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Comptes rendus

Bertrand Blancheton & Hubert Bonin, La croissance en économie ouverte (xviiie -xxe siècles), Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2009, 468 p.

Guillaume Bazot
p. 169-172

Texte intégral

1Rendant hommage à la carrière et aux travaux de Jean Charles Asselin, cet ouvrage collectif entend étudier la croissance en économie ouverte du xviiie au xxsiècle. Se conjuguent ici quelques cas types, tant micro que macro, offrant une perspective historique, politique et institutionnelle aux théories économiques relevant du lien entre ouverture et croissance. Bien que le sujet soit large et les contributions nombreuses, la conjonction des travaux permet l’analyse des multiples modèles d’ouverture qu’offre l’histoire. Les différentes manières d’appréhender ce thème proposent en outre une variété méthodologique propre à l’histoire économique.

2En introduction Hubert Bonin rend compte des vertus théoriques d’une économie ouverte. Celle-ci permet selon l’auteur d’accroître la concurrence et les économies d’échelle et d’ainsi réduire les coûts de production, d’inciter à l’innovation et d’améliorer les débouchés des entreprises. Compétitivité et productivité sont alors au cœur de l’argumentation. Une économie fermée n’offre de ce point de vue qu’une protection éphémère et inefficace. Bien que la démonstration soit séduisante, on ne peut s’empêcher de relever son incomplétude théorique. L’introduction ne reflète ainsi qu’imparfaitement la logique de l’ouvrage. De même, le parti pris que l’introduction suggère peut dérouter le lecteur par sa simplicité causale.

3Nous trouvons dans cet ouvrage trois articles à dominante « histoire de la pensée économique ». A. Clément confronte les thèses mercantilistes (pro-coloniales) et physiocrates (plus modérées) des coûts et apports coloniaux. On y retrouve alors l’arbitrage classique débouchés/inerties, fréquent aujourd’hui comme le prouve le papier (trop court) de B. Etemad, qui ajoute à ce chapitre une dimension temporelle et le point de vue des colonisés, ce qui est suffisamment rare pour être souligné. F. Poulon met en avant le virage théorique opéré par Keynes via l’appréhension théorique de l’économie de guerre. Cette situation particulière ne peut en effet se prêter aux préceptes de la Théorie Générale, l’investissement redevenant dépendant de l’épargne dans une économie de pénurie. On regrette tout de même la problématique de l’article puisque la simple étude des contradictions théorique de Keynes offre une perspective large et productive insuffisamment utilisée ici. A. Plessis enfin s’efforce de retrouver chez Thiers la base d’une théorie protectionniste (modérée) dans la France du xixe siècle.

4Quatre chapitres s’articulent autour d’un cas type. C. Cailly étudie l’évolution du secteur des étamines du Perche et du Maine dont la production destinée à l’exportation déclina lentement et progressivement par suite de faibles restructurations productives. C. Vuillermot nous offre une chronologie de la stratégie « internationaliste » du groupe Schneider. Elle y fait apparaître le besoin de débouchés et de diversification du groupe qui progressivement implante son réseau en Europe et s’étend plus largement, après la Seconde Guerre mondiale, sur l’ensemble du globe. H. Bonin et P. Fridenson nous présentent chacun une monographie bancaire. Le premier met en avant la banque Carpentier dont les liens avec les grandes maisons de Cognac offrent une perspective internationale à l’étude des banques locales, ce que l’auteur appelle structure bancaire « glocal ». Le second s’intéresse à la banque du groupe Simca (qui n’est autre que Fiat en France) et à son rôle d’appréciation des risques internationaux et particulièrement au très récurent risque de change. On y découvre la mise en place d’instruments financiers, tels que le swap, destinés à protéger les intérêts du groupe face aux différents problèmes monétaires étrangers.

5Nous retrouvons par ailleurs une problématique bancaire et financière dans le travail documenté d’A. Broder sur le thème de l’ancrage français au Brésil. Nous y apprenons que le trop faible volume des transactions françaises rendait toute implantation bancaire improductive. En retour, cette réticence des banques compliquait la tâche des entreprises en activité au Brésil. En outre, ce cercle vicieux entamait la compétitivité française, laissant le champ libre aux activités britanniques puis allemandes. De même, le thème controversé de l’intégration financière internationale fait l’objet de deux articles. Le premier de B. Blancheton & S. Maveyraud-Tricoire propose une revue de littérature des différents indicateurs d’intégration financière internationale, interrogeant leur pertinence et leurs limites. Le second de C. Bordes, J.-S. Pentecôte & M.-A. Senegas, propose une explication de la double crise bancaire et cambiaire thaïlandaise de 1997 au regard des incompatibilités de l’intégration financière, d’une croissance extensive trop dépendante des capitaux étrangers et du régime de change fixe en vigueur. L’article développe ainsi quelques faits éloquents, puis fournit une théorie explicative du trilème sur la base d’un modèle de croissance à la Solow en économie ouverte et taux de change fixe.

6La question de l’intégration européenne est deux fois étudiée. Le premier texte de F. Crouzet a pour sujet le système continental napoléonien. Nous y apprenons les échecs d’une intégration commerciale et monétaire européenne trop soumise à l’hégémonie française et le succès d’une certaine homogénéisation du droit sur la base du modèle napoléonien. Le second texte de C. Bouneau nous montre les enjeux, gains et dangers de l’intégration de l’industrie électrique européenne, dont le réseau tend aujourd’hui à s’étendre à l’Afrique du nord et au Moyen Orient.

7L’article de J.-P. Poussou propose une explication brillante de la formation des empires maritimes hollandais puis anglais. Ici, l’importance des capitaux disponibles, la taille et la qualité de la flotte hollandaise et l’existence d’un système bancaire et financier efficace expliquent l’hégémonie économique et commerciale des Provinces-Unies au xviie siècle. Cependant, l’intronisation de Guillaume d’Orange met fin au conflit anglo-hollandais et offre ainsi à l’Angleterre l’espace nécessaire à l’expression de ses atouts. L’intérêt de cette contribution consiste alors à extraire le rôle essentiel joué par la marine anglaise (la « Navy ») mais aussi à interroger les implications d’une population trop faible (celle de la Hollande) pour occuper l’espace économique international. En outre, l’enchevêtrement des considérations politiques, économiques et démographiques offre une perspective intéressante pour la compréhension de cette question historique de premier ordre.

8Les contributions de F. Démier et de T. David offrent deux cas types de protectionnisme différencié (ou sélectif) d’abord en France sous la restauration monarchique ensuite en Suisse dans le dernier quart du xixe siècle. Ces deux exemples nous montrent qu’un protectionnisme mesuré permet de faibles coûts d’approvisionnement en matières premières, offrant la préservation et/ou la domination de nombreux marchés à haute valeur ajoutée tant à l’échelle nationale qu’internationale. Cette approche permet en outre de tenir compte des interactions entre les agents et d’attribuer un plus grand poids aux institutions dans le choix des politiques commerciales. Le critère de stabilité est alors préféré à celui d’efficacité bien que celui-ci soit omniprésent par son influence indirecte sur les revendications des acteurs sociaux.

9Enfin l’article d’A. Fernandez discute des inerties systémiques et de la faible croissance espagnole à travers la politique d’ouverture commerciale du pays. En outre, ce papier montre l’importance des lobbies dans l’adoption du protectionnisme plus modéré de la fin du xixe siècle. D’un point de vu méthodologique enfin, ce chapitre souligne les difficultés inhérentes à toute tentative de validation empirique des politiques commerciales internationales par le caractère endogène des retournements de phases. Les deux dernières parties de l’ouvrage offrent une biographie rapide puis une bibliographie exhaustive des travaux de J.-C. Asselain.

10Trois regrets majeurs sont à souligner. Il est d’abord dommage qu’aucun article (ou paragraphe) de ce long ouvrage ne discute des travaux d’A. Lewis. Nous y trouvons pourtant un des piliers du protectionnisme. Selon Lewis, la spécialisation, corollaire de l’ouverture internationale des marchés, peut s’avérer néfaste là où les termes de l’échange se détériorent. Ainsi, toute spécialisation dans une production à faible perspective de croissance et d’innovation peut au final appauvrir une nation. C’est le cas de nombreux pays en développement aujourd’hui. Le deuxième regret vient de l’absence des questions institutionnelles liées à la monnaie et au change. Les effets du Breton Woods ou de l’étalon or (pour ne citer qu’eux) sont pourtant au cœur de la problématique de croissance en économie ouverte, et leurs mécanismes sont centraux dans le choix des politiques économiques. Nous aurions enfin apprécié une analyse de l’efficacité des politiques conjoncturelles et structurelles dont les effets peuvent être variables eu égard au degré d’ouverture et d’intégration commerciale. Il s’agit pourtant d’un enjeu économique fondamental et récurrent comme le suggèrent les crises anciennes, la crise actuelle et celles à venir.

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Pour citer cet article

Référence papier

Guillaume Bazot, « Bertrand Blancheton & Hubert Bonin, La croissance en économie ouverte (xviiie -xxe siècles), Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2009, 468 p. »Histoire & mesure, XXV-2 | 2010, 169-172.

Référence électronique

Guillaume Bazot, « Bertrand Blancheton & Hubert Bonin, La croissance en économie ouverte (xviiie -xxe siècles), Bruxelles, P.I.E. Peter Lang, 2009, 468 p. »Histoire & mesure [En ligne], XXV-2 | 2010, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/histoiremesure/3990 ; DOI : https://doi.org/10.4000/histoiremesure.3990

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