être aux yeux des tenants de l’approche du retrait rien d’autre que des ajustements de nature incrémentale et montrent donc, comme ils le prétendent, qu’il est en réalité toujours impossible d’entreprendre des réformes radicales de l’État-providence. Le problème dans cette logique est que l’option du changement radical ne constitue pas une catégorie empirique. C’est un épouvantail que l’approche du retrait utilise pour valider sa thèse sur le caractère inamovible de l’État-providence. Comme personne ne peut montrer que des changements radicaux ont effectivement été mis en place, la politique du démantèlement apparaît ainsi validée puisque non-falsifiée. Mais « l’élastique » de l’approche du retrait s’étire-t-il infiniment? À quel moment l’impact cumulatif d’une succession de petits changements peut-il donner lieu à une transformation plus substantielle? Essentiellement, lorsque le tout devient plus que la somme de ses parties. En d’autres mots, lorsqu’un paradigme plus ou moins cohérent commence à prendre forme. Évidemment, l’apparence de cohérence du paradigme constitue en grande partie une construction politique. Construire de la cohérence à partir d’une série de petits changements disjoints requière, en premier lieu, une certaine distance historique. Maintenant, plus de vingt ans après l’émergence de la « nouvelle droite », cette distance historique existe réellement. Et en second lieu, cela nécessite aussi des intérêts politiques, semblables à ceux que l’on trouve dans la dynamique des réalignements partisans, lorsque des partis du centre (les libéraux au Canada) et du centre-gauche (les travaillistes en Grande-Bretagne) adhèrent largement aux principes du conservatisme fiscal de la « nouvelle droite », mais se trouvent néanmoins soumis à de fortes pressions internes pour mettre de l’avant des projets où les questions de justice sociale occupent encore une certaine importance. Cependant, comme nous le verrons ci-dessous, de telles possibilités sont fortement façonnées par un autre facteur : le type de régime d’État-providence.

La pauvreté infantile dans les régimes libéraux d’État-providence

De toutes les études comparées sur la pauvreté des enfants une chose ressort clairement : c’est dans les pays que G. Esping-Andersen place dans la catégorie de régimes d’État-providence dits « libéral » que ce problème est de loin le plus fort. Les régimes libéraux (États-Unis, Grande-Bretagne, Canada) ont des taux de pauvreté infantile beaucoup plus importants que les régimes conservateurs (Allemagne, France) et sociaux démocrates (les pays scandinaves). Ceci montre bien que les néo-institutionnalistes comme P. Pierson ont en général tout à fait raison de dire que la « politique publique façonne la politique ». La politique sociale libérale ne créée pas, par elle-même, le « problème » de la pauvreté infantile mais elle fournit très certainement les conditions institutionnelles et politiques pour faire de cette question un « événement focalisateur » ( focusing event ) dans la politique publique[43]. Le problème de la pauvreté infantile est plus sérieux dans les régimes libéraux où les bénéfices sociaux sont comparativement plus bas et où le degré de « dé-marchandisation » est faible[44]. La pauvreté des enfants est un problème global qui a de multiples sources. Mais c’est surtout dans les pays libéraux anglo-américains que ceci est devenu depuis quelques années un enjeu prioritaire de la politique sociale[45]. La pauvreté des enfants n’est cependant pas un problème nouveau dans ces pays et a longtemps été la cible de l’action d’organisations et de mouvements sociaux préoccupés par le bien-être des enfants. En Grande-Bretagne comme au Canada, les organismes de charité et les sociétés d’aide à l’enfance, de même que les mouvements maternalistes et pro-natalistes, ont longtemps été actifs dans la promotion de la santé et du bien-être des enfants[46]. Mais au cours du xxe siècle, et surtout avec la croissance durant les « trente glorieuses », la pauvreté infantile a diminué dans la plupart des pays industriels[47]. Bien sûr, elle n’a pas disparu. Mais après la guerre, les sociétés d’aide à l’enfance et les autres organisations sociales impliquées dans la lutte contre la pauvreté à l’intérieur des frontières de leur propre pays, ont peu à peu commencé à orienter leur action vers la scène internationale, alors que les Nations Unies créait l’UNICEF en 1946 pour promouvoir les questions reliées à l’enfance[48].

La scène canadienne

L’UNICEF a joué un rôle de catalyseur pour les questions reliées à l’enfance tant au niveau international que national. Au Canada, le débat sur la pauvreté des enfants a largement été inspiré par des politiques internationales comme l’Année internationale de l’enfant en 1979 et la Charte sur les droits de l’enfant des Nations Unies mise de l’avant en 1989[49]. En réponse à l’adoption de la Charte, la Chambre des communes du Canada a unanimement voté une résolution en 1989 par laquelle tous les députés se sont engagés à mettre fin à la pauvreté des enfants en l’an 2000. En plus des pressions provenant de la scène internationale, le gouvernement canadien a aussi dû faire face aux résultats d’études comparatives, comme celles réalisées à partir des données du Luxembourg Income Study, montrant que le Canada avait un des taux les plus élevés de pauvreté infantile parmi les pays développés[50]. Ces résultats ont par la suite été présentés lors d’apparitions devant des comités parlementaires par le Conseil canadien du développement social (CCDS) dans The Canadian Fact Book on Poverty, une série de publications que le CCDS fait paraître depuis la fin des années 1970[51].

Le CCDS est un organisme à but non-lucratif créé dans les années 1920 qui produit de la recherche et de l’information sur l’emploi, la pauvreté, le bien-être des enfants et la politique sociale. Depuis les années 1980, les données provenant des études du CCDS ont été largement utilisées par des groupes de lutte à la pauvreté, comme l’Organisation nationale anti-pauvreté (ONAP) et le Child Poverty Action Group (CPAG). L’ONAP fut créée en 1971 et le CPAG en 1986 à Toronto. Comme son homologue britannique (discuté dans la section suivante), le CPAG fut mis sur pied pour sensibiliser l’opinion publique au problème de la pauvreté des enfants. La mobilisation et la construction de coalitions et de réseaux d’alliances avec d’autres organismes sociaux ont été au centre des activités du CPAG. Par exemple, en 1988, le CPAG contribuait à la formation de la Coalition contre la pauvreté des enfants (CCPE). Cette coalition était composé d’organismes tels que le CCDS, le Conseil canadien pour l’enfance et la jeunesse, l’Institut Vanier pour la famille et l’Institut canadien sur la santé infantile[52]. Dès sa naissance, la Coalition a mis sur pied une campagne active de lobbying à l’intention des parlementaires à Ottawa et l’adoption en 1989 de la résolution unanime pour enrayer la pauvreté des enfants dès l’an 2000 est ensuite devenue le point focal de son action. En 1991, la Coalition se transforma en Campagne 2000, une association pancanadienne, constituée de plus de 85 organismes nationaux et communautaires, dont l’objectif est de faire respecter la résolution d’éliminer la pauvreté infantile au Canada[53].

Durant la fin des années 1980 et le début des années 1990, tant et aussi longtemps que le déficit fut au coeur des préoccupations des gouvernements, les percées politiques du mouvement de lutte à la pauvreté sont demeurées modestes. Mais vers la fin des années 1990, alors que la situation fiscale du gouvernement fédéral s’améliore, une convergence d’opinions de plus en plus forte se développe quant à l’utilisation des surplus budgétaires entre les militants de la lutte à la pauvreté infantile et un nombre croissant de députés du parti libéral à Ottawa[54]. Comme mentionné plus tôt, c’est en 1996 que le premier ministre fédéral et ses homologues provinciaux décidèrent de faire de la lutte à la pauvreté des enfants une priorité nationale et que fut peu après mis en place le Plan d’action nationale pour les enfants (PANE). Selon le gouvernement fédéral, la nécessité d’adopter le type de mesures proposées par le PANE se justifie par « les preuves indéniables, notamment dans la recherche scientifique, qui montrent que les expériences vécues par les enfants lorsqu’ils sont très jeunes ont une influence sur leur santé et leur bien-être durant toute leur vie. La science a prouvé ce que nous savions déjà intrinsèquement : les enfants en santé deviennent des adultes épanouis, qui réussissent et qui façonneront notre avenir[55] ». La « science » à laquelle Ottawa fait référence dans sa description du PANE et qui alimente maintenant la plupart des nouvelles initiatives en matière de petite enfance, provient de la neurobiologie, de la psychologie du développement, et de la recherche récente sur la santé des populations[56]. Comme un observateur l’a récemment noté :

on a redécouvert chez les décideurs le rôle de la petite enfance comme déterminant à long terme de la santé, du bien-être et de la compétence, et ce, parce que les problèmes de développement des jeunes enfants ont commencé à être exprimés dans un vocabulaire crédible pour la société moderne — celui de la science. Les récentes réflexions issus de la neurobiologie, de la psychologie et des études longitudinales sur les jeunes donnent de la crédibilité à des notions longtemps considérées comme allant de soi. Il s’est alors créé pour les enfants un réseau d’alliés dont la crédibilité s’étend jusqu’aux cénacles, lesquels sont inaccessibles aux défenseurs traditionnels des enfants et aux organismes antipauvreté[57].

Depuis sa fondation, le Canadian Institute for Advanced Research (CIAR) a joué un rôle de premier plan dans la production et la diffusion des connaissances sur l’importance des premières années de la vie. Le CIAR est un prestigieux think tank créé à Toronto en 1982 par un groupe de chercheurs universitaires et par des individus issus du monde des affaires. Fraser Mustard, le fondateur du CIAR et scientifique de renom, a été décrit comme un « activiste intellectuel » qui a longtemps été impliqué dans la recherche médicale et neurobiologique sur la santé des enfants. À la tête du CIAR, Mustard a agit comme un « entrepreneur de politique » ( policy entrepreneur ) et établit plusieurs canaux de communication avec les décideurs politiques du fédéral et des provinces dans la diffusion des connaissances sur l’importance d’investir dans les premières années de la vie. Par exemple, en 1995 Mustard fit une présentation au caucus du Parti conservateur ontarien quelques mois avant l’élection du gouvernement de Mike Harris. Mustard fut peu après nommé par Harris au Conseil du renouvellement économique du premier ministre, où il dirigea une étude commandée par le leader conservateur sur le développement de la petite enfance. Publiée en 1999, L’Étude sur la petite enfance propose une ambitieuse stratégie où « l’accent doit absolument être mis sur les premières années du petit enfant, pour que l’Ontario soit doté d’une population hautement compétente et scolarisée, qui pourra contribuer pleinement à la nouvelle économie mondiale[58] ».

L’Étude sur la petite enfance a nécessité la participation de plusieurs experts et d’organismes communautaires et gouvernementaux, tel que Statistiques Canada et le ministère fédéral du Développement des ressources humaines (DRH). L’étude repose en partie sur les données de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ). Lancée en 1994 et financée par Ottawa, l’ELNEJ est l’étude longitudinale la plus importante jamais menée au Canada. Sa gestion est placée sous la responsabilité de DRH afin « d’assurer que les données et les résultats de recherche servent à l’élaboration des politiques[59] ». L’ELNEJ vise à établir une base nationale de données portant sur les caractéristiques et les expériences de vie de plus de 22000 enfants et jeunes au fil de leur évolution. Les premiers résultats de l’enquête ont été rendus publics lors de la conférence « Investir dans l’enfance » tenue à Ottawa en octobre 1998[60]. Dans le discours d’inauguration de la conférence, le ministre Pierre Pettigrew déclarait que « [c]eci est une occasion de transformer la recherche en action concrète ». Avec l’ELNJ, ajoutait-il, « notre intention est d’utiliser les connaissances et la recherche pour guider nos choix[61] ».

Quelques mois plus tard, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des services sociaux décidaient, de concert avec leurs homologues de la santé, de faire avancer le plus rapidement possible la composante du Programme d’action national pour les enfants ayant trait au développement des jeunes enfants. En février 2000, le gouvernement fédéral présentait son « budget pour les enfants[62] ». À cette occasion, le ministre des Finances, Paul Martin, annonçait une augmentation de 2,5 $ milliards par année en faveur de la Prestation nationale pour les enfants. En présentant son budget, le ministre invitait également « les provinces et les territoires à se joindre à lui pour élaborer un plan d’action national axé sur le développement des jeunes enfants[63] ». En septembre 2000, une entente fédérale-provinciale sur le développement de la petite enfance était conclue entre Ottawa et les provinces — à l’exception du Québec. Tel qu’indiqué plus tôt, Ottawa s’est alors engagé à fournir 2,2 milliards de dollars sur cinq ans afin d’aider les gouvernements provinciaux et territoriaux à améliorer et accroître leurs programmes et services de développement de la petite enfance. Dans l’entente, les premier ministres énoncent :

leur vision du développement de la petite enfance comme un investissement dans l’avenir du Canada. Le dynamisme social et la prospérité économique de la société canadienne de demain dépendent des possibilités qui sont offertes aujourd’hui aux enfants […]. De nouvelles preuves démontrent que le développement de la période prénatale à l’âge de six ans est rapide et impressionnant, et qu’il détermine les résultats à long terme. Une intervention précoce pour promouvoir le développement de l’enfant au cours de cette période critique peut procurer des avantages durables pouvant s’étendre sur toute la vie[64].

La scène britannique

Quand Blair est devenu chef du parti travailliste en 1994 il s’est efforcé de changer la position de son parti en matière de politiques sociales et économiques, optant pour une approche davantage axée vers le marché. Cette transformation répondait à des exigences surtout électoralistes. Mais comme Desmond King et son collègue l’ont observé, « un élément important du leadership de Tony Blair a été le désir du Labour d’apprendre des expériences des autres pays. Depuis 1994 le parti a été influencé par les développements aux États-Unis[65] ». Dans sa formulation de la « troisième voie », Blair a constamment mit l’accent sur la nécessité pour l’Europe de tirer des leçons des réalisations américaines, surtout quant à la flexibilité accrue de la main d’oeuvre. Bien sûr, les processus d’apprentissage et de transferts de politiques publiques ( policy transfers ) entre la Grande-Bretagne et les États-Unis ne sont pas nouveaux. La proximité idéologique entre Reagan et Thatcher a soutenu ces échanges et avec l’avènement de la « troisième voie » le New Labour a été de plus en plus enclin à se tourner vers la politique publique américaine dans le développement de mesures semblables en Grande-Bretagne[66]. Ceci est particulièrement visible dans un rapport sur la sécurité sociale préparé par la majorité travaillliste au Parlement sur les Lessons Learned from the United States[67], de même que dans un ouvrage édité par Laurence Mead, From Welfare to Work : Lessons Learned from America publié en 1997 par l’Institut d’affaires économiques, un think tank pro-marché situé à Londres. Comme on peut le lire dans l’introduction, la stratégie de réforme de l’État-providence du gouvernement travailliste « doit beaucoup aux perceptions des ministres à l’endroit des réformes aux États-Unis ». Dans un commentaire, Frank Field, le ministre responsable de la réforme de l’État-providence de 1997 à 1999, donne son appui au type de politique de workfare proposée par Mead[68]. L’année suivante, Field lançait son Livre vert sur la réforme de la politique sociale énonçant la politique travailliste de ré-insertion en emploi laquelle promettait, entre autre, de « s’attaquer aux sources de la pauvreté infantile[69] ».

Dans les années 1970, Field fut directeur du Child Poverty Action Group (CPAG), un organisme qui produit de la recherche et qui exerce des représentations auprès du gouvernement autour des questions reliées à la pauvreté des enfants. En Grande-Bretagne, la question de la pauvreté a été définie comme un enjeu concernant les enfants depuis les années 1960 lorsque le CPAG fut fondé suite aux recherches réalisées par Richard Titmuss et ses collègues à la London School of Economics[70]. La LSE a depuis toujours été une source de connaissances et d’idées pour le Parti travailliste, avec lequel l’école entretient depuis sa fondation par les Webb au début du siècle dernier une « relation spéciale[71] ». En décembre 1997, Blair créait l’Unité sur l’exclusion sociale, située au centre de l’appareil décisionnel de Whitehall. Au même moment, la LSE mettait sur pied le Centre pour l’analyse de l’exclusion sociale (CAES) pour étudier les processus et les institutions qui peuvent contribuer à prévenir la marginalisation. Depuis 1997, plusieurs rencontres et séminaires ont eu lieu entre les chercheurs du CAES et les décideurs gouvernementaux. Quelques jours après que Blair ait déclaré son intention d’éliminer la pauvreté des enfants, le Treasury publiait en mars 1999 Tackling Poverty and Extending Opportunity qui affirme que « les graines de la pauvreté sont semées dans l’enfance. Les enfants qui grandissent dans la pauvreté sont beaucoup moins susceptibles de réussir lorsqu’ils deviendront des adultes ». L’analyse et les données sur lesquelle se fondent les recommendations du rapport proviennent d’un séminaire organisé par le Treasury et le CAES. Réunissant décideurs gouvernementaux et universitaires, le séminaire avait pour but de faire le point sur la recherche sur la pauvreté et les inégalités. Plusieurs des études présentées lors de cette occasion s’appuyaient sur les résultats d’enquêtes longitudinales, telles que l’Étude nationale sur le développement des enfants (ENDE). L’ENDE est une enquête qui a suivi le développement d’individus nés en Grande-Bretagne depuis mars 1958 — une cohorte d’environ 17000 personnes. Le but de l’étude est d’améliorer la compréhension des facteurs qui affectent le développement humain sur l’ensemble du cycle de la vie. Les banques de données élaborées à partir de l’ENDE fournissent une montagne d’information sur les effets de la pauvreté infantile sur les chances et les trajectoires de vie subséquentes. Comme l’a reconnu le rapport du Treasury mentionné ci-haut, avec toutes ces données, le gouvernement peut désormais « mieux comprendre les causes de l’inégalité des chances » et « utiliser ceci comme point focal de son intervention ».

Peu après son séminaire avec le Treasury, le CAES faisait partaître Investing in Children, une étude comparée qui passe en revue la recherche récente sur la neurobiologie et l’importance des premières années de la vie. L’étude demande aux décideurs d’augmenter les investissements dans les enfants et cite favorablement un rapport des Conseillers économiques du Président américain, Bill Clinton — The First Three Years : Investments that Pay —, qui affirme que :

Les scientifiques et les éducateurs ont identifié les trois premières années de la vie comme une période où les enfants ont un cerveau fertile. Les efforts pour aider les enfants durant ces années sont particulièrement payants. Parce qu’ils ont des effets durables, les investissements peuvent engendrer des profits très importants. Ils diminuent le besoin pour des interventions plus coûteuses plus tard dans la vie, et ils contribuent à créer des enfants qui deviendront des adolescents et des adultes plus heureux, plus en santé et plus productifs[72].

Les militants et les organismes sociaux de lutte à la pauvreté des enfants ne sont pas restés en marge, et ont eux aussi exercé des pressions sur le gouvernement depuis au moins le début des années 1990. Par exemple, le Forum pour l’éducation à la petite enfance (FÉPE) a vu le jour en 1992 pour « sensibliser le public et influencer la politique gouvernementale dans le secteur de la petite enfance[73] ». Le Forum est constitué d’une coalition d’organismes issus du « tiers secteur », d’associations professionnelles et de représentants des gouvernements locaux. Sur le plan organisationnel, le Forum est rattaché au Bureau national de l’enfance (BNE). Bien qu’à l’origine fondé en tant qu’institut de recherche scientifique, le BNE s’est transformé en 1963 en think tank voué à la promotion des enjeux reliés au développement de la petite enfance. Le BNE possède une Division de la recherche qui agit en tant que consultant auprès du gouvernement en matière d’évaluation de programmes. Comme on peut le lire sur son site Internet, le BNE « travaille étroitement avec plusieurs ministères et organismes gouvernementaux[74] ». Le Bureau est activement engagé dans la dissémination des résultats de recherche sur la petite enfance par le biais de publications et la tenue de séminaires réunissant scientifiques et décideurs gouvernementaux. De plus, le BNE fournit régulièrement des conseils et des avis au Groupe parlementaire pour l’enfance, un regroupement non-partisan d’environ 140 députés et Lords issus de toutes les formations politiques qui se rencontre une fois par mois pour discuter de questions touchant à l’enfance. Le BNE est aussi un membre fondateur du Groupe d’action pour mettre fin à la pauvreté infantile, une coalition de groupes et de citoyens mit sur pied à la fin des années 1990 afin d’élargir et consolider le soutien public en faveur des programmes de lutte à la pauvreté des enfants. Le Groupe d’action est constitué d’organismes comme l’Association britannique pour l’éducation à la petite enfance. Wendy Scott, directrice de l’Association, fut nommée en 1999 conseillère pour la petite enfance auprès du ministère de l’Éducation.

Depuis son élection en 1997, le gouvernement Blair a fortement encouragé la participation d’experts externes au gouvernement dans le processus d’élaboration des politiques. En 1999, le Cabinet Office faisait paraître un Livre blanc sur la modernisation du gouvernement[75]. Mettant l’accent sur le « partenariat » et le besoin de faire davantage appel aux experts provenant de l’extérieur de la fonction publique, le Livre blanc souligne l’importance « d’apprendre des leçons des autres pays, et d’intégrer les dimensions européennes et internationales dans l’élaboration de nos politiques ». Suite à la publication du Livre blanc, le Centre pour l’étude des politiques fut créé au sein du Cabinet Office. Le Centre est dirigé par Ron Amman, ancien directeur du Conseil de recherche en sciences sociales et économiques (CRSSE). Au CRSSE, Amman était un ardent promoteur de la politique fondée sur les faits ( evidence-based policy-making ). Sa mission au Centre est de fournir « une fenêtre située au coeur du gouvernement sur les meilleurs idées nouvelles de la communauté universitaire [76] ».

Discussion et comparaison

Il est difficile d’ignorer les processus d’apprentissage en étudiant la politique sociale dans la période actuelle parce que la « troisième voie » est elle-même un exercice d’expérimentation idéologique. Selon Ruth Lister, l’idée de « pragmatisme idéologique » convient bien au New Labour dont le slogan est « ce qui compte est ce qui marche » ( what matters is what works )[77]. Bien sûr, l’idée de se présenter comme étant pragmatique ou non-idéologique est en soi un geste profondément politique. Mais pour les décideurs faisant appel aux vertus du pragmatisme, il est néanmoins important de projeter une image dé-politisée du processus d’élaboration des politiques publiques : une image de la « politique fondée sur les faits » comme ceci est maintenant décrit dans le vocabulaire de Whitehall.

Une autre raison pour prendre plus au sérieux la dimension coginitive du processus d’élaboration des politiques — du policy puzzling pour reprendre les termes de H. Heclo — concerne la nature des acteurs qui font présentement l’objet d’attention dans la réforme de l’État-providence : les enfants. Les enfants ne sont pas politiquement controversés. Dans leur cas, le besoin d’établir des compromis politiques entre intérêts divergents n’est pas aussi important, puisque personne ne veut être vu comme étant « contre » les enfants. Comme P. Pierson l’a lui-même reconnu, les processus d’apprentissage social sont plus importants à l’endroit de questions « qui sont coupées des grands conflits politiques[78] ». Au Canada, c’est une motion unanime de la Chambre des communes qui, à l’origine, a donné le coup d’envoi aux événements qui ont donné lieu au Plan d’action nationale pour les enfants. De même, en Grande-Bretagne la création du Groupe parlementaire pour l’enfance indique également que les politiques vouées à l’enfance tendent à transcender les lignes partisanes.

Apprentissage sociale endogène et exogène

Un élément important mis en relief dans la troisième partie du texte est le caractère de plus en plus international des processus d’apprentissage social. C’est un élément que les chercheurs comme P. Pierson ont négligé de prendre en considération lorsqu’on a prétendu que les idées ou les dimensions cognitives avaient été éclipsées par l’esprit partisan ou l’idéologie dans la politique du retrait de l’État-providence. Le problème est que P. Pierson utilise une conception très étroite de l’apprentissage en politique publique, qu’il conçoit plus ou moins de la même façon que l’évaluation de programme. L’évaluation constitue certainement un exercice d’apprentissage. Mais ce n’est qu’un type d’apprentissage parmi d’autres. Dans le passé, l’évaluation de politiques était surtout réalisée à l’interne, par les gouvernements eux-mêmes. Et quand le gouvernement est lui-même le principal producteur de connaissances quant au rendement de ses programmes, ministres et bureaucrates ont en général un contrôle plus grand sur les processus d’apprentissage en matière de politiques publiques[79].

Mais en ce qui concerne la pauvreté infantile, une part importante de la recherche qui a animé le débat au Canada et en Grande-Bretagne est venue de l’extérieur du gouvernement, d’organismes sociaux nationaux utilisant souvent des données produites au niveau international. L’apprentissage qu’ont pu faire les décideurs gouvernementaux quant aux effets de la politique sociale libérale a en partie été rendue possible par le travail d’organismes issus de la société civile, comme le Conseil canadien du développement social ou le Child Poverty Action Group en Grande-Bretagne. C’est un apprentissage qui n’est pas seulement le produit de l’évaluation de programmes réalisée à l’intérieur du gouvernement lui-même. C’est une forme d’apprentissage qui inclut aussi le savoir produit par des organismes sociaux situés à l’extérieur du gouvernement. Autrement dit, la notion « d’investissement dans l’enfance », qui tire ses origines dans le débat des années 1980 autour de la pauvreté infantile, est dans une large mesure le produit de processus d’apprentissage exogène plutôt que strictement endogène. L’apprentissage en matière de politiques peut se faire de façon endogène ou exogène[80]. Cela peut être le fruit d’un processus issu de l’environnement social qui s’impose plus ou moins fortement aux décideurs gouvernementaux. Ou cela peut provenir de l’intérieur du gouvernement lorsque les décideurs cherchent à ré-orienter ou à adapter leurs politiques à la lumière des expériences ou des leçons tirées du passé. Le type d’apprentissage qui, selon P. Pierson, n’a joué aucun rôle dans la politique du retrait de l’État-providence est essentiellement endogène, alors que le type décrit dans ce texte est surtout exogène. Bien qu’elles ne peuvent pas toujours être facilement séparées, il est néanmoins utile sur le plan analytique de faire la distinction entre ces deux formes d’apprentissage. L’apprentissage endogène est plus technique, s’intéresse davantage aux instruments et correspond à ce que Richard Rose appelle le lesson-drawing[81]. Le second type est beaucoup plus près de ce que H. Heclo et P. Hall appellent « l’apprentissage social », un processus qui prend place à l’extérieur des sites formels d’élaboration des politiques et qui affectent les objectifs et les principes de la politique. Dans ce cas, l’apprentissage ne concerne pas seulement les bureaucrates et les politiciens, mais s’étend de façon plus large aux acteurs de la société civile.

L’apprentissage exogène s’apparente également au learning from others[82], ou ce que la littérature décrit sous le vocable de « transfert de politiques » ( policy tranfer )[83]. Ce type de tranfert n’est évidemment pas nouveau. Mais les progrès rapides dans les technologies de l’information, de même que le nombre accru d’organismes internationaux ont rendu ce genre de phénomène beaucoup plus important qu’auparavant. De nos jours, des organismes comme l’OCDE ou l’Union européenne disposent d’importantes capacités de recherche et de diffusion des connaissances. Des projets de recherche internationaux comme le Luxembourg Income Study (LIS) qui regroupent plus de 25 pays répartis sur quatre continents ont grandement contribué par leurs études et leurs activités de diffusion à faire de la pauvreté des enfants un enjeu prioritaire de la politique gouvernementale[84]. Depuis les 20 dernières années, le LIS a amélioré les possibilités pour les États d’apprendre de l’expérience des autres à cause de sa méthode reconnue de mesure et de comparaison de la pauvreté entre les pays.

Conclusion

La notion de « l’investissement dans l’enfance » vient des connaissances produites par les experts provenant de disciplines variées et intéressés à étudier différents changements sociaux reliés, entre autres, au marché du travail, à la structure familiale, au cycle de vie et aux relations entre les sexes. De nouvelles connaissances se sont également développées autour des donnés récentes issues d’études longitudinales sur le développement de l’enfant. Évidemment, les données ne parlent jamais d’elles mêmes — du moins en politique — et les chercheurs impliqués depuis les dernières années dans tout le processus de réflexion et de « résolution de casse tête » ( policy puzzling ) en matière de politique sociale ont souvent interprété les résultats obtenus par la recherche de différentes façons. Mais malgré ces différences, leurs opinions tendent de plus en plus à converger autour d’une stratégie de renouvellement de l’État-providence centrée sur l’enfant. Pour les chercheurs dans le domaine de la santé, pour les économistes travaillant sur les questions de capital humain, pour les spécialistes de l’éducation qui cherchent à améliorer les capacités pour l’apprentissage tout au long de la vie, et mêmes pour les démographes préoccupés par la dénatalité et la durabilité fiscale des programmes sociaux dans l’avenir, la focalisation sur les premières années de la vie constitue une stratégie de politique optimale pour l’État-providence post-industriel.

Mais même si les experts pensent avoir trouver une façon techniquement efficace d’aborder toute une série de problèmes sociaux, les idées, les théories, ou les modèles — même lorsqu’ils sont bons — ne sont pas toujours traduit en politique publique. Pour être transformées en programmes d’action concrets, les idées doivent « s’accrocher » à la politique, à la mobilisation du soutien pour la politique gouvernmentale[85]. Et quand cette « accrochage » est réussie, des changements importants dans la politique sont susceptibles de voir le jour. Bref, si la notion de « l’investissement dans l’enfance » est maintenant devenue incontournable dans la politique sociale britannique et canadienne, cela est en partie due à au moins deux facteurs. D’abord, à la crédibilité scientifique accrue des questions reliées à la petite enfance et à l’attrait de cette notion comme stratégie politique pour forger de nouvelles coalitions sociales — du type de celles recherchées par les leaders de la « troisième voie ».

Cette conclusion nécessite une dernière observation. Même si dans les pages précédentes l’accent a été mis sur le rôle de l’apprentissage social pour rendre compte des changements de politiques publiques, il est important de reconnaître — comme nous venons de le faire — que la politique, ce que H. Heclo appelle le powering, n’est pas absente des stratégies actuelles de construction d’une approche centrée sur l’enfant pour renouveller la politique sociale. L’objectif a plutôt été de montrer comment la recherche sur le retait de l’État-providence avait, dans les mots de P. Pierson, « accordée peu d’importance au rôle indépendant des idées et des processus d’apprentissage[86] ». Au lieu de choisir comme P. Pierson l’a fait entre le powering et le puzzling nous avons plutôt suivi le conseil de H. Heclo et tenter d’analyser la politique de « l’investissement dans l’enfance » à partir de ces deux dimensions. Ceci est vraisemblablement un conseil qui a été oublié par la recherche sur le retrait de l’État-providence.