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Production industrielle : comparaison France-Allemagne

Karl Brenke
Traduction de Isabelle Bourgeois
p. 17-30

Résumé

En cette fin d’été 2012, l’économie allemande a de quoi faire des envieux. L’emploi a augmenté sans discontinuer, et le chômage enregistre son taux le plus bas depuis l’Unité. Certes, la crise de la finance mondiale y avait provoqué une récession d’une ampleur inconnue des autres pays, mais ce n’est là plus qu‘un mauvais souvenir, car le PIB dépasse aujourd’hui de loin ce qu’il était avant la crise. Contrairement aux Etats-Unis, à l’Espagne ou à l’Irlande, l’Allemagne n’a pas connu de bulle immobilière susceptible d’éclater, ni non plus de bulle liée à une consommation excessive comme la Grèce ou le Portugal. Une seule ombre au tableau : la production industrielle avait été sérieusement mise à mal en 2009 par la chute brutale des exportations. Cependant, la demande intérieure ne s’en est guère trouvée affectée parce que la faiblesse des exportations n’a duré que quelques mois et que l’industrie n’avait supprimé que peu d’emplois, ce qui n’a eu qu’un faible impact sur la consommation. Aujourd’hui, l’industrie a retrouvé une robuste santé. Certes, les difficultés que traverse aujourd’hui la zone Euro et la faiblesse persistante de l’activité dans les économies anglo-saxonnes ralentissent la conjoncture allemande. Mais, contrairement à ce que connaissent la plupart des pays européens, rien ne permet d’en conclure à une stagnation, voire à une récession outre-Rhin – du moins pas actuellement.
Cette étonnante robustesse de l’économie allemande est due, entre autres, à la présence d’une industrie puissante en comparaison avec celle d’autres Etats européens, et notamment la France, deuxième économie européenne. Une analyse comparée de la structure comme de l’évolution de ce secteur révèle les forces et faiblesses respectives. L’exercice reste cependant malaisé. En effet, si les statistiques publiées par Eurostat permettent les comparaisons internationales, elles présentent quelques lacunes, ce qui exige, si on veut avoir une vision d’ensemble, de multiplier les sources et de rassembler les informations ainsi recueillies comme les pièces d’un puzzle. Et si certaines données ne sont pas toujours très actuelles, elles n’en restent pas moins utilisables pour l’analyse. Enfin, rappelons que par « industrie », nous entendons, comme il est d’usage en Allemagne, le secteur de la production manufacturière, en un mot : celui qui produit des biens.

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Texte intégral

Traditionnellement, l’Allemagne est une économie industrielle

1Traditionnellement, l’industrie occupe une place plus importante dans l’économie allemande que dans celle des autres pays européens. Ainsi, au début des années 1970, la part de ce secteur dans la création de richesse était de 37 % en Allemagne, mais elle n’était que d’un petit tiers au Royaume Uni et d’un quart en France. Au fil des mutations économiques et de la tertiarisation, ce secteur a perdu en importance dans toutes les économies industrielles. En 1990, sa part était tombée à 30 % dans l’Allemagne juste avant l’Unité, c’est-à-dire dans les Länder de l’ouest (et à 18 % en France). Le collapsus de l’économie de la RDA a certes entraîné ensuite une explosion de la demande pour les entreprises industrielles des « anciens » Länder (ouest), mais cette tendance n’a été que de courte durée. Dans les « nouveaux » Länder en revanche (est), l’activité industrielle s’est effondrée ; les installations étaient largement obsolètes, les biens produits ne répondaient pas souvent à la demande du marché et avaient de plus perdu leurs débouchés traditionnels, essentiellement en Europe de l’Est. Il avait donc fallu largement reconstruire la base industrielle dans les nouveaux länder (voir REA 98-99/2010).

L’industrie allemande est fortement tributaire de la conjoncture mondiale…

2Et quand le boom conjoncturel lié à l’Unité a pris fin au milieu des années 1990, l’essor de l’industrie est resté faible dans l’Allemagne unie (graphique 1). Du fait de la crise de restructuration mondiale de l’industrie, la demande des pays destinataires des exportations allemandes connaissait à cette époque un tassement qui n’a pris fin qu’avec la reprise de la croissance mondiale juste avant le tournant du siècle. Cette dernière a alors littéralement dopé jusqu’en 2001 la production industrielle allemande qui a ensuite stagné à nouveau jusqu’au début 2004 environ sous l’effet du ralentissement de la croissance mondiale qui a suivi. Puis, avec la reprise, la production industrielle allemande a connu un formidable essor avant de chuter spectaculairement durant la crise de la finance mondiale. Mais ce recul aussi fut de courte durée, et aujourd’hui, la valeur ajoutée de l’industrie allemande est légèrement supérieure à son niveau d’avant la crise de la finance mondiale.

Graphique 1 : Evolution de la valeur ajoutée brute de l‘industrie (en prix courants, données CVS ; indice 100 = 1er trimestre 1999)

Graphique 1 : Evolution de la valeur ajoutée brute de l‘industrie (en prix courants, données CVS ; indice 100 = 1er trimestre 1999)

Sources: Eurostat ; calculs de l’auteur.

… contrairement à l’industrie française

3En France, l’évolution de l’industrie se présente différemment. Dans la deuxième moitié des années 1990, elle était encore un peu plus dynamique qu’en Allemagne. Mais, comme en Allemagne, elle a stagné après le boom conjoncturel de 2001 ; seulement, cette faiblesse a duré plus longtemps qu’en Allemagne, c’est-à-dire jusqu’en 2006. Ce n’est qu’en 2007 que l’industrie française a pu tirer profit de la croissance mondiale, bien qu’assez faiblement en comparaison. Puis elle subi elle aussi l’impact de la crise de la finance mondiale, mais celui-ci a été nettement moins prononcé que dans le cas de l’Allemagne. Et, autre différence, la reprise de l’industrie française n’a pas été aussi forte : l’année dernière, sa valeur ajoutée – en prix courants – atteignait seulement son niveau de la fin des années 1990, alors que celle de l’industrie allemande le dépassait d’un tiers. Cette évolution révèle que l’industrie allemande est beaucoup plus sensible que l’industrie française aux variations de la conjoncture mondiale ; ce n’était pas encore le cas il y a seulement dix ans.

L’Allemagne ne s’est pas désindustrialisée

4L’évolution favorable de la production industrielle en Allemagne au cours des dix dernières années ne s’est certes pas traduite par un poids accru de l’industrie dans la structure des activités mais, contrairement à la tendance qu’on peut observer dans l’ensemble de l’UE, la part de ce secteur n’a pas continué à reculer non plus (tableau 1). Autrement dit : si on considère l’économie allemande dans son ensemble, la tendance lourde à la tertiarisation ne s’est pas poursuivie. Cela étant, si on la considère sous l’angle des différences régionales, on s’aperçoit alors que dans les Länder est-allemands, le poids de l’industrie a continué à s’accroître considérablement, alors qu’à l’ouest, il a diminué – mais un peu seulement.

Tableau 1 : Poids de l’industrie dans les Etats membres de l’UE

Part de l’industrie dans la valeur ajoutée brute totale (en %)

Valeur ajoutée de l’industrie par habitant
(en €)

Valeur ajoutée de l’industrie par habitant
(en parités de pouvoir d’achat)

2001

2011

2001

2011

2001

2011

Irlande

31,1

25,8

8 583

8 137

7 419

7 439

Allemagne

22,1

22,0

5 076

6 171

4 560

5 903

Ouest

24,3

23,0

6 031

6 848

Est

14,5

16,3

2 422

3 448

Autriche

20,0

18,7

4 835

6 059

4 524

5 486

Suède

20,1

16,0

5 027

5 773

4 272

4 472

Rép. Tchèque

25,9

24,3

1 651

3 209

3 395

4 366

Slovaquie

24,5

25,9

970

2 979

2 294

4 325

Finlande

25,2

17,3

5 925

5 244

5 027

4 309

Zone Euro

18,7

15,9

3 782

4 054

3 734

3 884

Pays Bas

13,9

12,7

3 455

4 117

3 272

3 752

Belgique

18,0

14,0

4 074

4 203

3 949

3 721

Slovénie

24,5

20,2

2 464

3 066

3 404

3 714

Italie

19,6

15,9

3 879

3 706

4 123

3 601

UE

18,1

15,4

3 200

3 466

3 200

3 466

Hongrie

22,2

24,3

1 105

2 078

2 199

3 409

Espagne

17,4

13,4

2 661

2 865

3 088

3 070

Danemark

15,1

10,9

4 356

4 032

3 291

2 948

Lituanie

19,3

20,4

673

1 731

1 416

2 824

Royaume Uni

14,8

10,8

3 642

2 679

3 102

2 631

Estonie

17,7

17,8

805

1 849

1 450

2 611

Pologne

15,8

18,0

780

1 534

1 322

2 591

France

14,7

10,1

3 235

2 778

3 023

2 445

Portugal

16,6

13,1

1 909

1 830

2 323

2 218

Grèce

10,6

9,9

1 253

1 667

1 603

1 811

Lettonie

14,4

14,1

507

1 139

980

1 712

Source des données : Eurostat, Destatis ; calculs de l’auteur.

5D’autres pays de l’UE ont connu quant à eux une vétritable désindustrialisation. Non seulement, ils ont vu se réduire la part de la production industrielle dans leur économie, mais aussi baisser sa valeur ajoutée par habitant. Dans cette catégorie entrent d’une part des pays comme l’Irlande, la Finlande ou l’Italie, où l’industrie n’en a pas moins un poids plus important qu’en moyenne de l’UE. D’autre part, en font partie des pays où l’industrie a toujours eu un poids relativement faible dans l’économie, comme le Danemark, le Portugal, le Royaume Uni ou la France. Dans ces deux derniers pays, l’industrie a même considérablement reculé au cours des dix dernières années et ne contribue aujourd’hui plus qu’à un dixième environ à la création de richesse. Et si on mesure la production industrielle par habitant en parités de pouvoir d’achat, on constate que dans presque toutes les économies est-européennes, elle est supérieure à son niveau en France et au Royaume Uni. Même dans l’est de l’Allemagne, une région pourtant connue pour son faible dynamisme en comparaison avec l’ouest, la densité industrielle est aujourd’hui supérieure à ce qu’elle est dans ces deux pays. Quant à la production industrielle par habitant de l’ensemble de l’Allemagne, elle est deux fois plus élevée.

La forte hausse de la production industrielle allemande est essentiellement due aux exportations

L’Europe est pauvre en matières premières

6D’habitude, plus la taille d’un Etat ou d’une region est importante, moins son insertion dans le partage mondial ou interregional du travail est prononcée. D’un côté en effet, sa dépendance des importations est moins grande, étant donné que la plupart des biens nécessaires peuvent être produits dans le pays ou la région même. Ce constat vaut pour de nombreux pays industriels, mais seulement en ce qui concerne les biens. Il ne vaut pas pour les matières premières, parce que leur disponibilité dépend de l’existence ou non de gisements sur le territoire national ou régional. Or l’Europe est relativement pauvre en matières premières.

Dans une économie globalisée, les importations augmentent

7D’un autre côté, un grand pays offre en règle générale aux entreprises industrielles implantées sur son territoire un marché de taille suffisante pour écouler leurs produits, ce qui fait qu’elles n’ont guère à miser sur l’exportation pour assurer leurs débouchés. Or l’économie globale est de plus en plus intégrée, et le partage mondial du travail s’intensifie. La place et la position économique d’un pays ou d’une région dépend donc de plus en plus de l’ampleur du revenu qu’il ou elle parvient à générer grâce aux échanges de biens avec d’autres pays ou régions, afin d’être en mesure de financer les importations indispensables, sachant que le volume de ces dernières enregistre une tendance à la hausse. Dans certains cas, le tourisme peut constituer une source suffisante de revenus. Et dans les pays anglo-saxons, on a longtemps pensé que ce rôle pouvait également revenir à un secteur bancaire de poids important et aux activités centrées sur les échanges supra-régionaux. La récente crise de la finance mondiale a assurément mis à mal cette approche.

La création de richesse repose sur l’industrie…

8C’est ainsi que, aujourd’hui, la source première de richesse est l’industrie et ses exportations vers les économies développées, de même que les économies émergentes. Elle l’est d’autant plus que directement (par exemple via le secteur des services liés) et indirectement (par exemple via les révenus des salariés de l’industrie), la production manufacturière crée de la demande dans les autres secteurs des économies nationales.

… et les exportations de biens

9Bien que les données existantes soient quelque peu lacunaires, on constate que, malgré la grande taille du marché communautaire, l’industrie allemande est fortement exportatrice. Ainsi, en 2011, selon Destatis (Volkswirtschaftliche Gesamtrechnung), la valeur totale des exportations de biens atteignait plus de 40 % du PIB (graphique 2). Comme on peut s’y attendre, cette part n’est supérieure que dans les économies les plus petites en comparaison. Quant aux grandes économies que sont la France, l’Italie, l’Espagne et le Royaume Uni, les exportations n’y génèrent que quelque 20 %. Autrement dit, les activités y sont assez fortement axées sur le marché domestique.

Exportations allemandes en forte hausse depuis 2001

10En Allemagne, ce sont surtout les exportations qui ont contribué à la croissance de la production industrielle. Certes, les données permettant de l’affirmer sont partielles et lacunaires ; il n’en est pas moins certain que les ventes à l’étranger ont progressé plus que le CA réalisé sur le marché domestique. Ainsi, de 2001 à 2006, les premières ont augmenté de 33 %, alors que les secondes n’ont crû que de 9 %. Ces chiffres concernent les entreprises de 20 salariés et plus. Sur la période de 2006 à 2011 (rappelons que, depuis 2005, seules sont publiées des données sur les entreprises occupant 50 salariés et plus), les ventes sur le marché domestique ont enregistré une hausse de 6 %, les exportations d’un peu plus du double (source : Destatis). Les statistiques sur le commerce mondial des biens révèlent ells aussi une forte progression des exportations allemandes : de 2001 à 2011, elles ont augmenté de 66 %. Mais cette hausse n’est qu’à peine supérieure à celle de la moyenne de l’UE, qui est de 58 %. Ce faible écart s’explique principalement par le fait que les économies des nouveaux Etats membres qui ont intégré l’UE à partir de 2004 sont en phase de rattrapage et ont pu accroître considérablement leurs exportations.

Graphique 2 : Valeur des exportations par rapport au PIB en 2011 (part en %)

Graphique 2 : Valeur des exportations par rapport au PIB en 2011 (part en %)

Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur.

En matière d’exportations, les sources statistiques sont multiples et pas toujours comparables entre elles.

Outre ses statistiques macro-économiques (volkswirtschaftliche Gesamtrechnung), Destatis publie également des données sur le commerce extérieur (Außenhandelsstatistik) ; ces deux sources informent entre autres sur le commerce de biens avec les pays étrangers. Or les données sur le commerce de biens incluent des biens qui ne sont pas des produits industriels, comme ceux issus de l’extraction (matières premières) ou de l’agriculture. Mais ces derniers ne représentent qu’une part assez faible dans les échanges de biens des Etats de l’UE. Ainsi, les produits agricoles ne sont généralement mis sur le marché qu’après leur transformation industrielle ; il en va de même des produits miniers. Bien que les données de ces deux sources ne renseignent qu’imprécisément sur les exportations de l’industrie, elles n’en fournissent pas moins des informations fiables quant à la structure et l’évolution des exportations de biens des Etats de l’UE.

Par ailleurs, il existe les données issues de sondages effectués parmi les entreprises industrielles. Elles excluent certes les petites entreprises, mais cela ne fausse guère les statistiques étant donné qu’elles n’ont qu’une faible part dans l’activité exportatrice. Jusqu’en 2005, ces sondages ne concernaient que les entreprises de 20 salariés au moins ; depuis 2005, en Allemagne comme dans les autres Etats de l’UE, ce seuil est passé à 50 salariés.

Enfin, il existe également des données mesurant le volume absolu des exportations (mesuré par rapport au chiffre d’affaires), mais elles sont propres à l’Allemagne, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas intégrées dans le système européen des statistiques. Ce dernier, quant à lui, ne publie que des données permettant de retracer, sur la base d’un indice, l’évolution des exportations ainsi que des chiffres d’affaires réalisés sur le marché domestique.

Hausse des exportations allemandes hors de l’UE

11A l’opposé, les exportations des anciens Etats membres n’ont, elles, que très faiblement augmenté. En queue de palmarès figurent de grandes économies comme le Royaume Uni ou la France, où la hausse a été d’à peine 20 %. S’ajoute à cela qu’en règle générale – dans presque tous les Etats membres –, les exportations à destination de pays tiers ont progressé plus vite que les échanges intra-communautaires. Ainsi, l’Allemagne a vu ses ventes hors de l’UE augmenter de 85 % depuis 2001, mais de 54 % seulement celles à destination des autres Etats membres. Une tendance comparable s’observe en France, où les premières ont crû de 29 %, les secondes de 13 % seulement ; mais ces taux de croissance sont les plus faibles de l’UE.

Une industrie axée sur les biens d’investissement et où dominent les secteurs intensifs en R&D

Stabilité de la structure industrielle allemande

12La question qui se pose dès lors est de savoir quelles sont les spécificités de l’industrie allemande. En ce qui concerne sa structure sectorielle, les données relatives à la valeur ajoutée des différentes branches ne sont disponibles que jusqu’à l’année 2010 ; elles ne reflètent donc pas en totalité la reprise des activités après la récession induite par la crise de la finance mondiale. Les secteurs produisant des biens d’investissement se taillent la part du lion, avec plus de la moitié du total de la valeur ajoutée de l’industrie en 2010. En leur sein, la branche la plus importante reste, avec un septième du total, celle de la construction mécanique, suivie par la construction automobile (tableau 2), puis le travail des métaux et la production d’équipements électriques. Hors biens d’investissement, les principales branches sont essentiellement la chimie et l’agro-alimentaire.

France : moins de biens d’investissement et plus de biens de consommation

13En France à l’inverse, le poids des biens d’investissement dans la structure de l’industrie est certes important lui aussi, mais nettement moins en comparaison de l’Allemagne : ils ne contribuent à la richesse qu’à hauteur d’un bon tiers. La construction mécanique et la construction automobile y jouent en effet un moindre rôle qu’en Allemagne, de même que la production d’équipements électriques. A l’inverse, on observe une plus forte présence de la fabrication d’autres matériels de transport (par exemple avions, trains, bateaux). Nettement plus importante qu’en Allemagne est aussi la production de biens de consommation, tout particulièrement celle de produits alimentaires.

Tableau 2 : Structure et évolution de la valeur ajoutée *) de l’industrie

 

Allemagne

France

 

% du total

Évolution de

% du total

Évolution de

 

2001

2010

2001 à 2010 (%)

2001

2008

2001 à 2010 (%)

Industries alimentaires ; industries des boissons et du tabac

8,9

7,9

3,5

15,6

16,8

-2,3

Industrie textile, industrie de l'habillement, du cuir et de la chaussure

2,1

1,4

-20,4

4,4

3,0

-38,0

Fabrication d'articles en bois et en liège (sauf meubles) ; fabrication d'articles en vannerie et sparterie

1,6

1,3

-7,5

1,8

1,8

-7,6

Industrie du papier et du carton

2,5

2,0

-6,3

3,0

2,4

-27,1

Imprimerie et reproduction d'enregistrements

2,6

1,8

-23,3

2,6

2,3

-21,1

Cokéfaction et raffinage

1,7

1,2

-22,8

0,6

1,4

100,0

Industrie chimique

7,7

8,0

20,3

6,5

7,2

1,4

Industrie pharmaceutique

2,3

3,4

71,3

4,5

4,1

-17,4

Industrie du caoutchouc et du plastique

4,8

4,8

14,6

6,1

5,7

-14,9

Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques

3,6

2,9

-7,0

3,9

3,7

-12,6

Métallurgie

4,1

3,6

1,3

2,9

3,5

8,5

Fabrication de produits métalliques, à l'exception des machines et des équipements

9,4

9,3

14,5

10,7

11,3

-4,1

Fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques

5,0

5,2

18,3

5,7

3,3

-46,4

Fabrication d'équipements électriques

7,4

8,0

25,7

4,3

3,6

-22,8

Fabrication de machines et équipements n.c.a.

14,6

15,3

20,8

6,4

6,4

-9,5

Industrie automobile

13,3

14,8

28,4

6,6

5,1

-29,2

Fabrication d'autres matériels de transport

1,9

2,0

26,5

3,3

4,6

25,8

Fabrication de meubles; autres industries manufacturières

4,2

4,3

16,9

4,1

4,0

-11,2

Réparation et installation
de machines et équipements

2,2

2,7

40,1

7,0

9,7

27,5

Total, Industrie manufacturière

100

100

15,4

100

100

-9,0

Dont : industries intensives en R&D

52,2

56,8

25,5

37,2

34,4

-16,0

Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur. *) aux prix de base.

RFA : 4 branches phares

14Sur la période 2001-2010, presque toutes les branches industrielles ont pu accroître leur valeur ajoutée, à l’exception de certaines qui sont sur le déclin depuis longtemps et se situent dans le secteur des biens de consommation (textile, habillement, chaussure, fabrication d’articles en bois, industrie du papier ou imprimerie), ainsi que le raffinage. Au cours de la décennie, la croissance de l’industrie a été tirée essentiellement par la production de biens d’investissement, et principalement par les branches de la construction mécanique, de l’électrotechnique, de la fabrication de produits métalliques comme de l’automobile. S’y ajoute une forte croissance enregistrée par la production dans l’industrie chimique et pharmaceutique.

France : recul enregistré dans presque toutes les branches

15Par contraste, l’évolution de l’industrie française se présente sous un jour nettement moins favorable – et ce, dans presque toutes les branches. Comme en Allemagne, la production a baissé dans nombre de secteurs des biens de consommation, mais souvent de manière nettement plus prononcée, ainsi dans le textile, l’habillement, la chaussure et l’imprimerie. S’ajoute le recul de la fabrication de meubles et autres biens de consommation. Le secteur des biens d’investissement présente un tableau contrasté : à l’inverse de ce qu’on observe en Allemagne, la construction automobile a chuté, de même que la fabrication de produits électroniques ; la construction mécanique a reculé elle aussi. Plus favorable en revanche a été l’évolution du secteur de la réparation et de l’installation d’équipements, de même que celle de la fabrication d’autres moyens de transport et de produits métallurgiques. Nettement en-deçà de la croissance enregistrée en Allemagne a été celle de l’industrie chimique ; quant à l’industrie pharmaceutique, sa production a même reculé. Enfin, l’activité s’est légèrement contractée dans l’industrie agro-alimentaire.

Tableau 3 : Exportation de biens par catégories de produits – France-Allemagne

 

Allemagne

France

 

Exportations 2011

Evol. 2001/2011

Exportations 2011

Evol. 2001/2011

 

mrd. €

part en %

en %

mrd. €

part en %

en %

Produits alimentaires, boissons
et tabac

54,6

5,2

97,7

51,7

12,1

50,9

Produits de base

24,7

2,3

153,4

13,4

3,1

103,6

Combustibles minéraux, lubrifiants et produits annexes

26,8

2,5

306,4

20,5

4,8

146,0

Produits chimiques et produits connexes, n.d.a.

162,2

15,3

98,6

78,1

18,2

51,0

Autres articles manufacturés

257,5

24,3

70,6

98,0

22,9

24,2

Machines et matériels de transport

507,8

48,0

49,4

158,4

37,0

-10,7

Articles et transactions n.c.a.

24,1

2,3

10,4

8,1

1,9

107,0

Total

1 057,7

100

65,7

428,2

100

18,6

Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur.

Allemagne : rôle moteur de la construction mécanique, l’automobile et la chimie

16Bien entendu, ces différences observées dans l’évolution des secteurs industriels trouvent globalement leur reflet dans celle des exportations. Et on constate certaines ressemblances entre la France et l’Allemagne. Dans les deux pays, presque toutes les catégories de biens ont vu s’accroître leurs exportations au cours de la décennie écoulée (tableau 3). Toutefois, en Allemagne, la croissance a été nettement plus forte – à une exception près : celle du groupe de biens que la statistique réunit sous l’appellation de « machines et véhicules » : en Allemagne, les exportations ont enregistré une nette hausse, en France, un recul significatif (cette tendance s’observe depuis la décennie précédente déjà). Au total, la hausse des exportations est donc imputable pour l’essentiel à la construction mécanique, l’automobile et la chimie.

17Il n’existe malheureusement pas de données assez fines (voir Gehre et al., 2010) pour permettre une analyse comparée précise des secteurs intensifs en R&D, et donc de la compétitivité respective des différentes branches. Nous devons donc nous contenter des grands ensembles statistiques que sont l’industrie chimique, pharmaceutique, la production d’équipements informatiques, de produits électroniques et optiques, d’équipements électriques, la construction mécanique, la construction automobile et celle d’autres matériels de transport.

Il est d’usage, dans la recherche sur l’innovation, de classifier les secteurs industriels en fonction de leur intensité en R&D et en savoir, afin de pouvoir évaluer la compétitivité internationale de l’industrie des différents Etats. L’hypothèse de départ est que les producteurs de biens intensifs en R&D ont généralement un avantage compétitif dans la mesure où ce qui est déterminant pour que leurs produits trouvent des débouchés, ce n’est pas le seul facteur prix (contrairement aux biens issus de la production de masse), mais au contraire un ensemble de facteurs qualitatifs (hors-coût), par exemple la complexité technologique. Les entreprises de ce type occupent donc d’autres segments de marché que par exemple celles des économies émergentes.

Allemagne : rôle clé des secteurs intensifs en R&D

18Sur la base des données existantes, plus de la moitié de la valeur ajoutée de l’industrie allemande en 2010 est imputable à ces secteurs intensifs en R&D, une part en hausse de plus de quatre points de pourcentage depuis 2001. En France, la contribution des secteurs intensifs en R&D n’était que d’un tiers environ, et cette part s’est réduite depuis 2001. Une des raisons principales en est que la construction mécanique et la construction automobile ont un poids nettement plus faible qu’en Allemagne, et que ces branches se sont insuffisamment développées. Il en va de même des industries électrotechniques et optiques, comme des industries chimiques et pharmaceutiques. En Allemagne, la montée en puissance des secteurs intensifs en R&D est assurément liée au fait que le nombre d’entreprises menant des activités de R&D, de même que la part des dépenses consacrées à la recherche dans l’industrie ont considérablement augmenté – et ce, même durant la récession. Ainsi par exemple, la part des entreprises industrielles pratiquant la R&D est passée de 22 % en 2001 à 27 % en 2010. La hausse a été particulièrement importante parmi les petites et moyennes entreprises. (voir Eickelpasch, 2012).

L’industrie allemande repose largement sur le Mittelstand

Les critères de définition du Mittelstand, avant tout qualitatifs,…

19On explique généralement le poids de l’industrie dans l’économie allemande par la prédominance des petites et moyennes entreprises – le Mittelstand – dans ce secteur (voir par exemple Chatillon, 2011). Selon le common sense allemand, la définition du Mittelstand repose sur des critères avant tout qualitatifs : l’autonomie juridique et commerciale des entités juridiques indépendantes que sont les PME allemandes, et le mode de gouvernance orienté sur le long terme qu’induit la situation patrimoniale d’entreprises généralement familiales (voir Bourgeois/Lasserre, 2010). Ce mode de gouvernance est considéré comme nettement plus durable qu’une stratégie visant une rentabilité sur le court terme, telle qu’elle semble en vogue tout particulièrement chez les grandes sociétés par actions (voir Sennett, 2005).

… ne sont pas pris en considération par les statistiques

20Cela dit, il est malaisé de chiffrer cette prédominance du Mittelstand dans l’industrie allemande. Il existe certes des données sur le statut juridique des entreprises, mais elles n’informent pas sur la structure patrimoniale ni sur l’influence des propriétaires sur la gouvernance des entreprises (voir Bourgeois, 2010). Quoi qu’il en soit, selon Eurostat dont les denières données disponibles remontent à 2009, la part des sociétés par actions (y compris celles qui ne sont pas cotées en bourse) parmi toutes les entreprises industrielles s’élevait à 15 % en Allemagne en 2009 – autant qu’en France. Mais il n’est pas possible de savoir combien d’entre elles sont pilotées par un entrepreneur possédant une part déterminante de leur capital et disposant d’une influence décisive sur leur stratégie opérationnelle.

Allemagne : part importante des PME de 50 à 250 salariés dans l’industrie

21A première vue, le nombre des entreprises recensées ne semble pas conforter l’idée d’une prédominance des PME dans l’industrie allemande. En 2009 toujours, il s’élève à 180 000 en Allemagne, mais à 207 000 en France, alors que le poids de l’industrie dans l’économie y est nettement inférieur. Autrement dit, le tissu industriel allemand ne se compose pas d’autant de petites entités que l’industrie française. Cela s’explique entre autres par le fait que les secteurs où prédominent largement les grands groupes (l’automobile notamment) sont plus représentés en Allemagne qu’en France. A l’inverse, ceux qui se caractérisent généralement par la petite taille des entreprises (gastronomie, secteurs produisant des biens de consommation) y sont sous-représentés. Mais ces éléments ne suffisent pas pour expliquer les différences. En effet, la part des petites et très petites entreprises est supérieure en France dans presque tous les secteurs (tableau 4). Alors qu’en Allemagne, celles de moins de 50 salariés n’occupent qu’un cinquième de tous les salariés, elles en occupent un tiers en France. Il en va autrement de celles dont l’effectif est compris entre 50 et 250 salariés : leur poids est nettement plus important en Allemagne qu’en France dans pratiquement tous les secteurs de l’industrie. Or cette taille d’entreprise est assez typique du Mittelstand.

Tableau 4 : Structure des entreprises par taille des effectifs dans l’industrie, 2009

 

Allemagne

France

 

% d’entreprises occupant … salariés

% d’entreprises occupant … salariés

 

≤ 9

10 à 49

50 à 249

≥ 250

≤ 9

10 à 49

50 à 249

≥ 250

Produits alimentaires

5

21

32

42

27

19

21

33

Boissons

5

19

30

46

10

21

25

44

Tabac

5

93

 

Textile

49

22

41

 

Habillement

8

20

38

33

15

27

31

27

Cuir et chaussure

8

24

45

23

8

18

41

34

Articles en bois et en liège

15

33

29

22

23

38

28

11

Ind. du papier et du carton

1

9

36

54

3

18

34

45

Imprimerie et reproduction d'enregistrements

13

33

33

21

25

39

29

7

Cokéfaction et raffinage

11

86

7

90

Industrie chimique

1

6

20

73

3

10

23

64

Industrie pharmaceutique

1

3

12

84

1

4

16

80

Ind. du caoutchouc et du plastique

3

16

36

46

5

18

30

47

Fabrication d'autres produits minéraux non métalliques

9

17

33

42

9

18

23

50

Métallurgie

2

6

21

72

2

8

25

64

Fabrication de produits métalliques

7

31

34

28

14

38

29

19

Fabrication de produits informatiques, électroniques et optiques

5

14

26

55

3

9

18

69

Fabrication d'équipements électriques

2

8

20

70

3

10

20

67

Fabrication de machines et équipements

2

11

27

61

5

18

29

48

Industrie automobile

0

2

7

90

1

5

9

85

Fabrication d'autres matériels de transport

1

4

11

85

1

3

8

88

Fabrication de meubles

7

24

35

34

18

29

29

24

Autres industries manufacturières

14

30

24

32

25

24

23

28

Réparation et installation de machines et équipements

8

25

25

42

23

29

20

28

Industrie manufacturière

4

15

26

55

12

19

23

46

Source des données : Eurostat, calculs de l’auteur.

La classification des entreprises par taille est peu pertinente :…

22Les données relatives aux grandes entreprises sont lacunaires elles aussi : il n’existe de données permettant des comparaisons internationales que pour celles dont l’effectif est supérieur à 250 salariés ; or elles ne sont pas différenciées. Dans la définition en vigueur dans l’UE, une PME occupe moins de 250 salariés et réalise un CA inférieur à 50 millions € (ou un total bilan inférieur à 43 millions €). Or cette définition purement quantitative est insuffisante, puisqu’elle ne tient pas compte des critères qualitatifs que sont la propriété du capital et le pilotage ou non par le patron-propriétaire, tout particulièrement lorsqu’il est responsable de tous ses biens.

… elle n’informa pas sur leur mode de gouvernance

23On sait ainsi que les entreprises de plus de 250 salariés occupent 55 % de tous les actifs en Allemagne et 46 % en France. Mais cette catégorie englobe aussi bien des grands groupes que des entreprises appartenant au Mittelstand, comme dans cette construction mécanique considérée traditionnellement comme un de ses fiefs en Allemagne ; elle ne comprend en effet que très peu de grandes sociétés cotées en bourse. Dans cette branche, on recensait en 2011 environ 500 entreprises de 250 à 500 salariés occupant un gros sixième de tous les salariés de la branche, et 336 entreprises de plus de 500 salariés occupant près de la moitié du total des effectifs de la branche. Ces statistiques publiées par Destatis (état : septembre 2011) concernent certes les unités de production, et il faut se garder de les identifier avec les entreprises, ces dernières pouvant avoir plusieurs unités de production ; néanmoins, le nombre d’entreprises et d’unités de production (sur plusieurs sites) ne diffère que très peu. Dans la construction mécanique allemande prédominent donc les entreprises de taille au moins moyenne, mais celles-ci relèvent presque toujours du Mittelstand – selon ses critères de définition qualitatifs.

Salaires : modération en RFA, fortes hausses en France

24En Allemagne comme à l’étranger, on impute souvent les performances de la production industrielle allemande à une modération salariale vivement critiquée (voir Horn et al., 2010). Cette critique s’est faite plus virulente depuis le début de la crise au sein de la zone Euro, amenant par exemple l’ancienne ministre des Finances de la France, Christine Lagarde, à exiger de l’Allemagne qu’elle mène une politique de hausses salariales pour réduire son excédent commercial et dynamiser sa demande intérieure (voir par exemple F.A.Z., 31-08-2010). Selon cette approche, la modération salariale en Allemagne, en mettant sous pression l’industrie dans les autres pays de la zone Euro, serait à l’origine de leur perte de compétitivité.

Salaires horaires bruts : +23 % en RFA en dix ans, +38 % en France

25En effet, les salaires n’ont que peu augmenté dans l’industrie allemande : de 2001 à 2011, la hausse des salaires horaires bruts n’a été que de 23 % ; si on tient compte de l’évolution des prix au consommateur, cette hausse se réduit à 4,1 % sur l’ensemble de la décennie, soit à 0,4 % par an. Cet état de fait n’a assurément pas contribué à une hausse sensible du pouvoir d’achat des salariés dans l’industrie. En France, à l’opposé, au cours de la même période, la hausse des salaires a été de 38 % en valeur nominale, et de 14 % en valeur réelle.

Quel juste équilibre entre hausse des salaires et de la productivité ?

26Cela étant, rappelons que le salaire rétribue le travail, qu’il s’agisse de celui du salarié, d’un secteur ou de l’économie tout entière. Une hausse salariale doit donc en théorie être calculée en fonction de la productivité, celle-ci déterminant la marge de redistribution. Si les salaires progressaient plus vite que les performances réalisées, c’est-à-dire plus vite que la productivité du travail, alors les entreprises devraient augmenter leurs prix, à moins qu’elles n’acceptent de réduire leurs bénéfices, ce qu’il leur est rarement, voire jamais, possible de faire. Car une hausse des prix les handicaperait par rapport à des concurrentes qui peuvent maintenir les leurs. Si par contre les hausses des salaires restent en-deça de la hausse de la productivité, alors l’entreprise ou la branche gagne en compétitivité par rapport à ses concurrentes, par exemple étrangères. Mais dans ce cas, les salariés sont perdants, et la demande intérieure se trouve bridée. Il s’agit donc de trouver un juste équilibre entre la hausse des salaires et celle de la productivité. Car un salaire ne se résume pas au montant que perçoit le salarié ; il s’agit plus généralement du coût du travail, c’est-à-dire de la rémunération du travail salarié qui, outre le salaire brut, inclut aussi le versement des parts patronales aux régimes de protection sociale.

Allemagne : hausse des salaires inférieure à celle de la productivité

27En Allemagne, la rémunération issue du travail salarié est restéz largement en-deça de la productivité de l’industrie au cours de la décennie écoulée. L’écart s’est de plus en plus creusé à partir de 2002 et, jusqu’en 2007, la masse salariale a connu une progression nettement inférieure à celle de la productivité (graphique 3). Ce n’est qu’avec la crise de la finance mondiale que la tendance s’est inversée. La productivité s’est effondrée, et les salaires ont baissé eux aussi, mais bien moins. Ce ne fut qu’un bref intermède car quand, en 2010, la productivité a rapidement renoué avec son niveau antérieur, les salaires sont de nouveau restés à la traîne. Dans l’industrie allemande, la marge de redistribution est donc restée amplement inépuisée, de sorte que les entreprises ont pu reconquérir largement leur avantage compétitif grâce à la politique salariale très modérée des partenaires sociaux.

France : hausse des salaires disproportionnée par rapport à celle de la productivité

28Dans l’industrie française, c’est l’inverse qui s’est produit. Jusqu’en 2007, les salaires ont progressé plus vite que la production. Quand celle-ci a reculé sous l’effet de la crise, les salaires n’ont que timidement été ajustés. Et depuis 2010, les salaires augmentent à nouveau, alors que la productivité industrielle stagne. Non seulement, en France, la marge de redistribution n’a pas été respectée mais, contrairement à l’Allemagne, on a laissé les salaires augmenter de manière disproportionnée, ce qui a détérioré la compétitivité-prix de l’industrie. Critiquer la modération salariale allemande est donc parfaitement justifié, car une hausse plus prononcée des salaires aurait été possible sans mettre en danger la compétitivité de l’industrie allemande. Mais il est tout aussi justifié de critiquer l’évolution française pour ses hausses salariales sans commune mesure avec la faible progression de la productivité.

Graphique 3 : Evolution de la valeur ajoutée brute et de la rémunération des salariés dans l’industrie manufacturière en France et en Allemagne (2001 = indice 100)

Graphique 3 : Evolution de la valeur ajoutée brute et de la rémunération des salariés dans l’industrie manufacturière en France et en Allemagne (2001 = indice 100)

Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur. *) Corrigé des heures travaillées des indépendants.

Part des salaires dans la valeur ajoutée supérieure en France

29On pourrait avancer l’argument que la modération salariale était nécessaire parce que l’industrie allemande était menacée d’une perte de compétitivité. En Allemagne, cet argument a effectivement figuré un certain temps en tête de l’agenda des débats sur la politique économique (voir Sinn, 2005 ; Lallement, 2011). A première vue, cette thèse se révèle séduisante, étant donné que, au début de la décennie, les salaires étaient beaucoup plus élevés en Allemagne qu’en France : dans l’industrie, le salaire brut horaire s’élevait à 28,10 € en Allemagne, à 23,20 € en France. En ce qui concerne la productivité horaire brute (corrigée des heures travaillées des indépendants ; voir Brenke, 2009), l’écart était toutefois bien moins important, avec 36,51 € en Allemagne et 35,14 € en France. La part des salaires dans la valaue ajoutée s’élevait ainsi à 77 % en Allemagne et à 66 % en France. Or de telles comparaisons sont problématiques parce qu’elles ne prennent pas en considération les différences existant dans le type de production et la mise de fonds. En 2011; la part des salaires dans la valeur ajoutée brute de l’industrie s’élevait à 63 % en Allemagne, et à 73 % en France.

La balance commerciale allemande est excédentaire depuis… 1952

30A l’encontre de la thèse selon laquelle, au début de la décennie, les salaires auraient été trop élevés en Allemagne et auraient risqué de mettre à mal sa compétitivité, on peut cependant avancer que, à l’époque aussi, la balance commerciale (biens) allemande était non seulement positive, mais que son excédent était en hausse. Vue sous cet angle, la compétitivité internationale de l’Allemagne n’était nullement menacée. Et si on considère une plus longue période, on constate que, de 1952 jusqu’à aujourd’hui, le solde de la balance commerciale allemande a toujours été positif – chacune de ces années. A quoi il faut ajouter que si les salaires ne progressent que lentement, c’est seulement depuis le début des années 1980 (voir Bispinck/Schulten, 2009).

Graphique 4 : Coûts salariaux horaires dans l’industrie selon la taille des entreprises, 2008 (en € par heure)

Graphique 4 : Coûts salariaux horaires dans l’industrie selon la taille des entreprises, 2008 (en € par heure)

Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur.

Salaires et productivités plus élevés en Allemagne

31Soit dit en passant, aujourd’hui encore, les salaires sont plus élevés dans l’industrie allemande que dans l’industrie française. En 2011, en Allemagne, la rémunération des salariés s’élevait à 33,82 €, et le salaire brut horaire à 24,90 € ; en France, respectivement à 32,23 € et 21,25 €. Or la productivité y est plus élevée aussi, avec 50,30 € contre 41,60 € en France.

Une fourchette des salaires moins large en France…

32Mais les salaires varient selon de nombreux facteurs. Leur montant dépend largement de la taille des entreprises, puisqu’en règle générale, les salaires sont plus élevés dans les grandes entreprises que dans les petites, ce qui est directement lié à leur compétitivité et aussi à leur force commerciale. Cela vaut pour la France aussi bien que pour l’Allemagne (voir graphique 4). Cela dit, en France, les différences entre les salaires des grandes et des petites entreprises sont nettement moins prononcées qu’en Allemagne, comme le révèlent des données pour l’année 2008 qui, bien que déjà anciennes, n’en devraient pas moins rester valables comme ordre de grandeur. S’y ajoute que, en Allemagne, seules les très grandes entreprises versent des salaires supérieurs à ce qui est d’usage chez leurs homologues françaises ; quant aux coûts horaires, ils sont plus élevés dans les entreprises françaises dont l’effectif est inférieur à 1 000 salariés.

… mais des charges patronales plus lourdes dans les PME

33Ce constat a de quoi étonner, étant donné que, en Allemagne, les salaires sont en règle générale fixés par des conventions qui s’appliquent à l’ensemble de la branche, alors qu’en France, ils sont plutôt fixés entreprise par entreprise. Mais en Allemagne, de moins en moins d’entreprises sont membres d’une fédération patronale tarifaire, ce qui a pour conséquence que le nombre d’entreprises liées par une convention tarifaire de branche est en diminution et que de plus en plus d’accords salariaux sont conclus au niveau de l’entreprise (voir Bispinck/ Schulten, 2009). En France, la fixation des salaires semble déterminée par l’existence d’un SMIC légal, celui-ci constituant aux yeux des salariés un seuil de référence par rapport auquel leur salaire doit ménager un certain écart. C’est ce qui semble expliquer la faible différence relative des salaires entre petites et grandes entreprises. Et la conséquence en est que les PME françaises, confrontées à des charges salariales supérieures à leurs homologues allemandes, doivent développer une productivité supérieure pour tenir leur rang dans la concurrence mondiale. En effet, dans les entreprises françaises occupant entre 10 et 49 salariés, les salaires sont plus élevés d’un cinquième que dans leurs homologues allemandes ; cet écart s’élève à un dixième dans les entreprises de 50 à 250 salariés.

34L’économie allemande ne s’est pas désindustrialisée au cours des dix dernières années, loin s’en faut. A la différence de la plupart des autres pays, dont la France, la tertiarisation de l’économie y a cessé sa progression, et l’industrie est restée un secteur clé. Ce sont essentiellement les exportations qui ont tiré la très forte croissance de la production industrielle, ce qui n’a rien d’étonnant dans le contexte de globalisation croissante de l’économie mondiale. Or la croissance des exportations allemandes a été supérieure à la moyenne européenne, et surtout nettement plus prononcée que dans les autres pays de la « vieille Europe ».

35Pour l’essentiel, les performances allemandes à l’export sont dues à la vente de biens innovants, intensifs en R&D : machines, véhicules et produits chimiques. La production industrielle allemande est elle aussi constituée majoritairement de biens intensifs en R&D, et leur part a encore progressé ces dernières années. En France en comparaison, ces biens ne représentent qu’un tiers de la production, et cette part s’est réduite au fil des années. En outre, le tissu industriel français se compose bien plus de petites et très petites entreprises, à la différence de l’Allemagne où prédominent les moyennes, avec un effectif compris entre 50 et 250 salariés. Cela vaut également pour les très grandes entreprises parmi lesquelles se distinguent, outre-Rhin, de nombreuses entreprises présentant toutes les caractéristiques du Mittelstand – et tout particulièrement dans ces branches comme la construction mécanique où les grandes sociétés cotés en bourse sont quasi absentes.

36La compétitivité accrue de l’industrie allemande repose incontestablement sur la modération salariale et une politique salariale qui a refusé d’épuiser les marges de redistribution. L’envers de la médaille a été une faible croissance de la demande intérieure, doublée d’une sous-consomation et d’un fort excédent commercial. Une telle évolution n’était possible qu’au sein d’une union monétaire, car sans l’Euro, l’Allemagne aurait dû réévaluer sa monnaie, ce qui aurait réduit à néant l’avantage compétitif résultant de la modération salariale. Il en va tout autrement de la France, où les salaires ont progressé plus vite que la productivité. Si la France n’était pas membre de la la zone Euro, ces hausses salariales disproportionnées l’auraient vraisemblablement contrainte à dévaluer sa monnaie. Ces évolutions salariales se sont toutes deux révélées dommageables au sein d’une Europe qui s’est certes dotée d’une monnaie commune, mais sans poursuivre plus avant l’intégration de ses politiques économiques et sociales.

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Bibliographie

Bispinck R., Schulten T., « Re-Stabilisierung des deutschen Flächentarifsystems », WSI-Mitteilungen, n° 4/2009

Bourgeois I. (dir.), PME allemandes : les clés de la performance, Ed. du CIRAC, 2010

Bourgeois I., Lasserre R., « Les PME allemandes : une compétitivité à dimension sociale et humaine », in Oséo, PME 2010 (http://www.cirac.u-cergy.fr/colloques_etudes_wp/cirac_pme.pdf)

Brenke K., « 20 ans après l’Unité: regards sur l’économie dans l’est de l‘Allemagne », Regards sur l’économie allemande, n° 98-99/2010

Brenke K., « Reallöhne in Deutschland über mehrere Jahre rückläufig », Wochenbericht des DIW, n° 33/2009

Chatillon A. (rapporteur), « Rapport d’information fait au nom de la mission commune d’information (1) sur la désindustrialisation des territoires », Sénat, Session ordinaire de 2010-2011, n° 408 (2011)

Eickelpasch A., « Forschende Unternehmen schneiden besser ab », Wochenbericht des DIW, n° 35/2012

« Frankreichs Finanzministerin lässt es nicht », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 31-08-2010

Gehrke ., Rammer C., Frietsch R., Neuhäusler P., « Listen wissens- und technologieintensiver Güter und Wirtschaftszweige. Zwischenbericht zu den NIW/ISI/ZEW-Listen 2010/2011 », Studien zum deutschen Innovationssystem, n° 19/2010

Horn G., Joebkes H., Zwiener R., « Einseitige Exportorientierung belastet Wachstum – Frankreich besser als Deutschland », IMK Policy Brief, mars 2010

Lallement R., « Le système productif allemand à l’épreuve de ‚l’économie de bazar‘ », Regards sur l’économie allemande, n° 100/2011

Sennett R., The Culture of New Capitalism, New Haven, London, 2005

Sinn H.-W., Die Basar-Ökonomie. Deutschland : Exportweltmeister oder Schlusslicht ? Berlin, 2005

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Table des illustrations

Titre Graphique 1 : Evolution de la valeur ajoutée brute de l‘industrie (en prix courants, données CVS ; indice 100 = 1er trimestre 1999)
Crédits Sources: Eurostat ; calculs de l’auteur.
URL http://journals.openedition.org/rea/docannexe/image/4466/img-1.png
Fichier image/png, 45k
Titre Graphique 2 : Valeur des exportations par rapport au PIB en 2011 (part en %)
Crédits Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur.
URL http://journals.openedition.org/rea/docannexe/image/4466/img-2.png
Fichier image/png, 24k
Titre Graphique 3 : Evolution de la valeur ajoutée brute et de la rémunération des salariés dans l’industrie manufacturière en France et en Allemagne (2001 = indice 100)
Crédits Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur. *) Corrigé des heures travaillées des indépendants.
URL http://journals.openedition.org/rea/docannexe/image/4466/img-3.png
Fichier image/png, 38k
Titre Graphique 4 : Coûts salariaux horaires dans l’industrie selon la taille des entreprises, 2008 (en € par heure)
Crédits Source des données : Eurostat ; calculs de l’auteur.
URL http://journals.openedition.org/rea/docannexe/image/4466/img-4.png
Fichier image/png, 24k
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Pour citer cet article

Référence papier

Karl Brenke, « Production industrielle : comparaison France-Allemagne »Regards sur l'économie allemande, 106 | 2012, 17-30.

Référence électronique

Karl Brenke, « Production industrielle : comparaison France-Allemagne »Regards sur l'économie allemande [En ligne], 106 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2014, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/rea/4466 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rea.4466

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Auteur

Karl Brenke

Karl Brenke, sociologue, spécialiste du marché du travail au DIW (Berlin)

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Droits d’auteur

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