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L'Écrivain critique de lui-même

Le vice, l’épée, la plume. Sartre critique de Sartre

Teresa Manuela Lussone

Résumé

Se frayer un chemin à la recherche d’un effort autocritique dans l’œuvre de Sartre exige des incursions dans des textes de natures différentes. Ainsi, nous nous proposons de vérifier si ses essais de « psychanalyse existentielle » peuvent également être considérés comme des « tests projectifs ». Nous étudierons ensuite dans son autobiographie, Les Mots, l’application à soi-même de la « méthode » qu’il avait appliquée à Baudelaire, Flaubert, Mallarmé et Genet. Pour finir, un examen de l’épitexte, en particulier les nombreux entretiens accordés par Sartre à ses proches pendant ses dernières années, permettra de mieux saisir le sens de son parcours autocritique.

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Texte intégral

  • 1 J.-P. Sartre, Les Mots, dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, J.-F. Louette, G. Philipp (...)
  • 2 Sartre s’était proposé d’interrompre l’écriture des Carnets après la guerre, ou au moins de cesser (...)

1« Pour l’autocritique, je suis doué, à la condition qu’on ne prétende pas me l’imposer »1. C’est ainsi que Sartre, ce polygraphe qui, à l’époque de la Nausée, se pensait comme un génie et se croyait même immortel, s’exprime dans son autobiographie. Cette disposition favorable à l’autocritique traverse un si grand nombre de ses textes qu’on pourrait craindre que, malgré ses efforts, il ne soit véritablement hanté par lui-même2.

1. Le vice : trois névrosés de l’écriture

  • 3 A. Gide, Dostoïevski, Paris, Plon, 1923, p. 199.
  • 4 J.-P. Sartre, Présentation des temps modernes, dans Id., Situations, II, Paris, Gallimard, 1948, p. (...)

2Dans son Dostoïevski, Gide écrivait : « Dostoïevski ne m’est souvent ici qu’un prétexte pour exprimer mes propres pensées »3. Pourrait-on supposer que Baudelaire, Flaubert, Genet et Mallarmé ne soient pour Sartre que des prétextes ? La relation existant entre l’effort critique et la réflexion sur l’identité est évidente dès l’époque de la Présentation des temps modernes, où Sartre s’en prend à Flaubert, aux Goncourt et aux écrivains de leur génération pour avoir cédé à la tentation de l’art pour l’art et de l’irresponsabilité qui, depuis la moitié du XIXe siècle, a affecté les écrivains d’origine bourgeoise. Sans ambages, il nous présente ces auteurs comme les contre-modèles dont l’écrivain engagé doit s’écarter4.

  • 5 J.-P. Sartre, Baudelaire [Paris, 1947], Paris, Gallimard, 2012, p. 23. À propos des liens de Sartre (...)
  • 6 J.-P. Sartre, Baudelaire, cit., p. 81. Ces mots de Mme Aupick se trouvaient dans une lettre qu’elle (...)
  • 7 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 57.
  • 8 Id., Baudelaire, cit., p. 19. La boutade est citée par E. Crépet, op. cit., p. 11.
  • 9 J.-P. Sartre, L’Être et le Néant [Paris, 1943], Paris, Gallimard, 2016, p. 753.

3Cette relation entre le moi et l’autre sur laquelle se fonde l’ensemble de la critique de Sartre se manifeste avec le plus d’évidence dans ses essais de « psychanalyse existentielle ». Ainsi, une comparaison entre son Baudelaire et Les Mots fait apparaître une superposition continuelle entre l’enfance du poète et la sienne. Sartre aurait pu, en effet, s’attribuer un certain nombre des qualités qu’il reconnaît à Baudelaire : tous deux ont eu une enfance solitaire et le jeune Jean-Paul, à l’égal du jeune Charles, « rêve d’une unicité dont on s’empare par la vue »5. Leur aspect physique même les rapproche car tous deux présentent des traits féminins, du moins aux yeux de leur mère. La façon dont Sartre désigne le jeune Baudelaire – « cet adolescent élégant, frêle, presque une femme »6 – trouve un écho dans un célèbre épisode des Mots, lorsque la mère du narrateur prend conscience de la laideur de son fils après qu’il s’est coupé les cheveux. Dans son autobiographie, Sartre évoque ainsi la stupeur d’Anne-Marie : « on avait troqué sa fillette contre un garçonnet », « sa petite merveille » contre un « crapaud »7. Poulou et Charles partagent aussi un traumatisme commun : tous deux ont perdu leur père et tous deux assistent au deuxième mariage de leur mère, au point que Sartre reporte la fameuse boutade de Baudelaire, qu’il aurait pu proférer lui-même : « Quand on a un fils comme moi – comme moi était sous-entendu – on ne se remarie pas »8. Il décrit le « climat intérieur » de Baudelaire suivant le principe que le détail le plus superficiel et la conduite la plus insignifiante sont des « expressions symboliques »9 qui permettent de dégager l’être en son entier : que le poète préfère les viandes en sauce aux grillades traduirait ainsi son goût de l’artifice et sa méfiance de la nature. Mais Sartre prend aussi ses distances avec Baudelaire : il lui reproche l’inutilité de ses poèmes, son manque d’action, son choix du jeu à « qui perd gagne ». Bref, il cherche à prouver que le poète maudit a bien eu la vie qu’il méritait.

  • 10 Id., L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. II, Paris, Gallimard, 1971, p. 1998
  • 11 « Les Écrivains en personne », entretien avec M. Chapsal, Paris, Éditions Julliard, 1960, repris da (...)
  • 12 J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. I, Paris, Gallimard, 1971, (...)
  • 13 Tant le chantier de L’Idiot de la famille que celui des Mots s’ouvrent vers 1954-1955. À ce sujet v (...)
  • 14 « L’écriture et la publication », interview par M. Sicard, reprise dans Id., Essais sur Sartre. Ent (...)
  • 15 J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? [1947], dans Situations, III [Paris, 1949], Paris, Gal (...)
  • 16 Id., L’Idiot de la famille, t. I, cit., p. 13.

4Dans ce jeu à « qui perd gagne », Baudelaire est le « jumeau »10 de Flaubert, dont Sartre se rapproche davantage par son propre choix de la prose. Dans la préface à L’Idiot de la famille, Sartre avoue qu’il a un compte à régler avec Flaubert, dont Madame Bovary, comme il le dit encore ailleurs, avait provoqué en lui un « mélange d’admiration profonde et de répulsion »11. Toutefois, à l’occasion de son essai, son « antipathie première s’est changée en empathie, seule attitude requise pour comprendre »12. Ce besoin d’empathie et la proximité chronologique entre L’Idiot de la famille et Les Mots13 unit les deux recherches, celle sur l’autre et celle sur le moi, au point que, dans son essai sur Flaubert, Sartre se limite aux sujets qu’il partage avec l’auteur de Madame Bovary et néglige ceux qui ne le concernent pas, comme le rapport à l’argent14. Mais la relation à la parole, qui fait aussi bien l’objet des Mots que de l’étude sur Flaubert, engendre des divergences notables entre les deux auteurs. Alors que l’écrivain engagé a pour ambition de s’adresser « à tous les hommes »15, le « mauvais rapport aux mots »16 d’un Flaubert qui, dans son enfance, n’arrivait pas à s’exprimer facilement et qui est à l’origine d’un divorce entre le public et l’écrivain par ailleurs commun aux hommes de sa génération, constitue un écueil insurmontable pour Sartre.

5Mais pourquoi Sartre est-il obsédé par Flaubert ? Et pourquoi fait-il de Baudelaire son premier sujet d’expérimentation ? Valéry peut offrir un élément de réponse à ces questions :

  • 17 P. Valéry, Situation de Baudelaire [1924], dans Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de l (...)

Il est nourri de ceux que son instinct lui commande impérieusement d’abolir. Son existence littéraire qu’ils ont provoquée et alimentée, que leur gloire a excitée, que leurs ouvrages ont déterminée, toutefois, est nécessairement suspendue à la négation, au renversement, au remplacement de ces hommes […]. Le problème de Baudelaire pouvait donc – devait donc – se poser ainsi : « être un grand poète, mais n’être ni Lamartine, ni Hugo, ni Musset ».17

  • 18 Ce vice consiste dans la conviction que « rien n’était plus beau ni supérieur au fait d’écrire », S (...)

6Il s’agirait donc pour Sartre, nourri de Baudelaire et de Flaubert, d’être un grand écrivain, mais de n’être ni Baudelaire ni Flaubert. Une fois acquis ce « commandement d’écrire », Sartre sait qu’il a en commun avec eux tant le vice de l’écriture18 que des origines bourgeoises, deux conditions qui, pour lui, ont partie liée. Il s’aperçoit qu’il est le troisième névrosé et il ne veut pas tomber dans la même erreur qu’eux, celle de céder à l’attrait de l’art pour l’art. Au surplus, il semble établir un parallèle historique entre leur génération et la sienne : alors qu’ils avaient renoncé à toute action face aux événements de 1848, lui-même avait compris l’urgence d’abandonner l’individualisme et de s’engager à la suite de la Seconde Guerre mondiale.

  • 19 « Jean-Paul Sartre s’explique sur Les Mots », interview par J. Piater, dans Le Monde, 18 avril 1964 (...)
  • 20 Sur la modestie voir J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 2013 et 2016. Sur la voca (...)
  • 21 Id., Lettre à Simone Jolivet datée de 1926, dans Lettres au Castor et à quelques autres, t. I, éd. (...)
  • 22 Id., Les Mots, cit., p. 127.

7Les actes, les caractères, les goûts et les moindres attitudes de ces auteurs sont chargés d’une double valeur symbolique qui illustre leur projet, mais également, par contraste, celui de Sartre. Lorsqu’on lui demande pourquoi il a choisi Flaubert, Sartre répond : « Parce qu’il est à l’opposé de ce que je suis. On a besoin de se frotter à ce qui vous conteste »19. Sans se douter qu’au moment où il peint le portrait de cet écrivain intolérablement modeste et voué à l’échec20, Sartre dresse aussi celui de l’intellectuel « extrêmement ambitieux »21 qui a décidé d’avance que son histoire aura un « dénouement heureux »22, et son rapport à Baudelaire et à Flaubert se construit tout autant autour de la représentation de soi que de la construction de son identité d’écrivain.

2. L’épée : deux orphelins engagés

  • 23 « L’écriture et la publication », cit., p. 378-379.
  • 24 « Sur L’Idiot de la famille », propos recueillis par M. Contat et M. Rybalka, dans Le Monde, 14 mai (...)
  • 25 T. Todorov, Critique de la critique. Un roman d’apprentissage, Paris, Seuil, 1984, p. 55.
  • 26 G. Idt, Les Mots, une autocritique « en bel écrit », Paris, Belin, 2001, p. 17.
  • 27 « Autoportrait à soixante-dix ans », dans J.-P. Sartre, Situations, X, cit., p. 133-226, p. 146. Il (...)
  • 28 La critique a parlé des Mots non seulement en termes d’autobiographie mais aussi en termes d’autobi (...)

8Son manque de modestie, il est vrai, Sartre l’affiche en toute occasion. Interrogé sur la fonction de la critique, il répond qu’il la considère comme un art, ce que son Flaubert23, ce roman vrai24, aurait illustré. Selon Todorov, l’aspect proprement littéraire joue un rôle considérable dans les ouvrages sans « frontières étanches » de ce critique-écrivain (et non écrivain-critique) 25 : rien d’étonnant donc au fait que Sartre cherche à faire passer son ouvrage le plus soigné du point de vue stylistique pour son « autocritique », le premier titre retenu pour Les Mots26. Sartre a d’ailleurs parlé d’« une espèce de roman »27 pour désigner son autobiographie, ce qui confirme son rapport avec L’Idiot de la famille. Cependant, l’abondance en figures de style et la polysémie qui caractérisent Les Mots ou, comme les appelle Sartre, les trucs, les astuces et les jeux de mots, rangent plutôt ce livre dans la catégorie des récits d’enfance28.

  • 29 Francesco Orlando avait repéré deux catégories de récits d’enfance : les souvenirs qui ne sont évoq (...)
  • 30 Pour la fonction et les effets de la « manipulation des souvenirs », voir S. Teroni, « Dal diario a (...)

9Cette lecture permet d’interpréter l’expérience de Poulou non comme une autobiographie interrompue, mais comme une histoire accomplie – qui commence avant la naissance du héros et se termine par la découverte de sa vocation littéraire – et pourvue d’une signification intelligible, comme le genre le prévoit : c’est par les « astuces » auxquelles l’auteur a recours que l’expérience de l’enfance renvoie à la personnalité de l’adulte29. Grâce à une stratégie rhétorique mise en acte par un accord entre des données réelles (qui n’ont pas toujours un sens caché ou déterminé a posteriori), des événements omis et une réalité manipulée (ce qui s’avère évident si l’on compare les faits racontés dans Les Mots aux Carnets de la drôle de guerre ou aux Lettres à Simone de Beauvoir30), ce récit d’enfance qui conduit à une vocation d’écrivain reflète le parcours de Sartre vers l’engagement.

  • 31 Il s’agit d’un passage non retenu du manuscrit, J.-P. Sartre, Vers Les Mots. Notes et esquisses 195 (...)

10La quête identitaire menée par Poulou s’ouvre sous le signe d’un manque, celui du père, qui file à l’anglaise et laisse son fils « héritier de rien »31. Tout ce que ce petit officier au crâne dégarni a accordé à son enfant est marqué par le défaut : quelques gouttes de sperme, des indications en négatif sur son futur, un nom bref, une petite taille, quelques livres portant les signes d’une petite illumination dont Poulou se débarrasse dès qu’il peut… Enfin son souvenir même est éphémère. La seule chose que Jean-Baptiste ait laissé à son fils en abondance, c’est une « incroyable légèreté » qui devient pour l’enfant la marque de l’épouvantable liberté éprouvée par l’homme jeté dans le monde et obligé de se reconnaître en tant que responsable de ses actions.

  • 32 Id., Les Mots, cit., p. 10.

11Accueilli avec sa mère chez ses grands-parents, Poulou se tourmente à l’idée de ne rien posséder : ce manque renvoie à l’absence d’une lignée dans laquelle se reconnaître et, par conséquent, à l’absence d’un modèle à suivre. Le vagabondage de Poulou sera donc une histoire de rachat : pendant sa quête, il ne se demande pas tant « Qui suis-je ? », à la manière de tout héros de récit d’enfance, mais bien, « À qui obéirais-je? »32. Devant ce chevalier errant se présentent alors, l’une après l’autre, différentes occasions de trouver son modèle.

12La première possibilité qui lui est offerte est incarnée par son grand-père, Charles Schweitzer, qui se fait porteur d’une vision utilitariste de la culture. Pour ce professeur de langue, auteur d’une grammaire allemande, la culture n’est qu’un métier. C’est ce que perçoit bien Poulou, quand, se trouvant dans sa bibliothèque, il comprend que la prospérité de sa famille dépend des livres. L’attitude utilitariste de Charles est évidente surtout si l’on songe à la valeur qu’il attribue aux romans : il ne les apprécie qu’en tant qu’instruments servant à faire apprendre le vocabulaire à ses élèves. En effet, cet artisan des livres, ainsi que le considère son petit-fils, n’est qu’un intermédiaire de la littérature, condition à laquelle, d’ailleurs, le confine son office, la traduction. Et c’est aussi avec Poulou, que ce clerc se fait l’intermédiaire de l’univers des Saints et des Prophètes, dont l’enfant connaît par cœur la liste allant d’Hésiode à Hugo.

  • 33 Ibid., p. 22.
  • 34 Id., Cahier Lutèce, dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 911. Sur le conflit (...)

13À cet univers qui sent le champignon s’oppose celui beaucoup moins charmant de sa grand-mère, avec ses livres aux pages blanches provenant du cabinet de lecture, « objets d’un culte mineur »33. La mère-sœur quant à elle initie son enfant aux contes des fées, aux romans pour la jeunesse, et lui fait découvrir le cinéma et surtout la musique. C’est notamment dans le conflit entre musique et écriture que se situe la dernière étape du vagabondage mené par l’enfant : la musique est du côté de l’art pour l’art, de la « tentation baudelairienne »34, de la littérature désengagée de Flaubert, enfin précisément de tous les modèles auxquels le vouerait par nature son origine bourgeoise, et auxquels pourtant il résiste, bien qu’il en soit charmé. Poulou est tourmenté entre ces deux univers si éloignés l’un de l’autre, celui de la musique et celui des mots, mais enfin, il découvre sa vocation d’écrivain et décide de dégainer sa plume.

  • 35 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 83. Voir S. Zatti, op. cit., p. 42.
  • 36 Id., L’engagement de Mallarmé, dans Mallarmé. La lucidité et sa face d’ombre, éd. A. Elkaïm-Sartre, (...)
  • 37 Id., L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 1117 et 1137.
  • 38 Comme Sandra Teroni le souligne, ce titre, qui représente l’assomption de l’identité sociale de la (...)

14Toutefois, l’impossibilité de s’identifier pleinement aux modèles qu’on vient d’évoquer infléchit sa quête dans le sens de l’affirmation de sa propre identité, affirmation qui aura lieu à travers le refus de tout rapport de filiation : l’orphelin Poulou fonde lui-même son ascendance, se prétendant « né de l’écriture »35, tout comme l’avait fait l’orphelin Mallarmé qui voulait « devenir son propre père »36. En effet, Poulou, à l’instar de Mallarmé et de Genet, est un « raté de la famille », condition qui contribue à l’opposer à Flaubert, ce « fils de famille » qui, dans la construction de soi-même, n’a cherché qu’à « reproduire son géniteur »37. Le titre Les Mots, choisi peu avant la parution du livre, non seulement représente l’achèvement de la conquête de l’identité38, mais souligne aussi son affirmation en dépit d’une généalogie défaillante, tandis que le titre L’Idiot de la famille renferme entièrement Flaubert sur son univers familial.

  • 39 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 3. À ce sujet voir S. Teroni, L’idea et la forma. L’approdo di Sar (...)

15Le récit repose donc sur la relation, plus ou moins implicite, avec ces modèles, ce qui est évident dès l’ouverture des Mots, « aux environs de 1850 »39, c’est-à-dire à l’époque où la tentation de l’art pour l’art se répandait parmi les écrivains bourgeois. L’arrière-grand-père du héros, ce « défroqué » qui rompt avec la tradition familiale pour devenir épicier, annonce l’écrivain irresponsable, qui décide de s’éloigner des traces du dernier Prophète, Hugo, et de renoncer par la suite à son mandat. Poulou se trouve alors placé immédiatement dans la lignée des écrivains bourgeois, une condition qu’il a en commun avec Mallarmé, ainsi que l’indique l’incipit de L’engagement de Mallarmé, qui, comme Les Mots, s’ouvre sur une indication temporelle situant le poète au milieu de XIXe siècle, précisément en « 1848 ».

  • 40 « Il conteste tout, jusqu’au pauvre enfant pâle qu’il aperçoit dans les glaces », Id., Mallarmé (18 (...)
  • 41 Id., L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 1109.
  • 42 Id., Cahier Lutèce, cit., p. 908.
  • 43 Ibid., p. 907.

16Avec Mallarmé, en sus de cette condition de départ, Sartre partage une volonté d’affranchissement de ses origines, et donc de la culture bourgeoise, qui commence par une autocritique. Suivant le poète, qui conteste tout, y compris sa propre image40, Sartre fait des Mots le « miroir critique » qui lui permet de réfléchir sur lui-même. L’ironie qui imprègne ce récit d’enfance assume une fonction critique car elle permet à Sartre de démasquer la comédie bourgeoise que lui-même, pareillement à sa famille, a jouée pendant son enfance, et de faire face précisément à la « tendance à idéaliser le passé »41 qu’il a remarquée chez Flaubert. C’est en même temps à l’inactivité de ce dernier que Sartre s’oppose à travers cette autocritique, car, d’après lui, « la réflexion c’est le moyen de ne pas demeurer passif. Et se comprendre, dépister sa mauvaise foi, c’est se changer »42. La contestation de soi représente donc la première étape de la création de son identité d’écrivain engagé, ainsi qu’il l’explique dans le premier brouillon des Mots, le Cahier Lutèce : « Comprendre c’est construire. Me regardant je me construis systématiquement »43.

  • 44 La condamnation de l’homme réside justement dans le fait « qu’il ne s’est pas créé lui-même », J.-P (...)
  • 45 Id., Les Mots, cit., p. 92.
  • 46 Sartre, un film, cit., p. 112.
  • 47 Id., Mallarmé (1842-1898), cit., p. 167-168.
  • 48 Id., L’engagement de Mallarmé, cit., p. 124.

17Par conséquent, Les Mots ne constitueraient pas qu’une autocritique et une critique de la culture bourgeoise, mais aussi le récit du parcours d’affranchissement de cette culture et du parcours de construction de sa nouvelle identité. La métaphore du suicide, de la mort et de la renaissance, qui d’ailleurs revient constamment tant dans Les Mots que dans les essais biographiques, repose justement sur la nécessité de recréer son identité. Et le parcours d’autocréation tracé par Poulou et Mallarmé, qui passe par le refus de leur ascendance naturelle, renvoie tant à un principe de liberté qu’à l’assomption consciente d’une responsabilité44 à laquelle Flaubert, à l’opposé, avait renoncé. Sartre raconte ainsi la construction de sa nouvelle image (« Mal né, j’ai dit mes efforts pour renaître »45), qui passe à travers l’écriture, critique bien évidemment. En tant que récit de l’affranchissement du modèle de l’art pour l’art, Les Mots est donc conçu par son auteur comme « une espèce de contestation de la littérature par la littérature elle-même »46 : Sartre confère à son ouvrage un pouvoir critique et contestataire analogue à celui qu’il avait reconnu chez Mallarmé, « tout entier engagé dans la destruction critique de la Poésie par elle-même »47. Enfin, c’est à cet autre orphelin ambitieux48 qu’il veut obéir.

3. La plume : l’homme de l’écrit

  • 49 La première citation est tirée du compte rendu paru dans Le Jour-Écho de Paris le 30 mai 1938 ; la (...)

18Parmi les nombreux critiques qui s’intéressèrent à La Nausée, ce ne fut qu’à Edmond Jaloux que Sartre décida de répondre. Les mots de celui-ci l’avaient ébloui : « L’originalité de M. Sartre est justement d’avoir dépouillé son livre de toute poésie » ; « La misanthropie de M. Jean-Paul Sartre va si loin qu’il reprend à son usage la célèbre scène des tableaux dans Hernani »49. Bien qu’à l’époque il n’ait pas encore élaboré sa théorie de l’engagement, Sartre est flatté : on le juge loin de la poésie et on cite Hugo à son propos. Il n’aurait pu mieux espérer et remercie Jaloux de l’avoir si bien compris :

  • 50 J.-P. Sartre, Lettre à Edmond Jaloux, datée de juin-juillet 1938, conservée à la bibliothèque Douce (...)

Parmi tous les critiques qui ont bien voulu parler de mon livre, vous êtes le seul, Monsieur, à l’avoir présenté comme une expérience phénoménologique, une fiction qui permet d’atteindre l’essence. Je craignais un peu, depuis quelque temps, qu’un malentendu ne me sépare des personnes qui liraient cet ouvrage sur la foi des critiques. Il me semble, Monsieur, que ce malentendu, grâce à vous, n’est plus à craindre et vous pouvez juger du plaisir que j’éprouve à avoir été si parfaitement compris.50

  • 51 C. Grisoli, Interview sur Les Chemins de la liberté, dans Paru, 13, décembre 1945, reprise dans Œuv (...)

19En somme, il lui est reconnaissant d’avoir découvert l’épée qui se cache derrière sa plume. Bien souvent, cette crainte d’être mal interprété réapparaîtrait, comme après la publication des Chemins de la liberté : « J’avais à cœur de dissiper les malentendus que les gens qui lisent mal répandent parmi ceux qui ne lisent pas »51.

  • 52 S. Montigny, « Interview sur L’Affaire Henri Martin », dans Combat, 31 octobre-1er novembre 1953, r (...)

20Sans jamais abandonner sa méfiance envers ses commentateurs, dans le cas des Mots, Sartre est déterminé à devancer les malentendus ; c’est pourquoi il décide de s’expliquer, bien avant la publication du livre, sur les principes qui ont présidé à son élaboration. Dès 1953, interrogé sur ses projets en cours, il répond : « Une autobiographie. Mais qui ne cherche pas à retracer ma vie sous son aspect individuel. J’essaierai plutôt de m’y définir en tant que membre de cette génération qui a vécu la guerre de 1914, l’entre-deux-guerres, l’Occupation et l’après-guerre »52. Il semble par là prévenir ses lecteurs qu’ils ne doivent s’attendre ni à des confessions ni à des anecdotes cocasses et, suivant une stratégie d’anoblissement bien déterminée, il met l’accent sur l’aspect autocritique de l’ouvrage. Sartre affirme ainsi sa volonté d’appliquer à soi-même la méthode critique qu’il avait appliquée à Baudelaire ou Mallarmé.

  • 53 A. Bosquet, « Compte rendu », dans Combat, 30 janvier 1964, partiellement reproduit dans Les Mots e (...)

21Cependant, ses efforts sont vains : Les Mots sont très bien reçus par la critique, mais non pas pour la raison qu’il attendait. Dans Combat, Alain Bosquet écrit : « On a envie de vous crier merci, au nom de la plus belle et de la plus durable des gratuités : l’exercice harmonieux de cette belle langue française qui livre ses vérités alors seulement qu’elles cessent d’être directement profitables »53.

  • 54 « Sur L’Idiot de la famille », cit., p. 94.

22Une dizaine d’années plus tard, revenant sur l’épisode, Sartre ressent le besoin de justifier – voire de légitimer – sa recherche de la plus belle prose possible : « Le sens du style dans Les Mots, c’est que le livre est un adieu à la littérature : un objet qui se conteste soi-même doit être écrit le mieux possible »54. Mais la cause du malentendu réside justement dans cette prose. Dans le livre, la critique n’avait vu que le beau style, au point de se féliciter avec Sartre de s’être enfin délesté de son engagement :

  • 55 Sartre, un film, cit., p. 113.

Il s’agissait d’une œuvre que l’on considérait comme un désengagement – ce qui était une erreur grossière, elle signifiait tout autre chose – et puisque j’étais désengagé, la société bourgeoise voulait bien ne pas tenir compte de mes erreurs passées, elle voyait là un aveu, et elle me donnait le prix Goncourt… le prix Nobel. Elle me pardonnait et elle considérait que j’avais droit au prix Nobel, ce qui me paraissait monstrueux. Et le mot « pardonné » a été prononcé, ou en tout cas « […] on ne lui tiendra pas rigueur à cause des Mots… »55

23Accepter cette distinction aurait signifié approuver l’interprétation des Mots comme manifeste du désengagement : devant la menace de ne passer à l’histoire qu’à la faveur d’un beau petit livre consensuel, l’intellectuel qui rêvait de marquer son siècle s’insurge. De là, le besoin, non seulement de refuser le Nobel, mais aussi de justifier sa recherche formelle.

  • 56 « Sur L’Idiot de la famille », cit., p. 93.
  • 57 Ibidem.
  • 58 Ibid., p. 94.

24Si dans le cas des Mots Sartre se limite à légitimer sa manière d’écrire, il prétend avoir écrit L’Idiot de la famille sans penser au style : « Le style, c’est Flaubert qui l’a ; si l’on écrivait en style sur un écrivain qui n’a fait que rechercher toute sa vie le style, ce serait de la folie »56. Puis, il avoue avoir soigné son écriture là où cela lui paraissait indispensable : « la forme la plus simple et la plus courante est la meilleure ; si quelquefois le style apparaît, c’est parce qu’on ne peut pas dire autrement qu’en style certaines choses du type “indisable” »57. Enfin, il prend ses distances avec sa propre écriture : « Si le Flaubert ressemble aux Mots par endroits, c’est parce qu’après cinquante ans d’écriture, on finit par être imbu de son propre style et que certaines formules viennent spontanément, sans aucun travail »58. À en croire Sartre, s’il a été styliste, c’est sans le vouloir.

25Cette idée d’un style comme instrument pour transmettre l’indisable revient à propos de sa prose philosophique :

  • 59 « L’écriture et la publication », cit., p. 369. Pour la notion de style chez Sartre et pour la comp (...)

C’est comme d’aiguiser un rasoir ! C’est lui donner la force, la délicatesse de tranchant dans son meilleur état […] il faut que la polémique soit un art – un art du style. On ne peut pas traiter simplement quelqu’un d’imbécile : il faut qu’il sente qu’il est idiot, ou que je le sens comme idiot, mais que je ne le dise pas […] le langage qui ne dit pas ce dont il parle, c’est du style.59

26Aiguiser… rasoir… ailleurs Sartre emploie le mot ciseler : il met en avant l’efficacité d’un langage délibérément tranchant, ce qui lui permet de donner à sa plume les qualités d’une véritable épée. Dans son Autoportrait à soixante-dix ans, il revient sur la notion de style avec plus de précision :

  • 60 « Autoportrait à soixante-dix ans », cit., p. 137.

Pour moi, le style – qui n’exclut pas la simplicité, au contraire – est d’abord une manière de dire trois ou quatre choses en une. Il y a la phrase simple, avec son sens immédiat, et puis, dessous, simultanément, des sens différents qui s’ordonnent en profondeur. Si l’on n’est pas capable de faire rendre au langage cette pluralité de sens, ce n’est pas la peine d’écrire.60

  • 61 Ibid., p. 135.
  • 62 Ibid., p. 137.
  • 63 Sartre, un film, cit., p. 15.

27Par la recherche de la simplicité, Sartre contrebalance un exercice de polissage qui, à travers la relecture et la correction, ne vise qu’à donner à chaque phrase des significations multiples et superposées. Quand ses problèmes de vue lui empêchent ce travail, Sartre non seulement renonce à l’écriture, mais il abandonne même son rôle de philosophe : « J’écrivais sur ce que j’avais préalablement pensé, mais le moment essentiel était celui de l’écriture. Je pense toujours mais, l’écriture m’étant devenue impossible, l’activité réelle de la pensée est, d’une certaine façon, supprimée »61. De là, le refus d’employer le magnétophone sous prétexte qu’il est « un homme de l’écrit »62. À ce moment, il se découvre désœuvré et avoue que le seul but de sa vie était d’écrire. Les souvenirs de sa vocation littéraire tout à coup ressurgissent : « je devais écrire, mais n’importe quoi, ce n’était pas précisé. Et il s’agissait surtout d’un commandement d’écrire, d’une forme qui cherche son contenu »63.

  • 64 J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille, t. III, cit., p. 20. À ce propos voir aussi : « Elles [les his (...)
  • 65 Id., L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 1981 et p. 1990.
  • 66 G. Flaubert, Lettre à Louise Colet du 20 septembre 1851, dans Y. Leclerc et D. Girard (éd.), Corres (...)
  • 67 J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille, t. III, cit., p. 13.
  • 68 Dans la Prière pour le bon usage de Genet, Sartre emploie cette expression à propos de l’écrivain : (...)

28Cette forme qui cherche son contenu ne rappelle-t-elle pas le fameux livre écrit « pour dire le Rien »64 ? La comparaison entre les entretiens de ses dernières années et certains passages de L’Idiot de la famille révèle que Sartre s’attribue sans le vouloir nombre de qualités qu’il avait reconnues chez Flaubert : celui-ci se servait aussi du style pour rendre « l’indisable » et c’était dans Madame Bovary que Sartre avait découvert les « surdéterminations sémantiques »65 qu’il avait recherchées avec tant d’ardeur dans Les Mots, tout en les conciliant avec une apparence de simplicité. Le voilà face à celui qu’il considère comme l’ennemi public numéro un, qui dans une lettre à Louise Collet avait écrit : « Ce n’est pas une petite affaire que d’être simple »66 et qui, comme lui, « ne voulait qu’écrire »67. Enfin, les illusions de l’engagement dissipées, Sartre semble avouer ce qu’il avait nié toute sa vie : « Flaubert, c’est moi ! »68.

  • 69 S. de Beauvoir, La Cérémonie des adieux, suivi d’Entretiens avec Jean-Paul Sartre, Paris, Gallimard (...)

29Cette suprématie du style, c’est Simone de Beauvoir qui l’oblige à la confesser : « En somme, quelqu’un qui vous dirait : “Vous êtes un grand écrivain, mais comme philosophe, vous ne me convainquez pas”, vous le préféreriez à quelqu’un qui vous dirait : “Votre philosophie est formidable, mais comme écrivain vous pouvez aller vous rhabiller” ? ». Mis au pied du mur, ce styliste invétéré avoue : « Oui, j’aime mieux la première hypothèse »69. Entre la plume et l’épée, c’est la plume qu’il choisit, malgré lui.

  • 70 J.-P. Sartre, L’Enfance d’un chef, dans Œuvres romanesques, cit., p. 333. Dans ce récit d’enfance, (...)
  • 71 « Je les fais à mon image ; non point tels que je suis, sans doute, mais tels que j’ai voulu être » (...)
  • 72 Pour Les Mots en tant qu’« hypertexte sophistiqué », voir J. Lecarme, « Il n’y aura pas eu d’autobi (...)

30Que reste-t-il, dans ces conditions, de l’engagement chez Sartre ? Dans L’Enfance d’un chef, Lucien, après s’être demandé « Qui suis-je ? », s’interroge sur l’image de soi qu’il donne aux autres, celle d’un bon élève. Cette image, toutefois, ne correspond pas à sa véritable nature car, au fond, Lucien n’attribue aucune importance à l’école, au point de la qualifier ainsi : « C’est de la frime »70. Pourrait-on en dire autant de l’engagement de Sartre? Ce n’est pas sûr. Cependant il ne fait aucun doute que l’engagement comme la philosophie restent, chez Sartre, en arrière-plan par rapport à l’écriture. L’autoportrait de l’écrivain engagé s’estompe. Dans son autobiographie, il se présente sous les traits de Poulou, un chevalier errant à la recherche du bon chemin. Ce héros, pourtant, est brossé par son auteur, de même que tous ses autres personnages, non point tel qu’il est, mais tel qu’il a voulu être71. Dès lors, nous pouvons même soupçonner qu’en lisant Les Mots comme une autocritique nous sommes tombés dans le piège que nous tendait un écrivain sophistiqué72. Nul doute qu’il aime les viandes en sauce. Ne nous avait-il pas dit et répété qu’on ne peut prendre pour argent comptant les mots des écrivains ? Or, Sartre est bien un écrivain par excellence s’il en est. À vrai dire, il est même plus doué comme écrivain que comme critique de lui-même, quoi qu’il en dise.

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Notes

1 J.-P. Sartre, Les Mots, dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, J.-F. Louette, G. Philippe, J. Simont (éd.), Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2010, p. 130.

2 Sartre s’était proposé d’interrompre l’écriture des Carnets après la guerre, ou au moins de cesser d’y parler de soi, justement afin d’écarter ce danger : « Je ne veux pas être hanté par moi-même jusqu’à la fin de mes jours », J.-P. Sartre, Carnets de la drôle de guerre, dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 424. Sur le refus du repli narcissique voir S. Teroni, « Jean sans terre. Sartre e la scrittura di sé », dans Id. (dir.), L’ascolto del testo, Firenze, Nicomp, 2007, p. 33-54.

3 A. Gide, Dostoïevski, Paris, Plon, 1923, p. 199.

4 J.-P. Sartre, Présentation des temps modernes, dans Id., Situations, II, Paris, Gallimard, 1948, p. 7-30.

5 J.-P. Sartre, Baudelaire [Paris, 1947], Paris, Gallimard, 2012, p. 23. À propos des liens de Sartre avec les écrivains qu’il choisit, voir : A. Boschetti, Sartre et « Les Temps modernes », Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, p. 164 ; J. Pacaly, Sartre au miroir, Paris, Klincksieck, 1980, p. 201 et sq. ; N. Sawada, « Biographe malgré lui », dans Recherches & Travaux, 71, 2007, p. 65-77.

6 J.-P. Sartre, Baudelaire, cit., p. 81. Ces mots de Mme Aupick se trouvaient dans une lettre qu’elle aurait écrite, voir E. Crépet, Charles Baudelaire, Étude biographique, Paris, Vanier, 1903, p. 31. Le thème de la féminité, toutefois, revient constamment dans les essais sur Mallarmé et sur Genet et dans L’Enfance d’un chef.

7 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 57.

8 Id., Baudelaire, cit., p. 19. La boutade est citée par E. Crépet, op. cit., p. 11.

9 J.-P. Sartre, L’Être et le Néant [Paris, 1943], Paris, Gallimard, 2016, p. 753.

10 Id., L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. II, Paris, Gallimard, 1971, p. 1998.

11 « Les Écrivains en personne », entretien avec M. Chapsal, Paris, Éditions Julliard, 1960, repris dans J.-P. Sartre, Situations, IX, Paris, Gallimard, 1972, p. 9-39, p. 14. Pour une reconstitution détaillée du rapport de Sartre avec Flaubert à partir de sa jeunesse et de ses premières critiques, voir G. Philippe, « L’Idiot de la famille : repères chronologiques », dans Recherches & Travaux, 71, 2007, p. 177-180.

12 J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. I, Paris, Gallimard, 1971, p. 8.

13 Tant le chantier de L’Idiot de la famille que celui des Mots s’ouvrent vers 1954-1955. À ce sujet voir : G. Philippe, « Le protocole prérédactionnel dans les manuscrits de L’Idiot de la famille », dans Recherches & Travaux, 71, 2007, p. 139-150 ; S. Teroni, « Jean sans terre. Sartre e la scrittura di sé », cit., p. 34 ; Id., Da una modernità all’altra, Venezia, Marsilio, 2017, p. 167. Sur les effets de l’empathie, voir S. Doubrovsky, « Une étrange toupie », dans Le Monde des livres, 2 juillet 1971, repris dans J. Lecarme (dir.), Les Critiques de notre temps et Sartre, Paris, Garnier, 1973, p. 119-124, p. 121.

14 « L’écriture et la publication », interview par M. Sicard, reprise dans Id., Essais sur Sartre. Entretiens avec Sartre (1975-1979), Paris, Éditions Galilée, 1989, p. 331-380, p. 339. Il s’agit d’une série d’entretiens que Sartre donna pour le premier numéro d’Obliques entre novembre 1977 et juin 1978.

15 J.-P. Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? [1947], dans Situations, III [Paris, 1949], Paris, Gallimard, 2013, p. 67.

16 Id., L’Idiot de la famille, t. I, cit., p. 13.

17 P. Valéry, Situation de Baudelaire [1924], dans Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1992, p. 601-602.

18 Ce vice consiste dans la conviction que « rien n’était plus beau ni supérieur au fait d’écrire », Sartre, un film réalisé par Alexandre Astruc et Michel Contat, Paris, Gallimard, 1977, p. 111. Il s’agit de la transcription intégrale de la bande sonore du film tourné en 1972 et sorti en 1976.

19 « Jean-Paul Sartre s’explique sur Les Mots », interview par J. Piater, dans Le Monde, 18 avril 1964, reprise dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 1253-1258, p. 1258.

20 Sur la modestie voir J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 2013 et 2016. Sur la vocation à l’échec voir surtout L’Idiot de la famille. Gustave Flaubert de 1821 à 1857, t. III, Paris, Gallimard, 1972, p. 145 et sq. et 663.

21 Id., Lettre à Simone Jolivet datée de 1926, dans Lettres au Castor et à quelques autres, t. I, éd. S. de Beauvoir, Paris, Gallimard, 1983, p. 9.

22 Id., Les Mots, cit., p. 127.

23 « L’écriture et la publication », cit., p. 378-379.

24 « Sur L’Idiot de la famille », propos recueillis par M. Contat et M. Rybalka, dans Le Monde, 14 mai 1971, repris dans J.-P. Sartre, Situations, X, Paris, Gallimard, 1976, p. 91-115, p. 94. Quelques années plus tard, il dit avoir « peut-être exagéré un peu » en parlant de roman : « Sartre parle de Flaubert », entretien avec M. Sicard, dans Le Magazine Littéraire, novembre 1976, repris dans Id., Essais sur Sartre, cit., p. 139-168, p. 148.

25 T. Todorov, Critique de la critique. Un roman d’apprentissage, Paris, Seuil, 1984, p. 55.

26 G. Idt, Les Mots, une autocritique « en bel écrit », Paris, Belin, 2001, p. 17.

27 « Autoportrait à soixante-dix ans », dans J.-P. Sartre, Situations, X, cit., p. 133-226, p. 146. Il s’agit du texte intégral de l’entretien donné à Michel Contat et paru en partie dans Le Nouvel Observateur dans trois numéros successifs, les 23 juin, 30 juin et 7 juillet 1975.

28 La critique a parlé des Mots non seulement en termes d’autobiographie mais aussi en termes d’autobiographie politique ou engagée (M. Contat et J.-F. Louette), de roman familial (A. Green), d’autofiction (S. Doubrovsky), d’anti-autobiographie (J. Sturrock), de récit d’enfance (P. Campon, J. Lecarme, S. Zatti), de « livre mao » (B.-H. Lévy). À ce sujet voir J.-F. Louette, Notice à Les Mots, cit., p. 1271-1272. Par la suite Jacques Lecarme a parlé d’« un essai à la première personne », J. Lecarme, « Il n’y aura pas eu d’autobiographie de Sartre », dans J.-F. Louette (dir.), Autour des écrits autobiographiques de Sartre, dans Revue des Sciences humaines, 4, 2012, p. 21-35, p. 25. Sergio Zatti, pour sa part, a proposé une lecture des Mots les incluant dans un corpus de récits d’enfance, ce qui permet d’observer que l’ouvrage suit de près les règles du genre, S. Zatti, « Morfologia del racconto d’infanzia », dans S. Brugnolo (dir.), Il ricordo d’infanzia nelle letterature del Novecento, Pise, Pacini, 2012, p. 27-63.

29 Francesco Orlando avait repéré deux catégories de récits d’enfance : les souvenirs qui ne sont évoqués que par un plaisir nostalgique, et les récits qui répondent à des exigences narratives et qui relient de cette manière l’expérience de l’enfance à la personnalité de l’adulte, F. Orlando, Infanzia, memoria e storia da Rousseau ai romantici [Padova, 1966], Pise, Pacini, 2007, p. 8-9.

30 Pour la fonction et les effets de la « manipulation des souvenirs », voir S. Teroni, « Dal diario all’autobiografia », dans G. Farina, C. Tognonato (dir.), Sartre contro Sartre, Bologna, Cosmopoli, 1996, p. 132-144. Voir aussi : Ph. Lejeune, Signes de vie. Le pacte autobiographique 2, Paris, Seuil, 2005, p. 235-236 ; la Notice et les notes de J.-F. Louette dans Les Mots, cit. ; V. Montémont, F. Simonet-Tenant, « Lectures comparées des Carnets, des Lettres au Castor et des Mots : une approche générique et linguistique », dans J.-F. Louette (dir.), Autour des écrits autobiographiques de Sartre, cit., p. 71-85.

31 Il s’agit d’un passage non retenu du manuscrit, J.-P. Sartre, Vers Les Mots. Notes et esquisses 1953-1963, dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 1153. La relation entre possession et identité revient et devient transparente dans Genet : « n’étant rien, il ne possède rien », Id., Saint Genet, comédien et martyr [Paris, 1952], Paris, Gallimard, 2011, p. 17.

32 Id., Les Mots, cit., p. 10.

33 Ibid., p. 22.

34 Id., Cahier Lutèce, dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 911. Sur le conflit entre musique et écriture en tant que reflet de l’opposition entre art pour l’art et engagement, voir T. Lussone, « Né de l’écriture. Les Mots di Sartre : un racconto d’infanzia engagé », dans InVerbis, 1, 2017, p. 197-121.

35 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 83. Voir S. Zatti, op. cit., p. 42.

36 Id., L’engagement de Mallarmé, dans Mallarmé. La lucidité et sa face d’ombre, éd. A. Elkaïm-Sartre, Paris, Gallimard, « Arcades », 1986, p. 123. Écrit en 1952, l’essai a paru pour la première fois dans la revue Obliques en 1979.

37 Id., L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 1117 et 1137.

38 Comme Sandra Teroni le souligne, ce titre, qui représente l’assomption de l’identité sociale de la part de l’auteur, remplace le titre Jean sans terre, longtemps retenu par Sartre, qui mettait plutôt en relief le manque de possession et d’ascendance, S. Teroni, « La construction d’une image de soi à travers biffures et corrections », dans M. Contat (dir.), Pourquoi et comment Sartre a écrit Les Mots, Paris, Puf, 1996, p. 321-357, p. 334.

39 J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 3. À ce sujet voir S. Teroni, L’idea et la forma. L’approdo di Sartre alla scrittura letteraria, Venezia, Marsilio, 1988, p. 121.

40 « Il conteste tout, jusqu’au pauvre enfant pâle qu’il aperçoit dans les glaces », Id., Mallarmé (1842-1898), dans Mallarmé. La lucidité et sa face d’ombre, cit., p. 151. Écrit la même année que L’engagement de Mallarmé, cet article a paru pour la première fois dans Les Écrivains célèbres, éd. R. Queneau, t. III, Paris - Genève, Mazenod, 1953.

41 Id., L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 1109.

42 Id., Cahier Lutèce, cit., p. 908.

43 Ibid., p. 907.

44 La condamnation de l’homme réside justement dans le fait « qu’il ne s’est pas créé lui-même », J.-P. Sartre, L’existentialisme et un humanisme [Paris, 1946], Paris, Gallimard, 2016, p. 39.

45 Id., Les Mots, cit., p. 92.

46 Sartre, un film, cit., p. 112.

47 Id., Mallarmé (1842-1898), cit., p. 167-168.

48 Id., L’engagement de Mallarmé, cit., p. 124.

49 La première citation est tirée du compte rendu paru dans Le Jour-Écho de Paris le 30 mai 1938 ; la deuxième, de celui paru dans Les Nouvelles Littéraires le 18 juin 1938 ; repris dans Œuvres romanesques, cit., p. 1703-1704, p. 1703.

50 J.-P. Sartre, Lettre à Edmond Jaloux, datée de juin-juillet 1938, conservée à la bibliothèque Doucet, reproduite dans Œuvres romanesques, cit., p. 1704.

51 C. Grisoli, Interview sur Les Chemins de la liberté, dans Paru, 13, décembre 1945, reprise dans Œuvres romanesques, cit., p. 1912-1917, p. 1913.

52 S. Montigny, « Interview sur L’Affaire Henri Martin », dans Combat, 31 octobre-1er novembre 1953, reprise dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 1240.

53 A. Bosquet, « Compte rendu », dans Combat, 30 janvier 1964, partiellement reproduit dans Les Mots et autres écrits autobiographiques, cit., p. 1615.

54 « Sur L’Idiot de la famille », cit., p. 94.

55 Sartre, un film, cit., p. 113.

56 « Sur L’Idiot de la famille », cit., p. 93.

57 Ibidem.

58 Ibid., p. 94.

59 « L’écriture et la publication », cit., p. 369. Pour la notion de style chez Sartre et pour la comparaison entre son écriture littéraire et sa prose philosophique, voir G. Philippe, « La nostalgie du style ? Réflexions sur l’écriture philosophique de Jean-Paul Sartre », dans Rue Descartes, 47, 2005, p. 45-54.

60 « Autoportrait à soixante-dix ans », cit., p. 137.

61 Ibid., p. 135.

62 Ibid., p. 137.

63 Sartre, un film, cit., p. 15.

64 J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille, t. III, cit., p. 20. À ce propos voir aussi : « Elles [les histoires de Saint-Antoine et de Saint Julien] lui fournissent ce que les formalistes appellent la forme du contenu », ibid., p. 23.

65 Id., L’Idiot de la famille, t. II, cit., p. 1981 et p. 1990.

66 G. Flaubert, Lettre à Louise Colet du 20 septembre 1851, dans Y. Leclerc et D. Girard (éd.), Correspondance électronique de Flaubert, Université Normandie Rouen, Laboratoire Cérédi, 2017, consulté le 18 novembre 2017. Url : <http://flaubert.univ-rouen.fr/jet/public/correspondance/trans.php?corpus=correspondance&id=9878&mot=&action=M>

67 J.-P. Sartre, L’Idiot de la famille, t. III, cit., p. 13.

68 Dans la Prière pour le bon usage de Genet, Sartre emploie cette expression à propos de l’écrivain : « Genet, c’est nous ; voilà pourquoi nous devons le lire », Saint Genet, comédien et martyr, cit., p. 661. Pour Flaubert en tant que « double », je renvoie à J. Pacaly, op. cit., p. 315-428. En ce qui concerne les illusions de l’engagement, voir « Les Écrivains en personne », cit., p. 38-39.

69 S. de Beauvoir, La Cérémonie des adieux, suivi d’Entretiens avec Jean-Paul Sartre, Paris, Gallimard, « folio », 1981, p. 223.

70 J.-P. Sartre, L’Enfance d’un chef, dans Œuvres romanesques, cit., p. 333. Dans ce récit d’enfance, ou bien de formation, il est possible de retrouver plusieurs éléments autobiographiques, bien que Sartre le nie, s’appuyant sur le fait que Lucien n’a pas perdu son père pendant son enfance. Voir : C. Elmquist, « Lucien, Jean-Paul et la mauvaise foi », dans Orbis Litteraturam, 26, 1971, p. 220-231 ; G. Idt, Le Mur de Jean-Paul Sartre : Techniques et contexte d’une provocation, Paris, Larousse, 1972 ; J. Pacaly, op. cit., p. 95-122 ; M. Contat, « Une autobiographie politique », dans M. Contat (dir.), Pourquoi et comment Sartre écrivit Les Mots, cit., p. 1-47, p. 3-4 ; J. Lecarme, « Sartre palimpseste », dans ibid., p. 183-291, p. 243 et sq. ; pour Lucien comme anti-Sartre, voir la notice et les notes de M. Rybalka à L’Enfance d’un chef, cit., p. 1848-1859.

71 « Je les fais à mon image ; non point tels que je suis, sans doute, mais tels que j’ai voulu être », J.-P. Sartre, Les Mots, cit., p. 129.

72 Pour Les Mots en tant qu’« hypertexte sophistiqué », voir J. Lecarme, « Il n’y aura pas eu d’autobiographie de Sartre », cit., p. 31.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Teresa Manuela Lussone, « Le vice, l’épée, la plume. Sartre critique de Sartre »Revue italienne d’études françaises [En ligne], 8 | 2018, mis en ligne le 15 novembre 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rief/2041 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rief.2041

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Teresa Manuela Lussone

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