Zeitschrift für Sozialforschung

Volume 5, Issue 2, 1936

Max Horkheimer
Pages 161-234

Egoismus und Freiheitsbewegung
Zur Anthropologie des bürgerlichen Zeitalters

In modern literature on the nature of man, we find two main trends : a pessimistic and an optimistic interpretation. Superficially they appear to be mutually exclusive. The first, which usually accepts Machiavelli as its authority, represents human beings as fundamentally evil ; the second, of which Rousseau is the outstanding exponent, depicts man as good by nature. The author demonstrates that both trends are identical in one fundamental aspect, namely that they reject an entire set of impulses comprehensively defined as egoistic. A scale of values that counsels an amenable attitude and consideration of one's neighbor and the public weal, and rejects all egoistical indifference, conditions the practical and theoretical morals of the times. The picture of man inherent in such conceptions does not, however, conform to reality. Endeavoring to explain the obvious contradiction between reality and the moral attitude in modern times, the author analyses the social-psychological situation as evidenced in several outstanding historical events. The Roman revolt of Cola di Rienzo, the movement of Savonarola, the Reformation and the French Revolution, which are described as typical, reveal distinct similarities. Rural and urban masses, whose situation has become unbearable, slide off in a revolutionary direction. This movement is then channelled off by the propertied classes in such a way as to permit them to effect the changes they want in administration, in political, legal and religious institutions. Those impulses of the masses which transgress such demands are diverted into an inner spiritual revival. This accounts largely for the similarities of such events. From such conceptions, the author develops the significance of the modern leader, the endowment of him with magic qualities, the importance of symbols and festivities, the significance of speech, the ever-recurring cry for a revival of the soul, the substitution of new for old „elites“, religious devotion, and the anchorage of poverty in the eternal essence of things. While these phenomena occupy the foreground of the scene in such movements as those described, they are also effective in everyday life. In this way, the function of the moral ideal in incorporating the masses into the framework of existing society is revealed. Asceticism, which is closely connected with these phenomena, during the entire period of individualism has exercised a potent civilizing function, and has contributed towards the development of those human and objective elements necessary for the attainment of a higher historical level. An integral part of the social mechanism of the modern epoch is the process of turning the flow of life inward into a purification of the soul. On the other hand, the depreciation of the individual's happiness, which is reflected in the moral ideal and which, under the ruling social conditions is confirmed daily through the insecurity of life, brings forth a general nihilism which finds expression in the indifference and coolness of human beings towards each other, as well as in various manifestations of barbarism in this epoch. The author maintains that selfishness as a general characteristic of the modern type of man may be traced directly to the social structure, which implies the isolation of the individual. His analysis of the historical events is intended to make the connection more concrete. Thus the study attempts to contribute towards an understanding of the present, in demonstrating that some of its terrifying psychological phenomena are not isolated and accidental, but related to the entire history of the epoch. Dans la littérature anthropologique des temps modernes, on distingue parfois deux tendances, Y une pessimiste et l'autre optimiste. La première, que Ton rapporte généralement à Machiavel, considère l'homme comme essentiellement mauvais ; pour l'autre, dont Rousseau est un représentant typique, l'homme est à l'origine bon. Horkheimer montre que les deux tendances se rencontrent en un point capital : elles rejettent une série d'impulsions naturelles que l'on peut d'un mot désigner comme égoïstes. L'anthropologie, la morale de cette époque posent comme évidente une certaine échelle des valeurs, elles réservent les éloges à une mentalité sociale faite de dévouement au prochain et à la communauté et condamnent tout égoïsme décidé à s'affirmer sans égard à autrui. Cependant ce modèle de l'homme se trouve être en opposition flagrante avec la réalité. Pour expliquer cette tension entre l'être réel et l'idéal de l'homme, H. analyse la situation psychologique et sociale lors de certains événements historiques. La révolte romaine de Cola di Rienzo, le mouvement de Savonarole, la Réforme et la Révolution française, que H. considère comme typiques, présentent certaines analogies. Des masses paysannes et urbaines, dont la situation est devenue insupportable, passent à un mouvement révolutionnaire. Ce mouvement est détourné dans une direction favorable aux classes possédantes par ces classes elles-mêmes, qui utilisent la révolte en vue de revendications bourgeoises, telles que réorganisation administrative, réorganisation des formes politiques, juridiques et religieuses. Dans la mesure où les aspirations des masses vont au delà de ces revendications, ces aspirations sont orientées vers un renouvellement moral et spirituel — elles sont intériorisées. Ainsi s'explique la similitude observée dans le dynamisme de ces événements. H. étudie surtout le rôle du chef bourgeois, les qualités magiques qu'on prête à sa personnalité, l'importance des symboles et des fêtes, la signification du discours, l'appel à la rénovation intérieure, la relève des vieilles élites par des élites nouvelles, l'émotion religieuse, la justification de la pauvreté comme inhérente à la nature éternelle des choses. L'étude de tous ces phénomènes, qui sans doute apparaissent plus nettement dans les révoltes de l'époque bourgeoise, mais qui n'en sont pas moins efficaces dans ce qu'on appelle la vie quotidienne — cette étude montre la fonction que remplit le modèle moral dans l'intégration des masses à la société existante. Le sentiment ascétique, lié à ce modèle, a exercé une puissante action civilisatrice à travers toute l'époque de l'individualisme, et il a contribué à l'évolution matérielle et humaine vers un niveau historique supérieur. L'intériorisation appartient aux mécanismes sociaux de l'époque bourgeoise. D'autre part, le sentiment, impliqué par cet idéal, que le bonheur personnel a peu de prix, sentiment, au reste confirmé chaque jour par l'incertitude de la vie dans les conditions sociales existantes, mène à un nihilisme universel, qui s'est manifesté aussi bien dans la froideur et l'indifférence des hommes les uns à l'égard des autres que dans certains phénomènes de barbarie de cette époque. D'après H., l'égoïsme dans le caractère du type moderne de l'homme, s'explique immédiatement par une structure sociale qui comporte l'isolement de l'individu ; les événements historiques qu'il analyse devraient cependant servir à rendre cette explication plus concrète. Ainsi l'étude veut contribuer à ce que le présent et ses terribles phénomènes psychiques n'apparaissent plus comme isolés et, pour ainsi dire, accidentels, mais s'insèrent au contraire dans l'ensemble historique que représente notre époque.