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Les conférences de l’IFHA

Pierre Monnet

Texte intégral

1Dans la continuité des années précédentes, plusieurs conférences d’historiens invités à l’initiative conjointe de l’IFHA et de l’université de Francfort ont été organisées en 2013. Trois d’entre elles ont accompagné la fin du semestre d’été. Le 12 juin tout d’abord, dans le cadre des exposés proposés par le Forschungszentrum für historische Geisteswissenschaften, c’est Alain Schnapp, professeur d’archéologie grecque à l’Université Panthéon-Sorbonne Paris 1, ancien directeur général de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA) et auteur, entre autres ouvrages, de La Conquête du passé : aux origines de l’archéologie, qui est venu parler en allemand de la poétique et de l’interprétation idéologique des ruines sous le titre « Ist eine Weltgeschichte der Ruinen möglich ? ». Partant du célèbre passage de la description du Colisée par Stendhal suivant lequel ce monument, alors en ruines, paraissait encore plus beau que du temps de sa splendeur, et du jugement de Georg Simmel pour lequel les Grecs et les Romains regardaient les ruines comme « des lieux de vie dont la vie s’est retirée », A . Schnapp a posé la question de la ruine comme signe de ce qui fut autrefois une oeuvre intacte, une invention de la Renaissance qui place donc la trace dans une sémiotique du passé et du révolu, suggérant la lecture, par ce biais, de sociétés dans lesquelles les bâtiments délabrés sont examinés dans un autre contexte sémantique que celui qui les a vu naître. À ce titre, les ruines constituent une figure emblématique de la pensée historique, reliant tel un fil rouge les diverses représentations des ruines de l’antiquité à notre présent et posant les bases d’une esthétique moderne. Pour suivre cette réflexion, la communication est donc partie de la définition et de la littérarisation de la ruine par la peinture du XVIIIe siècle, par le roman du XIXe siècle et par la sociologie du XXe siècle. C’est bien à ce titre de la transfiguration du reliquat monumental, repris, remployé, restauré, que se pose, en Europe, la question des rapports entre esthétique et histoire : remettre en vie une ruine participe de la relation au passé et l’imitation devient dès lors une façon de situer la chronologie. Mais comme toute manière de faire et de penser, celle-ci est située et contingente, et doit se laisser comparer à d’autres manières, qu’elles soient anciennes comme celles des Mésopotamiens ou des Égyptiens étudiés sous l’angle du kulturelles Gedächtnis, de la mémoire culturelle, par Jan Assmann (comment et par quoi une société se souvient-elle ?), ou bien qu’elles soient contemporaines, mais sur d’autres continents, ainsi que le prouve la politique archéologique de la Chine actuelle par exemple, où la ruine passée participe dans sa mise en scène d’un projet plus global de société. Kafka déjà l’avait pressenti, a conclu sur ce point A. Schnapp : la muraille de Chine déjà avait été construite moins pour se protéger des assauts et perpétuer à l’abri l’ordre ancien que pour construire dans son enceinte une société nouvelle, une ligne parfaitement en accord avec l’usage qui en a été fait depuis la fondation de la Chine communiste en 1949. C’est au prix de tels décryptages, et de la prise en compte des filtres idéologiques, mémoriels et esthétiques dont les ruines ont été à la fois le facteur et le support, a assuré finalement l’auteur, qu’une histoire globale des ruines est possible, et souhaitable.

2Quelques jours plus tard, Marc-Olivier Baruch, directeur de recherches au CNRS et directeur d’études à l’EHESS (Paris) a été convié dans le cadre du séminaire d’histoire contemporaine de Christoph Cornelissen et Andreas Fahrmeier à retracer la genèse du film qu’il a co-produit en 2010 avec Emmanuel Hamon pour la télévision sur le procès de Maurice Papon, et qui fut diffusé le 14 avril 2011 (de larges extraits en furent projetés pendant sa conférence). En février 2013, M.O. Baruch organisait par ailleurs à Paris un colloque intitulé « Faire des choix ? Les fonctionnaires dans l’Europe des dictatures 1933-1948 ». Il est l’auteur, entre autres, d’une étude monumentale et devenue classique des préfets pendant le régime de Vichy sous le titre Servir l’État français. L’administration en France de 1940 à 1944 (Paris, 1997), qui a montré pendant l’occupation le culte de l’État communément partagé par les hauts fonctionnaires de la préfectorale du régime, l’ancrage des principes d’ordre, de stabilité et de fonctionnement de l’appareil administratif et le souhait, ou l’illusion, de pouvoir profiter de l’occasion pour moderniser l’État français. C’est par ce biais qu’il a rencontré à plusieurs reprises le cas de Maurice Papon, secrétaire général de la Préfecture de Gironde de 1942 à 1944 (donc pendant les rafles puis la déportation de nombreux Juifs de Gironde), puis préfet de Corse et de Constantine en Algérie, préfet de Police de Paris entre 1958 et 1967 (donc notamment lors des répressions sanglantes de la manifestation du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 au métro Charonne à Paris), Ministre du Budget de 1978 à 1981. Comme l’on sait, le procès, le plus long procès de ce type pour crime contre l’humanité en France après 1945 dépassant ceux de Paul Touvier et de Klaus Barbie, a déclenché une polémique politique et historienne de longue haleine, entre autres parce qu’il faisait remonter à la surface la question de l’implication de l’administration française dans les déportations de Juifs en France pendant la Seconde guerre mondiale. L’inculpation a été énoncée contre Maurice Papon en 1983, le procès instruit en 1997 et la condamnation à 10 ans de prison prononcée en 1998. Libéré en 2002, Maurice Papon meurt en 2007. Ce n’est pas seulement toute cette histoire que M.O. Baruch est venu restituer, mais il est aussi venu proposer une réflexion sur le rôle des historiens et la valeur de leur expertise dans le prétoire (voir l’entretien accordé par l’auteur sur ce point dans Sciences Humaines (97) de août/septembre 1999 : « L’historien et la justice. Les enseignements du procès Papon »), dans un temps où poussait le désir de lois mémorielles sur les génocides en France et ailleurs. Mais c’est aussi plus généralement le problème des liens entre histoire, témoignage et établissement de la responsabilité qui a été soulevé au cours de la présentation. À travers cette affaire, a insisté M.O. Baruch, c’est aussi une forme particulière de traitement de la mémoire française de Vichy qui est en cause, une réflexion propre assurément à déclencher la discussion avec le public allemand venu l’écouter.

3Enfin, le 2 juillet, Jean-Marie Moeglin, professeur d’histoire médiévale à l’université de Paris IV Sorbonne, directeur d’études à l’EPHE (Paris), auteur entre autres du deuxième volume de la collection « Histoire franco-allemande » paru en français sous le titre L’Empire et le royaume. Entre indifférence et fascination 1214-1500 (Lille, 2011) et en allemand sous celui de Kaisertum und allerchristlichster König 1214 bis 1500 (Darmstadt, 2010), a prononcé en allemand une conférence consacrée à « Maisons princières et ordre dynastique à la fin du Moyen Âge » dans le cadre du Mittelalterkolloquium du séminaire d’histoire médiévale (Bernhard Jussen et Jan Rüdiger). Il y a montré en particulier que, au cours des derniers siècles du Moyen Âge, s’est effectuée une restructuration des normes qui président à l’organisation des structures politiques. On assiste ainsi, selon lui, à la mise en place de ce qu’il propose d’appeler un « ordre dynastique », certes fortement remis en cause à partir du XVIIIe siècle, mais qui perdure cependant jusqu’au XIXe siècle. Cet ordre dynastique, a poursuivi la démonstration, reposait sur l’idée qu’il existe un lien consubstantiel, un recouvrement mutuel d’identité, entre une famille de princes et un pays. Trois points furent successivement abordés pour appuyer le raisonnement à partir de textes empruntés à des chroniques, diplômes et ordines de succession : en premier lieu la formation du concept de « maison d’un pays », soit la dynastie princière comme réalité et représentation à la fin du Moyen Âge ; en deuxième lieu la légitimation de ce concept comme concept politique intégrateur exprimant l’union indissoluble d’une dynastie et d’un pays ; en troisième lieu enfin l’instrumentalisation politique de ce concept au service de la mise en place d’un ordre dynastique.

4Il s’agissait rien moins au total que d’enrichir la palette des configurations d’appartenance dans une société prémoderne, c’est-à-dire de proposer un paradigme alternatif à celui de la naissance de l’État moderne par les seules institutions ou le personnel administratif du XIIIe au XVe siècle, à savoir le concept d’ordre (au sens de succession et d’ordonnancement tout à la fois) dynastique coagulant le concept de maison associé à celui de sang et de parenté débordant ensuite sur le pays, la légitimation par la destinée produisant une communauté de destin et une continuité par l’indissolubilité et enfin l’usage politique qui en est fait à des fins de construction territoriale interne et bientôt d’expansion politique extérieure.

5Dans le semestre d’hiver 2013-2014 sont également prévues les conférences de Bruno Laurioux (professeur d’histoire médiévale à l’université de Versailles/Saint-Quentin-en-Yvelines) le 16 novembre 2013 sur « L’historien et l’alimentation : nouvelles approches » dans le cadre des rendez-vous de Weimar avec l’histoire consacrés à l’histoire de la table et de l’alimentation ; de Johann Chapoutot (maître de conférences à l’université de Grenoble) sur la « Normative Revolution des Nationalsozialismus » le 25 novembre 2013 en coopération avec le séminaire d’histoire contemporaine de l’université de Francfort (Christoph Cornelissen) et enfin d’Elisabeth Crouzet-Pavan, professeure d’histoire médiévale à l’université de Paris Sorbonne, le 28 janvier 2014 sur « La royauté de Jérusalem au Moyen Âge » en coopération avec le séminaire d’histoire médiévale de l’université de Francfort (Bernhard Jussen).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Monnet, « Les conférences de l’IFHA », Revue de l'IFHA [En ligne], 5 | 2013, mis en ligne le 17 février 2014, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ifha/7381 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.7381

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