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Occasional papers

Charles du Bos, lecteur de Thomas Hardy

Bénédicte Coste

Abstracts

The French critic Charles du Bos devoted many essays to the writings of Victorian and contemporary English authors including Thomas Hardy. For Du Bos, Hardy is an architect seeking a principle which would account for the order of things. The failure of this quest produces his faith in his experience of the world, including its gloomiest aspects. Du Bos sees Hardy as devoid of hope, starting from the « unhope » expressed in his poetry in order to sympathize with the human condition. The disenchanted world that he depicts through Jude and Tess can be related to the empowerment of modern societies as analyzed by M. Gauchet. Such autonomy gives rise to Hardy’s dispassionate appraisal whereas, Du Bos’s essay evidences mixed feelings towards Hardy's philosophical stance.

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  • 1 Francophone, anglophone, et germanophone, il a enseigné et eu une activité éditoriale considérable, (...)
  • 2 Elevé dans le catholicisme, Du Bos se déclare agnostique entre 1918 et 1927 avant de revenir au cat (...)

1C’est à tort que la postérité tend à ignorer Charles du Bos (1882-1939). Rédacteur d’un journal intime admiré par Gide1, il a consacré de nombreux textes critiques à ses contemporains et aux auteurs victoriens, dont un essai sur Thomas Hardy, « la plus grande sans contredit des figures vivantes que les lettres offrent à notre admiration » (Du Bos 2000, 830), que Gide lui avait fait découvrir durant la Grande Guerre. Très bref, ce texte est issu d’une série de 4 cours dispensés aux étudiants de l’Union catholique entre janvier et décembre 1925. Du Bos fait ainsi office de passeur, contribuant à raviver l'intérêt pour Hardy en France, mais il impose aussi Hardy comme point de passage obligé pour penser la modernité, ce qui implique un mode de lecture à la fois empathique et agonistique : pour Du Bos, Hardy est aussi un moyen d’évaluer sa propre situation spirituelle, par le truchement d’un auteur défini comme incroyant ou plus précisément « inespérant »2. L'hommage à Hardy tient donc du paradoxe, puisque la lecture fonctionne à la fois comme catalyseur et comme contre-modèle. Relire la lecture que Du Bos fait de Hardy, c'est donc mettre en évidence l'importance de la pensée de Hardy dans les années vingt, au sein du débat intellectuel et religieux en Angleterre mais aussi en France.

  • 3 Du Bos a commencé à rédiger son journal le 1er janvier 1902 et c’est encouragé par Gide qu’il conti (...)
  • 4 Du Bos préfère voir la vie à travers Tolstoï, Tchekhov et G. Eliot dont la réflexion morale ne le l (...)
  • 5 Samedi 24 janvier 1925, Journal II, 260. Dès 1922, Du Bos aide une amie à réécrire un article sur l (...)
  • 6 « c’est comme si je respirais l’odeur même de la mer, un air fort chargé de sel, et aussi la salubr (...)

2Pour Du Bos, la lecture de Hardy n'est pas ponctuelle, elle est le fruit d'un dialogue de longue haleine. Le lundi 14 décembre 1925, dans son journal, avant la dernière leçon, il dresse un constat amer sur une année passée à lire, relire et méditer Hardy, écrit dans un mélange de français et d’anglais qui lui est propre : « [I] have forfeited my opportunity » car « quelque chose en moi s’est refusé à lire [Hardy] » (Du Bos 1948, 402)3. Pourquoi cette inhibition ? Elle semble naître paradoxalement d'une lecture empathique : « [I]l se pourrait que mon apathie provînt d’une sorte de refus organique d’assimiler un univers trop voisin de celui dans lequel – for my inner welfare and the welfare of those around me – je baigne déjà à l’excès. » (402) La vérité approchée d’une connivence inconsciente se voit aussitôt repoussée : l’explication reste incomplète et le ratage résiderait « dans la monotonie avec laquelle le génie de Hardy regarde la vie, à une période où je n’éprouve plus le désir de la regarder » (402)4. Qu’a donc écrit Hardy, qualifié quelques mois plus tôt de « de beaucoup le plus grand des écrivains vivants de tous pays »5 pour susciter cette hargne ? C'est qu'il devient aux yeux de Du Bos, qui se sentait au début revigoré6 par « cette salutaire purification de toutes choses par la vigueur » (260), « le déprimé, le déprimé type » qui instille sa dépression à ses personnages, ou plutôt le tenant d'une aporie éthique qui déclenche le rejet : Hardy désigne une faille que son exégète ne suturera que par le retour explicite au catholicisme.

  • 7 Chronique des lettres françaises, 23-24 (septembre-décembre 1926) 785-786.
  • 8 Il est intéressant de noter que dans ses cours, Du Bos souhaite évoquer The Dynasts qui est à ses y (...)
  • 9 C’est le 28 novembre 1925 que Du Bos a l’idée d’établir un dyptique Jude/Tess. Mais déjà, il s’en v (...)

3Dans le numéro de janvier-février 1928 de la Revue Nouvelle, l’Hommage à Thomas Hardy d'écrivains français au lendemain de sa mort, Du Bos publie un essai, qui, comme toute sa critique, a « sa source, non pas dans l’intelligence analytique, mais dans une expérience intérieure d’espèce métaphysique, dans cet événement vécu que le chrétien nomme l’attouchement de la grâce, le mystique, l’illumination, l’artiste, la vision, le philosophe, l’intuition »7, Le vocabulaire trahit le besoin de réconcilier Hardy et le sacré, par le biais d'une lecture qui se veut épiphanique ; les modalités spécifiques d'actualisation du texte décrites par la théorie de la réception apparaissent nettement. Du Bos s’attache à situer Hardy dans l’histoire intellectuelle et spirituelle de son temps, et en fait un homme à la recherche d’un principe pour lui introuvable, ce qui lui donne tout son sens dans une époque qui négocie le traumatisme de la première guerre mondiale. C'est cette absence de causalité originaire qui détermine chez l’architecte devenu écrivain et poète sa position affirmée et maintenue de fidélité à l’expérience du monde dans ce qu’elle a de plus sombre. Hardy apparaît comme un désespéré qui part de son « inespoir » (« unhope ») pour contempler la condition humaine avec laquelle il est en sympathie. Du Bos insiste sur la distinction que fait Hardy lui-même, « mélioriste » plutôt que « pessimiste », pénétré d'un sens de la vie qui constitue une éthique possible pour un monde désenchanté, alors que l’expérience de ce même monde conduit Du Bos à une autre position en 1927. Son texte, dépourvu de jargon et pourtant admirable de précision et complexité, montre le regard lucide d’un enfant du victorianisme qui s’est achevé avec la Grande Guerre8. Du Bos souligne la modernité de Hardy, qui transparaît dans ses personnages, à travers la dissociation de l’amour et de la sexualité dont sont victimes Jude et Tess9, ou à travers Clym Yeobright, figure de l’homme moderne en proie à l’irréversible, l’altérité ou plus précisément « l’altérisation » qui caractérise l’homme moderne.

  • 10 Du Bos relit The Return of the Native le 27 janvier 1925 et avoue se laisser gagner par le roman.

4Commentant l’incipit de The Return of the Native10, Du Bos assimile la lande d’Egdon Heath au « visage d’Hardy lui-même », visage de « l’homme, lésé et endurant » (828), visage « colossal et mystérieux », comme une bosse, un tumulus. Imposant et solitaire, son génie, lui aussi assimilé à un tumulus, indique « l’importance dévolue à la position d’où l’on regarde, ce sens de l’éternel relatif de toutes choses » (828). La formule est paradoxale et le paradoxe se révèle la figure utilisée par Du Bos pour rendre compte de l’écartèlement ontologique hardien. Hardy est l’auteur qui éprouve l’impossibilité d'embellir les choses, fidèle à « ce point de vue cosmique […] qui fut le sien dès l’origine » (828). Ce point de vue est peut-être assimilable à des procédés romanesques comme l’omniscience auctoriale, mais il est également à comprendre comme position de l’écrivain face au monde. Hardy est « notre univers se pensant lui-même » (829) ; sa position procède d’un refus de créer un autre monde, d’une acceptation de notre univers tel qu’il est.

5Peut-être sa formation initiale explique-t-elle que Hardy reste avant tout pour Du Bos un architecte, « face à face avec un monde […] si monstrueusement déconcertant, – un monde qui […] indigne l’esprit tout autant qu’il serre le cœur » (829). Confronté au non-sens de l’univers abordé à partir d’un point de vue global ou « cosmique », il recherche en vain un principe ou une cause première, « l’arrière-pensée architecturale d’un monde sous ce rapport si dénué », « abouti[ssant] au concept d’une cécité totale dans la force première […] qui est opératoire dans tous les phénomènes de l’univers » (829). Cette absence génère ce que Du Bos appelle la « métaphysique tristesse d’Hardy » (829), dont il précise qu’il la ressent « avec une pureté radicale », sans adoucissement ni consolation. Il est, écrit Du Bos, un architecte, avec ce que cet art implique de rigueur et de cohérence, de volonté endurante, qui ne peut comprendre de façon « totale, […] un univers architecturalement manqué » (830), qui se confronte à l’« impossibilité de situer la responsabilité où que ce soit » (829).

  • 11 « L’autonomie, en pratique, c’est l’historicité, c’est la quête de soi au travers du changement con (...)
  • 12 Gauchet signale que l’expression, employée à l’époque, pour désigner le « changement de climat cons (...)
  • 13 Le samedi 24 janvier 1925, alors qu’il a prononcé sa première leçon, il avoue chercher encore une l (...)

6Pour Du Bos, Hardy est donc l’homme d’un art reposant sur la cohérence et la solidité, affrontant l’absence de cohérence. Il est l’un de ces Victoriens confrontés à ce bouleversement épistémologique exploré par Michel Serre ou, concernant Hardy, par Annie Escuret. Il est également, et c’est le propos de notre lecture, l’enfant d’un bouleversement historico-philosophique au sens de Marcel Gauchet (Gauchet 2005, 251-92). Gauchet oppose les sociétés hétéronomes définies par la stabilité des pratiques, des croyances et des identités, l’observance des traditions et l’obéissance à la loi délivrée par dieu ou les Ancêtres, et les sociétés en voie d’autonomisation – l’autonomie est un horizon – où les identités, les pratiques, sont fluctuantes, contradictoires et font l’objet d’une invention inscrite dans une dimension historique11, où l’altérité autrefois pensée extérieure vient se nicher au cœur du sujet pour en fissurer l’unité, pour le produire comme sujet divisé à travers un processus que nous qualifierons d’altérisation. Dans La Condition historique, Gauchet rappelle que le dix-neuvième siècle est l’époque où l’autonomisation, dont les fondements sont antérieurs, devient sensible sous la forme d’une intériorisation de l’altérité, d’un écart de soi à soi, d’une faille dont Hardy est l'exemple par excellence, si nous suivons la minutieuse lecture qu'en fait Dubos. Hardy est l’un de ceux qui vivaient à l’époque qualifiée par Matthew Arnold de transition entre deux mondes : « two worlds, one dead / the other powerless to be born. » (Arnold 280) Il a un pied dans le passé où régnait le principe organisateur du monde mais l’autre dans le présent de sa disparition. Pour le dire dans les termes de Gauchet, il s'agit d’un moment particulier de l’autonomisation qui voit l’hétéronomie faire retour sous la forme d’une tentation, d’une nostalgie. La « crise du libéralisme » qui clôt le dix-neuvième siècle12 est le moment où l’hétéronomie livre son dernier combat et où les hommes choisissent difficilement la démocratie, comme en témoignent les soubresauts politiques du dernier tiers du siècle. Ce basculement transparaît dans les œuvres littéraires, notamment celle de Hardy, très conscient de vivre sous son ombre portée. C’est cet écartèlement subjectif entre hétéronomie et autonomie qu’il va explorer, c’est à partir de la faille ontologique hardienne qu’il organise sa lecture après avoir, comme en témoigne son journal, recherché un angle d’approche qui lui eût permis de saisir une improbable unité hardienne13.

  • 14 Du Bos définit l’ancien ainsi : ce qui est immobile et « toujours identique à soi-même » (833), com (...)
  • 15 Voir le chapitre III, « Passé, présent, avenir : le devenir écartelé » (100-39), où Gauchet consacr (...)

7C'est pourquoi Du Bos s'attache à définir le rapport au temps hardien à partir du titre du chapitre introductif de The Return, « A face on which time makes but little impression ». Ce visage échappant aux effets du temps, c’est pour Du Bos la figure même de Hardy, « une figure tout empreinte, tout imbibée d’une désolation qui ne le cède en rien à celle d’Edgon Heath » (830). Dans une note infrapaginale quelques pages plus loin, Du Bos compare Hardy à « un Lear dont la douleur serait d’ordre général et métaphysique » (835). Par contraste avec la douleur personnelle du roi shakespearien, Hardy éprouve une douleur qui est celle de son époque et qu’il va choisir d’endurer ; Hardy ne refuse pas le temps, il le contemple, il en subit le passage. Au bout de l'expérience, le temps est saisi dans, et comme écoulement, à travers lequel Hardy voit se révéler ce que Du Bos appelle l’intemporel, « la notion limite du temps lui-même, lorsque des accumulations quasi indéfinies du temps écoulé sont appréhendées par la méditation d’un homme qui possède le sens de la valeur cumulative » (831). La valeur cumulative permet de lire sur les choses et les hommes la dignité qui leur est octroyée par le fait « d’avoir subi l’assaut des flots toujours renouvelé du temps, de l’avoir subi et d’être là et de ne témoigner de leur passage que par la noblesse des sillons dont ils sont creusés » (831). Certains écrivains affrontent un temps cyclique, un Platon est capable de penser l’éternité, d’autres encore évoquent des instants ou des moments, mais Hardy affronte le passage du temps en tant que tel, un temps purement historique, qui n’inscrit que la permanence de son passage au point de la cristalliser sur la lande d’Egdon Heath, et Du Bos commente : « Cette rencontre, cette perpétuelle cohabitation de l’ancien, du très ancien, de celui qui remonte dans les profondeurs jusqu’à la préhistoire, et du nouveau dans les profondeurs de l’être même de Hardy » est le « sous-jacent sujet de son œuvre » (832). Si le temps perçu est le temps géologique, c’est-à-dire pleinement historique, sa perception est nouvelle et l’on peut dire qu’en s’y confrontant, en l’endurant, Hardy fait littérairement l’« histoire de l’historicité » de la fin du dix-neuvième siècle réclamée par Gauchet (Gauchet 2007 67). Tel est le sens de l’agon permanent de l’ancien14 et du nouveau chez lui. Cette scission au sein du même sujet, cette division, qu’il ne cherche pas à suturer, fait d’Hardy « le plus immuable et le plus moderne des êtres » (Du Bos 833). La référence à Platon n’est pas incidente : Hardy est l’auteur du devenir, celui que la découverte du temps qualifié de géologique (mais que nous devons comprendre avant tout comme pleinement historique) place dans une position dynamique dont la contemplation lui procure paradoxalement une stabilité ou l’endurance repérée par Du Bos. La modernité ici se définit non comme mode ou culte du nouveau qui emporte les hommes et les choses, mais bien comme saisie et volonté d’enregistrer l’écoulement irréversible du temps et de fonder sa précaire stabilité sur cet écoulement même. L’écrivain ne s’abstrait pas de l’irréversible pour le juger ou l’analyser — ce qui fut une position victorienne classique — il s’y inscrit, endurant la « disjonction » évoquée par Gauchet (Gauchet 2007, 107)15 « du temps historique d’avec le temps cosmique, mais aussi d’avec le temps biologique », sans oublier le temps personnel et psychologique.

  • 16 Sans en donner d’exemple, Du Bos qui rédige son essai à une époque qui glorifiait les mutations, lu (...)
  • 17 Du Bos collabore à la revue de 1921 à 1923.

8La modernité est une position où le sujet fait l’expérience d’une temporalité nouvelle et d’un univers que ne guide plus aucun principe, sans chercher à l’adoucir ou à l’obérer par quelque stratégie qui relèverait de la posture16. Elle conduit à un nouvel « héroïsme » (834) différent de toute pompe ancienne qui permet à Du Bos de différencier « le moderne authentique et sa contrefaçon » (835). Hardy n’est pas un héros grec, chargé de qualités ou de pouvoirs surhumains, mais un héros singulier, endurant sa condition avec une « adamantine honnêteté d’âme qui tien[t] compte de la totalité de l’expérience » (833) — Du Bos traduit ici les propos de John Middleton Murry, à l’époque rédacteur de l’Athenaeum, dans un article de 191917—, et il l'exprime auprès d’une génération sans doute plus prête à l’entendre que ne l’étaient les Victoriens. Telle est la raison du succès de la parution de ses poèmes, au sortir de la Grande Guerre (1919), salués et reconnus par ceux qui l’avaient vécue, explique Du Bos. D’ailleurs Hardy lui-même n’affirme-t-il pas dans l’une de ses préfaces que « la tragédie a trouvé sa voix » ? Mais pour Du Bos, il s’agit de la tragédie de la modernité, non de la tragédie grecque. Fruits de ce rapport à la désarticulation du monde, les poèmes de Hardy sont « le tonique du vrai sans plus » (834). Le poète est compris du public qui n’a pas à faire des « allowances » (sic) c’est-à-dire ces « mises au point » indispensables pour comprendre des génies plus anciens. Le lecteur contemporain n’a nul effort à faire pour s’ajuster à une position ontologique qui est devenue la sienne. La poésie hardienne n’exige donc aucune suspension de l’incrédulité (pour reprendre la référence explicite que font Du Bos et Hardy à Coleridge) et ce trait constitue sa « plus foncière originalité » (836). Elle est vraie, et le « vrai sans plus devient poésie » (836). Hardy apparaît comme le poète anticipant l’expérience moderne, le précurseur d’un rapport nouveau à l’expérience que Du Bos va expliciter.

  • 18 « Il existe chez Flaubert comme une intensité de la stupeur, et en général, une prodigieuse intensi (...)

9Sa fidélité à l'expérience de la modernité produit un autre mode de transcendance dont Hardy n’a pas eu totalement conscience, selon Du Bos, mais qui s’exprime à travers des « moments of vision » dont l’exégète fait une pénétrante et brève analyse. C’est ainsi qu’il convient de comprendre le « vrai sans plus » devenant poésie : Hardy part d’une perception intérieure et l’analyse sans rien en masquer et sans rien y ajouter, pas plus qu’il n’en dissimule l’âpreté par l'ajout d'une explication ou d'une justification, et c’est à travers cette analyse quasi-clinique que les sentiments se voient élevés à la dignité poétique sans être altérés par des procédés rhétoriques. En l’absence d’un principe transcendant, la perception intérieure hardienne sert de fondement à l’état brut. À l’inverse des écrivains naturalistes qui ont élevé la sensation brute à l’état d’objet poétique, à l’inverse d’une littérature sensualiste18, Hardy accueille la sensation mais se met en devoir de l’analyser, de la décomposer, de la soumettre à la réflexion. Tel est le sens de sa fidélité au vrai sans plus, qui lui permet de nous parler quelle que soit l’époque et qui représente, pour Du Bos, la part d’intemporel qu’il porte en lui, noyau intime qui se heurte, sans s’y affronter, à l’écoulement du temps. Si la condition historique est celle d’une altérité intime, d’une intériorisation de l’Autre, Hardy la montre à travers ses poèmes.

  • 19 Gauchet distingue trois moments dans l’autonomisation : un moment théologico-politique de 1500 à 16 (...)

10Si la poésie ou, plus généralement, l’acte littéraire, ne relèvent que d’eux-mêmes, alors la vie, et la littérature qui en dit l’écartèlement, deviennent tragiques, et Du Bos qualifie l’œuvre de Hardy de « tragédie à voix basse » (851) mettant en mots l’affrontement de l’homme et du destin. Cet affrontement n’est tempéré par nulle providence, nul dieu antique qui en rendraient compte. L’homme se trouve jeté dans un monde où le sens n’est ni prédéterminé, ni donné par autrui, ce qui le place dans une dimension historique dont Du Bos remarque subtilement qu’elle s’inscrit sur le visage des personnages, comme dans cet extrait de The Return of the Native qu'il traduit : « L’âge d’un homme moderne se mesure à l’intensité de son histoire » (838). Paradigme de cette inscription dans le temps historique, le visage de Clym Yeobright vu pour la première fois par Eustacia Vye représente à ses yeux « l’invariant » (837) paradoxal de la nature hardienne. Il n’est plus permis à Clym de connaître l’homéostasie caractéristique de l’hétéronomie : il est inscrit dans, pris, ridé par le temps parce qu’il appartient à un monde pleinement historicisé, à l’instar de son créateur dont Du Bos remarquait « le visage lésé et endurant ». Les références artistiques dubosiennes ne sont jamais gratuites et il compare ce visage au « Rembrandt littéraire le plus concentré que je sache » (839), soit à une œuvre qui prend l’homme pour objet et non des scènes bibliques ou des événements historiques appelés à fonctionner comme exempla de l’action terrestre des vivants. Selon Gauchet, l’autonomisation théologico-juridique du dix-septième siècle produit des individus via le droit naturel19, et c’est la naissance de tels individus qu’a saisie le peintre, alors que ce sont des sujets que saisit l’écrivain victoriens en leur adjoignant ce qui faisait défaut à l’œuvre de Rembrandt : la dimension historique marquée par l’usure lisible sur tous les visages.

11Or replacer Hardy dans une époque d’autonomisation, même si Du Bos n’utilise pas le terme, c’est poser avec lui la question de la croyance. Car si (les) dieu(x), les Ancêtres ou l’Autre tout-puissant ne déterminent plus l’homme, pas plus qu’ils n’en garantissent le sort, nous quittons le domaine de la foi et de l’inconditionnel pour celui de la croyance, qui est une discours fonctionnant sur le mode d’un démenti toujours possible, d’une incertitude. Notre thèse est que le dix-neuvième siècle a été le moment clé de cette transformation, elle-même induite par l’autonomisation, qui a connu des manifestations variées dont la position de Hardy n’est pas la moins singulière.

12Ainsi, Hardy fait l’expérience de l'impossibilité de croire en quelque chose (dieu, principe transcendant, cause première) qui fut celle de nombreux Victoriens, mais il apporte une réponse particulière, que l'analyse de Du Bos éclaire. La question de la croyance était sous-jacente dès lors que Du Bos commençait son essai par l’analyse du monde désenchanté de Hardy, elle se déploie lorsqu’il traduit quelques vers du poème « To Life » (1902) : « et peut-être que ce que je ne feins qu’en guise d’interlude, je pourrais arriver à le croire » (841). Rappelons que le poème s'adresse à la vie, et que l’énonciateur lui demande de feindre d’être seule pour créer ainsi un paradis sur terre, ce qui lui permettrait de feindre de concert. Pour énoncer cette demande, il faut relever d’un temps où ni le paradis, ni l’enfer ne sont des réalités, ce qui comporte quand même certaines conséquences ontologiques : « Mais ‘le croire’, c’est à cela justement que Hardy n’a jamais pu arriver » (841). L’incroyance du poète se marque par le préfixe négatif dont il frappe ce qui désigne l’horizon de toute croyance, l’espoir. En témoigne la citation d’« In Tenebris » (1895-6): « …death will not appal/ One who, past doubting all,/Waits in unhope ». L’inespoir (unhope) n’est pas donné d’emblée, il est le résultat d’une série de doutes portant sur toutes les croyances, d’une négativation de leur ensemble. Du Bos remarque que ce n’est pas la première fois que Hardy forme des mots par préfixation négative (comme, par exemple, « unsight ») qui témoignent d’une « positivité du négatif » qui lui permet de légitimer la sensation per se, c’est-à-dire de l’analyser. Il est significatif que Du Bos ait utilisé l’expression au sujet d’un autre auteur du dix-neuvième siècle, Flaubert, lui aussi confronté à l’évanouissement de la transcendance soutenue par la figure divine. Comme nombre de ses contemporains, Flaubert a résolu la question de l’absence divine par le culte de l’art et de la littérature :

Pour que Flaubert puisse croire à l’art, et s’il ne croit pas, il n’a plus [...] ˈni boussoleˈ, ni ˈbutˈ — il faut que cet art lui pose des exigences aussi sévères que la plus stricte des religions [...]. À ce prix, l’art lui devient une religion complète, intime par l’âpreté, mystique par l’exaltation que lui versent les chefs-d’œuvre, platonicienne par la satisfaction apportée par son besoin d’absolu. (Du Bos 2000, 167)

13La croyance flaubertienne remplace la croyance devenue impossible en dieu, mais elle en garde les modalités et la valeur. Elle change d’objet, non de fonction, et le culte de l’art désigne cette substitution. Telle n’est pas la position hardienne : l’« inespoir » est le résultat d’un doute généralisé, sans apaisement ni démenti, et il produit la « posture de l’homme qui attend et qui pourtant n’attend rien, de l’homme qui depuis plus de cinquante ans s’est retiré far from the madding crowd » (841-2). Hardy n’est pas un croyant qui s’ignorerait, ou un croyant qui aurait remplacé dieu ou la cause première par l’art ou, autre possibilité, par la science, il est celui qui fait l’expérience d’un doute radical et qui a de surcroît « cette poignante inaptitude à un reniement quel qu’il soit » (842). Il ne peut nier le savoir d’un ciel vide, d’un principe évanoui. Or cette position que Du Bos analyse avec une très grande justesse, va bientôt cesser d’être tout à fait la sienne. Examinons-là à travers une autre comparaison qui nous replace à un moment de doute ontologique.

14Nombre de textes romanesques victoriens ont fait d’un moment de doute absolu chez un personnage, un seuil de renversement le conduisant à adopter une position différente face à ses croyances passées, qu’il s’agisse de conversion, d’adhésion au scepticisme, ou à l’agnosticisme, d’affirmation de l’athéisme, à moins que le doute ne le conduise au renforcement de la croyance. Il s’agit d’un topos de la littérature victorienne largement exploré et commenté où résonnent les enjeux de l’autonomisation : si la loi ne vient plus des Ancêtres ou de dieu, c'est-à-dire de l’extérieur, comment vivre ? Si la transcendance absolue a disparu, est-elle remplacée par la pure immanence et comment l’homme peut-il s’y inscrire ? Comment peut-il assumer un destin qui ne dépend plus que de lui et des autres, de ses semblables et non d’un dieu, quelles qu’en soient les qualités ? De ces questions témoigne exemplairement le célèbre roman à succès de Mrs Ward, Robert Elsmere (1888), qui reste à nos yeux l’un des meilleurs témoignages de la diversité des positions au regard de la croyance chez les Victoriens, entre autres par la variété des croyants qui s’y côtoient. Robert Elsmere met en scène l'hésitation du héros éponyme qui commence par douter de la vérité de l’histoire sacrée (et donc du dieu qui l’organise), mais tait ses craintes jusqu’à se voir défait lors d’une de ces crises dont abondent les romans de conversion : « Do you think nothing is true because something may be false ? Did not — did not — Jesus still live and die, and rise again? can you doubt — do you doubt — that He rose — that He is God — that He is in Heaven — that we shall see him? » demande Catherine Elsmere à un Robert qui ne peut qu’avouer: « I can believe no longer in an Incarnation and a Resurrection … Miracle is a natural product of human feeling and imagination » (Ward 353).

  • 20 L’incroyance ou l’« inespoir » hardien n’est pas sans évoquer un autre auteur auquel Du Bos a consa (...)

15Elsmere, qui doute de la réalité des miracles, retrouve une forme de croyance en se tournant vers les œuvres terrestres et ne tarde pas à fonder sa propre chapelle, « The New Brotherhood », avant de mourir en saint, laissant à sa femme, de bout en bout épargnée par le doute, le soin de continuer son œuvre. Ici, il s’agit de remplacer une croyance inconditionnelle par une croyance raisonnée, de se détourner de la figure d’un dieu lointain pour rejoindre la communauté des hommes et l’on peut dire que son doute conduit Elsmere à maintenir sa croyance en en changeant simplement l’objet. Flaubert remplaçait la foi par l’art, Elsmere par l’action humaine. Toute autre est la position de Hardy20.

16Pour Du Bos, Hardy se caractérise par le refus de remplacer l’« inespoir », de le suturer par une quelconque croyance substitutive fonctionnant comme béquille d’un monde désarticulé. Dieu est mort et la religion a été mise au rang de ces tumuli bientôt effacés sous les pas des hommes, mais l’écrivain ne la remplace par nul culte, fût-il celui de l’art, par nulle croyance en l’efficacité des œuvres mondaines en lieu et place du service divin. Il endure l’absence de responsabilité dont parle Du Bos en introït, et cette endurance lui confère paradoxalement la capacité de transformer la dépression née de cette absence en tonique. Tel est le sens de l’« inespoir hardien » : se tenir en un lieu où se révèle l’absence de principe divin, l’endurer comme la condition humaine, sans chercher à l’amoindrir par quelque objet substitutif, pour en sonder les possibilités d’ouverture à l’avenir, à l’histoire, pour en exprimer le nouveau tragique où, selon Du Bos, les événements élèvent parfois la voix, jamais les personnages que leur destin assomme. Et c’est sans doute un autre aspect de Hardy que Du Bos semble évacuer dans l’instant où il l’énonce : aussitôt posé, l’avenir suscité par l’advenue et la prise en compte de la dimension historique se voit anéanti, réduit à n’être que la mortification qui attend les hommes et les personnages hardiens.

  • 21 Du Bos a lu Nietszche dès 1900, et continue de le lire quand il verra en lui « le plus grand advers (...)

17L’« inespoir » n’est toutefois pas le dernier mot et Du Bos cite un autre vers d’« In Tenebris » exigeant la considération du pire pour arriver au meilleur : « if way to the Better there be, it exacts a full look at the Worst ». Certes, l’exigence hardienne de regarder le pire en face, qui est le corollaire de son incroyance, est difficilement soutenable auprès des hommes et Hardy apparaît comme l’un des « perturbateurs du monde » (843) aux côtés de Pascal, Nietszche, Tolstoï et Ruskin, ce qui, comme le souligne Du Bos, peut conduire à la réaction politique ou au soutien de l’ordre existant. Les exemples cités montrent en effet toute l’ambiguïté qui s’attache à la découverte d’un monde dépourvu de grâce. Pascal se retirera, Ruskin et Nietzsche21 sombrent dans la folie, et Tolstoï est classé comme réactionnaire. Hardy ne suit nullement cette pente en maintenant son « inespoir ». Certes, il « prend congé avant l’heure d’un monde qui ne veut ni entendre ni recevoir son message » (842), écrit Du Bos pour souligner la difficile marginalité d’une position qui prend comme seul principe l’absence de toute providence, de cause, de dieu. Hardy survit « au milieu de nous » (842), en se repliant sur son Wessex natal et romancé, peut-être pour échapper aux illusions de la modernité. Et là consiste sans doute une autre forme d’héroïsme que Du Bos ne dénierait pas à Hardy, et qu’il va inscrire dans le champ de « la religion de la souffrance humaine » (845). Hardy apparaît donc comme le sujet d’un moment de l’autonomisation radicale qui défère aux hommes le soin de mener leurs affaires sans plus de ligne directrice que leur vouloir ou leur désir ... au risque de la solitude mais tout en acceptant les questions éthiques de cette condition.

  • 22 Dans son essai de 1856, « The Natural History of German Life », G. Eliot écrit : « The greatest ben (...)

18Hardy a le « sens de l’incurable […] inné en son être même » (844). Mais il s’interdit de désespérer, refuse de se couper d’un avenir possible… à condition que l’homme regarde le Pire en face. Il est incroyant, si l’on attache un objet ou un contenu à la croyance, mais Du Bos souligne que Hardy proteste contre la notion de « pessimisme » dans son Apology (1922), car elle a le défaut de réduire une position ontologique à une qualité, voire à une posture. Du Bos a raison de souligner que le pessimisme (en tant que courant intellectuel de la fin de siècle) ou l’optimisme (qui recouvre le culte naïf de la science et du progrès) sont « inhumains » car ils méconnaissent tous deux la nouvelle condition humaine. L’« inespoir » est une condition qui fait souhaiter à Hardy « une série de très graduels efforts » (844) pour améliorer l’humanité (« le méliorisme par voie d’évolution » des Late Lyrics and Earlier 844), retrouvant, nous dit Du Bos, G. Eliot dont tout le sépare. Tous deux ont pour « religion » « la religion de la souffrance humaine » (845), fondée sur un authentique amour de l’humanité. Eliot et Hardy font l’expérience du désenchantement victorien et y répondent par une éthique qui sera celle de la sympathie dans le cas d’Eliot22, et l’exigence de connaissance et de fidélité à toute la réalité dans celui de Hardy.

19L’éthique de la condition moderne n’est pas dissociable d’une esthétique. L’amour de l’humanité hardien s’exprime par la typologisation destinée à énoncer les vérités essentielles de l’homme plongé dans l’histoire qu’il doit inventer et réaliser et que Proust, rappelle Du Bos, avait repérée sous la forme des ouvrages « superposables » car unis par une construction similaire. Les ouvrages d’Hardy sont ceux d’un architecte, ils évoquent la taille de pierre médiévale qui fonctionne principalement sur l’allégorisation et la typologisation pour exprimer des vérités religieuses. Leur dimension typologique est un procédé littéraire servant à exprimer la nouvelle condition humaine en créant une communauté fonctionnant sur la reconnaissance et en gommant la différenciation des œuvres entre elles, tandis que l’impression globale qui s’en dégage excède l’impression des textes individuels. L’« inespoir » irrigue chacun et confère une paradoxale (et très autonome) unité à un monde aprincipiel et tragique.

  • 23 J. Lacan, Séminaire XX. Encore (1975 ; Paris : Seuil, coll. Points, 1990) 103.

20Dès lors qu’elle n’est plus soumise à une cause extérieure, la tragédie naît du « choc entre la conjoncture particulière et l’écrasante pesée qu’exerce la vie en général » (846), entre le sujet et ce qui le dépasse sans pour autant lui être radicalement extérieur et qui peut prendre en l’occasion le visage de la société. Nous avons vu que cette pensée ne relevait de nul principe et que c’est en étant fidèle à ce « point de vue cosmique », que l’œuvre hardienne trouvait sa paradoxale unité en permettant à la tragédie de s’y déployer intégralement. Mais la tragédie de l’ère de l’autonomisation n’est pas la tragédie grecque qui mettait l’homme aux prises avec les dieux. Elle déplace la question éthique au cœur du sujet. Du Bos examine deux personnages qui incarnent la condition humaine dans l’univers désarticulé : Tess et Jude. Tous deux, pourrait-on dire, illustrent ce que Lacan appellera la « jouissance de l’idiot »23 à entendre comme idiotès, la jouissance du sujet singulier, isolé, divisé, soit du sujet de l’autonomisation. À travers l’examen de leurs destins croisés, Du Bos, lui, montre que la dissociation de l’amour et de la sexualité dont ils sont victimes provoque la tragédie qui les voue à une fin précoce. L’altérisation qui frappe le sujet de l’autonomisation détermine la scission entre sexualité et amour, autre effet de ce monde désenchanté.

  • 24 A entendre au sens étymologique.

21De sorte que la sensualité, si présente chez Hardy, est problématisée. Du Bos remarque la qualité plastique du verbe hardien en évoquant l’une des plus belles « idylles »24 de la littérature anglaise lorsque Tess se promène avec Angel à Talbothays. Cette plasticité lui sert à évoquer la persistance du premier âge de la Création où le sens de la terre est le « sens primordial » (848), un sens très sincère chez Hardy, dira-t-il. L’être humain est sain et sauf dans la mesure où il se conforme à ses origines et qu’il se meut comme la nature, en harmonie avec elle. C’est cette innocence, qui est également celle des sens, que Tess a perdue en étant violée par Alec mais qui ne demande qu’à faire retour sous la forme d’une véritable pulsion de vie lorsqu’elle vit à Talbothays. Tel est pour Du Bos le trait de génie de Hardy psychologue et il cite un passage de Tess illustrant le « naturalisme » hardien, « au grand sens antique et cosmique » de Lucrèce et de Maurice de Guérin, où l’être humain est tenu « pour innocent et pour valide » (849). Toutefois, cette pulsion de vie apparaît au titre de rémanence d’un état quasi-mythique qui ne peut être intégralement retrouvé, principalement chez les femmes hardiennes « qui font un bel, instructif et pathétique contraste avec les personnages masculins, — avec ces hommes presque toujours déprimés, débilités, mais si noblement parce que l’usure qu’ils laissent voir est l’usure de la pensée » (849). Si la pulsion de vie féminine est plus affirmée, il n’en demeure pas moins que chez les deux sexes, l’être originel est refoulé et qu’il ne peut réapparaître qu’à la faveur de l’amour « naissant, indécis » dont la « lumière spectrale, aqueuse et presque informe » où Tess et Angel se promènent, fait métaphore (849). Hardy confère à ses personnages la touche d’un Breughel ou d’un Scorel, tandis que les paysages où ils évoluent correspondent à sa « prédilection pour l’espace, pour l’étendue illimitée » où l’être s’éprouve chose parmi les choses. De nouveau, les références picturales désignent une époque dépassée, qui ne subsiste qu’à l’état de survivance car si l’être est naturel, s’il garde en lui cet autre noyau d’altérité, il est aussi plongé dans une histoire où sexualité et amour sont antagonistes, où la division intérieure engendre la tragédie.

22Jude et Tess constituent « le plus significatif diptyque » (850) du destin de sujets que l’Autre sexe conduit à la ruine. Chez un Hardy ignorant la division chrétienne de la chair et de l’esprit au profit d’une réduction de la pensée à une « maladie de la chair » (849), la vie est d’ordre physiologique et la sexualité joue un grand rôle sans pour autant épuiser l’être et c’est l’amour qui vient bouleverser l’ordre naturel. Les relations érotiques qu’il dépeint ne sont jamais duelles, c’est-à-dire mettant en jeu des sujets distincts et entiers, justifiables de leur conscience ou d’une ligne d’action définies. À l’inverse d’un Ibsen dont les personnages revendiquent des droits, les héros hardiens ne se dirigent pas vers une autonomie que Du Bos qualifie de « plus dérisoire des mythes » car la loi qui régit tout individu est celle de « l’inextricable enroulement des choses » (850) évoqué par Clim Yeobright, à entendre comme loi qui assujettit chacun à chercher dans l’autre ce qui lui manque ou le moyen de résorber sa faille intérieure. Et c’est en ce point que l’amour s’oppose à la sexualité.

23Ainsi, Jude est un homme « moyen » doué d’une « intégrité morale plus répandue qu’on ne le croit » qui se double d’une faiblesse de caractère (851) qui pourrait bien, précise Du Bos, être « le nom dont, pour se débarrasser de celle-ci, on se plaît à affubler la bonté » (851). Il n’aspire qu’à s’instruire pour s’élever socialement mais se fait sexuellement prendre au piège par Arabella. Cet épisode « négligeable en soi » commande pourtant toute sa destinée. Le jeune homme a été surpris par « l’instinct sexuel » (852) distinct de l’amour, tandis que son intégrité morale le contraint « au devoir de réparation » (852). Tout comme Tess partagée entre Alec et Angel, il a involontairement dissocié sexualité et amour au profit de la première en oubliant la seconde. Il essaiera de se rattraper avec Sue mais en vain : il retombe sous le joug d’Arabella, « l’insignifiante et méprisable artisane de tout son destin » (853). Angel a refusé de sauver Tess, se refusant à l’amour et le lui refusant, mais Sue ne peut sauver Jude car elle n’est ni libre ni capable de s’affranchir. Elle est la femme idéalisée, à laquelle il adresse son amour, mais elle est aussi la femme défaillante selon Du Bos : « une organisation plus complexe, plus évoluée, à ses yeux plus élevée, dont les scrupules et les remords font eux aussi partie intégrante » (853). Sue est la femme moderne, aux prises avec une culpabilité d’autant plus insidieuse et puissante qu’elle est inconsciente. Jude meurt victime d’un écartèlement entre la sexualité insatisfaisante avec Arabella et l’amour raté avec Sue, d’une scission dont ses deux partenaires représentent les pôles antagonistes. Sexualité et amour : telle est l’expression ultime de la division chez Hardy, en lieu et place de la division chrétienne entre corps et esprit. Figures de l’altérisation subjective, Tess et Jude « sont victimes du même principe initial : la dissociation entre les deux temps où opèrent l’instinct sexuel et l’instinct amoureux » (853) Les héros hardiens montrent la scission à la place d’une unité subjective frappée d’obsolescence. C’est aussi par ce réagencement, lui-même marque de l’autonomisation, que Hardy est moderne, d’une modernité banale à nos yeux, mais qui ne l’était peut-être pas en 1925, car la condition du salut humain est que les instincts sexuel et amoureux ne fassent qu’un, souligne Du Bos. Pour ce faire, il faudrait détisser les effets de l’autonomisation, retrouver l’hétéronomie qui les conjoint et les met sous la garde d’une loi de reproduction où chacun connaît sa place parce qu’elle est fixe. C’est ici qu’apparaît en filigrane, le détournement qu’exprime son journal : Hardy semble trop moderne pour son lecteur.

24Dans sa conclusion, Du Bos revient sur la position ontologique de Hardy. Celui-ci est « tout pénétré, habité par le sens de la vie en général » (854) déclaré supérieur au sens de la vie de ses personnages pris individuellement. Ce sens se perçoit immédiatement, lorsque le lecteur s’identifie à la situation et aux sentiments présentés, comme il le fait avec Tolstoï, Eliot, Tchekhov. Tel est le sens de la comparaison que fait Du Bos entre les personnages de J. Austen et de Hardy : les premiers ne suscitent pas la reconnaissance d’un sort commun comme les seconds. Hardy a donc l’art de créer sinon la « communauté inavouable » de Blanchot, du moins, la communauté des lecteurs de l’œuvre, appelée à prendre la relève d’une communauté religieuse frappée de désuétude. Le sens de la vie se transmet par sympathie, capacité identificatoire à autrui et chez Hardy, il est « tonifiant, salubre et comme chargé de sel » (854), dernier paradoxe de la part d’un auteur n’ayant jamais aimé la vie, si l’on se fie à ce vers cité in fine : « For Life I had never cared greatly » (854). Hardy est salubre par compassion avec les hommes tels qu’ils sont, non par amour de la vie, écrit Du Bos, de la vie à entendre dans une dimension transcendante ou naïve. Son amour des hommes de papier ou de chair est résumé par les vers de Shakespeare en épigraphe de Tess : « Poor wounded name ! My bosom as a bed Shall lodge thee ». Ce que le langage (mais bien plutôt la modernité soumise à l’« inespoir ») mutile, trouvera un abri chez l’écrivain, dernier gage de la compassion qu’il éprouve et qui est appelée à prendre le relais de la caritas chrétienne et à fonder l’éthique des temps de l’autonomisation. Si les contemporains de Hardy furent quelque peu récalcitrants ou incrédules, ceux de Du Bos étaient intellectuellement plus équipés sinon pour la pratiquer, du moins pour la concevoir.

25En dépit de ses réserves et avec une très grande honnêteté intellectuelle au vu du choix qu'il est sur le point de faire, Du Bos situe Hardy dans la modernité induite par l’autonomisation des hommes et des sociétés, lorsque l’observation de la règle des Anciens cède la place à l’invention de soi et de la société. De nombreuses études ont placé Hardy dans les bouleversements épistémologiques de son temps, Du Bos nous rappelle qu’il s’inscrit aussi dans un processus qui représente la véritable modernité à ses yeux, qu’il y occupe la place lucide d’un auteur qui se met en devoir de l’analyser, d’y prendre place comme sujet, grâce à une écriture elle-même autonomisée des effets de manche rhétoriques.

  • 25 « Les totalitarismes cherchent à marier l’hétéronomie et l’autonomie […] Le totalitarisme d’extrême (...)

26Aussi lucide, mais plus personnel, son journal témoigne de l’irritation née de la lecture des écrits de Hardy et, quelques mois plus tard, Du Bos apportera à l’expérience hardienne de la mort de dieu, la réponse de son propre retour au catholicisme. Toutefois, au regard de notre analyse, cette réponse peut également s’appréhender comme l’un des effets ou des moments de l’autonomisation : son rejet assorti de la tentative d’en revenir à une improbable hétéronomie. Sans être le seul, Hardy désigne sans doute avec trop d’intensité la condition moderne qui suscite l’échappatoire du retour dubosien au catholicisme. La question qui se pose alors est celle-ci : en 1928, Du Bos fait-il l’expérience dont Robert Elsmere a fixé les lignes ? Rappelons-nous que les conversions dites modernes au catholicisme, commencées en 1845 par celle de J. H. Newman, se poursuivent tout au long du siècle et débordent sur le vingtième siècle, en particulier dans les années 1920. Outre-Manche, songeons à E. Waugh et à G. Greene. Pour M. Crépu, qui lui consacre un excellent essai, Du Bos revenu dans le giron catholique « donne au lecteur l’impression que si pour lui, croyant, tout a changé, rien au fond n’a changé. C’est un même homme qui parle, s’affrontant toujours à la même nuit, aux mêmes questions. [...] il est probable, patent même, que le retour à la foi pour Du Bos est beaucoup plus l’occasion d’un obscurcissement, d’une augmentation d’épreuve qu’une résolution, la sortie d’une impasse. » (Crépu 88) Selon Crépu, il s’agit d’une « reconversion », d’« un mode approprié à une situation devenue intenable » (149) et de la « résolution d’un problème d’esthète » (149), ce qui apparente Du Bos plus à Flaubert qu’à Newman, et qui, au vingtième siècle, va le marginaliser en le situant dans le camp restreint des écrivains catholiques. Là encore les analyses de Gauchet sont éclairantes : une bonne part du vingtième siècle s’est employée à rejeter l’autonomisation sous une forme politique qui a pris le visage des totalitarismes25. Il reste à explorer sa forme esthétique qui a le mérite d’être pacifique et de donner lieu à des analyses pénétrantes d’un mouvement dont tout la séparait. Du Bos est l’un des auteurs clés pour comprendre les déchirements du vingtième siècle entre autonomisation et nostalgie de l’hétéronomie.

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Bibliography

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Crépu, Michel. Charles Du Bos ou la tentation de l’irréprochable. Paris : Éd. du Félin, 1990.

Du Bos, Charles. Dialogue avec André Gide. Paris : Sans Pareil, 1929.

---. Approximation. Paris : Syrtes, 2000.

---. Journal II 1924-1925. Paris : Corréa, 1948.

---. Journal III 1926-1927. Paris : Corréa, 1949.

Escuret, Annie. Thomas Hardy (1840-1928) : l’œuvre romanesque. Thèse de doctorat, Montpellier, 1982.

Gauchet, Marcel. Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion. Paris : Gallimard, 1983.

---. La Condition historique. Coll. Folio. Paris : Gallimard, 2005.

---. L’Avènement de la démocratie II. La Crise du libéralisme. Paris : Gallimard, 2007.

Humphry Ward, Mary Augusta. Robert Elsmere. London : Nelson, 1888.

Serres, Michel. Feux et signaux de brume. Zola. Paris : Grasset, 1975.

Verdier, Yves. Coutume et destin. Thomas Hardy et autres essais. Paris : Gallimard, 1995.

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Notes

1 Francophone, anglophone, et germanophone, il a enseigné et eu une activité éditoriale considérable, mais aussi fréquenté les grands écrivains et les penseurs du début du siècle (Proust, Curtius, Simmel, Bergson, Gide). Du Bos rencontre Gide en 1917 et leurs échanges intellectuels donneront lieu au Dialogue avec André Gide. Du Bos a traduit entre autres The House of Mirth d’E. Wharton et Dubliners de Joyce.

2 Elevé dans le catholicisme, Du Bos se déclare agnostique entre 1918 et 1927 avant de revenir au catholicisme sous la houlette de l’Abbé Mugnier, artisan de nombre de conversions retentissantes dont celle d’Huysmans. Du Bos écrit donc sur Hardy juste avant de se convertir, ce qui suggère que Hardy fait office de catalyseur, a contrario, pour ainsi dire.

3 Du Bos a commencé à rédiger son journal le 1er janvier 1902 et c’est encouragé par Gide qu’il continuera jusqu’à sa mort en 1939. Ce journal est un document de première valeur pour les études dubosiennes et l’histoire de l’édition et des idées.

4 Du Bos préfère voir la vie à travers Tolstoï, Tchekhov et G. Eliot dont la réflexion morale ne le lasse jamais ; il reproche à Hardy « son biais, son invective, son sarcasme voilé », qui suscitent chez lui l’envie de lui rétorquer que l’on connaît ce dont il parle et que toute protestation est vaine.

5 Samedi 24 janvier 1925, Journal II, 260. Dès 1922, Du Bos aide une amie à réécrire un article sur la poésie de Hardy pour la Revue hebdomadaire. En 1924, il décide d’évoquer l’écrivain dès la fin de l’année après avoir lu les poèmes du Wessex et avoir été de nouveau frappé par la faculté de Hardy « de mettre le cosmos tout entier derrière l’événement le plus fortuit. », Il s’intéresse à « Neutral Tones » et il ébauche une série de cours sur Hardy et ses œuvres. Dans son journal, il souligne « le caractère d’arc-boutant, de contrefort qu’il y a toujours dans la puissance et la vigueur de Hardy. » (Journal III 226). Il évoque un plus tard « the grey stone and majestic sadness of certain poems of Hardy. » (297).

6 « c’est comme si je respirais l’odeur même de la mer, un air fort chargé de sel, et aussi la salubrité d’un grand vent », Journal II 259.

7 Chronique des lettres françaises, 23-24 (septembre-décembre 1926) 785-786.

8 Il est intéressant de noter que dans ses cours, Du Bos souhaite évoquer The Dynasts qui est à ses yeux :« une anticipation de la vue contemporaine de la guerre, – non point celle du début, [...] Mais celle qui finit par s’infiltrer dans l’esprit à partir de 1917 grâce à la durée des événements. » (Journal III 212)

9 C’est le 28 novembre 1925 que Du Bos a l’idée d’établir un dyptique Jude/Tess. Mais déjà, il s’en veut de son « cunning » (sic) qui lui « permet d’improviser à partir de n’importe quel passage donné. » (Journal II, 402)

10 Du Bos relit The Return of the Native le 27 janvier 1925 et avoue se laisser gagner par le roman.

11 « L’autonomie, en pratique, c’est l’historicité, c’est la quête de soi au travers du changement conscient et délibéré. » (Gauchet 2005, 257)

12 Gauchet signale que l’expression, employée à l’époque, pour désigner le « changement de climat consécutif à l’entrée dans l’ère des masses » est liée à « l’avènement de la démocratie » (Gauchet 2007, 15). Cette crise est à ses yeux une « remise en question des modalités de l’être-ensemble », une crise de la

« conjonction du neuf avec le vieux « lorsque » L’Un sacral ne parvient plus à contenir les vecteurs de l’autonomie. » (15) Il retrace les vicissitudes du libéralisme politique au XIX siècle en montrant que la dimension du social-historique suscite des crises liées à la persistance de l’Un religieux ou de l’hétéronomie comme cadre de l’autonomisation naissante.

13 Le samedi 24 janvier 1925, alors qu’il a prononcé sa première leçon, il avoue chercher encore une ligne directrice et un petit nombre de thèmes afin de composer un « morceau symphonique » Journal II 258.

14 Du Bos définit l’ancien ainsi : ce qui est immobile et « toujours identique à soi-même » (833), comme la brume de la lande d’Egdon en donne l’image.

15 Voir le chapitre III, « Passé, présent, avenir : le devenir écartelé » (100-39), où Gauchet consacre des pages inspirées à la fracture qui s’établit entre les trois dimensions temporelles (passé, présent, futur) mais également entre différentes temporalités. Il cite d’ailleurs l’ouvrage d’Yves Verdier consacré en partie à Hardy, Coutume et destin. Thomas Hardy et autres essais. C’est dans ce sens-là que peut se comprendre l’analyse dubosienne.

16 Sans en donner d’exemple, Du Bos qui rédige son essai à une époque qui glorifiait les mutations, lui dénie toute valeur réelle.

17 Du Bos collabore à la revue de 1921 à 1923.

18 « Il existe chez Flaubert comme une intensité de la stupeur, et en général, une prodigieuse intensité de tous les états dits négatifs. Il part, si l’on peut ainsi s’exprimer, de la positivité du négatif. La pesanteur de la sensation, et l’absorption que cette pesanteur engendre, telle me paraît sa « constante » ; c’est par le degré même de la prostration et par la durée de celle-ci que la sensation finit par acquérir la dignité d’un sentiment. » (Du Bos 2000, 158) Dans l’essai sur Hardy, il reprend son analyse et ajoute en distinguant Flaubert de Hardy : chez Flaubert cette positivité du négatif est peut-être plus centrale encore, mais surtout elle est plus importante, elle a plus de classe, parce que le tempérament y joue un rôle initial indéniable tout l’effort de pensée lucide, et le point de vue auquel cet effort aboutit, confirment, légitiment la sensation et lui confèrent son rang. Par là aussi sans doute s’explique que chez Hardy « la dépression ». , [...] puisse être à ce degré « tonique ». (841)

19 Gauchet distingue trois moments dans l’autonomisation : un moment théologico-politique de 1500 à 1650, un moment théologico-juridique qui produit le droit naturel moderne des individus de 1650 à 1800, puis, le passage à l’historicité à partir de 1800. (Gauchet 2005 293). Voir également Le Désenchantement du monde. Une histoire politique de la religion.

20 L’incroyance ou l’« inespoir » hardien n’est pas sans évoquer un autre auteur auquel Du Bos a consacré une des meilleures analyses qui soient, Walter Pater. De Marius, personnage principal de Marius the Epicurean (1885), il écrit : « Marius est la figure idéale de ceux chez qui le besoin de religion est absolu, mais pour qui il ne saurait y avoir dignité de la personne si l’on impose silence au besoin de lumière de l’esprit ; qui admirent la foi, la saluent, l’appellent, sans pouvoir l’empêcher de toujours obscurément sentir que la foi ne viendra pas tout à fait à eux, et qu’eux n’ont pas tout à fait le droit d’aller jusqu’à elle. » (Du Bos 2000, 758)

21 Du Bos a lu Nietszche dès 1900, et continue de le lire quand il verra en lui « le plus grand adversaire de ma religion » , Journal VI 1928 (Paris : Corréa, 1950) 122. Il connaît les écrits de Charles Andler, germaniste qui publie son Nietszche, sa vie et sa pensée (4 vols.) à partir de 1920.

22 Dans son essai de 1856, « The Natural History of German Life », G. Eliot écrit : « The greatest benefit we owe to the artist, whether painter, poet, or novelist, is the extension of our sympathies [...]. Art is the nearest thing to life; it is a mode of amplifying experience and extending our contact with our fellow-men beyond the bounds of our personal lot. », The Essays of George Eliot, ed. Thomas Pinney (New York: Columbia UP, 1963) 270-1. Sur l’éthique de la compassion eliotienne, voir J. Hillis Miller, The Ethics of Reading: Kant, de Man, Eliot, Trollope, James and Benjamin (New York: Columbia UP, 1987).

23 J. Lacan, Séminaire XX. Encore (1975 ; Paris : Seuil, coll. Points, 1990) 103.

24 A entendre au sens étymologique.

25 « Les totalitarismes cherchent à marier l’hétéronomie et l’autonomie […] Le totalitarisme d’extrême gauche prétend faire entrer un contenu autonome dans une forme hétéronome ; le totalitarisme d’extrême droite veut obtenir un contenu hétéronome au travers d’une forme autonome. », Gauchet 2005 335.

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References

Electronic reference

Bénédicte Coste, “Charles du Bos, lecteur de Thomas Hardy”Miranda [Online], 4 | 2011, Online since 24 June 2011, connection on 28 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/miranda/2056; DOI: https://doi.org/10.4000/miranda.2056

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