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2011

Nieradka, Magali Laure, « Die Hauptstadt der deutschen Literatur » – Sanary-sur-Mer als Ort des Exils deutschsprachiger Schriftsteller

Mathieu Olivier
Magali Laure Nieradka, « Die Hauptstadt der deutschen Literatur » – Sanary-sur-Mer als Ort des Exils deutschsprachiger Schriftsteller, Göttingen : V & R unipress (Formen der Erinnerung, 44), 2010, 300 p., 46,90 €.
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Texte intégral

1Longtemps méconnue, à l’exception de quelques figures emblématiques, l’émigration intellectuelle et artistique allemande dans la France des années 1930 a fait l’objet d’importantes études de part et d’autre du Rhin ces dernières années. Mais, si l’on connaît désormais bien le « Cercle du Lutétia » et les débats enflammés qui agitèrent les milieux de l’exil parisien, on connaît moins Sanary-sur-Mer. Cette petite bourgade balnéaire de la côte varoise, à quelques encablures de Toulon, a pourtant accueilli l’une des plus importantes colonies d’écrivains de langue allemande entre 1933 et le début de la Seconde Guerre mondiale, au point d’avoir été élevée, avec un rien d’ironie, au rang de « capitale de la littérature allemande » par l’un de ses membres, Ludwig Marcuse. Des écrivains aussi renommés que Thomas Mann, Lion Feuchtwanger ou Franz Werfel s’y établirent et y trouvèrent un havre de paix quelques mois ou quelques années durant. D’autres Sanaryens d’adoption font moins parler d’eux aujourd’hui que les fils qu’ils donnèrent à la France : le romancier Franz Hessel, enterré au cimetière du village, n’est autre que le père de Stéphane Hessel ; le critique d’art Erich Klossowski est, quant à lui, le père de l’écrivain Pierre Klossowski et du peintre Balthus.

2Dans le présent ouvrage, issu de sa thèse soutenue à l’université de Heidelberg, M.L.N. s’attache au lieu de mémoire et aux logiques qui s’y sont fait jour. Après avoir convoqué les grands noms de l’histoire des mémoires de part et d’autre du Rhin – de Pierre Nora à Jan et Aleida Assmann – dans une introduction assez rapide, et donné au passage quelques précisions terminologiques de bon aloi, l’auteur précise l’enjeu même de son travail : il s’agit, à l’exemple de Sanary, de mettre au jour une dynamique mémorielle sur la longue durée. Selon un gradient qui part de l’immédiateté du vécu pour aller jusqu’à la résurrection volontariste d’un passé tombé dans l’oubli, elle définit d’emblée quatre modalités du rapport de la conscience, individuelle ou collective au lieu, pris ici dans son acception première, à rebours du sens beaucoup plus large que l’historiographie de la mémoire tend à lui donner : « lieu de migration » (Migrationsort), « lieu de souvenir » (Erinnerungsort), « lieu de mémoire » (Gedächtnisort) et « lieu de commémoration » (Gedenkort).

3L’étude s’organise autour de ces quatre temps, déclinés en autant de chapitres. Le premier et le plus long des ces quatre temps peut au fond se lire comme une histoire abrégée de la colonie sanaryenne. Sur la base d’un matériau varié, et de documents parfois exploités pour la première fois – lettres, pièces d’archives –, l’auteur s’emploie avec un certain bonheur à faire revivre devant nous un Sanary allemand, fait d’un mélange singulier de douceur de vivre et de déracinement douloureux, de grandes œuvres en gestation mais aussi de zizanies mesquines et de tracas terre-à-terre – à commencer par le combat permanent pour la survie qui est le lot des plus impécunieux parmi les exilés, bien loin du luxe des villas d’un Thomas Mann ou d’un Lion Feuchtwanger. Beaucoup plus court, le second chapitre est tout entier bâti sur les entretiens menés par l’auteur avec les rares témoins encore vivants. On y croise pêle-mêle Allemands et Sanaryens de souche, voire des personnages situés en quelque sorte entre les deux mondes, telle cette Camille Bondy, veuve nonagénaire – entre-temps décédée – du photographe allemand Walter Bondy et actrice d’une des plus romanesques et scandaleuses passions franco-allemandes qu’ait connue la tranquille bourgade balnéaire dans les années 1930. Le troisième chapitre nous conduit du lieu réel au décor fictionnel, dans le droit fil d’une définition originale de « lieu de mémoire » comme lieu représenté et recréé dans les œuvres littéraires ou picturales des exilés eux-mêmes (p. 24). La moisson est ici étonnamment modeste, comme M.L.N. le reconnaît du reste elle-même : nouvelle patrie de créateurs, Sanary fut bel et bien le lieu d’une intense création – mais assez rarement le sujet même d’une écriture ou d’une peinture qui, le plus souvent, prolongeait d’assez près l’œuvre entamée en terre allemande. Reste le « lieu de commémoration » : Sanary, comme d’autres lieux de la présence allemande en France avant et pendant la guerre, fut tardivement sorti de l’oubli, d’abord en Allemagne même, avant même qu’édiles et particuliers ne s’emparent sur place de ce chapitre si particulier de l’histoire locale. Engagé dans les années 1980, le long processus d’anamnèse volontariste connut ses hauts et ses bas, ses péripéties et ses petites déconvenues clochemerlesques ; il a surtout réussi à redonner à Sanary la place qui lui revient dans l’archipel hexagonal de l’émigration antinazie, ce qu’attestent expositions, rencontres littéraires et colloques scientifiques et, indirectement, le présent ouvrage. « Sanary-aux-Allemands » a aujourd’hui ses institutions, ses rendez-vous, ses temps forts.

4L’historien refermera la présente étude avec des sentiments mitigés. Il marque incontestablement un saut qualitatif, en ce qu’il adopte une démarche moins pointilliste, moins « journalistique » que la plupart des ouvrages consacrés au même thème, comme ceux de M. Flügge (voir notamment Das flüchtige Paradies – Künstler an der Côte d’Azur, Berlin : Aufbau, 2008) et croise de façon systématique les différentes sources. Le caractère inabouti, et pour tout dire quelque peu impressionniste, du travail dans les archives françaises, l’absence de remise en perspective comparatiste au nom d’une approche « localiste » parfaitement assumée mais scientifiquement mutilante, décevra sans doute ceux qui y cherchent un peu plus qu’un panorama vivant et une mine de renseignements et d’anecdotes sur le Sanary allemand. Convenons donc que l’étude de M.L.N. est une pierre à l’édifice d’une histoire définitive de la colonie allemande de Sanary – pièces justificatives à l’appui – sur l’arrière-plan de l’émigration qui reste encore à écrire.

5Mathieu Olivier (lycée Dumont-d’Urville, Toulon)

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mathieu Olivier, « Nieradka, Magali Laure, « Die Hauptstadt der deutschen Literatur » – Sanary-sur-Mer als Ort des Exils deutschsprachiger Schriftsteller », Revue de l'IFHA [En ligne], Date de recension, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ifha/6700 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.6700

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Auteur

Mathieu Olivier

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