Les récits comme moteurs d’évolution

Changer, comment s'y prendre?

Horizonte
Édition
2020/36
DOI:
https://doi.org/10.4414/bms.2020.19062
Bull Med Suisses. 2020;101(36):1096

Publié le 01.09.2020

Cyril Dion
Petit manuel de résistance contemporaine
Paris: Actes Sud (coll. Domaine du possible); 2018, 151 pages.
Cyril Dion est connu pour le succès de son film Demain (2015), réalisé avec Mélanie Laurent, qui a ­encouragé beaucoup de personnes à entreprendre des démarches dans un sens de durabilité (permaculture, diminution des déchets, etc.).
Très préoccupé par le dérèglement climatique, voire l’effondre­ment écologique, il présente dans ce livre les enjeux et leur importance et s’interroge sur les réponses à apporter. Il commence par brosser la situation actuelle, les signes patents de la dégradation de la planète, la paralysie politique (sic). Parmi d’autres graves anomalies, les flux d’argent: «Globalement, 97% des mouvements d’argent sont spéculatifs pour seulement 3% dans l’économie réelle, les échanges de biens et de riches­ses tangibles.» Il relève les campagnes de «dés­orientation systématique» auxquelles nous sommes soumis dans un monde qui s’accoutume aux fake news.
L’auteur insiste sur la place des récits comme moteurs des évolutions sociétales. ll est impératif de développer des «histoires» (qu’il compare à des «architectures ­invisibles») autres que celles du XXe siècle: Trente ­Glorieuses, «rêve américain», production-exploitation ­irréfléchie des ressources naturelles, consommations à tout crin. Notions du XXe siècle qui ne peuvent tenir que parce que nous leur accordons notre consentement: «Le récit est comme l’eau où nagent les poissons, l’air que nous respirons, nous ne le voyons plus.»
Massivement utilisés dans l’informatique et les technologies, les algorithmes ont envahi notre quotidien et il faut craindre leurs effets discutables: «En plus d’orienter nos clics et nos décisions, les ­algorithmes peuvent nous maintenir dans des ‘bulles affinitaires’ où nous croisons essentiellement ceux qui partagent nos opinions.»
Cyril Dion veut promouvoir le changement par des démarches non violentes: «Les perspectives radicales d’affrontements violents nous conduiraient à reproduire ce que nous prétendons combattre. Il ne s’agit pas de prendre les armes, mais de transformer notre façon de voir le monde.» En partant d’une compréhension partagée des faits, dans quelle perspective globale nos actions s’inscrivent-elles?
Il est fondamental de structurer un projet tangible; à commencer par des objectifs atteignables. Ainsi que le recommande l’éducateur américain Jonathan Kozol: «Choisissez des batailles assez importantes pour compter, mais assez petites pour les gagner.» Il y a ainsi évidemment une place pour les «petits gestes» des ­personnes, des familles, des groupes locaux. L’auteur rappelle les quatre R (réduire, réutiliser, recycler, réparer) et y ajoute ‘louer’ et ‘partager’ – la liste peut être ­allongée.
ll faut ensuite passer à l’étape supérieure: porter les préoccupations aux plus hauts niveaux. C’est dans ce sens qu’agissent des groupes militants comme «Deep Green Resistance» ou Extinction Rébellion. Il s’agit aussi de le faire par les voies et moyens d’un régime ­démocratique. Malgré les freinages ou rejets de certains politiques au niveau national, beaucoup de grandes villes se sont engagées très pratiquement pour répondre aux critères de l’Accord de Paris, aux Etats-Unis et ailleurs.
Il est nécessaire d’agir de manière concrète, sans oublier de se demander pourquoi on le fait: «D’une certaine façon, la question qui nous occupe est infiniment spirituelle. Quel sens donnons-nous à notre présence sur cette planète? Pourquoi nous avoir donné la capacité de vivre en sachant que nous allons mourir?» L’étude du vivant plonge beaucoup de scientifiques dans un abîme de mystère et d’émerveillement: «Des travaux nombreux mettent en lumière les bienfaits d’un arrêt délibéré de notre ‘machine automatique à penser’; de la possibilité de nous plonger dans l’instant présent, que ce soit à travers la respiration, la méditation, la marche…»
Structuré, l’ouvrage de Cyril Dion construit son contenu de données et son argumentation pas à pas. Il brosse des perspectives tout en mettant en garde contre les illusions et apporte des conseils tactiques et stratégiques. Pour l’auteur, une question à se poser chaque fois que nous entreprenons, achetons, nous déplaçons, faisons des travaux domestiques: «Quel en est l’impact sur la nature et sur les autres êtres huma­ins.»
jean.martin[at]saez.ch