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L’innovation en agronomie, perspective historique et horizons d’avenir

Introduction de la séquence

Antoine Messéan*

*Président de l’Afa

https://doi.org/10.54800/iad059

Comment célébrer cet anniversaire de la disparition d’Olivier de Serres sans évoquer l’innovation ou les innovations, tant elles ont accompagné et sont intimement liées à l’évolution de l’agriculture depuis son époque ?

Les troisièmes entretiens du Pradel en 2004 avaient été entièrement consacrés à la thématique « Agronomes et innovations » : comment les agronomes contribuent-ils au processus d’innovation et quel rôle doivent-ils jouer ? (Agronomes et innovations : actes du colloque des 8-10 septembre 2004, éditions L’Harmattan). On se trouvait alors dans un contexte de remise en cause des innovations technologiques à la suite de l’épisode de la « vache folle » ou le développement controversé des organismes génétiquement modifiés (OGM) qui illustrait de façon exemplaire l’émergence de l’innovation dans le débat public. Alors qu’une conception presque exclusivement linéaire de l’innovation avait prévalu au sortir de la deuxième guerre mondiale, la ré-émergence d’un modèle « tourbillonnaire » où les innovations apparaissent aussi au niveau des agriculteurs et sont combinées avec des connaissances scientifiques devenait de plus en plus visible.  Partie prenante du modèle linéaire, les agronomes s’interrogeaient sur leur rôle, leur mission, leurs démarches et leurs partenariats au niveau de la recherche, du développement et de la formation. Il en est résulté la nécessité d’exercer une plus grande vigilance sur les impacts des innovations à différentes échelles de temps et d’espace, au travers d’un accent marqué sur la prospective, une écoute attentive vers la société et un partenariat étroit avec les sciences sociales.  

 

Le constat de l’évolution des régimes d’innovation depuis le 19ème siècle montre en effet que les régimes d’innovations sont fortement liés au contexte politique, technologique, économique, social et culturel. Que ce soient la place des acteurs, leur nature technologique ou organisationelle, leurs impacts dans l’activité agricole et leur positionnement dans la société et leur perception par les citoyens, les innovations dans le secteur agricole ont toujours été influencées par l’environnement des agriculteurs mais force est de constater que la société civile exerce aujourd’hui un rôle essentiel dans le développement des innovations, que ce soit au travers des ONG et, de plus en plus, des réseaux sociaux.  En même temps, et face aux défis actuels – climatique, sanitaire, environnemental - il n’a jamais été autant question d’innovation de rupture et de transition. Dans ce contexte, les agronomes ont pour devoir de penser dans le temps le terme d’innovations, dans son effet performatif bien sûr, ce qui a toujours été très, et parfois trop, présent, mais aussi dans sa nature, son organisation (les régimes d’innovation, l’agronomie entre science normative et science intégratrice) et dans ses liens aux acteurs de la société (perception de l’innovation).

Interroger l’innovation en agriculture observée sur le temps long permet de sortir de la seule incantation actuelle, celle de la nécessité d’innover à tout prix, afin de survivre ou relever les défis actuels. Il en résulte de nombreuses questions auxquelles les agronomes sont confrontés :

  • Sur les régimes d’innovation :  alors que les agronomes ont parfois été des metteurs au point ou prescripteurs de solutions techniques fragmentaires (à un problème, une solution technique), leur positionnement évolue en accompagnant les agriculteurs dans leurs trajectoires d’innovation, en proposant des démarches et outils de conception innovante, et en accordant un poids accru à l’anticipation et l’évaluation des impacts à différentes échelles afin d’éclairer le choix des agriculteurs ; 
  • Sur la nature des innovations : non seulement les innovations technologiques se diversifient (agriculture connectée, biotechnologies, transition numérique, agro-équipements) mais également les innovations organisationnelles (contractualisation au sein des filières ou des territoires, statut des exploitations, revalorisation d’anciennes pratiques, innovations sociales) ; certaines innovations organisationnelles ou institutionnelles sont plus impactantes que les innovations technologiques pour l’accompagnement de l’agriculture vers les transitions souhaitées ;
  • Sur le poids du régime sociotechnique dans la nature des innovations : la spécialisation des systèmes de production au cours des dernières décennies a progressivement créé un verrouillage du régime sociotechnique : les politiques, les filières, la réglementation mais également le conseil, l’éducation et la recherche se sont organisés autour du modèle dominant, réduisant d’autant l’émergence d’alternatives et la capacité à accompagner les transitions souhaitables ;
  • Sur l’évaluation des innovations avec la nécessité de prendre en compte un ensemble élargi de critères (économiques, environnementaux et sociaux), à différentes échelles de temps et d’espace et tenant compte des préférences souvent contradictoires des acteurs. L’évaluation multicritère, multi-échelles et multi-acteurs permet ainsi, d’une part d’aider au pilotage dynamique des trajectoires d’innovations, et d’autre part d’éclairer les parties prenantes sur les injonctions nécessairement contradictoires quant aux objectifs à atteindre.

Même si, rétrospectivement, les agronomes ont accompagné des modèles agricoles qui paraissent aujourd’hui largement à réinventer, le rôle de l’agronomie reste caractérisé par son souci de transformer le réel dans le contexte du moment et d’appréhender la complexité de ce réel pour le transformer. Cette posture de l’agronomie comme science de l’action, ancrée ici et maintenant, doit toutefois s’accompagner d’une capacité à anticiper les conséquences de cet ancrage dans le réel et le présent, et à penser les futurs possibles.

 

Dans cette session spécifique des entretiens consacrée à l’innovation en agronomie, il s'agissait de questionner, illustrer, donner des éléments conceptuels, afin d’appréhender les dynamiques en cours, les dynamiques passées ou futures, selon des regards différents. A cette fin, il a été choisi de partir d’un sujet à fort enjeu pour l’agronomie et qui permet de traiter les différentes questions évoquées ci-dessus :  le système productif polyculture-élevage. Ce système permet en effet d’avoir à la fois un recul historique sur un temps long (depuis le 19ème siècle), de traiter les différents sujets liés à l’innovation, de montrer comment l’agronomie a traité ce sujet à différentes périodes, et de mettre en perspective des scénarios d’évolution selon les choix de société (selon l’évolution des modes de consommation alimentaire, l’évolution des marchés de produits agricoles, l’évolution des techniques et des pratiques, l’évolution des démarches de développement territorial,…).

La séquence avait donc pour but d’analyser comment les innovations se créent et diffusent dans l’activité agricole, au bénéfice ou non du reste de la société, et de mesurer le rôle que jouent ou peuvent jouer les agronomes et l’agronomie dans ces moments de changements plus ou moins marquants. Elle s’est organisée en trois temps :

1 – Perspective historique sur l’évolution des régimes d’innovation en polyculture-élevage depuis le 19ème siècle ;

2 – Présentation et mise en débat de deux systèmes innovants en polyculture-élevage : organisation de l’association de productions au sein d’une exploitation agricole ; organisation collective des relations entre productions (pâturage des intercultures, échange de matières organiques, …) à l’échelle du territoire ;

3 – Regards croisés de plusieurs disciplines sur la place actuelle et à venir des agronomes dans les évolutions en cours du (ou des) régime-s d’innovations en agriculture.

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