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Entretien de Jean-Pierre Boutinet réalisé par Raymond Bourdoncle et Annette Gonnin-Bolo
Jean-Pierre Boutinet, Raymond Bourdoncle et Annette Gonnin-Bolo
p. 109-124

Texte intégral

1Annette Gonnin-Bolo – Vous avez travaillé sur de nombreux objets de recherche tout au long de votre vie professionnelle, à quel moment la notion d’accompagnement a-t-elle émergé ? Comment êtes-vous entré progressivement dans des problématiques d’accompagnement et sous quel angle ?

2Jean-Pierre Boutinet – Plusieurs générations d’objets de recherche m’ont intéressé et je pourrais les unifier autour de la même thématique « l’acteur et son action », « l’acteur au regard de son action ». De l’acteur que j’ai entrevu sous le mode « projet » à l’acteur qui se profile derrière tel ou tel projet, j’en suis venu à m’intéresser à l’adulte. Mais, pour moi, il y a toujours un présupposé derrière l’acteur en projet, c’est le fait qu’on exclut les âges extrêmes de la vie, le vieillard, entendu comme la personne qui n’est plus à même de gérer son mental, la personne dépendante, et l’enfant qui en est à l’âge des rêves et pas encore à celui de se mouvoir dans un espace projet. Il reste dans ce vaste entre-deux, entre l’enfant et le vieillard, l’adulte. Depuis une vingtaine d’années je me suis particulièrement intéressé à l’adulte, d’autant plus que dans notre littérature française il y a peu de travaux sur l’adulte en tant que tel (un peu plus en littérature francophone, notamment québécoise). En outre, à un moment où l’adulte était de plus en plus remis en question dans ce qui faisait son autonomie, j’ai été amené à toucher les questions de la fragilité et de la vulnérabilité croissantes auxquelles les adultes sont confrontés et, donc, à rencontrer cette thématique de l’accompagnement qui dans les années 1995-2000 a émergé assez spontanément. Je vous donne un exemple : quand je me suis intéressé au projet, dans les années quatre-vingt, à l’époque de mes premières publications, on parlait de projet mais jamais d’accompagnement de projet. Le projet était cette démarche, censée conforter l’autonomie de l’acteur, il n’était pas ce type de dispositif dans lequel l’acteur entrait de façon fragilisée, avec nécessité pour lui de disposer d’un étayage.

3Je pense que l’accompagnement doit être abordé en termes culturels et anthropologiques, comme un signe des temps. Dans une société qui est de plus en plus une société de complexité, une société qui connaît des crises rémanentes depuis 15 ou 20 ans, l’adulte prend en pleine figure cette double instabilité et complexité. Patrick Boult a parlé d’individu en friche, Alain Ehrenberg d’individu incertain, mais il me semble que, derrière cet individu indéterminé, il y a toujours un adulte, l’adulte professionnel, l’adulte en famille, l’adulte dans son espace de vie personnelle aussi, un adulte rendu immature par ses environnements de vie trop turbulents et trop instables.

4Raymond Bourdoncle – Finalement, vous dites que le problème de l’accompagnement est qu’il risque, d’une certaine manière, de se substituer à – ou du moins de limiter – l’autonomie : vous faites allusion à l’accompagnement pour les personnes âgées qui se développe beaucoup et qui prend un aspect de suppléance pour des fonctions qu’elles ne peuvent plus assumer. Comment arriveriez-vous à cerner l’accompagnement dans la formation professionnelle, où il s’agit plutôt d’aider les gens à être autonomes, mais avec le soutien d’un ancien en quelque sorte ? Comment articulez-vous autonomie et accompagnement ?

5J.-P. B. – Pour moi, il y a une mutation du concept d’autonomie. Dans les années dites de « libération » des cadres traditionnels d’éducation, qui vont de 1960 jusqu’en 1975, l’autonomie était alors une revendication, dans une société jugée trop hiérarchisée, trop encadrée. Aujourd’hui, l’acteur, l’adulte, se sent en déficit d’autonomie, et parce qu’il est en déficit d’autonomie il a besoin d’être accompagné.

6Mais je voudrais ajouter un autre élément par rapport à ce que vous évoquez et qui me semble tout à fait pertinent et éclairant pour l’accompagnement. Vous parlez d’un aîné qui va aider un plus jeune : c’est là une façon aussi de problématiser l’accompagnement et je me demande si nous ne serions pas entrés dans une société des aînés qui se substituerait à une société des pères, société de transmission qui serait entrée en crise. Nous n’avons plus de transmetteurs patentés ni de messages bien clairs à transmettre car les codes sont devenus tellement complexes et multiformes que nous avons du mal à cerner quel est l’essentiel aujourd’hui à faire passer à de jeunes générations pour que demain elles s’autonomisent. Nous sommes renvoyés à une crise des savoirs liée à une société d’information et de communication qui démultiplie des savoirs de plus en plus provisoires et non pérennes : quels sont donc les savoirs pérennes que les nouvelles générations ont à s’approprier ?

7Alors l’accompagnement est au cœur de ces évolutions. Il opère un déplacement du vertical transgénérationnel vers l’horizontal intergénérationnel : en tant qu’aînés, nous témoignons de notre expérience que nous sommes en train de bricoler puisque nous n’avons pas de messages, de savoirs organisés à transmettre. Cet effondrement professionnel de la transmission, je l’intègre dans une « loi de trois étapes », couvrant les quatre à cinq dernières décennies. Je dirais dans mon jargon que nous sommes passés de la fonction enseignante à la fonction formatrice, avec une sorte de déficit d’autorité lorsque l’enseignant devient formateur, puis nous en arrivons maintenant à la fonction accompagnatrice, avec un déficit d’autorité encore plus grand lorsque l’on passe de formateur à accompagnateur. Nous quittons l’axe vertical de l’autorité pour nous situer sur l’axe plus horizontal du conseil, celui d’un aîné à un plus jeune.

8A. G.-B. – Votre expression « témoigner de notre bricolage », est différente d’une transmission… qui, elle, suppose qu’on ait déjà construit quelque chose…

9J.-P. B. – Dans la transmission, le message est déjà construit.

10A. G.-B. – …et qu’on conduise la personne dans des cadres préétablis. Or, dans l’accompagnement on est vraiment sur le paradigme de témoigner de ce qu’on essaie de faire pour « tenir » dans une situation (Dubar parle de « bricolage identitaire »).

11J.-P. B. – L’aîné pourra d’ailleurs, en termes d’âge, être plus jeune, mais il se comporte paradoxalement en « aîné » par son expérience et son expertise.

12R. B. – Mais finalement, cet accompagnement, que vous décrivez, est la forme la plus ancienne de transmission. Jadis, en matière professionnelle, de manière non instituée, avant que l’école ne sépare les enfants des adultes, on apprenait sur le tas, on apprenait le métier par son père souvent. Est-ce qu’on ne peut pas considérer l’inflation de l’accompagnement comme un des progrès dus aux sciences de l’éducation qui ont tendance à rationaliser des fonctions qui existaient antérieurement, rationaliser cette partie assez indicible qui est la transmission par le « faire », par le montrer ; dans l’accompagnement, dans le sens des compagnons, des maîtres formateurs, etc. n’y a-t-il pas cette volonté de rationaliser cette partie assez indicible de la transmission ?

13J.-P. B. – Je ne dirais pas que c’est un progrès dû aux sciences de l’éducation. Il me semble qu’elles sont plutôt à la remorque d’une évolution qui s’est faite malgré elles, en dehors d’elles, ce qui n’est d’ailleurs pas gênant en soi si on les considère comme des sciences praxéologiques et non prescriptives. Elles arrivent tardivement, elles rationalisent comme elles peuvent cette partie indicible qui les concerne puisque la transmission de plus en plus insaisissable leur échappe : comment rationaliser cette pratique qui consiste en une sorte de conseil donné par des aînés ? Mais l’accompagnement échappe aux professionnels de l’éducation puisque maintenant il s’ouvre au bénévolat et c’est là qu’il y a une sorte de révolution. Je ne peux même plus revendiquer d’identité professionnelle de l’accompagnement puisque l’accompagnement touche le non professionnel : prenez, par exemple, dans le domaine hospitalier et sanitaire, l’accompagnement des personnes en fin de vie est fait par d’autres personnes qui vont donner de leur temps bénévolement pour accompagner avec les mêmes méthodologies que celles des professionnels. On voit donc comment, d’un certain point de vue, l’accompagnement nous force à penser une activité déprofessionnalisante.

14C’est une première réponse à votre question. Mais il y a une réponse complémentaire à partir de ce que vous avez évoqué concernant cette reproduction antérieure qui faisait qu’un fils d’agriculteur devenait agriculteur et devait bien de temps en temps se faire accompagner (compagnon). Nous sommes effectivement face à une figure presque aussi vieille que l’humanité et qui s’est métamorphosée par la suite. On pourrait l’appeler l’aide, le conseil, qui correspond à l’aide qu’une personne apporte à une autre personne, ou qu’une personne plus âgée apporte à une personne plus jeune. Cette figure a pris, au cours du temps, différentes dénominations et se décline, aujourd’hui, à travers l’accompagnement.

15A. G.-B. – Pourtant, même dans le cadre du bénévolat, il y a des formations de bénévoles, des regroupements, des mises en perspective où on retrouve des savoir-faire issus de l’éducation, des thérapies, etc., ce n’est quand même pas un travail totalement spontané ; il n’y a, peut-être, pas professionnalisation de ces pratiques, mais il y a en marge quelque chose qui se construit, un entre-deux.

16J.-P. B. – J’appelle cela une hybridation, par exemple, l’hybridation du thérapeutique et du pédagogique.

17R. B. – D’une certaine manière, vous parlez de déprofessionnalistion. Mais, en l’occurrence, faut-il vraiment professionnaliser ? Peut-on parler d’une professionnalisation en tant qu’accompagnateur ? On ne fait pas profession d’accompagnateur, on apporte aux futurs collègues son expérience professionnelle dans tel ou tel métier. Il perçoit aussi, en partie, l’identité professionnelle que l’on y a construite. N’est-ce pas, là, l’apport non professionnalisable de l’accompagnement ? Si jamais on devient accompagnateur professionnel, on ne peut plus « accompagner » dans le métier parce qu’on n’a plus ce rapport spontané et majoritaire au métier. Les bénévoles accompagnent un métier particulier qui est le métier de vivre, ils accompagnent à partir de leur expérience de vie. Si on rationalise trop, on risque, par exemple, de transformer le maître formateur en accompagnateur professionnel : il va, d’abord, avoir beaucoup moins d’heures avec les élèves, et beaucoup plus avec des enseignants à former, risquant alors d’effacer son identité professionnelle d’enseignant devant celle de formateur d’enseignants. À ce moment-là, la relation d’identification réciproque à la base de l’accompagnement risque de fonctionner beaucoup moins bien : le formé s’identifie beaucoup moins à son formateur qu’un novice accompagné à son accompagnateur chevronné. La relation du formateur au formé fait beaucoup moins appel à l’identification que celle de l’accompagnateur partageant son expérience professionnelle avec un accompagné qu’il perçoit en partie comme un futur collègue, non sans quelque nostalgie sur le temps passé depuis que lui-même était en lieu et place du formé.

18J.-P. B. – Tout à fait, ce qui peut se résumer en terme d’aide existentielle. Ce qui veut dire, aussi, que nous sommes en déficit d’existentiel et que l’accompagnement, à travers le relationnel, à travers la confrontation où la réverbération des identités est une aide à vivre ; une aide à vivre dans une société trop cognitive, très certainement trop informationnelle et communicationnelle.

19A. G.-B. – Trop cognitive, trop informationnelle, effectivement, ce numéro de la revue risque de pêcher sur ce point, peu de chose sur l’émotionnel, les affects (ce que vous avez appelé « vivre l’expérience de vie »). L’accompagnement professionnel peut-il exister sans cette reconnaissance identitaire de l’autre et cette envie de lui ressembler ? Est-ce qu’il n’y a pas déficit de travaux sur ce sujet ? N’y a-t-il pas aussi un déficit émotionnel dans notre société ?

20J.-P. B. – Oui, à travers ce que vous dites, en reformulant un peu les choses, je me demande si le succès de l’accompagnement ne renvoie pas aussi à un déficit de présentiel. Nous sommes dans du virtuel et c’est difficile, même si ce n’est pas impossible, de faire un accompagnement par mail ! Dans quatre cinquièmes des cas de l’accompagnement présentiel, ce qui rend l’accompagnement de qualité est la relation. Il y a présence physique alors que nous vivons un déficit de relations lorsque nous sommes en communication. À ce propos, j’aime bien évoquer le paradoxe du philosophe Francis Jacques développé dans un ouvrage des années quatre-vingt, Différence et subjectivité, et formulé ainsi « plus nous communiquons moins nous entrons en relation ». L’accompagnement est polymorphe : nous en saisissons la pertinence et la vogue actuellement par le fait qu’il compense un déficit relationnel mais il ne comble pas tous les déficits.

21Ce qui caractérise ce numéro est l’absence du rôle joué par le groupe. Dans les années 68-70, tout était lié au groupe. Aujourd’hui, le groupe a disparu, il n’y a plus de médiation par le groupe, il n’y a plus de vie de groupe, il n’y a plus d’accompagnement collectif. Dans la présente contribution, ne s’est-on jamais posé la question de l’accompagnement collectif ? Pour continuer à travailler sur le projet, je m’aperçois que les questions sur le management par projet ne font référence qu’à l’équipe, cet ensemble formaté constitué avec un chef, un leader, une tâche, un objectif mais dans lequel n’est jamais évoquée la socialisation par le groupe informel.

22A. G.-B. – Donc vous analysez l’appel à l’accompagnement en termes de déficit de différents aspects dans notre société ?

23J.-P. B. – De symptômes.

24A. G.-B. – Mais ce recours à l’accompagnement vous paraît-il être un progrès ? Je ressens vos propos comme des constats négatifs sur notre société.

25J.-P. B. – J’ai du mal à me situer dans la problématique du « progrès » puisque nous en avons cassé l’outil, il y a vingt ou trente ans. Nous sommes dans une société de la reprise plus que du progrès. L’accompagnement est une façon de reprendre des choses qui n’ont pas été prises ou mal prises par ailleurs, il est à situer dans le domaine du rebond, de la reprise, plus que dans celui du progrès. Ou, si vous souhaitez conserver le terme de progrès, je le prendrai en l’intégrant à la problématique de Régis Debray qui situe le progrès au regard simultanément d’une double colonne, celle de l’actif et celle du passif. Je dirais alors que c’est un progrès d’un côté au prix d’une régression de l’autre. Il y a un progrès dans l’individualisation au prix d’une régression dans la transmission et d’une certaine façon de vivre collectivement.

26A. G.-B. – Vous dites qu’on a « cassé l’outil » pouvez-vous expliciter ?

27J.-P. B. – Je parle de l’imaginaire ambiant qui flotte autour des réponses à la question « Est-ce mieux ou moins bien aujourd’hui qu’hier et qu’en sera-t-il demain ? » Hier, dans les années soixante, si vous interrogiez des parents, ils vous disaient spontanément faire des sacrifices pour financer les études de leurs enfants afin qu’ils ne connaissent pas les situations difficiles qu’eux-mêmes avaient vécues. Ils voulaient pour leurs enfants un avenir meilleur et, le disant, ils étaient en même temps persuadés que demain serait meilleur qu’aujourd’hui. Ils développaient une croyance dans le progrès, entendu comme une sorte de marche en avant sans fin. Or, aujourd’hui, qu’en est-il ? Si vous interrogez des parents, ils vous tiennent le discours inverse. Ils sont persuadés que leurs enfants auront, demain, une vie plus difficile que la leur aujourd’hui, plus instable, moins étayée sur les aides et facilités encore octroyées présentement. On peut préciser les choses, appuyer cet imaginaire sur des preuves plus exhaustives mais on voit bien que déjà, au niveau de l’observation spontanée, qu’il y a quelque chose de cassé.

28Une autre façon, à la fois plus sociologique et plus philosophique, d’évoquer cette remise en cause de la croyance en l’idée de progrès est de pointer la dissociation à la fois empirique et idéologique de ce que Condorcet avait cherché à réunir dans le progrès ses deux dimensions, celle du technique, quantitatif, et celle du social. Nous connaissons une marche en avant indubitable, au niveau des progrès techniques nous permettant d’arriver à une maîtrise de certaines des composantes de nos environnements, au niveau de nos capacités d’action sur ces environnements et au niveau, aussi, d’un certain confort dans nos modes de vie pour habiter ces environnements. Mais tout cela, nous le faisons à un prix exorbitant, au prix d’une dé-maîtrise dans d’autres domaines, d’une dégradation de ces environnements de plus en plus pollués et d’une fragilisation sociale liée aux technologies, de la mobilité et de la communication, et à une dégradation des termes des échanges. Par exemple, l’informatique nous permet de faire circuler plus rapidement l’information mais amène une régression addictive au regard du temps que nous passons face à un dispositif technique qui bouscule, déstabilise notre espace relationnel, qui nous inonde de savoirs éphémères, procéduraux aux dépens de savoirs structurants. Cette régression sociale face au progrès technique, dans nos conditions d’existence, remonte bien avant l’apparition d’Internet, au premier choc pétrolier, vers les années soixante-quinze. Les années soixante-quinze terminent la période de mai 1968 qui voient avec la première crise de l’emploi, de l’après seconde guerre mondiale, une première montée des vulnérabilités sociales.

29A. G.-B. – Donc finalement l’accompagnement serait une pratique microsociale qui aurait un rôle de « béquille » par rapport à des déficits ?

30J.-P. B. – Une béquille ou une aide.

31A. G.-B. – Une aide, est-ce vraiment antagoniste avec l’idée de faire grandir l’individu, de lui permettre d’accéder à un statut plus relationnel ? Ou cela provoque-t-il au contraire une sorte de nivellement permanent entre tous ? On s’accompagne, on s’aime bien, cela nous aide, mais on ne progresse pas individuellement en conscience, en intelligence, en autonomie ?

32J.-P. B. – Une aide à vivre pour un adulte en situation de précarité, de vulnérabilité, sans toujours être sûr que cette aide soit promotrice d’autonomie pour l’adulte, qu’elle le fasse grandir dans le sens d’un progrès. À ce sujet, il peut être intéressant de revenir très rapidement sur les modèles de vie adulte dominants qui se sont succédés depuis cinquante ans et dont l’ordre de succession aide à mieux comprendre l’apparition, aujourd’hui, des pratiques d’accompagnement.

33L’adulte accompagné n’appartient plus au modèle de l’adulte étalon en vogue dans les années cinquante et issu d’une société traditionnelle rurale, où la tendance dominante était celle de la reproduction déjà évoquée. Dans un tel modèle, il y a peu de progrès. D’ailleurs, en interrogeant, non pas les philosophes mais, nos ancêtres, qui à quelques exceptions étaient ruraux ou descendants de ruraux, nous constatons qu’en lieu et place de progrès, campait l’idée calendaire de rites, de répétitions. Ce modèle de la reproduction, sans avoir disparu, s’est toutefois singulièrement effacé.

34Le modèle d’adulte plus étroitement associé à l’idée de progrès est celui des années soixante-dix qui dépeint un adulte en perspective, un adulte en développement, développement vocationnel, développement de carrière, avec la perspective d’une carrière ascendante. La formation pour adultes dans ses premières expressions va être l’un des outils au service de cet adulte promotionnel. Mais les situations de crise rémanente, qui vont se succéder ensuite, déstabiliseront fortement un tel modèle. De plus, la société de mobilité rend ce modèle de plus en plus irréalisable. On parle actuellement plus volontiers de chaos de carrière que de développement de carrière.

35Aussi faute, dans les années quatre-vingts, de pouvoir s’appuyer sur l’un ou l’autre des deux modèles fiables en leur temps de l’adulte étalon et de l’adulte en perspective, l’imaginaire ambiant va générer un troisième modèle, celui de l’adulte déficitaire, que j’appelle l’adulte immature dans mes travaux. On pourrait aussi le dénommer adulte à problèmes, adulte qui a besoin d’être aidé, adulte qui ne peut pas vivre par lui-même, ayant besoin d’être accompagné dans ses insertions et réinsertions professionnelles. Cet adulte connaît des déboires dans sa carrière avec des ruptures, des deuils à faire, des transitions à devoir aménager, etc. Je parle, ici, de sa carrière professionnelle mais on peut aussi le voir au niveau de la famille, du couple qui n’encadre plus comme il encadrait auparavant, ou de l’éducation des enfants.

36La montée en puissance de la complexité dans nos environnements de vie et l’apparition du multidimensionnel, notamment dans nos espaces informationnels et communicationnels en pleine expansion, impliquent pour s’y adapter de développer une diversité de compétences. Semble ainsi poindre, depuis quelques années, le modèle de l’adulte pluriel dont il s’agit de voir s’il ne devient pas un modèle pertinent. C’est dans ce modèle qu’il faudrait aussi situer l’accompagnement. Nous sommes entrés dans une société qui, à travers l’exigence de complexité, amène l’adulte à devoir conjuguer une pluralité de facettes. Je ne dis pas une diversité mais une pluralité de facettes et lorsqu’il n’arrive pas à conjuguer cette pluralité il devient un adulte fragmenté. L’accompagnement c’est le travail par lequel l’accompagnateur cherche à faire passer un adulte de la fragmentation vers l’unité d’une pluralité. En 1991, lorsque le législateur institutionnalise les bilans de compétences, il esquisse une psychologie du pluriel, en incitant à identifier, non pas une mais des compétences et pas seulement professionnelles mais personnelles et professionnelles. Après avoir prôné cette exigence du pluriel pour être reconnu dans ses compétences, le législateur va récidiver une dizaine d’années plus tard, en 2002, avec la mise en place de la Validation des acquis de l’expérience. Dans une telle validation, on voit bien qu’une manière pertinente de répondre à la complexité ambiante est soi-même, non pas en se faisant multiple, au risque de se consumer, mais en devenant pluriel à travers la conjugaison de plusieurs, trois ou quatre, points forts. Le travail de l’accompagnateur sera d’aider à conforter ce pluriel, tout en évitant l’éclatement, la fragmentation. La fragmentation est le fait, pour l’adulte, de se trouver dans l’impossibilité de faire un lien entre ses différentes compétences, entre ses différents engagements, entre ses rôles, l’amenant à privilégier l’une des composantes, l’un des engagements sociaux, l’un des rôles, professionnel ou familial, au détriment des autres. L’adulte va ainsi s’appauvrir et être vulnérable.

37Dans une thèse récente, que j’ai codirigée, il est question de conciliation entre activités personnelles et professionnelles chez des femmes entre 35 et 45 ans. Les personnes interrogées ne veulent pas concilier seulement deux mais, au moins, quatre ensembles existentiels, la sphère familiale, la sphère professionnelle, la sphère sociale et la sphère personnelle, en revendiquant un temps suffisant pour réaliser les activités propres à chacune d’elles. L’accompagnement vise alors le concept de conciliation, devenu de plus en plus d’actualités, comme antidote à la fragmentation. Sachant que l’adulte postmoderne est un adulte paradoxal, continuellement confronté à des contradictions, il s’agit de l’amener à devoir choisir une voie, la meilleure. Cette voie consiste aujourd’hui, non pas comme dans les années soixante, où, par exemple, regarder la télévision se réduisait à regarder la seule chaîne disponible, à l’aider à concilier des multiples possibles, comme sélectionner au mieux pour lui parmi quinze ou vingt chaînes disponibles sans parler d’Internet. Dans la pratique d’accompagnement il s’agit donc d’apprendre à l’adulte comment éliminer un certain nombre de possibles tout en cherchant à concilier trois ou quatre possibles momentanément disponibles, tout en sachant que s’il ne retient qu’un des possibles il va se fragiliser en devenant dépendant de lui. Quand ce possible ne lui conviendra plus ou perdra de son actualité ou de sa pertinence, il n’aura plus rien à quoi se raccrocher.

38A. G.-B. – Mais je vois deux interprétations : est-ce que cela veut dire préserver différents espaces (espaces privés, espaces publics…) et vivre le mieux possible dans chacun ou est-ce que cela veut dire unifier sa personne entre ces différents espaces ? Est-ce que dans endroit on joue un rôle, une partition différente ou est-ce qu’on arrive quand même à se retrouver unifié pour jouer ce qu’on est ? Est-ce qu’il y a un « JE » – pour reprendre des termes identitaires – qui permet de dire « voilà ce que JE suis : dans le professionnel, je fais cela, j’ai des valeurs, des principes éthiques, dans la famille également ». La conciliation joue-t-elle sur la possibilité de bien vivre dans chacun des espaces ou sur le choix d’unifier l’individu à travers ces espaces ?

39J.-P. B. – La conciliation joue sur les deux. Bien vivre à l’intérieur de chacun des espaces et pouvoir faire cohabiter en soi ses différents espaces de vie sont en partie exclusifs les uns des autres, d’où le terme de conciliation. Le conflit intérieur est ce qui va amener plusieurs espaces de vie à être incompatibles les uns avec les autres, à ne pas pouvoir se tolérer, par exemple, ma vie familiale et ma vie professionnelle ou ma vie professionnelle et mes engagements associatifs. Mais la conciliation n’est pas automatique, ni spontanée. Elle est une stratégie active visant à faire cohabiter les différences car si je dois concilier deux activités c’est que ces deux activités se contredisent pour une part et demandent un travail actif de mise en compatibilité l’une avec l’autre, car aujourd’hui autant, sinon plus, qu’hier, nous sommes en permanence remplis de contradictions.

40R. B. – L’accompagnateur, n’est-ce pas le professionnel qui s’est bien unifié lui-même et se donne en exemple ? Mais quel est son rôle et quelle est sa spécificité ? Doit-il être un psychologue qui permet de percevoir les potentialités ou un thérapeute qui aide à mettre à jour les possibles et leur valorisation ? Cet accompagnement n’est pas simplement un accompagnement sur le mode de l’imitation, « je fais comme ça, regarde-moi et ne prends que ce que tu penses être bon », il y a autre chose, c’est une technique.

41J.-P. B. – Une technicité ?

42R. B. – Un savoir psycho existentiel, un savoir personnel sur les compatibilités qu’un individu doit unifier ou rendre moins conflictuelles pour l’aider à choisir, c’est-à-dire à éclaircir et à faciliter les choix, à condition qu’ils soient les plus pertinents possibles.

43J.-P. B. – Je verrais deux choses dans le profil souhaité de l’accompagnateur. D’une part, prenons acte qu’il s’agit de quelqu’un qui est déjà en fragilité mais, en principe, en moindre fragilité que l’autre qu’il accompagne. Quand vous êtes enseignante, votre propre statut d’enseignante vous protège, vous avez une convention collective et vous pouvez imposer une autorité. Si vous êtes formatrice, vous en imposez moins mais vous pouvez malgré tout rappeler les exigences du commanditaire, celles aussi de la situation de formation, les règles imposées ou négociées qui régulent cette situation. Quand vous êtes accompagnatrice, vous n’avez que votre propre subjectivité que vous risquez dans la relation intersubjective avec l’autre. De plus, vous disposez de votre expérience à laquelle vous pouvez vous référer. Ayant personnellement fait beaucoup « d’accompagnement » dans le cadre des mémoires ou des thèses, quand j’accompagne quelqu’un en master ou en thèse je sens chez lui des fragilités personnelles qui m’interrogent et, donc, interrogent mes propres fragilités. Cela ne peut pas ne pas réactiver ma mémoire et ma propre posture lorsque j’étais en position de thésard et avec ce qu’étaient mes fragilités. En conséquence, je comprends déjà l’autre par le fait qu’il réactive chez lui des fragilités que j’ai déjà expérimentées. C’est en ce sens-là que la guidance d’un mémoire ou d’une thèse n’est pas de l’enseignement. Il y a une sorte de partage co-existentiel de situation de fragilité. D’autre part, ce qui fait que je peux apporter beaucoup c’est que paradoxalement j’évite la confusion des fragilités en restant à distance. Je mets à distance, et entends le rester, et souhaite que l’autre garde ses distances pour pouvoir prendre un recul salutaire qui va lui permette de faire la part des choses. Il y a, au moins, ces deux éléments paradoxaux qui m’apparaissent structurants : d’un côté, une certaine proximité dans la prise de conscience de ses fragilités au regard des fragilités rencontrées chez l’autre accompagné, permettant d’installer une connivence non dite, de l’autre côté, une mise à distance dans la relation avec l’autre accompagné pour l’aider à identifier ses fragilités afin de les mieux dominer.

44A. G.-B. – Sur la question de la formation à l’accompagnement, on trouve dans différents articles cette idée de prise de distance et de réflexivité : est-ce que ce travail d’accompagnement s’apprend de façon formelle, en groupe ? Vous avez travaillé avec Gaston Pineau sur ces aspects, qu’avez-vous envie de dire à une revue qui se veut « Recherche et Formation » ?

45J.-P. B. – Tout dépend de ce qu’on appelle formation à l’accompagnement. S’agit-il de formations initiales, de formations continues techniques, de formations continues existentielles ? Dans les formations initiales, je doute un peu de la légitimité d’une formation à l’accompagnement mais sans l’exclure. Elle n’est pas inintéressante mais on entre dans des savoirs constitués relativement formels, or, l’accompagnement est d’abord une expérience. Beaucoup d’universités ont saisi l’occasion pour créer des diplômes d’accompagnement et ont institué des formations correspondantes à l’accompagnement. Pour des personnes qui ont déjà pratiqué l’accompagnement ou qui ont déjà été accompagnées, la formation devrait relever d’une demande particulière plus que d’un choix dans un catalogue si on veut privilégier l’approche existentielle. Pour les formations techniques comme pour les formations existentielles, on va plus loin dans les réponses à la demande. Dans les réponses sur catalogues on risque de modéliser ce qui est plus de l’ordre de l’évolutif, de l’hybridation car avec l’accompagnement on entre dans des savoirs flous.

46R. B. – Vous citiez l’accompagnement de mémoires ou de thèses, qui est un domaine justement, dans lequel on sait qu’il n’y a pas de formation. On se forme sur le tas mais en même temps après avoir été soi-même en thèse et donc avoir subi ou bénéficié d’un accompagnement, avoir des références et avoir, d’une certaine manière, le point de vue de l’étudiant qu’on a été.

47J.-P. B. – Donc avoir un modèle.

48R. B. – Avec un modèle et un contre modèle, avec l’idée que finalement c’est l’expérience existentielle qui vaut formation. À votre avis, est-ce dangereux ou est-ce qu’il pourrait être utile de penser des formations ?

49A. G.-B. – Ou, au moins, des échanges entre les universitaires ? L’accompagnement reste secret.

50J.-P. B. – Effectivement, il serait très utile d’au moins permettre de lever un tabou concernant l’accompagnement. Voilà le type de pratique dont on ne peut pas parler et dont il faudrait parler car finalement, si on réfléchit plus spécialement aux jeunes thésards, mais encore plus aux étudiants de masters, c’est un accompagnement réussi qui va permettre, ou non, à l’étudiant d’entrer dans la vie active. C’est avec le master que l’étudiant va trouver du travail et pouvoir échanger ses compétences contre un salaire, ce qui fait qu’il devient autonome. C’est la dernière conquête de la maturité adulte. Un accompagnement qui torpille la démarche de préparation du mémoire torpille chez l’étudiant masterisé son entrée dans la vie adulte ! Il faudrait lever ce tabou. Je ne connais pas de texte qui évoque ce problème et il serait intéressant de réfléchir sur les relations entre tabous et accompagnement. Il y a du non-dit dans de nombreux accompagnements.

51A. G.-B. – Puisque nous avions souhaité avoir votre point de vue surplombant sur ce numéro, finalement quelle est votre vision du numéro, quels sont les manques après avoir déjà souligné le manque d’un exemple d’apprentissage par le groupe ?

52J.-P. B. – Deux choses me questionnent, d’abord, l’absence de problématisation. Comme il y a déjà beaucoup d’écrits sur l’accompagnement, qu’est-ce qu’un nouvel écrit va apporter comme point de vue original critique ? Il ne s’agit pas de prouver qu’il y a des pratiques qu’on appelle accompagnement. Cela, on le sait, mais quel sens individuel, social et culturel donner à ces pratiques ? En quoi de telles pratiques nous questionnent-elles ? La deuxième chose qui me questionne est l’éclatement des contributions sur l’accompagnement, qui ne sont pas amarrées à un concept fort susceptible de leur donner une intelligibilité. Il y a ici, pour le moins, six concepts dominants souvent convoqués mais qui ne sont pas reliés entre eux et qui sont reliés isolément à l’accompagnement. Il manque sans doute une introduction qui puisse faire lien. Ces six concepts ont trait à la question de la reconnaissance qui est souvent abordée. Comment aider un adulte à acquérir une reconnaissance sociale ? Puis d’autres concepts essentiels surgissent : la formation, la communication, le conseil, l’innovation et l’enseignement, alors on est un peu perdu. Quels liens faire entre ces différents concepts ? On peut regretter dans cette liste certains absents, ceux de l’adulte accompagné, de l’évaluation en tant que mise en évidence des effets produits, la relation d’accompagnement.

53A. G.-B. – Je reviendrai sur vos questions dans l’éditorial. Le projet s’est construit autour de la volonté d’avoir des points de vue différents, c’est-à-dire, d’avoir des textes qui proposent des analyses théoriques et des textes qui analysent des pratiques, et cela, dans des domaines différents. La pluralité a été un choix de départ. Je le problématisais au début de l’entretien sur l’éclatement à l’heure actuelle des normes, des valeurs, des points de repères, etc., d’où la difficulté pour les individus à construire quelque chose de cohérent de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font dans cette société. Je m’interrogeais sur le rôle de l’accompagnateur : est-ce quelqu’un qui a pris une distance réflexive sur les crises qu’il a traversées pour témoigner de son « bricolage » mais, peut-être, aussi de la réussite de son « bricolage » (qu’est-ce que la réussite ?) ? C’est un rôle très lourd, ou est-ce, finalement, quelqu’un, à coté, qui partage, tout simplement ? Je pense qu’il y a des degrés.

54J.-P. B. – Ou finalement l’accompagnateur relève-t-il d’une sorte d’euphémisme qui souscrit à la mode ambiante, celle d’une réflexivité bien portée ? Notre société actuelle, en effet, et, là, c’est son grand acquis, est devenue de plus en plus réflexive, par la place donnée à l’enseignement, à la formation, à la recherche et l’accompagnement participe à cette réflexivité ambiante. Mais je ne peux être réflexif que par le langage, outil par lequel je matérialise ce retour sur moi-même, et donc cette société devient d’une certaine façon de plus en plus langagière et exige de ses sujets un travail continuel d’explicitation de ce qu’ils vivent et de leur espace de vie.

55A. G.-B. – Vous travaillez beaucoup avec le Québec. Est-ce qu’il y a des entrées plus originales et des perspectives à ouvrir pour nos lecteurs ?

56J.-P. B. – J’ai l’impression que le Québec développe chez les Français une image assez positivée et attractive. Le Québec a paru en avance pendant un certain temps, notamment dans une théorisation de la formation pour adultes autour du concept d’andragogie. Or cette formation pour adultes dans les universités québécoises est aujourd’hui en pleine crise et n’occupe plus la place qu’elle avait hier. Sur la question de l’accompagnement, les Québécois ont développé dans la mouvance anglo-saxonne des pratiques professionnelles, riches et diversifiées, autour du counselling, qui mixent de façon momentanée auprès d’une personne demandeuse les fonctions de conseil et d’aide de plus d’autonomie pour elle-même. Aussi dans un premier temps, les Québécois ont-ils été très critiques sur la mode de l’accompagnement qui leur venait de France et sur la façon par laquelle on avait tendance à traiter tout d’accompagnement. Or ces dernières années, ils en viennent de plus en plus à l’accompagnement, donnant l’impression de vouloir rattraper un certain retard. Ils sont en train de découvrir qu’ils ne sont plus dans une société de l’autonomie mais qu’ils entrent de plus en plus dans une société de la fragilité. Par le fait même ils commencent à prêter attention aux différentes formes d’accompagnement parce qu’ils sont confrontés aux mêmes fragilisations psychologiques et sociales chez les adultes avec lesquels ils travaillent que celles qui se déploient en Europe sous nos yeux.

57A. G.-B. – Qu’auriez-vous envie de dire en conclusion ?

58J.-P. B. – Le recours à l’accompagnement est un symptôme qui revêt plusieurs significations, d’abord celui d’une fragilisation culturelle dont je viens de parler face à des environnements de plus en plus complexes et déstabilisants, face aussi à un avenir considéré comme incertain et redouté. Pour gérer ses propres mobilités dans de tels environnements et anticiper son devenir, le recours à un accompagnement devient nécessaire voire indispensable pour tous à commencer par les personnes les plus en difficulté. Mais en même temps, nous avons tendance à faire de l’accompagnement une inflation à travers un usage abusif pour guider des démarches d’innovation, pour encadrer certaines pratiques de formation initiale, pour venir en aide à un conseiller ou animer un groupe d’experts. Sans doute y aurait-il intérêt pour éviter les équivoques à réintégrer le coaching dans l’accompagnement pour en faire une des modalités et à distinguer, alors, dans les types d’accompagnement en cause, ce que l’on pourrait appeler l’accompagnement-maintien de l’accompagnement-développement. Le premier de ces deux accompagnements, dont nous venons de parler tout au long de l’entretien, vise à aider à se maintenir dans son parcours de vie une personne ponctuellement en situation de fragilité pour lui éviter de plus grandes fragilités. Ce maintien est entrevu comme une recherche d’équilibre dynamique entre un tenir prise et un lâcher prise. L’accompagnement-développement, plus proche de certaines formes de coaching, cherche à développer par un entraînement approprié des compétences déjà affirmées, celles de l’expertise, de l’innovation, de l’analyse de situation ou du conseil. Autre symptôme qu’exprime l’accompagnement est celui d’un déficit généralisé de relation, manifesté par nos contemporains dans une société à forte dominante communicationnelle : la communication anesthésie la relation en se substituant à elle. Or les adultes en demande d’accompagnement sont souvent des personnes qui, renvoyées à leur solitude, cherchent à en sortir en entrant dans une relation aujourd’hui trop déficitaire. Les pratiques d’accompagnement n’auraient-elles comme utilité que de favoriser une telle mise en relation qu’elles mériteraient tout notre égard ? C’est dire que l’accompagnement, marqueur d’individualisation, est autant un marqueur de socialisation.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jean-Pierre Boutinet, Raymond Bourdoncle et Annette Gonnin-Bolo, « Entretien »Recherche et formation, 62 | 2009, 109-124.

Référence électronique

Jean-Pierre Boutinet, Raymond Bourdoncle et Annette Gonnin-Bolo, « Entretien »Recherche et formation [En ligne], 62 | 2009, mis en ligne le 01 septembre 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rechercheformation/437 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rechercheformation.437

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Auteurs

Jean-Pierre Boutinet

Université catholique d’Angers, professeur associé à l’université de Sherbrooke (Canada) et chercheur associé à l’université Paris X.

Raymond Bourdoncle

Université de Lille III.

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Annette Gonnin-Bolo

Université de Nantes (CREN).

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