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- 2 OCDE (2005). Le rôle crucial des enseignants. Attirer, former et retenir des enseignants de qualit (...)
1Les conséquences d’un déficit de bien-être psychologique dans la profession enseignante sont régulièrement mises en évidence : stress, burn-out, dépression… Ce mal-être participe au phénomène de décrochage précoce de la profession observé en Fédération Wallonie-Bruxelles (35 %)1 et à l’échelle mondiale2. Ces problèmes peuvent avoir été accentués lors de la crise sanitaire de la Covid-19 (Kim et al., 2021), si l’on considère certains facteurs comme l’hybridation ou l’inconfort dû à l’accumulation des circulaires ministérielles (contraintes, règles sanitaires, contenus essentiels) (Duroisin et al., 2021). Afin d’aller à la rencontre de ces enjeux d’attrition et de santé psychologique, cet article se propose d’analyser des données sur le bien-être psychologique des enseignants pendant la crise.
2Pour ce faire, deux modèles théoriques sont mobilisés. D’une part, le modèle de la santé psychologique au travail (SPT) considère le bien-être psychologique dans ses composantes positives et négatives. Le SPT envisage les ressources personnelles et organisationnelles sur lesquelles on peut agir. D’autre part, le modèle job demands-ressources (JD-R) (Bakker & Demerouti, 2007), est de plus en plus utilisé, dans les recherches en éducation, pour son caractère opérationnel. Il s’agit d’analyser les attentes d’une profession sur la santé mentale du travailleur, en interaction avec les ressources de cette même profession, qui sont de nature à augmenter l’engagement dans le travail. Ces modèles aident à structurer l’analyse des résultats de l’enquête dans la mesure où la pandémie influe sur certaines variables. En effet, la demande induite par la profession est plus forte sur certains aspects (hybridation, stress…) et moins pour d’autres (charge de travail) tandis que certaines ressources sont diminuées (contacts sociaux) (Hilger et al., 2021).
3Les résultats présentés dans cet article sont issus de la troisième enquête sur le vécu et les pratiques enseignantes en temps de pandémie au cours de l’année 2020-2021, réalisée entre juillet et octobre 2021 auprès de 420 enseignants de la Fédération Wallonie-Bruxelles (de la maternelle au supérieur) par l’équipe de chercheurs du service de formation des enseignants de l’Université de Mons. Cette enquête quantitative aborde des thématiques telles que l’hybridation, la gestion des apprentissages, l’hétérogénéité, entre autres. Nous exploitons ici les items qui concernent le bien-être psychologique, le stress et d’autres composantes liées à ces dimensions (sentiment de sécurité sanitaire…).
4Pour la plupart, ces items sont exprimés sur une échelle de fréquence à cinq niveaux. Par exemple : « Depuis le début de l’année scolaire jusque maintenant, vous avez éprouvé du bien-être… Jamais/Quelques fois par mois/Plusieurs fois par mois/Plusieurs fois par semaine/Tous les jours. » Les résultats sont exprimés en pourcentages par rapport aux enseignants qui ont répondu à tous les items. La présentation des résultats est structurée selon les modèles théoriques mobilisés. Il est d’abord question de la volonté de quitter la profession, s’ensuivent des items sur l’état du bien-être psychologique, sur les facteurs propres aux attentes de la profession en temps de pandémie (job demands) et sur ses apports (job ressources). Enfin, sont présentés des items liés à la crise sanitaire.
5À quelle fréquence les enseignants interrogés ont-ils pensé changer de profession lors de l’année scolaire 2020-2021 ?
635,1 % des enseignants interrogés ont songé à changer temporairement de métier lors de l’année. Parmi ceux-ci, 11,7 % y ont pensé au moins plusieurs fois par semaine. Ce résultat est globalement semblable à celui fourni par l’item qui interroge les sujets sur leur volonté de changer définitivement de profession (32,1 % y ont pensé quelques fois au cours de l’année, dont 9,7 % au moins plusieurs fois par semaine).
7Dans quel état de bien-être psychologique se trouvent les enseignants ?
8Il a été demandé aux enseignants à quelle fréquence ils ont ressenti du bien-être ou se sont sentis fatigués, à bout, irritables, frustrés ou dépassés. Ces items n’offrent pas tous des résultats révélateurs, mais trois d’entre eux montrent que l’état du bien-être psychologique des enseignants n’a pas été bon. Ainsi, ils sont 67,2 % à ne pas ressentir de bien-être au moins plusieurs fois par semaine. La majorité d’entre eux ont déclaré se sentir régulièrement fatigués (74,3 % au moins plusieurs fois par mois, dont près de 20 % tous les jours). Enfin, le sentiment de frustration est très marqué chez les répondants (62,8 % au moins plusieurs fois par mois, dont 40,7 % plusieurs fois par semaine).
9La nature du métier d’enseignant liée à la crise sanitaire contribue-t-elle à cet état de mal-être ?
10En suivant le modèle JD-R, certains items auxquels les enseignants ont répondu permettent d’apprécier le lien entre les attentes du métier en temps de pandémie et un sentiment de stress ou d’auto-efficacité. Le fait d’aller travailler en présentiel, d’accuser du retard par rapport aux programmes ou de proposer des outils numériques n’induit pas un stress éprouvé régulièrement chez la majorité des répondants. En revanche, la charge de travail a provoqué un malaise au moins plusieurs fois par mois chez 60,8 % des enseignants et même tous les jours chez 14,8 % d’entre eux. De plus, ils étaient peu nombreux (35,9 %) à se sentir régulièrement (c’est-à-dire au moins plusieurs fois par semaine) capables de faire face aux défis pédagogiques imposés par le contexte.
11L’analyse des items concernant les ressources fournies par le travail, qui contrecarrent les effets des attentes, montre que les relations sociales influent beaucoup sur la satisfaction des enseignants. Même si, d’après l’enquête, la fréquentation des collègues a un effet limité, la relation avec les élèves semble jouer un plus grand rôle : 78,1 % des répondants ont ressenti de l’enthousiasme au contact des élèves au moins plusieurs fois par mois, dont 52,4 % plusieurs fois par semaine. De plus, 69,1 % se sont sentis poussés par les élèves à persévérer dans la profession au moins plusieurs fois par mois. Ce sont les valeurs les plus hautes de l’enquête.
12Quel rôle attribuer au contexte de la crise sanitaire ?
13Il est raisonnable de penser que certains éléments contextuels, comme le stress lié aux risques de santé et la contrainte du port du masque, peuvent influencer le moral des enseignants. Si 59,5 % des enseignants ont considéré que le port du masque était rassurant, ils sont 71,2 % à le voir comme très contraignant pour leur pratique professionnelle. Près de la moitié des répondants ont eu régulièrement le sentiment de prendre un risque pour leur santé en classe, alors qu’ils étaient moins nombreux à éprouver cela en dehors de la classe (respectivement 43 % et 35,4 % au moins plusieurs fois par mois).
14Les principaux résultats présentés ci-dessus montrent que l’idée de quitter la profession traverse l’esprit d’une part non négligeable des enseignants. Les répondants éprouvent peu de bien-être et sont principalement stressés par la charge de travail accrue avec la pandémie. Le contact qu’ils ont avec les élèves semble être l’élément clé qui les aide à surmonter ces épreuves.
15Fondamentalement, ces constats diffèrent peu de ceux obtenus dans d’autres recherches effectuées avant la crise sanitaire (Karsenti et al., 2015). C’est ce que nous avions rapporté à l’occasion de nos précédentes enquêtes sur les pratiques enseignantes en temps de pandémie (Duroisin et al., 2021) : 83,9 % des enseignants se disaient enthousiastes à l’idée de retrouver leurs élèves en présentiel.
16Si les résultats énoncés ici ne permettent pas de déterminer statistiquement s’il existe un effet de la crise sanitaire sur le bien-être des enseignants en l’absence de mesures prises avant la pandémie, ils mènent à des conclusions similaires à celles d’auteurs qui ont pu prendre des mesures avant et pendant cette période. Ainsi, Hilger et al. (2021) ont démontré que le contact avec les élèves était la principale ressource offerte par la profession enseignante. En l’absence de ceux-ci pendant le confinement, les enseignants ont éprouvé un sentiment de bien-être psychologique plus faible, alors même que les attentes du métier étaient plus basses et qu’ils avaient donc plus de temps libre. En cela, les résultats confortent l’importance de l’école en tant que lieu de socialisation pour les élèves et pour les enseignants.
17Par ailleurs, Herman et al. (2021) ont mis en évidence le rôle prépondérant que pouvait avoir une bonne maîtrise de la pratique professionnelle. En effet, plus l’enseignant est compétent, plus il est à même de gérer les apprentissages et les comportements des élèves en temps de crise. Les auteurs ont démontré un lien fort entre cette compétence et le bien-être psychologique de l’enseignant. Enfin, Kim et al. (2021) s’accordent sur le fait d’encourager le gouvernement et les institutions scolaires à augmenter les ressources matérielles et humaines pour faire face à la pandémie, leurs conclusions montrant un lien significatif entre ces ressources et le bien-être ressenti par les enseignants. Ces considérations étayent nos propos sur l’emploi des modèles théoriques basés sur l’analyse des ressources. Cette démarche permet d’opérationnaliser des pistes de recherche en réponse à l’enjeu du décrochage précoce et du bien-être enseignant.