Navigation – Plan du site

AccueilNuméros61Glissements normatifs et responsa...Gouverner les ‘mille premiers jou...

Glissements normatifs et responsabilisation des parents

Gouverner les ‘mille premiers jours de vie’

Quelles résistances possibles face à la biolégitimité du ‘care alimentaire’ ?
Governing the “First Thousand Days of Life”: How to Resist to ’Food Care’ Biolegitimacy?
Tristan Fournier et Julie Jarty
p. 46-55

Résumés

Cet article porte sur l’injonction au care alimentaire, renouvelée et légitimée par le domaine émergent de l’épigénétique nutritionnelle dont l’une des applications est une campagne de sensibilisation focalisée sur les « mille premiers jours de vie » qui intime aux jeunes et futurs parents de « mieux » manger pour optimiser la santé future de leur enfant. À partir d’une enquête sociologique les ayant conduit à rencontrer acteurs et actrices des organisations internationales, des ONG, de l’industrie, du monde médical et de la santé publique en France, en Suisse et aux États-Unis, les auteur·e·s retracent la carrière de cette campagne de sensibilisation, analysent les glissements normatifs qu’elle contribue à produire et interrogent les possibilités d’émancipation et de résistance des individus qui en constituent la cible – les femmes principalement.

Haut de page

Texte intégral

« Là où il y a pouvoir, il y a résistance »
Foucault, 1976 : 125

  • 1 Ce programme de recherche était intitulé « Vers une politique de l’épigénétique. L’élaboration du p (...)
  • 2 Que l’on désignera par la formule simplifiée « mille jours » dans le reste de l’article.
  • 3 L’Étude de la famine hollandaise de 1944 a montré que les enfants conçus durant cette période aurai (...)

1Cet article, tiré d’un programme de recherche mené entre 2016 et 20181, ne s’intéresse pas aux dissidences alimentaires en tant que pratiques ou mouvements sociaux. Il interroge en revanche les conditions de leur production. L’objectif est double : d’une part saisir comment l’émergence de nouveaux savoirs biomédicaux contribue à produire un ensemble de dispositifs visant à gouverner la vie et donc engageant une nouvelle phase de la biopolitique (Foucault 2004) ; d’autre part sonder les capacités de résistance, les possibilités de ripostes et les éventuelles dissidences des populations prioritairement concernées par cette réaffirmation d’une prise en charge de leur existence et d’une surveillance de leur vie quotidienne. Nous nous concentrerons sur l’injonction au care alimentaire, renouvelée et légitimée par le domaine émergent de l’épigénétique nutritionnelle (Burdge, Lillycrop 2010 ; Choi, Friso 2010) dont l’une des applications est une campagne de sensibilisation focalisée sur les « mille premiers jours de vie »2 qui intime aux jeunes et futurs parents de « mieux » manger pour optimiser la santé future de leur enfant (Fournier, Poulain 2018a). Les « mille jours » sont effectivement identifiés, d’un point de vue scientifique, comme une fenêtre d’exposition critique : ce que mangent les parents durant la période pré-conceptionnelle, ce que mangent les personnes gestantes durant leur grossesse puis ce que mangent les enfants durant les deux premières années de leur vie influencerait, par modification épigénétique, la santé future de ces derniers (Hochberg et al. 2011). Concrètement, le comportement alimentaire durant cette période ne déterminerait pas la survenue de maladies à l’âge adulte mais créerait une susceptibilité ou une résistance à développer, plus tard, une ou des pathologies chroniques (cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète, etc.), et ce en fonction de l’évolution du contexte nutritionnel des individus. Cette susceptibilité, à la fois héritée et acquise, pourrait ensuite être transmise à la génération suivante3.

2Nous proposons ici de retracer la carrière de cette campagne de sensibilisation, d’analyser les glissements normatifs qu’elle contribue à produire dans le champ social de manière large et dans le domaine alimentaire en particulier, et enfin d’interroger les capacités d’agir et de résistance de celles qui en constituent la cible – les femmes principalement. Nous documenterons ainsi les trois dimensions essentielles du biopouvoir repérées par Rabinow et Rose (2006) dans leur lecture critique du concept foucaldien, à savoir : un ensemble de vérités sur la vie, des stratégies d’intervention et des modes de subjectivation. Cette dernière composante, où sont appréhendées les formes d’assujettissement du pouvoir par les individus (Foucault 1984), nous intéresse particulièrement ici car c’est en son sein que s’exprime la possibilité d’une résistance à la biopolitique étudiée. Le processus de subjectivation ouvre effectivement des espaces de réflexivité qui, dans certaines situations, permettent aux individus de sortir de ces relations de pouvoir en adoptant une distance critique face à un régime de vérité considéré (ici l’épigénétique). La distance critique s’apparente à la vertu pour Foucault (1990) et peut alors constituer une attitude morale et politique. Cette dernière nous apparaît comme une première étape de résistance, à l’échelle cognitive donc, qui constituerait selon nous la condition sine qua non pour entrer en dissidence (alimentaire), une seconde étape du mouvement de résistance d’ordre plus pratique. C’est pour cette raison qu’il nous semble essentiel d’en analyser les conditions de production.

3Notre ancrage théorique articule trois champs de la sociologie. D’abord l’alimentation, une pratique quotidienne longtemps restée parent pauvre des analyses de sciences sociales mais à travers laquelle se donnent à voir, tout à la fois, des inégalités sociales – par exemple en termes d’accès à la nourriture ou de suivi des recommandations de santé publique – et des formes d’agentivité (Abbots 2017), notamment en réponse à l’industrialisation et la globalisation. Ici, il s’agira de comprendre dans quelle mesure les « mille jours » contribuent à intensifier le processus de nutritionnalisation caractéristique des sociétés contemporaines (Poulain 2009, Fournier 2014, Scrinis 2013) et à légitimer les morales qui l’accompagnent (Coveney 2006). Ensuite, l’approche par le genre nous permettra de déployer une analyse critique de la campagne des « mille jours » dont les femmes, entendues ici comme sujet historiquement opprimé et non comme entité naturelle, constituent les principales cibles car porteuses des enfants à naître, potentielles allaitantes et premières responsables du travail de soin et de santé (Cresson 2006). Ces dernières apparaissent ainsi réduites à « d’éternels objets prioritaires de surveillance » (Tain 2013), à des corps dépolitisés et sous contrôle (bio-médical). Il s’agira alors de travailler ce que nous proposons d’appeler le care alimentaire, notion permettant d’étudier les manières dont le concept princept de care (Molinier, Laugier, Paperman 2009) se déploie dans la sphère alimentaire, que ce soit en termes de charges physique (approvisionnement, cuisine, nettoyage, etc.) et mentale (anticipation des repas, intégration des normes nutritionnelles, etc.) ou en termes d’interactions sociales (Abbots, Lavis, Attala 2015). Enfin, la sociologie des sciences et des techniques, et plus précisément le courant de la sociologie des expectations (Borup et al. 2006, Brown et al. 2000), sera utile pour analyser les manières dont le futur est mobilisé comme une rhétorique permettant la création d’une réalité sociale nouvelle. Comme dans le domaine médical (Dalgalarrondo, Hauray 2015), le terme de promesse nous permettra d’appréhender cette actualisation stratégique du futur pour ainsi mieux éclairer les registres idéologiques adoptés par les différents promoteurs des « mille jours » – scientifiques, acteurs politiques ou du monde médical, industriels, etc. – et identifier les glissements normatifs produits.

4Nous nous appuierons sur deux terrains de recherche réalisés entre 2016 et 2018. Le premier a permis de documenter le processus de thématisation de la question des « mille jours » à l’échelle internationale (analyse de la littérature scientifique et grise, entretiens réalisés auprès d’acteurs des organisations internationales – OMS, USAID, Unicef) et française (monographie d’une association émanant de l’industrie agro-alimentaire). Le second a consisté à étudier cette biopolitique « en train de se faire » (entretiens avec des membres du groupe de travail de la Politique Nationale Nutrition Santé 4 – PNNS 4 – et analyse de ladite campagne).

Carrière de la promesse des « mille jours » : placer l’alimentation au service du paradigme materno-infantile

Production et circulation d’un plan infaillible

La toute-puissance d’un partenariat original

  • 4 <https://thousanddays.org>.
  • 5 Notamment par sa volonté d’œuvrer en faveur du congé maternité rémunéré, ce qui n’est pas le cas au (...)
  • 6 Soit l’équivalent du poste de secrétaire d’État qu’occupe Hillary Clinton.
  • 7 Elle obtiendra deux autres financements de la fondation Bill & Mélinda Gates et un de la fondation (...)

5Lorsque l’on inscrit « first thousand days of life » dans un moteur de recherche, le site d’une ONG dénommée « 1.000 Days4 » ressort comme premier lien proposé. C’est par cette dernière que la promesse a véritablement existé. Créée en 2010 aux États-Unis, elle est le fruit d’une coalition entre deux ONG d’envergure internationale, spécialisées dans les domaines de l’aide humanitaire et de la malnutrition (Gain et InterAction) et le secrétariat d’État des États-Unis, alors dirigé par Hillary Clinton. Un premier évènement promotionnel est lancé en 2010 en marge de l’Assemblée Générale des Nations-Unies à New-York. La séance est présidée par Hillary Clinton, qui est déjà en campagne pour la Maison Blanche et tente de rallier la cause des femmes5, et Micheál Martin, ministre des affaires étrangères d’Irlande6 qui justifie sa participation par l’importance des famines dans l’histoire de son pays. L’ONG « 1,000 Days » est créée dans la foulée grâce à un premier financement de la fondation Bill & Mélinda Gates7 qui permet d’installer des locaux à Washington DC et d’engager la première personne, l’actuelle directrice. La rhétorique, clairement affichée sur le site internet, est simple et pragmatique : “The right nutrition in the first 1,000 days provides the foundation for children to grow and nations to prosper”, tout en précisant qu’une telle initiative peut avoir “a powerful impact on a country’s economy, boosting GDP by as much as 12 %”.

6Ce partenariat original s’inscrit dans le mouvement de globalisation de la santé, privilégiant notamment les régulations marchandes et les partenariats publics-privés au détriment d’un modèle, dominant jusqu’aux années 1980, centré sur le rôle des États-nations et des Nations-Unies (Gaudillère 2016). Si les gouvernements et les organisations internationales sont présents lors du lancement de « 1,000 days », c’est davantage en guise de légitimation et – nous le verrons plus loin – de relai d’une initiative dont le couple ONG/entreprises philanthropiques reste la locomotive (McGoey et al. 2018). La littérature scientifique mobilisée pour justifier l’établissement d’une campagne de sensibilisation au rôle de la nutrition intra-utérine et infantile à l’échelle internationale est centrale mais réduite aux Lancet series, des numéros spéciaux publiés par cette revue médicale extrêmement légitimante. Tous les acteurs que nous avons rencontrés, sans aucune exception, les ont évoqués pour étayer leurs discours et actions. L’analyse des Lancet series révèle d’abord l’évolution des connaissances, des discours et des injonctions dont les femmes, en tant que gestatrices, restent les premières cibles. Elle permet ensuite de repérer le mouvement original qui caractérise le déploiement des « mille jours », à savoir une initiative pensée aux Nords pour les Suds (sous-nutrition), puis opérant un retour aux Nords (malnutrition puis bien-être). Le premier numéro, intitulé Maternal and child undernutrition, est publié en 2008 et consacré à la santé future dans les Suds ; il deviendra le fer de lance des « mille jours ». Le second, sorti en 2013, voit son titre et donc son champ d’action évoluer : il est maintenant question de Maternal and child nutrition ; le basculement aux Nords opère. Ensuite 2016 voit la parution de deux numéros respectivement intitulés Early child development, marquant un élargissement du focus vers le bien-être des enfants, et Breastfeeding, faisant de l’allaitement la clé de voûte de la campagne. Le dernier numéro sorti en avril 2018, Preconception health, met enfin l’accent sur la nécessité d’agir bien en amont de la grossesse, dès l’âge de procréer.

Des acteurs-relais de taille

7La promesse des « mille jours » a ensuite circulé parmi d’autres acteurs inter-connectés, autant « d’entrepreneurs de morale » (Becker 1985) qui vont lui apporter une caution supplémentaire, notamment au regard du public. La rhétorique qu’ils mobilisent – mettre l’accent sur la nutrition précoce, faire porter la responsabilisation aux femmes et opérer un focus sur l’allaitement – est relativement homogène du fait que les « mille jours » servent leurs intérêts respectifs.

  • 8 Extrait original : “I think that we’ve always had in some ways a major focus on the thousand days b (...)

8Ce sont d’abord les organisations internationales qui vont à la fois relayer la campagne de sensibilisation et trouver en son sein de nouvelles formes d’organisation et de légitimation. La position de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est assez emblématique. Interrogé quant à sa rencontre avec les « mille jours », un épidémiologiste du Department of Nutrition for Health and Development précise que l’OMS travaillait déjà dans cette direction mais sans s’en être emparée globalement du fait d’une organisation interne par secteurs : « Je crois que nous avons toujours porté, en quelque sorte, une grande attention aux mille jours mais ne les avons jamais abordés de cette manière. En intégrant grossesse et petite enfance je veux dire »8 (épidémiologiste, OMS, Genève). A une plus large échelle, celles des Nations-Unies, les « mille jours » ont également permis d’uniformiser les discours, les recommandations et les actions, comme l’atteste cet extrait de la Déclaration de Rome de 2014 :

« Nous, ministres et représentants des Membres de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), réunis à Rome du 19 au 21 novembre 2014 à la deuxième Conférence internationale sur la nutrition, organisée conjointement par la FAO et l’OMS :
Réaffirmons que les politiques nutritionnelles devraient favoriser une alimentation variée, équilibrée et saine à tous les stades de la vie. Elles devraient notamment faire une place particulière aux « mille jours » allant du début de la grossesse à l’âge de 2 ans, aux femmes enceintes, aux femmes allaitantes, aux femmes en âge de procréer et aux adolescentes, en favorisant et en soutenant les soins et les pratiques alimentaires, dont l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois et la poursuite de l’allaitement jusqu’à l’âge de 2 ans et au-delà, avec une alimentation d’appoint appropriée […].
Nous engageons à élaborer des politiques, programmes et initiatives visant à assurer une alimentation saine pendant toute la vie, et ce, dès les premiers stades de la vie et jusqu’à l’âge adulte, notamment pour les personnes ayant des besoins nutritionnels spéciaux, avant et pendant la grossesse, en particulier pendant les « mille jours » en favorisant, en protégeant et en soutenant l’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois et la poursuite de l’allaitement au sein jusqu’à 2 ans et plus […] ».

9Enfin, la création du mouvement Scaling Up Nutrition (SUN) atteste parfaitement de l’influence des « mille jours » sur la réorganisation des Nations-Unies, d’abord en recentrant l’actualité (et les financements) sur la nutrition, qui était jusque-là relayée au second plan derrière l’agriculture, ce qui justifiera ensuite l’ouverture des frontières internes, comme nous l’explique l’une des responsables : « Ça [les « mille jours] a surtout permis de remettre la nutrition au centre alors qu’elle était le parent pauvre des Nations-Unies, encore plus depuis les émeutes de la faim, elle était complètement invisibilisée par l’agriculture, donc tout le monde s’en mêle et ce qui va être mis sur la table c’est qu’il va falloir travailler en multisectoriel » (membre du secrétariat de Scaling Up Nutrition, Genève).

10Le monde médical constitue un autre acteur-relais clé des « mille jours », la campagne de sensibilisation lancée par la société de pédiatrie brésilienne en 2013 en étant caractéristique. Cette dernière consistait en une série d’affiches « choc » mettant en scène une femme allaitant son bébé par le biais non pas d’un sein mais d’un hamburger, d’un donut ou encore d’une cannette de soda. Le message « Your child is what you eat » ornait les affiches. D’autres exemples de cette entreprise de moralisation de la vie quotidienne au travers des injonctions au care alimentaire existent. Sur notre terrain français, un entretien avec un gynécologue investi dans les « mille jours » donne à lire les risques de fabrication d’un nouveau dispositif de domination susceptible d’amoindrir l’agency – ou, pour le dire rapidement, la capacité de (ré)agir – de certaines femmes : « Une femme obèse, qui avait déjà accouché une fois dans ma clinique, est revenue me voir pour m’annoncer qu’elle était à nouveau enceinte. J’ai aussitôt contacté mes collègues pour discuter d’une éventuelle dénonciation auprès du conseil national [de l’ordre des médecins], la santé de l’enfant étant en jeu » (gynécologue, Toulouse).

11Enfin, dernier acteur-relais sur lequel notre analyse a porté, l’industrie agro-alimentaire s’est rapidement saisie des « mille jours ». La campagne lancée par la société brésilienne dont nous parlions précédemment avait d’ailleurs bénéficié d’un financement de Nestlé. Cette implication peut surprendre : quels intérêts pouvaient bien trouver les industriels, dont les produits sont généralement associés à la « malbouffe » par le public français, à cautionner une initiative dont les objectifs sont de promouvoir l’allaitement maternel et d’inviter les jeunes et futurs parents à mieux manger (et donc implicitement à davantage cuisiner) ? C’est qu’il s’agit surtout des industriels qui cherchent à remporter le marché de l’alimentation infantile en positionnant leurs produits comme des alternatives « saines » pour les parents en mal de temps ou de compétences culinaires/nutritionnelles.

12Un cas est particulièrement instructif, celui du Grand forum des tout-petits, une association de loi 1901 émanant du groupe Danone-Blédina et devenue un acteur incontournable des « mille jours » en France. Selon la responsable rencontrée, l’histoire a commencé en 2012 sur une « question business », leurs propres enquêtes consommateurs montrant d’une part une méfiance envers la valeur ajoutée de leurs produits, d’autre part une insuffisance de connaissances à propos des besoins nutritionnels des femmes enceintes et des bébés :

« On s’est rendu compte qu’il y avait sûrement une problématique sur la perte de connaissances de ce qu’était un bébé, une femme enceinte, et en termes de besoins nutritionnels spécifiques. Donc on est partis d’une réflexion nutrition-centrée. Si les gens ne comprennent pas que leurs enfants ont des besoins nutritionnels spécifiques jusqu’à au moins deux ans et que les femmes enceintes doivent adapter leur alimentation, c’est compliqué ensuite de tenir un discours par rapport à nos produits. Si tu ne donnes pas de profondeur à ce que tu fais, les gens se détournent de ton offre » (une responsable du Grand forum des tout-petits).

13En 2013, Danone-Blédina organise alors une conférence rassemblant des scientifiques et des professionnels autour de la nutrition précoce. Le jour même, le PDG propose de lancer un think tank qui sera décentré de l’entreprise pour gagner en légitimité. En novembre de la même année, l’assemblée générale en est constituée : elle comprend pour moitié des employés de l’entreprise et des personnalités des mondes scientifique et médical. La rhétorique mobilisée est d’abord construite autour des erreurs nutritionnelles que feraient les parents et que l’entreprise pourrait corriger (texture des aliments, composition nutritionnelle, etc.), se positionnant ainsi en complément voire en remplacement de ces derniers. Le grand forum des tout-petits multiplie alors les actions qui, outre le financement de projets et l’organisation d’une conférence annuelle sur le thème, s’orientent vers la sensibilisation des pouvoirs publics. Un « manifeste des mille jours » est rédigé puis « 28 propositions d’actions précoces » sont diffusées, l’objectif ultime étant d’imprégner le PNNS 4 qui sortira fin 2017. Si l’alimentation des bébés et des femmes enceintes reste la priorité, les frontières tendent à s’élargir en amont de la conception :

« on est vraiment sur une problématique de prévention précoce dans laquelle bien sûr l’alimentation a un rôle à jouer mais l’année prochaine [2018] on se prépare à proposer au conseil d’administration toute une campagne de sensibilisation sur l’importance de la visite pré-conceptionnelle » (une responsable du Grand forum des tout-petits).

De la promesse à la biopolitique

14L’un des objectifs de notre recherche était de saisir les modalités de traduction de cette promesse en termes politiques. Nous nous sommes donc intéressés à la manière dont le PNNS – la principale politique de santé publique sur l’alimentation en France – allait se saisir des « mille jours ». Rendu public fin 2017, le rapport produit par le Haut Conseil de la Santé Publique9 à propos du PNNS 4 surprend à plusieurs égards.

  • 10 Dont le fameux « Mangez au moins cinq fruits et légumes par jour ».
  • 11 Deux exemples à ce titre : la taxation des produits jugés de faible qualité nutritionnelle avec red (...)

15D’abord le « plan » devient « politique », ceci traduisant « le passage du volontariat [durant les trois premiers plans] à une véritable action de l’État, à l’échelle interministérielle, avec un ensemble de mesures législatives, fiscales et réglementaires » (un membre du groupe de travail du PNNS 4). Ce changement de pilotage traduit aussi un changement de cap en termes de recommandations. Basées sur la responsabilisation individuelle10 durant les trois premiers plans – ce sur quoi le bilan dressé en début de rapport est assez critique –, elles s’orientent vers une perspective d’actions par l’environnement11, dirigées vers deux nouveaux axes prioritaires : les inégalités sociales de santé et l’enfance.

16Ensuite, la surprise vient du fait qu’en dépit de l’actualité scientifique (les Lancet series), de la communication institutionnelle (notamment par l’OMS) et du lobby industriel (Danone-Blédina via Le grand forum des tout-petits), aucune référence explicite aux « mille jours » n’est faite dans le PNNS 4. Un autre membre du groupe de travail interrogé à ce sujet nous expliquera qu’il s’agit surtout « d’une initiative soutenue par les opérateurs économiques ». Il reste que l’on peut aisément en repérer les traces dans le rapport, la principale étant la mobilisation de la rhétorique du futur : pour qu’un enfant naisse et grandisse en bonne santé, l’attention doit être portée en amont et donc… incombe aux mères ! L’assignation genrée est une évidence à nouveau entérinée sans être questionnée en termes de division sexuelle du travail et d’injonction au care alimentaire ; réaffirmant que « de l’incapacité ponctuelle, momentanée des hommes à nourrir le nouveau-né, le système social en déduit la capacité durable, éternelle de la mère – et plus largement des femmes – à nourrir l’ensemble des enfants et des hommes » (Ferrand 1983 : 1279). Un public-cible émerge ainsi : les femmes enceintes et, plus largement, les femmes en âge de procréer. Emblématique est la présence d’informations et de recommandations concernant l’alimentation et le gain de poids durant la grossesse au sein du chapitre intitulé « Problématiques nutritionnelles spécifiques des enfants ». Plus largement, l’allaitement maternel est mobilisé dans l’ensemble du document et présenté comme la solution à tous les maux – de la prévention du cancer du sein pour les mères en passant par la réduction de la mort subite du nourrisson, des otites et des affections respiratoires des enfants – à condition d’être pratiqué de manière exclusive pendant « au moins 4 mois et au maximum 6 mois », puis maintenu dans l’idéal jusqu’à deux ans. Au-delà de l’argument sanitaire désormais bien connu et relativement consensuel d’un point de vue scientifique, l’allaitement maternel permettrait d’augmenter et d’améliorer l’expérience sensorielle des nourrissons et, par là-même, de réduire la phase de néophobie et d’élargir le répertoire alimentaire. L’injonction se fait donc aussi morale : en allaitant un enfant, on lui donnerait ainsi les premières clés pour devenir un·e (bon·ne) citoyen·ne, par l’incorporation propre et symbolique des caractéristiques d’un modèle alimentaire toujours fondé sur l’héritage de la gastronomie française (primauté du goût, importance du plaisir, etc.) (Mathé et al. 2009).

  • 12 Selon les références mobilisées dans le rapport du PNNS 4, environ un enfant sur cinq bénéficierait (...)

17Une réflexion critique est toutefois conduite sur cette injonction à l’allaitement maternel exclusif, potentiellement stigmatisante pour les femmes qui ne peuvent ou ne souhaitent le faire. C’est pourquoi l’idée est de « promouvoir des environnements favorables à l’allaitement » (2017 : 85), sur le lieu de travail comme dans les espaces publics, et d’améliorer la formation des professionnels de santé. Mais il est aussi question, dans cette perspective d’actions par l’environnement, de lancer une expérimentation qui consisterait à prolonger la durée du congé maternité pour mesurer les potentielles améliorations en termes de durée de l’allaitement maternel, la France étant estimée mauvaise élève en la matière12. On sait pourtant combien les congés parentaux, lorsqu’ils ne concernent que les femmes, sont associés au renforcement des inégalités de genre au sein des couples hétérosexuels. De surcroît, la perspective individualisante et culpabilisante de laquelle cette nouvelle version du PNNS tente de se distancier reste cependant palpable. Les mères sont ainsi invitées à être plus impliquées dans le rôle de nourricière qui leur revient : « les enfants nourris avec des préparations pour nourrisson ou ceux dont la mère a une alimentation peu diversifiée […] seront moins à même de développer une attirance pour les légumes » (ibid. : 79). Leur niveau d’observance à l’égard des recommandations de santé publique est également pointé : « seules 15 % des femmes ont pris cette supplémentation [en acide folique] en 2010, et ce malgré les campagnes d’information qui ont débuté en 2005 » ibid : 86) ; ce à quoi le rapport propose entre autres de « diffuser une information massive auprès des femmes en âge de procréer » ibid : 88). On voit ici poindre un registre de culpabilisation qui reste un outil de réification des rapports de pouvoir : la prise en charge du care étant « réalisée non pas pour soi mais pour d’autres et toujours au nom de la nature, de l’amour ou du devoir maternel » (Kergoat 2004 : 37). Et ce sans quoi, pour le care alimentaire, les conséquences pourraient être graves, jusqu’à la maladie de leurs enfants. Une telle invitation au néo-maternalisme est renforcée par une dynamique sociétale de protection des enfants à naître, influencée tant par le développement de la médecine et des technologies que par la puissance des lobbys anti-avortement : l’émergence, aux États-Unis comme en France, de la « faute de diagnostique prénatal » (Goyaux 1998) ainsi que la reconnaissance grandissante d’une « citoyenneté fœtale » (Morgan, Michaels 1999) en sont des exemples. La puissance morale du concept de « bien de l’enfant » (Meyer 2007) vient ensuite entériner le caractère secondaire de la liberté reproductive et l’autodétermination des femmes face à la santé (future) de leur (éventuelle) progéniture.

18Ce dispositif de gouvernement de la vie a ainsi pour particularité d’envisager des actions par l’environnement en vue de réduire les inégalités sociales de santé et, tout à la fois, d’introduire et de renforcer des mécanismes d’autocontrôle et d’auto-surveillance des corps, dont l’alimentation reste un levier classique (Dubuisson-Quellier 2016), voire, sous l’angle du genre un « pivot du dispositif qui fonde la responsabilité des femmes de la sphère reproductive » (Ferrand 1983 : 1272). « L’idée de l’éducation thérapeutique, d’éducation sanitaire, bref toutes les formes qui sont dirigées vers l’individu demeurent […] S’adresser à l’individu reste pertinent » (membre du groupe de travail du PNNS 4). On observe ainsi une tension, désormais classique dans l’analyse des politiques de santé publique (Vallgårda 2015, Lutz 2018), entre un « registre social » dont l’objectif est d’agir sur les déterminants structurels de la santé et des maladies, et un « registre libéral » qui fait appel à la responsabilité des citoyens. Cette tension est emblématique de ce que d’aucuns ont nommé soft paternalism (Feinberg 1986).

L’envers de la promesse

  • 13 On a un temps considéré qu’au moment de la fécondation, il y avait un « nettoyage » des marques épi (...)

19L’épigénétique (nutritionnelle) est un domaine scientifique en plein essor qui donne déjà lieu à des applications – les « mille jours » en étant un exemple – malgré d’importantes controverses, que l’on peut situer à deux niveaux (Fournier, Poulain 2017). D’abord à l’échelle scientifique, des progrès sont attendus quant au transfert des connaissances acquises sur les modèles végétaux/animaux à l’espèce humaine (Kenney, Müller 2017) et concernant la validation de la transmission transgénérationnelle des marques épigénétiques13 (Heard, Martienssen 2014). Ensuite, à l’échelle sociale et politique, nombre d’études pointent la trop faible considération de la complexité du social (Müller et al. 2017) et les risques de sur-responsabiliser les individus (Hedlund 2012), notamment les femmes (Richardson et al. 2014). L’objectif de cette seconde partie est donc de montrer que les actions précédemment décrites, même lorsqu’elles émanent d’acteurs et d’actrices installé·e·s dans une « bonne conscience » – œuvrer pour la santé future des enfants –, peuvent par ailleurs produisent des effets sociaux, éthiques et politiques délétères.

Ruptures et glissements normatifs

20Trois types de glissements normatifs que les « mille jours » produisent ou contribuent à renforcer ont été identifiés.

Biolégitimité du care alimentaire

21Dans la campagne de sensibilisation des « mille jours », nous l’avons vu, le futur est mobilisé comme une rhétorique permettant la création d’une réalité sociale nouvelle : la santé (future) des enfants se jouerait non seulement en amont de leur naissance, pendant la grossesse comme le montrent depuis un certain temps les travaux sur l’origine développementale de la santé et des maladies (Charles, Junien 2012), mais également avant la grossesse, lors de la période pré-conceptionnelle. C’est ainsi qu’émerge une citoyenneté fœtale ou embryonnaire, voire pré-embryonnaire (Lupton 2012), qui vient légitimer le déploiement d’une prévention précoce – et donnant, en passant, du grain à moudre aux discours anti-IVG sur le « droit à la vie » des embryons. Fassin (2005) parle plus particulièrement d’une biolégitimité, qui fait du corps malade, souffrant, menacé, qui plus est du corps enfantin, la justification d’une prise en charge. Cette dernière, en étant dirigée sur le domaine alimentaire, contribue à intensifier le processus de nutritionnalisation qui peut être appréhendé comme la réduction de l’alimentation à sa seule composante nutritionnelle et à son seul horizon sanitaire, et ce bien souvent au détriment d’autres dimensions tout aussi fondamentales des rapports d’un individu à son alimentation : le lien social, les identités socio-culturelles, etc. D’un point de vue éthique, cette possibilité d’aiguiller le destin biologique et social des progénitures par une optimisation nutritionnelle des pratiques alimentaires des parents maintient un lien avec la pensée eugéniste qui, dans ses évolutions contemporaines, place l’individu au centre du dispositif et l’invite à une « exploitation intensive de soi » (Rosental 2016). De surcroît, ce processus inscrit l’alimentation dans une possible judiciarisation, avec la potentialité de conflits socio-sanitaires à venir entre générations.

Réification d’un gouvernement sexiste des corps

22Cette biolégitimité du care alimentaire est implicitement et explicitement orientée vers les femmes. Ce sont elles en effet qui portent les enfants à naître, elles encore qui allaitent et elles enfin qui, majoritairement, nourrissent les enfants (Fournier et al. 2015, Prévost 2015, Dupuy 2017). Si gouvernement des corps il y a, ce sont bien ceux des femmes dont il s’agit. Certes, au vu des dernières avancées scientifiques qui invitent à considérer davantage la période pré-conceptionnelle – le dernier Lancet series par exemple –, il conviendrait d’interroger le rôle que les pères pourraient jouer plus concrètement. Leur état de santé au moment de la fécondation, lié à des expositions environnementales (nutrition, alcool, etc.), influencerait effectivement la qualité de leur sperme et la transmission des marques épigénétiques (Day et al. 2016). Cette rhétorique est d’ailleurs régulièrement mobilisée par les (épi)généticien·nes pour tenter de désamorcer la critique selon laquelle ce type d’études contribuerait à renforcer la pression sur la responsabilité des femmes et donc à réifier l’ordre de genre. Mais force est de constater – dans le matériau empirique précédemment exposé et analysé – que le corps des femmes reste inlassablement la cible privilégiée de l’attention et des recommandations. Dans son étude des évolutions de la perception corporelle des femmes enceintes, Barbara Duden témoignait d’ailleurs de l’ancienneté du processus de contrôle du corps féminin en vue de la sauvegarde de leur progéniture, conceptualisant le corps des femmes comme lieu public (Duden 1996). So what, old wine in a new bottle ? (Cahen 2014, Tain 2013). Non, car ce qu’il y a de nouveau c’est d’une part que ces données sont présentées comme indiscutables car présentement légitimées par la science et, d’autre part, que la cible s’élargit vers toutes les femmes en âge de procréer. La promesse des « mille jours » contribue ainsi à inscrire la parentalité comme une étape normale (pour ne pas dire indérogeable) de la vie et à réduire les corps des femmes en âge de procréer, y compris des adolescentes, à leur fonction reproductive qu’elles se devront de contrôler et de faire contrôler, et ce non pas en vue d’améliorer leur santé mais celle, future, de leur progéniture (potentielle).

Responsabilisation VS stigmatisation

23Cette intense responsabilisation des femmes est, pour reprendre Rose (2007), « une épée à double tranchant » : d’un côté elle semble leur fournir davantage d’informations et de pouvoir afin d’éclairer leurs choix en matière de santé ; de l’autre elle les contraint d’adopter un rôle préventif continu et introduit, de fait, un phénomène de stigmatisation et d’assujettissement à des normes dominantes de féminité renouvelées. Elle sous-tend aussi, pour celles qui ne veulent ou ne peuvent s’y conformer, des sentiments de culpabilité ou d’injustices, voire des affects de rage enfermés face aux expériences vécues, aussi multiples qu’inéluctables, des rapports de pouvoir (Dorlin 2017). D’autres auteur·e·s ont attiré l’attention sur l’émergence d’une responsabilité morale attachée aux mécanismes épigénétiques (Hedlund 2012 ; Dupras, Ravitsky 2016), en insistant sur sa nécessité d’être plus prospective que rétrospective et davantage dirigée vers l’État que vers l’individu. Mais on voit, avec l’exemple des « mille jours », d’une part que l’injonction à la responsabilité individuelle – et ses possibles dérives – reste présente et est même revendiquée (PNNS 4), d’autre part que les actions de prévention – qui partent donc a priori d’une « bonne intention » – contribuent à réaffirmer des assignations et stigmatiser de nouveaux groupes cibles, en l’occurrence ici les femmes enceintes obèses, les mères non-allaitantes mais aussi à termes, celles en situation de précarité (qui, au demeurant, sont aussi plus souvent racisées). C’est tout au moins ce dont témoigne le pendant états-unien de notre enquête, où l’attention des expert·es s’est révélée tournée vers les femmes Africaines Américaines des quartiers urbanisés pauvres : aux représentations de « mal-mangeuses » liées à leur appartenance à une classe sociale perçue comme davantage tournée vers la « malbouffe », s’ajoutent ainsi celles de « mal-nourrissantes ». Cette attention particulière à des populations en permanence pointées du doigt, loin d’œuvrer en leur faveur (Müller et al. 2017), renforce au contraire les inégalités sociales et de santé (Loi et al. 2013, Guibet Lafaye 2014).

L’injonction féminine au care alimentaire, productrice de praxis dissidentes ?

  • 14 Du nom du producteur hollywoodien, Harvey Weinstein, publiquement accusé d’agressions sexuelles par (...)

24Il convient enfin d’interroger, en réponse à ces glissements normatifs, les possibilités pour les individus d’y résister. Si l’on considère le concept de subjectivation (Foucault 1984) et ses prolongements (Butler 2005, Dorlin 2017), c’est d’abord la réflexivité qui permet la critique, l’appropriation et l’autonomisation, en somme une première forme de résistance. Le domaine alimentaire constitue justement un lieu de lecture de l’intensification de cette réflexivité, cette dernière opérant par une attention accrue au corps et à la santé, attention emprunte de morale (Adamiec 2016) mais parfois associée à des revendications éthiques et politiques que le domaine émergent des « critical food studies » décrypte depuis quelques années. Le développement de pratiques expérientielles – jeûne, cure mono-aliment, etc. – et la revendication d’idiosyncrasies alimentaires – régimes « sans », végétarisme, etc. (Fischler 2013) – peuvent ainsi traduire un travail d’appropriation des normes sociales qui conduit à des formes de politisation et d’agentivité (Abbots 2017). À première vue, et justement puisqu’elle contribue à une intensification de la réflexivité, l’injonction au care alimentaire induite par les « mille jours » semble donc propice à l’émergence de résistances. Et c’est sans compter la vague de mobilisations féministes contemporaines – par exemple suite à ladite « affaire Weinstein » en 201714 – témoignant d’une dynamique de politisation des subjectivités éprouvées dans la sphère intime. En outre, la ré-assignation prioritaire des femmes au care (et au care domestique) pourrait se trouver en butte au refus de l’adage « plus ça change, plus c’est la même chose », désormais insoutenable pour les femmes appelées des vœux de tous à être des citoyennes émancipées (Le Feuvre 2014). Pourquoi en effet, ce qui s’apparenterait à un backlash (Faludi 1993), sorte de retour en arrière brutal des acquis des luttes féministes, ne pourrait-il pas engendrer une riposte d’empowerment visant à « se défendre » de l’expérience quotidienne, vécue individuellement, du sexisme (Dorlin 2017) ?

  • 15 En s’intéressant aux modes de gouvernement des corps dans les sociétés contemporaines, Dominique Me (...)

25Cela étant, il faut rappeler que cette injonction s’inscrit dans ce que Memmi nomme la biopolitique déléguée15, qui conduit à « une véritable séduction, voire érotisation, de l’autocontrôle » (Memmi 2010 : 301), accentuant sans cesse les tensions entre adhésion et dissidence : elle donne en effet aux individus l’illusion positive de l’émancipation (Rose 2007). De surcroît, elle introduit le devoir de responsabilité à l’égard d’un autrui faible, dépendant et en devenir – sa propre descendance – et dont il convient de prendre soin (Fassin 2005). Une enquête qualitative menée en France sur les manières dont le public se saisit des applications post-génomiques (Fournier, Poulain 2018b) a ainsi montré que la critique généralement conduite à l’égard de la nutritionnalisation de l’alimentation s’effondre lorsque la responsabilité parentale est introduite dans l’équation. Même les individus les plus récalcitrants à l’idée de modifier leurs pratiques alimentaires pour des raisons de santé se disaient enclins à le faire s’il s’agissait de protéger voire d’améliorer celle de leur(s) enfant(s). Plus, cette responsabilité parentale était positivement appréhendée, les éventualités d’y résister n’étant pas même envisagées. Lorsqu’elles deviennent mères, les femmes s’adossent bien davantage à un modèle de féminitude – c’est à dire restant les principales pourvoyeuses de care y compris lorsqu’elles ont des responsabilités professionnelles – qu’à un modèle de transformation du genre, impliquant significativement les hommes dans les charges pratiques et mentales du soin (Jarty 2013, Le Feuvre et al. 2007). Cette manière d’user de la figure des « innocent victims » pour induire des changement de pratiques est d’ailleurs classique en santé publique et notamment incarnée par les campagnes visant à lutter contre le tabagisme passif (Berridge 1999).

26D’autres travaux ont montré que les recommandations nutritionnelles ne sont pas appréhendées de manière uniforme. Le positionnement social constitue ainsi, aux côtés des dimensions culturelle et interactionnelle, l’un des mécanismes explicatifs du relativisme nutritionnel (Fournier 2014), notion qui permet de penser la faible performativité des dites recommandations. Il faut dire que les messages de santé publique restent implicitement formulés par et à destination des catégories moyennes supérieures (Étiévant et al. 2010), ce qui explique d’un côté que les individus situés en haut de l’échelle sociale incorporent véritablement les recommandations, au point de développer un « goût pour les aliments bons pour la santé » (Régnier, Masullo 2009), de l’autre côté que les individus du bas de l’échelle sociale se sentent moins concernés et confrontés à leurs inégalités de compétence, liées à des capitaux économique et culturel différents. La réflexivité alimentaire renvoie à une problématique du long terme qui échappe bien davantage aux populations précaires, prises dans les urgences du quotidien. Même en contexte d’injonction au care alimentaire, par exemple dans le cadre de l’allaitement maternel, ces populations sont celles qui mettent le moins en application les recommandations (Gojard 2010). Et si l’on observe de manière générale une plus grande perméabilité nutritionnelle lors du passage à la parentalité (par exemple sur la consommation de fruits et légumes), car motivée par l’envie d’une transmission saine, Reckinger et Régnier (2017) montrent combien les femmes et plus encore les mères se placent en situation de « posture proactive de responsabilité personnelle ». Cette posture, en revanche, varie considérablement en fonction de leur position socio-économique : elle peut être « positive » chez les plus favorisées (la nutrition comme challenge) ou « négative » chez les plus démunies (la nutrition comme fardeau). Que faut-il voir dans ce phénomène ? D’abord que l’incorporation des recommandations et normes de santé permet le maintien des privilèges sociaux, ce qui éloigne les individus culturellement et économiquement favorisés des nécessités d’y résister. Ensuite que l’écart à la norme ne traduit pas nécessairement la dissidence mais peut être l’expression d’une dite « incompétence sociale ». Pour démêler, dans les écarts à la norme, ce qui relève d’une résistance de ce qui provient d’un défaut de compétences, il conviendrait d’étudier plus finement les formes d’appropriation, au quotidien, des recommandations nutritionnelles.

Conclusion

27À travers cette enquête, nous avons montré que l’épigénétique (nutritionnelle) engage une nouvelle phase de la biopolitique, tant par les savoirs biomédicaux qui sont à son fondement que par les rapports de pouvoir qu’elle introduit via la campagne de sensibilisation des « mille jours ». Aussi, l’objet de notre réflexion était de saisir dans quelle mesure ce couple savoir/pouvoir renouvelé pourrait susciter des résistances (d’ordre cognitif) de la part des individus qui en constituent la cible – en l’occurrence les femmes – et a fortiori des dissidences notamment alimentaires (d’ordre pratique). Si les glissements normatifs induits par ladite campagne sont susceptibles de faire émerger des discours critiques, des formes de résistance et des possibilités de dissidence, ils agissent surtout comme une tentative bien ficelée d’entrave au processus d’émancipation de corps historiquement assujettis sous couvert de leur fonction reproductive.

28Ce premier travail d’investigation appelle désormais à une analyse empirique des formes d’appropriation, au quotidien, des recommandations sanitaires et nutritionnelles élaborées à partir du PNNS 4. Les travaux de Certeau (1990) apparaissent particulièrement instructifs pour saisir les « ruses », les « bricolages » et les manières dont les individus « braconnent » l’ordre social. Il invite ainsi à distinguer entre ce qui relève d’une stratégie, sciemment élaborée et érigée en ligne de conduite, et d’une tactique, produite plus spontanément et attestant d’une capacité de réactivité. Certes les « mille jours », en raison de la biolégitimité du care alimentaire qu’ils introduisent, rendent à ce jour difficile les stratégies de résistance à une vision de l’alimentation réduite à son seul pouvoir nutritionnel ainsi qu’à son détournement en un instrument de maintien d’un ordre de genre rappelant aux mères « leurs devoirs ». On peut toutefois émettre l’hypothèse selon laquelle ils pourraient occasionner des tactiques de résistance, situées entre une incapacité à suivre les recommandations attenantes et une volonté de s’en distancier. De même, l’invitation de Scott (1990) à identifier ce qu’il nomme les « hidden transcripts » – ces micro-actes de résistance produits à l’insu et à l’abri du regard des groupes dominants – doit être prise au sérieux. Autant de signes potentiels d’une « dissidence silencieuse » qu’il conviendrait d’étudier.

Haut de page

Bibliographie

Abbots E. J. (2017), The agency of eating. Mediation, food and the body, London, Bloomsbury.

Abbots E. J., Lavis A., Attala L. (2015), Careful eating. Bodies, food and care, New-York, Routledge.

Adamiec C. (2016), Devenir sain. Des morales alimentaires aux écologies de soi, Rennes, PUR/PUFR.

Bardon H. (2010), « Allaiter et travailler : puisqu’on vous dit que c’est possible », Travail, Genre et Sociétés, 24, 2, p. 129-149.

Becker H. (1985), Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié.

Berridge V. (1999), « Passive smoking and its pre-history in Britain: Policy speaks to science? », Social Science & Medicine, 49, 9, p. 1183-1195.

Borup M., Brown N., Konrad K., Van Lente H. (2006), « The sociology of expectations in science and technology », Technology Analysis & Strategic Management, 18, 3-4, p. 285-298.

Brown N., Rappert B., Webster A. (2000), Contested futures. A sociology of prospective techno-science, Aldershot, Ashgate.

Burdge G. C., Lillycrop K. A. (2010), « Nutrition, epigenetics, and developmental plasticity: Implications for understanding human disease », Annual Review of Nutrition, 30, 1, p. 315-339.

Butler J. (2005), Troubles dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, Paris, La Découverte.

Cahen F. (2014), « Le gouvernement des grossesses en France (1920-1970) », Revue d’Histoire de la Protection Sociale, 7, 1, p. 34-57.

Carey N. (2012), The epigenetics revolution. How modern biology is rewriting our understanding of genetics, disease, and inheritance, New York, Columbia University Press.

Certeau (de) M. (1990), L’invention du quotidien. tome 1 : Arts de faire, Paris, Gallimard.

Charles M. A., Junien C. (2012), « Les origines développementales de la santé (DOHaD) et l’épigénétique. Une révolution pour la prévention des maladies chroniques de l’adulte », Questions de Santé Publique, 18, <http://www.iresp.net/iresp/files/2013/04/120925150459_qspn-18-dohad.pdf>.

Choi S. W., Friso S. (2010), « Epigenetics: A new bridge between nutrition and health », Advances in Nutrition, 1, 1, p. 8-16.

Coveney J. (2006), Food, morals and meaning: The pleasure and anxiety of eating, New York, Routledge.

Cresson G. (2006), « La production familiale de soins et de santé. La prise en compte tardive et inachevée d’une participation essentielle », Recherches Familiales, 3, 1, p. 6-15.

Dalgalarrondo S., Hauray B. (2015), « Les économies de la promesse anti-âge. Le cas de la DHEA », Sciences Sociales et Santé, 33, 2, p. 5-30.

Day J., Savani S., Krempley B. D., Nguyen M., Kitlinska J. B. (2016), « Influence of paternal preconception exposures on their offspring: Through epigenetics to phenotype », American Journal of Stem Cells, 5, 1, p. 11-18.

Dorlin E. (2017), Se défendre. Une philosophie de la violence, Paris, Zones.

Dubuisson-Quellier S. (dir.) (2016), Gouverner les conduites, Paris, Presses de Sciences Po.

Duden B. (1996), L’invention du fœtus : le corps féminin comme lieu public, Paris, Descartes.

Dupras C., Ravitsky V. (2016), « The ambiguous nature of epigenetic responsibility », Journal of Medical Ethics, 42, 8, p. 534-541.

Dupuy A. (2017), La division sexuelle du travail alimentaire : qu’est-ce qui change ?, in Dubet F. (dir.), Que manger ? Normes et pratiques alimentaires, Paris, La Découverte, p. 164-179.

Étiévant P., Bellisle F., Dallongeville J., Etilé F., Guichard E., Padilla M., Romon-Rousseaux M. (2010), Les comportements alimentaires. Quels en sont les déterminants ? Quelles actions, pour quels effets ? Paris, Inra.

Faludi S. (1993), Backlash. La guerre froide contre les femmes, Paris, Des femmes.

Fassin D. (2005), Biopouvoir ou biolégitimité ? Splendeurs et misères de la santé publique, in Granjon M. C. (dir.), Penser avec Michel Foucault. Théorie critique et pratiques politiques, Paris, Khartala, p. 161-182.

Feinberg J. (1986), The moral limits of the criminal law: Harm to self, Oxford, Oxford University Press.

Ferrand M. (1983), « Faut-il nourrir les enfants ? De la nature à la mère nourricière », Les Temps Modernes, 438, p. 1271-1286.

Fischler C. (2013), Les alimentations particulières. Mangerons-nous encore ensemble demain ?, Paris, Odile Jacob.

Foucault M. (1976), Histoire de la sexualité I : La volonté de savoir, Paris, Gallimard.

Foucault M. (1984), Histoire de la sexualité II : L’usage des plaisirs, Paris Gallimard.

Foucault M. (1990), « Qu’est-ce que la critique ? », Bulletin de la Société Française de Philosophie, 84, 2, p. 35-63.

Foucault M. (2004), Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Le Seuil.

Fournier T. (2014), « Face à l’injonction diététique, un ‘relativisme nutritionnel’ en France », SociologieS, <https://sociologies.revues.org/4628>.

Fournier T., Jarty J., Lapeyre N., Touraille P. (2015), « L’alimentation, arme du genre », Journal des Anthropologues, 140-141, 1, p. 19-49.

Fournier T., Poulain J.-P. (2017), « La génomique nutritionnelle. (Re)penser les liens alimentation-santé à l’articulation des sciences sociales, biomédicales et de la vie », Natures Sciences Sociétés, 25, 2, p. 111-121.

Fournier T., Poulain J.-P. (2018a), Épigénétique et alimentation, in Poulain J.-P. (éd.), Dictionnaire des cultures alimentaires, Paris, PUF, p. 516-521.

Fournier T., Poulain J.-P. (2018b), « Eating according to one’s genes? Exploring the French public’s understanding of and reactions to personalized nutrition », Qualitative Health Research, 28, 14, p. 2195-2207.

Gaudillère J.-P. (2016), « A new international health order ? Performance, neoliberalism and tools of the medico-economic government », Écologie & Politique, 52, 1, p. 107-124.

Gojard S. (2010), Le métier de mère, Paris, La Dispute.

Goyaux N. (1998), Conjurer la mort : surveiller la grossesse, protéger l’enfant à naître, in Le Grand-Sébille C., Morel M.-F., Zonabend F. (éds), La mort, le foetus, le nourrisson, Paris, L’Harmattan, p. 127-141.

Guibet Lafaye C. (2014), « L’épigénétique : pour de nouvelles politiques de santé ? », Humanistyka i Przyrodoznawstwo, p. 4-22.

Heard E., Martienssen R. A. (2014), « Transgenerational epigenetic inheritance: Myths and mechanisms », Cell, 157, 1, p. 95-109.

Hedlund M. (2012), « Epigenetic responsibility », Medicine Studies, 3, 3, p. 171-183.

Hochberg Z., Feil R., Constancia M. et al. (2011), « Child health, developmental plasticity, and epigenetic programming », Endocrine Reviews, 32, 2, p. 159- 224.

Jarty J. (2013), « Gestion de l’interface emploi-famille. Pourquoi les pratiques des enseignantes françaises et espagnoles ne se ressemblent-elles pas ? », Enfances, Familles, Générations, 18, p. 17-34.

Kenney M., Müller R. (2017), « Of rats and women: Narratives of motherhood in environmental epigenetics », BioSocieties, 12, 1, p. 23-46.

Kergoat D. (2004), Division sexuelle du travail et rapports sociaux de sexe, in Hirata H. et al., Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, p. 35-44.

Le Feuvre N. (2014), Appréhender les défis de l’incertain sous l’angle du genre, in Vrancken D. (dir.), Penser l’incertain, Paris, France et Québec, Canada, Éditions Hermann et Presses de l’Université Laval, p. 113‑138.

Le Feuvre N., Guillaume C. (2007), « Les processus de féminisation au travail : entre différenciation, assimilation et ‘dépassement du genre’ », Sociologies Pratiques, 14, 1, p. 11-15.

Loi M., del Davio L., Stupka E. (2013), « Social epigenetics and equality of opportunity », Public Health Ethics, 6, 2, p. 142-153.

Lupton D. (2012), Configuring maternal, preborn and infant embodiment, Sydney Health & Society Group Working Paper No. 2, Sydney, Sydney Health & Society Group.

Lutz A. (2018), « De la biopolitique à la discipline du corps. Les dynamiques de savoir-pouvoir dans les politiques de lutte contre l’obésité de l’enfant », Sciences Sociales & Santé, 36, 3, p. 69-92.

Mathé T., Tavoularis G., Pilorin T. (2009), La gastronomie s’inscrit dans la continuité du modèle alimentaire français, Paris, CREDOC.

McGoey L., Thiel D., West R. (2018), « Le philantrocapitalisme et les crimes des dominants », Politix, 121, 1, p. 29-54.

Memmi D. (2010), « L’autoévaluation, une parenthèse ? Les hésitations de la biopolitique », Cahiers Internationaux de Sociologie, 128-129, p. 299-314.

Meyer A. (2007), « The moral rhetoric of childhood », Childhood, 14, 1, p. 85-104.

Molinier P., Laugier S., Paperman P. (éds) (2009), Qu’est-ce que le care ? Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Paris, Payot.

Morgan L. M., Michaels M. W. (eds) (1999), Fetal subjects, feminist positions, Philadelphia, University of Pennsylvania Press.

Müller R., Hanson C., Hanson M. et al. (2017), « The biosocial genome? Interdisciplinary perspectives on environmental epigenetics, health and society », EMBO Reports, 18, 10, p. 1677-1682.

Poulain J.-P. (2009), Sociologie de l’obésité, Paris, PUF.

Prévost H. (2015), « Des tomates et des femmes », Journal des anthropologues, 140-141, <http://journals.openedition.org/jda/6052>.

Rabinow P., Rose N. (2006), « Biopower today », BioSocieties, 1, 2, p. 195-217.

Reckinger R., Régnier F. (2017), « Diet and public health campaigns: Implementation and appropriation of nutritional recommendations in France and Luxembourg », Appetite, 112, p. 249-259.

Régnier F., Masullo A. (2009), « Obésité, goûts et consommation. Intégration des normes d’alimentation et appartenance sociale », Revue Française de Sociologie, 50, 4, p. 747-773.

Richardson S., Daniels C., Gillman M., Golden J., Kukla R., Kuzawa C., Rich-Edwards J. (2014), « Don’t blame the mothers », Nature, 512, p. 131-132.

Rose N. (2007), The politics of life itself : Biomedicine, power, and subjectivity in the twenty-first century, Princeton, Princeton University Press.

Rosental P.-A. (2016), Destins de l’eugénisme, Paris, Le Seuil.

Scott J. C. (2009), La domination et les arts de la résistance : fragments du discours subalterne, Paris, Broché.

Scrinis G. (2013), Nutritionism. The science and politics of dietary advice, New-York, Columbia University Press.

Tain L. (2013), Le corps reproducteur. Dynamiques de genre et pratiques reproductives, Paris, Presses de l’EHESP.

Vallgårda S. (2015), « Governing obesity policies from England, France, Germany and Scotland », Social Science & Medicine, 147, p. 317-323.

Haut de page

Notes

1 Ce programme de recherche était intitulé « Vers une politique de l’épigénétique. L’élaboration du programme de santé publique sur les mille premiers jours de vie » et financé par le LabEx TEPSIS <https://tepsis.io>.

2 Que l’on désignera par la formule simplifiée « mille jours » dans le reste de l’article.

3 L’Étude de la famine hollandaise de 1944 a montré que les enfants conçus durant cette période auraient davantage développé de maladies métaboliques à l’âge adulte que les enfants conçus un peu avant ou un peu après. De plus, cette susceptibilité se serait transmise de manière épigénétique durant trois générations. Voir Carey 2012.

4 <https://thousanddays.org>.

5 Notamment par sa volonté d’œuvrer en faveur du congé maternité rémunéré, ce qui n’est pas le cas aux États-Unis.

6 Soit l’équivalent du poste de secrétaire d’État qu’occupe Hillary Clinton.

7 Elle obtiendra deux autres financements de la fondation Bill & Mélinda Gates et un de la fondation Kellogg.

8 Extrait original : “I think that we’ve always had in some ways a major focus on the thousand days but never had the cue way of describing it that way. Pregnancy and early childhood I mean”.

9 Ce rapport, dont sont extraites les citations qui suivent, est consultable ici : <https://www.hcsp.fr/explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=632>.

10 Dont le fameux « Mangez au moins cinq fruits et légumes par jour ».

11 Deux exemples à ce titre : la taxation des produits jugés de faible qualité nutritionnelle avec redistribution financière aux familles précaires pour encourager la consommation d’aliments frais ; l’interdiction de la publicité pour ces mêmes produits à la télévision aux heures d’écoute par les enfants.

12 Selon les références mobilisées dans le rapport du PNNS 4, environ un enfant sur cinq bénéficierait d’un allaitement maternel exclusif à l’âge de six mois en France (en 2012), un chiffre (éternellement) jugé trop faible par ses promoteurs confrontés de surcroît à la normalisation de la participation des jeunes mères à un marché du travail aujourd’hui peu adapté aux exigences de l’allaitement (Bardon 2010).

13 On a un temps considéré qu’au moment de la fécondation, il y avait un « nettoyage » des marques épigénétiques des parents. Cependant, des travaux expérimentaux sur la souris ont montré que les brins d’ADN portés par les gamètes n’en sont pas totalement « vierges ». Certaines marques épigénétiques pourraient ainsi être transmises d’une génération à l’autre, du moins la partie d’entre elles qui « passerait » les deux principales phases de reprogrammation des génomes parentaux au cours desquelles elles sont censées être effacées. Ces études invitent toutefois à la prudence : d’une part quant au transfert de ces connaissances à l’espèce humaine (il s’agit pour la grande majorité de recherches réalisées sur les souris), d’autre part quant aux modalités de transmission des marques épigénétiques d’une génération à l’autre.

14 Du nom du producteur hollywoodien, Harvey Weinstein, publiquement accusé d’agressions sexuelles par une centaine de femmes, puis formellement inculpé pour viol et relations sexuelles forcées. Ce scandale fut le levier d’une déferlante de dénonciations similaires au sein de différentes sphères et donna lieu au phénomène #metoo, hashtag encourageant les femmes agressées à ne plus se taire et à partager leurs expériences.

15 En s’intéressant aux modes de gouvernement des corps dans les sociétés contemporaines, Dominique Memmi (2010) met l’accent d’une part sur l’atténuation progressive de la centralité de l’État au profit de celle des professionnels, d’autre part sur la distribution des tâches de régulation en direction des patients eux-mêmes.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Tristan Fournier et Julie Jarty, « Gouverner les ‘mille premiers jours de vie’ »Revue des sciences sociales, 61 | -1, 46-55.

Référence électronique

Tristan Fournier et Julie Jarty, « Gouverner les ‘mille premiers jours de vie’ »Revue des sciences sociales [En ligne], 61 | 2019, mis en ligne le 13 juin 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/revss/3793 ; DOI : https://doi.org/10.4000/revss.3793

Haut de page

Auteurs

Tristan Fournier

CNRS, Iris, Paris
tristan.fournier[at]ehess.fr

Julie Jarty

Université de Toulouse Jean-Jaurès et Certop-CNRS
jarty[at]univ-tlse2.fr

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-SA-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-SA 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search