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Le retour au matériel en géographie

Travailler avec les objets. Une introduction
Serge Weber
p. 5-22

Texte intégral

1Voilà plus d’une vingtaine d’années qu’émerge une préoccupation pour le matériel en tant que tel en géographie humaine, dans le sillage des autres sciences sociales. Qu’il soit inerte ou vivant, le non-humain – nature, marchandises, outils, animaux, traces – devient un objet d’étude légitime en sciences sociales, en tant que partie prenante et active de la vie sociale et des rapports sociaux (Haraway, 2007). Proposer, comme le faisait Sarah Whatmore en 2006 à la lumière de diverses théories sociales et de la philosophie, une géographie du « plus-qu’humain » permet d’articuler les géographies sociale et culturelle critiques avec la nature ou les artefacts. Si les espèces vivantes connaissent une phase d’extinction spectaculaire depuis quelques décennies, les marchandises prolifèrent. Ces deux évolutions contraires en disent long sur l’évolution des rapports sociaux et sur l’écono­mie politique des producteurs, des consommateurs et de la nature.

2Au sein de ces approches, l’objet matériel s’avère être un révélateur de choix, comme en témoigne la multiplication des recherches prenant l’objet pour objet de recherche.

3Le statut de l’objet est malaisé à cerner. Il est dès la préhistoire témoin à la fois de l’évolution de la maîtrise technique du réel, des circulations humai­nes (Leroi-Gourhan, 1973 [1945]) et des rapports sociaux de sexe (Tabet, 2010). Énigme de la mort, du deuil et de la divination, omniprésent dans les rites, il a une place centrale dans les mythes, les classifications et conceptualisations (Lévi-Strauss, 1962). Truchement dans l’identification de soi, du monde extérieur et de l’altérité dès la petite enfance (Winnicott, 1975), l’objet est au cœur de nos vies à toutes les étapes, c’est une pierre d’achop­pement des relations intersubjectives, des rapports sociaux aussi bien que de l’activité scientifique et technique. En effet, en tant que réel, il résiste à nos représentations, entre en interaction avec nous, il nous invite à penser et à ouvrir les yeux, ce qui tendrait à plaider pour un « nouveau réalisme » (Ferraris, 2014).

Au commencement était une boîte

4Pandore, quand tu nous tiens… Une série de maux et de vices mortifères, une vertu solitaire et énigmatique – l’espoir –, voilà ce que contenait… une boîte.

5C’était vraisemblablement une jarre ; une jarre commandée, garnie et mise en circulation avec le mode d’emploi (évidemment piégé) par un chef d’entreprise rusé, Zeus lui-même. Et nous voilà à nous débattre (encore !) dans les fléaux, les malédictions et l’âpre destin de l’humanité, qui doit avec ce peu de chose qui ne s’est pas échappé de la boîte, parvenir à s’en libérer. En effet, elpis n’est pas exactement l’espoir mais plutôt l’« attente de quelque chose », espoir ou anxiété, selon les propositions de Jean-Pierre Vernant (2002). Aujourd’hui, en lieu et place de ces fléaux et de ces vices qui les causent, on évoquerait plutôt des ravages du capitalisme qui reposent, comme de bien entendu, sur la mise en circulation de toujours plus de marchandises et dont la cheville ouvrière est, sans surprise, la convoitise qu’on nourrit pour elles.

6On n’en fait pas le tour comme ça, du mythe de Pandore, qui tisse autour de cette boîte plusieurs fils que tentent encore de détricoter les sciences sociales poststructuralistes, telles que la différenciation des sexes, les assignations de genre, le patriarcat, le plus-qu’humain, les régimes de visibilité, les espèces vivantes et la nature (n’oublions pas qu’Épiméthée – « celui qui comprend trop tard », réputé moins futé que son frère Prométhée – a passé son temps à doter le plus équitablement possible les animaux en qualités et ressources naturelles, n’en laissant plus guère pour les humains). Ce mythe de Pandore signe bien évidemment le retour de bâton de la première émancipation des rapports de domination : tout ce stratagème sert pour Zeus à venger le vol du feu par Prométhée qui l’a donné aux humains.

7Les dons de Pandore ne laissent pas de nous intriguer : s’agit-il des stéréo­types du féminin dans un mythe du patriarcat ou plutôt des instruments de la subjugation humaine à la vengeance des dieux dans un mythe de la difficile émancipation de l’humanité ? Et quel est le rôle de la dissimulation, du tabou et de l’interdiction de connaître le contenu ? Renvoient-ils à la soustraction de savoir, toujours à l’œuvre dans les rapports de domination ?

8Étrange transaction qu’un tel mythe originel de la condition mortelle et sexuée de l’humanité, où la subjugation, le brouillage avec le non-humain, l’incommensurable différence et l’orchestration de la convoitise font écho aux questions d’aujourd’hui. Étrange surprise de voir dans un mythe des pistes offrant prise aux questions poststructuralistes.

9Combien d’objets sont des boîtes de Pandore ? Que ne recèlent-ils pas, que n’y a-t-on pas caché ? Des heures de travail, des accidents du travail, des licenciements, des heures de grèves, des rémunérations insuffisantes, des accords salariaux âprement discutés, des droits obtenus de haute lutte, des assignations sexuées et racisées dans la subordination… sans parler des désastres écologiques et des conséquences sociales de la prédation des matières premières. Combien de satisfactions aussi, pour la fabrication de ces objets, de réalisation de soi, de vie vécue, d’apprentissage, de savoir-faire et de savoirs, de coopération, de relations nouées ? Et insérés mysté­rieu­sement dans les objets, l’absence, le souvenir, l’attachement, la transmis­sion : les pistes du sensible restent toujours ouvertes.

10L’objet serait-il l’occasion de tester notre éthique, d’éprouver notre propension à nous laisser subjuguer et à rechercher même la soumission à un ascendant, ou serait-il une perche tendue pour nous en émanciper ?

Au-delà des mythes : de quoi les objets sont-ils le signe ?

11Il y a bien quelques recettes tentantes pour se libérer de l’emprise des objets marchands et des relations qu’ils nouent autour de nous sans nous demander notre avis. Le renoncement, la frugalité, l’autoproduction. Ainsi ne va pas le monde, selon toute vraisemblance. Les objets sont là. Un fatras inouï, une accumulation jamais atteinte auparavant, une circulation permanente dans des boîtes de plus en plus nombreuses, sur des navires de plus en plus grands et dans des enclaves portuaires de plus en plus hétérotopiques. Bien des objets font le tour du monde avant de devenir nôtres ; leurs composants ont déjà fait le tour du monde avant d’être assemblés : deux fois globe-trotters, ils auraient, comme le vent d’ouest, bien des choses à nous raconter s’ils avaient pu voir quoi que ce soit.

12Mais voilà que d’impertinents pisteurs se sont amusés à retracer l’itinéraire d’un pot de yaourt (Böge, 1995) ou d’une papaye et de mille autres produits avec la fascinante méthode « suivez l’objet » mise au point par Ian Cook et son entourage (Cook, 2004 et plus loin dans ce volume), établissant le prix à payer en dépense de carburant, conditions de travail, capital cognitif etc. Leurs voix rejoignent les autres qui nous demandent qui nous sommes, consommateurs, pour participer au grand gaspillage d’énergie, de travail, de temps et de matière. Et dans quel système nous sommes pris, si c’est un système de signes, de signifiants ou de valeurs. Les biographies d’objets ont eu leur moment en anthropologie, elles ont révélé toute la richesse de ce qu’ils pouvaient dévoiler (Appadurai, 1986).

13C’est bien évidemment à Roland Barthes que l’on doit d’avoir légitimé une lecture structuraliste et sémiologique des choses. C’est en tant que signes que les objets constituent des mythologies modernes (Barthes, 1957), confortant une idéologie par l’intermédiaire d’un ensemble de croyances formant une doxa et un système de signes. « C’est parce que la société, quelle qu’elle soit, s’emploie à restructurer immédiatement le réel que l’analyse structurale est nécessaire » (ibid., p. 233). La médiation par l’intellect et le langage est l’opérateur qui s’insère entre praxis et pratique, pour reprendre les mots de Claude Lévi-Strauss (1962, p. 173, cité par R. Barthes, ibid.), qui fait que notre rapport au réel n’est jamais immédiat mais pris dans un système de signifiants. « La signification devient le mode de penser du monde moderne, un peu comme “le fait” a constitué précédem­ment l’unité de réflexion de la science positive » (Barthes, 1985, p. 229). Sa réflexion sur les « objets de communication » est accomplie avec Le système de la mode (1967) qui condense un long travail sur le vêtement et montre la difficulté méthodologique d’un travail systématique et formel sur le signe en tant qu’il est strictement fonctionnel. Son horizon critique est l’aliénation idéologique, l’idéologie bourgeoise pour ne pas la nommer. Il a été abon­dam­ment suivi dans ce qu’on a appelé le « tournant interprétatif » en sciences sociales, mais pas seulement.

14En 1965, l’auteur des Choses nous mettait à l’aise avec ce qu’il y a de sémiologique dans le rapport entre l’accumulation de nos objets quotidiens et la vacuité de nos vies :

« Le confort, le luxe, une certaine idée du luxe, c’est tout ce qui fait le sommaire des journaux de mode, des journaux d’ameublement […] Ce qui est important ce n’est pas que les objets soient beaux ou pas beaux, utiles ou pas utiles, mais c’est que le langage qui les exprime soit signifiant ou pas […]. J’ai pris tout le langage de la publicité […] et j’ai essayé d’en assimiler l’expressivité et puis de la rejeter […], c’est ce qui fait que notre goût est entièrement transformé en mythologie. » (Georges Perec, interview télévisée, 1965, ina.fr)

15Jean Baudrillard a poussé l’exercice à satiété dans Le système des objets (1968) et La société de consommation (1970), proposant d’habiles et fruc­tueuses confrontations à propos des déterminants sociaux de la valeur, du travail comme marchandise échangeable, de la consumation comme dépense inutile et de la loi morale interne à l’objet. Mais, à force de s’en tenir aux significations et aux agencements de fonctionnalités, la voie qu’il trace n’est pas sans receler une dimension incantatoire, finalement assez peu incarnée, de la réalité sociale. C’est du moins ce qu’en épingle Pierre Bourdieu dans La distinction :

« Il suffit de rappeler que les objets appropriés, quels qu’ils soient, sont des rapports sociaux (de classe) objec­tivés pour indiquer dans quelle direction pourrait se développer une sociologie du monde des objets qui soit autre chose que le protocole d’un test projectif déguisé en analyse phénoménologico-sémiologique (je pense à Jean Baudrillard, Le système des objets […]) » (Bourdieu, 1979, p. 84).

16Des rapports sociaux objectivés, voilà une définition qui vient compléter efficacement la grille interprétative de Roland Barthes. Certaines contra­dictions de la position de ce dernier montrent que l’analyse structurale des significations ne se passait pas d’une analyse des soubassements économi­ques des rapports sociaux.

« La notion de valant-pour, si l’on se réfère à Saussure, met en évidence la dimension sémiologique du vêtement, mais elle s’applique plus évidemment encore à l’économie. C’est un point dont Saussure est clairement conscient, comme on le voit dans sa théorie de la valeur, qu’il applique au langage au même titre qu’à l’économie. […] Toutefois il faut reconnaître que, au moins dans sa version européenne, la sémiologie n’a pas suffisamment insisté sur sa parenté avec la science économique. Il y a pourtant entre ces deux disciplines une stricte homologie. » (Burgelin, 1996, p. 89)

17C’est donc davantage dans l’exploration des milieux sociaux, des habitus et du capital symbolique qu’on peut ancrer l’étude du monde des objets. Ne serait-ce que parce que la méthode de l’enquête et la construction du matériau empirique permettent un ancrage concret des théories dans les relations sociales et les positions sociales, non pas dans le seul monde des interprétations. Les objets sont davantage que des signes, ce sont des incorporations de rapports sociaux et de rapports de domination, de conflits et de subordinations. Mais comme ce ne sont que des choses, le terme « incorporation » est impropre, laissons-le aux études du corps. Conden­sation, réduction, objectité : il y a quelque chose de la métonymie dans le langage de l’objet. Dans tous les cas, le tournant linguistique, inspiré par le structuraliste Barthes lui-même, ainsi que toutes ses ramifications post­structuralistes, sont loin d’avoir épuisé la question de savoir comment prendre des objets comme objets de recherche en sciences sociales.

Quelques chemins du retour au matériel en géographie

18Y a-t-il, pour reprendre les débats qui animent la géographie anglophone, un « tournant matériel », un « retour du matériel » ou un tournant du « nouveau matérialisme » en géographie culturelle ? Un certain nombre de chemins semblent avoir été tracés, même s’ils ne se croisent pas forcément.

19Renouveler sa méfiance vis-à-vis de l’idéalisme de la spéculation et de toute forme d’ontologie rattachée à la transcendance s’inscrit dans la continuité de la nécessité d’une pensée critique, dont on sait depuis Marx – et même avant lui – qu’elle est la condition primordiale de l’activité scientifique, attachée au dévoilement des illusions (Renault, 2014). Cela nous invite à aborder la question des conditions matérielles avec comme ligne de fuite les conditions actuelles du matérialisme historique (Harvey, 1990).

20Le premier de ces chemins est tracé par une critique de la critique postmoderne, non pas pour affirmer que celle-ci n’aurait servi à rien – toutes les voix s’accordent pour reconnaître le surcroît d’objectivité et de rigueur scientifique que la réflexivité, l’attention à la subjectivité, aux savoirs situés et à la déconstruction des catégories et des mots pour les dire ont apporté, mais pour interroger la pertinence de la notion de modernité même dans notre héritage scientifique. Cette critique de la critique nous vient de plusieurs voies.

21La première découvrait que le cartésianisme avait longtemps occulté la richesse de la pensée de Baruch Spinoza qui, une génération après René Descartes et inspiré par lui, proposait un rationalisme et une conception de l’immanence sensiblement différents de ceux de son confrère (Deleuze, 1968). Croisé à une lecture renouvelée de Marx depuis les années 1970, l’héritage de Spinoza s’est avéré précieux pour enrichir l’approche matéria­liste de la société (Negri, 2007 [1982]). En particulier, voir la société en tant que multitude constituée par des liens interindividuels agis par des affects communs, associée à la clef de lecture du conatus et de la nécessité, a permis des lectures de l’État, des rapports de pouvoir et de la place du corps et des affects dans le capitalisme contemporain très convaincantes (Lordon, 2010).

22Ceci étant posé, c’est dans un cadre plus large de l’émergence d’une pensée de la nature régie par des lois au XVIIsiècle et celle de la matière au XVIIIsiècle qu’il faut se replacer. Le matérialisme, dans le sillage de la réception de Hobbes, était en effet au cœur du projet de connaissance des Lumières, à la fois d’un point de vue critique pour s’opposer à la théologie, et d’un point de vue rationaliste. Ce moment essentiel du naturalisme occidental est aussi celui qui nous livre en héritage la classification et la catégorisation du réel.

23C’est ce qu’interroge la deuxième voie, née à la fin du XXe siècle des interrogations sur l’environnement, ou plus exactement sur l’émergence d’une conscience globale de la nature. L’influence n’est plus à prouver des travaux de Bruno Latour, en particulier avec la clef de lecture de l’assem­blage entre humain et non-humain au sein de la théorie de l’acteur réseau, ainsi que celle de l’agentivité du non-humain, qu’il soit vivant ou non. Malgré sa fécondité pour de nombreux-ses jeunes chercheur-es, notamment géographes, « l’effet Latour » (Tollis, Créton-Cazanave, Aublet, 2014) fait l’objet de discussions depuis une vingtaine d’années. Prendre pour viatique les « réseaux » et les « hybrides » peut en effet être vu comme une manière d’éviter l’ancrage social de la critique. Pourtant, sa préoccupation de dépasser le « grand partage » (Latour, 1991) entre nature et culture, rationa­lité et prérationalité, sciences occidentales et savoirs « primitifs » a confirmé de nouvelles manières de s’intéresser à la matière, à la manière du « parle­ment des choses ». La lecture de Latour est complétée par celle de Philippe Descola (2005) qui se livre à un essai d’anthropologie comparée riche d’une longue expérience de terrain dans le sillage de Lévi-Strauss et propose des pistes permettant d’éclairer la pensée de la nature et de l’altérité en termes de « schèmes de relations ». Il a proposé une manière de faire de l’anthro­pologie moins anthropocentrique et moins eurocentrique par l’attention qu’il propose de porter aux différentes manières de « composer des mondes » (Descola, 2014), qui ne sont qu’en partie partagées et qui résultent de l’agence­ment des perceptions, projections subjectives et imaginaires avec les propriétés objectives de l’environnement : le déni du non-humain dans les délibérations politiques expliquerait la difficulté actuelle de repolitiser la nature.

24En troisième lieu, les critiques de l’invasion technique, de la consommation et du système capitaliste-autoritaire ont mis sur le devant de la scène la double aliénation que représente l’association de la technologie et du consumérisme.

25Parmi les analystes du système capitaliste, la consommation a été pointée comme moteur essentiel de rapports sociaux dans une nouvelle forme, associant identification, émancipation et aliénation. Le consumérisme est apparu précocement, dans la première moitié du XXe siècle, où les achats à crédits, la diffusion des publicités, les grands magasins participent à la construction de styles de consommation pour des groupes sociaux. Le cas des achats des midinettes de la belle époque est emblématique puisqu’il combine moralisation de classe et stéréotypes de genre (Albert, 2013). C’est bien sûr, pour les Trente Glorieuses, la consommation de masse : il existe une série de travaux qui dénouent le lien entre industrie de biens de consom­mation, individualisme et fabrication des désirs.

26Certains textes de référence sont en toile de fond : ceux de Georges Bataille qui a, dans la Part maudite (2011 [1949]), construit une théorie économique inspirée de l’anthropologie et axée sur la dépense improductive comme moteur des sociétés et en particulier de la violence. Ceux également de Jacques Lacan (1975), pour qui le « plus-de-jouir » exprime un parallèle entre la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel, la théorie marxiste de la plus-value et les nouvelles façons d’être maître ou esclave dans des interactions fondées sur une économie libidinale particulière. L’asservis­sement volontaire que représente la consommation est de ce point de vue une piste passionnante mais difficile à mettre en œuvre avec méthode si on inclut la « consumation », les déterminants de la libido et le statut de l’objet dans l’économie de la jouissance – car il faut bien reconnaître qu’il peut y avoir de la jouissance dans le rapport à l’objet.

27Pour d’autres, c’est la technique et la technologie qui constituent le nœud du problème, en tant que « stade ultime de l’aliénation ». Jacques Ellul (1990), en penseur protestant longtemps partagé entre témoignage chrétien et héritage marxiste, avec La technique ou l’enjeu du siècle, est sans doute une des références les plus couramment citées par les pensées technophobes. L’objet technique devenu objet de consommation et prolongement de la vie, apparemment irremplaçable, devient à la fois un moyen d’asservissement des désirs mais aussi un moyen de contrôle pour un gouvernement des corps et de la libido – il est bien entendu inévitable d’en référer à Foucault et à ses écrits sur la biopolitique et la gouvernementalité pour toute réflexion sur le système de consommation. On pourra rattacher l’apport de Jacques Ellul à celui de Michel Henry et plus généralement des penseurs chrétiens anarchistes ou marxistes, dont l’accent principal est porté sur les formes contemporaines de l’aliénation.

28Ce qui ressort de ces analyses, c’est que dans des économies soi-disant post-industrielles où la prolifération de marchandises atteint un niveau inouï, le consommateur joue un rôle similaire à celui que jouait l’ouvrier dans le capitalisme productif. Sans lui, pas de plus-value ni d’accumulation. Or, la plus-value passe en effet dans la fabrication en amont du désir de consommer et de s’identifier à telle ou telle marchandise.

Cultures matérielles des groupes sociaux dominés : dévoiler les rapports sociaux

29C’est donc naturellement à Marx qu’il faut revenir pour ancrer une réflexion sur les objets – comme souvent lorsqu’on essaie d’y voir clair dans la construction d’une pensée critique dans un contexte capitaliste hégémonique. Parmi la profusion de clefs de lecture qu’il nous a laissées, on en retiendra une, issue du premier Livre du Capital : le fétichisme de la marchandise. C’est en tant que secret recelé dans la marchandise elle-même qu’il faut envisager le fétiche. Ce secret, c’est le temps de travail, les conditions de travail, la plus-value extorquée, les rapports sociaux de production, qui ne sont pas révélés. Voir la marchandise en tant que fétiche prête naturellement à la tentation d’aller plus loin et d’observer des comportements proprement fétichistes vis-à-vis de l’achat, de l’accumulation ou du tabou (objets interdits, objets détruits), mais c’est davantage aux apports de la psychanalyse sur les perversions, les obsessions et les névroses opératoires qu’il faudrait alors se tourner. Marx s’en tient à cette opération fondamentale de dissimulation qui s’incorpore dans la marchandise, même s’il propose des pistes sur la mystique de la marchandise, pendant de la mystification dont elle est porteuse.

30Le retour du marxisme en géographie s’est fait par la géographie radicale anglophone depuis les années 1970, dans le sillage d’une réflexion transdisci­plinaire (Jameson, 2007 [1991]). Depuis les premiers travaux de William Bunge, Richard Peet, David Harvey, Neil Smith, Doreen Massey, Linda McDowell, une constellation d’approches a rappelé la nécessité de faire état des conditions matérielles des rapports sociaux dans l’espace et en particulier de leur dimension culturelle. La place allouée à l’objet peut être illustrée à titre emblématique par les cartes réalisées par W. Bunge (1971) dénombrant les jouets possédés par les enfants. Pour la plupart des auteurs, c’est la matérialité de la ville qui va servir de révélateur : matérialité des aménagements, des réseaux techniques, des lieux occupés ou expropriés, des rapports de force entre groupes sociaux pour les usages de certains lieux, qu’ils soient publics, semi-publics ou privés. La ville cesse d’être un théâtre dès lors que le sol, la pierre, le béton, les murs et les arbres sont entrés dans un régime d’accumulation marqué par la logique du capital et la rentabilité et que la valeur du moindre mètre carré se trouve pris dans des enjeux dépassant les habitants.

31Parallèlement, c’est la constellation des approches se reconnaissant dans la justice spatiale, née des revendications des victimes d’injustices environ­nementales et du racisme environnemental, qui a insufflé une géographie environnementale critique ou radicale attentive au non-humain et aux aspects très matériels des conditions de vie et de la relégation.

32Enfin, l’apport de la critique féministe dans la manière d’aborder les rapports sociaux de domination, de sexe, de race et de classe (Kergoat, 1978 ; Bidet-Mordrel, 2010 ; Tabet, 2010) ont accentué la dimension matérielle de ces rapports sociaux trop souvent réduits à des questions d’identité – qui si elles existent, ne suffisent ni à comprendre les rapports de domination, ni à construire une recherche participative.

33C’est justement par ce biais qu’on peut élaborer une genèse de la question du matériel dans les approches culturelles en sciences sociales. La plupart des productions scientifiques aujourd’hui essentielles pour penser la différence, le cheminement identitaire, les revendications ou assignations identitaires (identity politics) et la marchandisation des identités ont fait une place de choix aux conditions matérielles, économiques, relationnelles et situées des rapports sociaux qui ont produit les inégalités. Il faut garder à l’esprit que l’émergence historique, dans les années 1960, des études culturelles (cultural studies) à Birmingham et plus généralement au Royaume-Uni, est intrinsè­quement liée à des lectures des cultures dominées (en particulier les pratiques culturelles de la classe ouvrière) au prisme des réflexions de Marx parmi d’autres modèles d’analyse. Les travaux de Raymond Williams, de Richard Hoggart, Stuart Hall ou, pour la géographie, Doreen Massey, sont fondamentalement associés à une attention aux éléments matériels du quotidien des enquêté-es.

34Dès l’origine, les cultural studies sont davantage qu’un champ scientifique ou un paradigme de plus, elles sont une façon de travailler. Et cette façon de travailler procède d’une triple préoccupation, éthique, politique et pédago­gique. Avec leur internationalisation, les cultural studies plus récentes ont été critiquées du fait qu’en se rapprochant des disciplines attachées au visuel, au discursif et au textuel, elles ont eu tendance à se dématérialiser, justement.

35Objets, lettres, journaux, photographies, télévisions, vêtements, équipement et décoration du logement, jeux… c’est finalement par l’adoption progres­sive des méthodes et positionnements de cette famille empirique que les approches culturelles ont contribué à changer les manières de travailler, en particulier en géographie. L’attention aux objets et aux sémiologies propres à différents milieux sociaux inverse la vapeur dans la hiérarchisation des savoirs, des pratiques culturelles et des objets de recherche. Et ces position­ne­ments ont plaidé précocement pour un décloisonnement de la comparti­men­tation de la recherche.

36L’histoire et l’archéologie ne sont pas en reste. On ne pourra ici faire la liste des historiens qui ont renouvelé en profondeur l’étude des cultures matérielles, dont Michelle Perrot (2009) est un des exemples les plus emblématiques. À partir du moment où l’archéologie médiévale a été reconnue au sein de la discipline, l’archéologie moderne et contemporaine s’est affirmée, montrant par là que c’est la démarche méthodologique et la posture archéologique qui peut permettre d’apporter un regard nouveau sur le monde contemporain, qu’il s’agisse du paysage, de l’environnement, du bâti, des objets quotidiens, de la religion etc. (Bellan, Journot, 2011). Cette méthode d’investigation du monde actuel, fondée sur les objets et les traces, leur recontextualisation et leur resémantisation, scrute toute forme de rationalité technique mobilisant le matériel (ars) à travers la focale de « l’artistique » pour comprendre les processus qui sont visibles ou dissimulés dans le paysage matériel actuel.

37La similarité des démarches entre géographie de la vie matérielle et regard archéologique sur le contemporain ne saurait surprendre, elle est à l’œuvre depuis les débuts de l’institutionnalisation scientifique et académique de la géographie.

Géographie et transdisciplinarité : les material culture studies

38Les courants de recherche émergents ont tendance à s’autodésigner « studies » plutôt que disciplines. Gender studies, subaltern studies, queer studies, cultural studies, ont emprunté leurs méthodes empiriques à diverses disciplines. On peut parler depuis plus de vingt ans de material culture studies.

39C’est certainement par l’exploration faite par des démarches féministes et attentives aux positions minoritaires, de champs habituellement non traversés par ces questions, l’environnement et la technoscience (Haraway, 2007 ; Braidotti, 2002), plus encore par le biais de l’écoféminisme (Mies, Shiva, 1993), que la construction d’une nouvelle façon de regarder le matériel s’est imposée. C’est en effet le travail de constitution d’une épisté­mologie féministe qui a permis de réinsérer une démarche éthique et critique des rapports de domination internes à la production scientifique, au monde industriel et à la science du vivant ou du non-vivant, conditions aujourd’hui inévitables pour les sciences sociales. En effet, la physique des particules, la physique quantique, la biologie moléculaire, la génétique, les nanotechno­logies, tous ces champs de recherche et de l’industrie sont intriqués à nos quotidiens et à notre subjectivité. Orienter un regard critique sur les nouvelles conditions d’un humanisme averti des kaléidoscopes contempo­rains des rapports domination nécessite de ne laisser, autant que possible, aucune de ces démarches critiques de côté.

  • 1 « These calls for materialism also respond to accounts of culture in society which were seen to be (...)

« Ces appels au matérialisme répondent aussi aux façons de rendre compte de la culture dans la société qui étaient comme dépourvues de connexion avec l’écono­mie, la société, les corps situés et les infrastructures matérielles de la politique, des inégalités et des idéologies1. » (Rose, Tolia-Kelly, 2012, p. 2).

  • 2 « […] are all at the margins of what can be seen to be core to the work in social science » (traduc (...)

40Gillian Rose et Divya Tolia-Kelly précisent que les nombreuses recherches sur les manières d’être « attentifs » ou de n’être pas « inattentifs » au matériel occupent des positions qui « sont toutes aux marges de ce qui se révèle être comme le cœur même du travail en sciences sociales2 ». Faire la liste des travaux qui adoptent cette posture est ici impossible tant ils sont nombreux, on citera pour un premier aperçu les travaux de Mike Crang (2010) sur le démontage des navires d’acier sur les littoraux de Chittagong, de Mimi Sheller (2012) sur les intrications d’une subordination coloniale et matérielle par la bauxite et l’aluminium de la haute technologie spatiale dans les Caraïbes, emblématique de l’illusion entretenue de la soi-disant dématé­ria­lisation du capitalisme dont les arrière-cours sont au cœur des rapports de domination ; de Peter Jackson (1999) sur l’économie politique des achats de produits alimentaires, notamment le sucre (Jackson, Ward, 2010) ; de Jane M. Jacobs (2005) sur l’effet relationnel des grands objets urbains comme les gratte-ciels, vus comme des « boîtes noires », de la matérialité des villes, de Claire Dwyer (2004) sur le traçage du transnationalisme par les marchandises, de Vinay Gidwany et Rajyashree Reddy (2011) ou Sarah Moore (2012) sur les déchets, de Erika Schoenberger (2011) sur l’or ou encore, pour ce qui est du branding des objets, de Tom Roberts sur Ikea (2012) ou de Julian Holloway et Sheila Hones sur Muji (2007).

41Les méthodologies se rejoignent vers une expérience du terrain et une façon de le restituer qui tente d’intégrer la condensation des faisceaux de messages et de points de vue que propose l’approche matérialiste, nécessairement plus-que-représentationnelle (Lorimer, 2005) et relationnelle.

42Si ces travaux insistent sur la nécessité de rematérialiser la géographie culturelle en étant attentifs à ne pas se revendiquer de n’importe quel matérialisme (Whatmore, 2006 ; Tolia-Kelly, 2013 ; Kirsch et Mitchell, 2004 ; Kirsch, 2013), ils trouvent un parallèle dans des travaux francophones qui ont eux aussi exploré ces objets avec des points de vue qu’on pourrait qualifier de moins « revisités », et plus proches de la géographie économique ou de la sociologie de la mondialisation. Ainsi, parmi de nombreuses recher­ches, on pourra citer celles Roger Brunet (2003) sur les diamants, d’Alain Tarrius (2002) et de Michel Peraldi (2001) sur les marchandises échangées dans les marchés et centralités migratoires, d’Olivier Pliez sur les espaces discrets de la production et de la circulation des jeans chinois ainsi que sur la ville chinoise emblématique du marché des biens de consom­mation, Yiwu (Pliez, 2010) ou encore de Djemila Zeneidi (2013) sur la fraise andalouse et le travail des femmes migrantes – sans oublier de nombreux travaux sur le retraitement, le stockage, le recyclage et la « seconde vie » des objets tombés en désuétude. Dans les deux cas de figure, les horizons théoriques de la recherche diffèrent quelque peu, mais permettent d’inter­préter tout autant la dimension fortement matérielle de la colonisation et des identifications culturelles dans l’espace du capitalisme. C’est justement ce souci critique qui évite ce que plusieurs auteur-es comme Bruce Braun et Sarah Whatmore (2010) ou Scott Kirsch (2013) voient comme les pièges de « l’ontologie plate », présumant des relations non hiérarchiques entre sujets et objets, ou d’une romance contemplative du vitalisme de la matière.

Statuts et valeurs des objets : des terrains émergents

Des marchandises à défétichiser

43Appréhender les objets comme des marchandises ouvre un large éventail de méthodologies. Ian Cook, pionnier des méthodologies participatives pour une géographie critique de la consommation, retrace l’histoire d’un outil particulièrement original de recherche, followthethings.com, qui occupe aujourd’hui une place centrale dans tout le débat sur la géographie du matériel et de la consommation. Il s’agit d’un site internet participatif renseignant l’origine, les conditions de production et de distribution des marchandises. Son texte, résolument décalé et réflexif, montre que la mise en place d’une méthodologie créative, collaborative et non hiérarchique doit détourner de multiples obstacles, précisément matériels, ceux des ordina­teurs, des logiciels et de la toile, pour inventer de nouvelles manières de faire de la recherche. Une démarche critique de la consommation, de la chaîne de production et de la valeur nécessite de concevoir le processus de recherche comme une sorte de « sculpture sociale », où le sensible se combine à la rigueur scientifique et à l’outil technique.

44À l’inverse, lorsque les objets s’inscrivent dans une économie de la pauvreté et de la rareté, que les contraintes de l’environnement se combinent pour rendre la matérialité du quotidien difficile, les marchandises peuvent délivrer, pour qui sait les observer, de multiples informations sur les conditions de vie : c’est ce que montrent Alejandra Lazo et Francisco Ther à travers les agencements corps-objets au gré des mobilités contraintes dans un espace insulaire chilien très enclavé.

Des témoins dans des dispositifs spatiaux

45Les objets ont maille à partir avec la mort et nous interrogent sur la condition mortelle d’une conscience de l’humain. Ils sont une présence de l’absence, sous forme de trace, de vestige ou d’héritage. Ils sont donc le point de passage pour une remémoration, une interrogation du sens de l’absence. Leur utilisation comme témoins peut être abordée dans deux directions intéressant directement la géographie. D’abord en tant que spatialisation dans des espaces dédiés : la muséographie. Avec les objets des victimes de la Shoah, Dominique Chevalier s’interroge sur la construction de dispositifs muséaux et mémoriels mettant en scène des objets ayant appartenu à des personnes assassinées dans les camps de la mort. La comparaison des scénographies amène à voir le dispositif comme l’inscription d’un discours qui associe émotion, conscience historique et projet mémoriel.

46Ensuite, en tant que spatialisation dans des espaces « naturels ». La monta­gne étant d’une certaine manière un sanctuaire où le sublime côtoie la mort, elle permet à Emmanuelle Petit d’explorer un monde socioprofes­sionnel bien particulier, celui des alpinistes professionnels, les guides de haute montagne, par l’intermédiaire de leur rapport intime à un type d’objet bien particulier : les stèles érigées à la mémoire de leurs confrères morts en montagne. Sa méthodologie visuelle est originale : en leur présentant des photos de stèles, elle demande aux professionnels enquêtés de réagir à ce qu’ils voient. C’est tout un savoir qui se dévoile, ainsi que des positionnalités qui en disent long sur les différenciations sociales dans le rapport à la montagne.

47Les projections sur la montagne, comme condensateurs d’identifications collectives, sont finement révélées par Matthieu Petite, qui retrace des conflits autour de trois types d’objets : un chorten, une croix plantée et une installation désaffectée de télécabines. Mobilisant des mécanismes d’intolé­rance réciproque, les acteurs impliqués révèlent d’une part à quel point l’idéalisation d’une nature vierge entre dans des rapports sociaux conflictuels et d’autre part, des points de vue extrêmement normatifs sur ce que la montage devrait être ou ne devrait surtout pas être.

48Ces trois premiers dispositifs d’objets dans l’espace sont complétés par un dernier, travaillé par Jean Estebanez, celui des zoos, où se combinent marchandisation et objectification des animaux, scénographie d’une nature sauvage romancée et interactions étonnamment intersubjectives entre humains et non-humains. Les animaux de zoos, relégués au rang d’objets de curiosité, plaident pour une agentivité du non-humain dans une perspective humaniste.

Les objets dans la vie sous contrainte

49Les objets ont, dans une tout autre optique, d’autant plus de valeur qu’ils sont rares dans les situations d’extrême précarité et de privation de liberté. La comparaison proposée par Marie Morelle et Tristan Bruslé de l’espace de la cellule dans le monde carcéral au Cameroun et de l’espace de la chambrée des travailleurs étrangers dans des labour camps au Qatar révèle l’impor­tance de l’objet dans une expérience de subjectivation sous contrainte, de résistance à la réification et à la désubjectivation que représentent ces relégations. Les objets occupent un rôle crucial dans l’invention de relations sociales et d’identification dans des configurations sociales marquées par l’oppression.

50Les « jungles » où les migrants en attente de traverser la Manche inventent envers et contre tout un espace privé, quotidien, vivable alors que chaque tentative de départ oblige à tout laisser derrière soi et que les interventions de police détruisent leurs installations, s’avèrent être des terrains particuliè­rement fructueux pour le travail ethnographique mené par Olivier Thomas avec les objets et pour témoigner des conditions de vie des exilés en transit, dont les restes invitent à reconstituer toutes les échelles de la désubjec­tivation des « clandestins » en tant qu’indésirables.

Mort sociale et seconde vie des objets

51Enfin, la fin de vie des objets interroge particulièrement les démarches géographiques. D’une part les rapports sociaux qui se nouent dans une ville du Sud autour des travailleurs précaires de la collecte, du stockage, du retraitement et du recyclage des ordures du Caire, sont décrits à partir d’une bouteille en plastique par Pierre Desvaux, qui remonte les filières et les mondes sociaux et économiques à l’œuvre dans cet envers invisible de la consommation.

52D’autre part, la seconde vie des objets est abordée à partir d’une ressourcerie et des liens sociaux qui s’y tissent, entre collecte et distribution, par Stéphanie Messal qui propose des pistes originales en termes méthodo­logiques et réflexifs sur nos rapports à la mort sociale de l’objet. Détritus ou en devenir, le statut transitoire l’objet jeté dépend donc de la valeur qu’on lui accorde, et cela passe par les mots pour le dire.

53Enfin, les initiatives associatives prises par un collectif d’habitants pour « nettoyer » la montagne des déchets « sauvages » sont étudiées par Claire Tollis, qui montre que les idéaux, les idéologies et la moralisation des rapports de pouvoir à l’œuvre dans des causes apparemment communes compliquent les jeux d’acteurs. L’étude des conditions matérielles d’une mobilisation collective confirme qu’il est inévitable d’inclure le non-humain en géographie humaine.

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Notes

1 « These calls for materialism also respond to accounts of culture in society which were seen to be without connection to economy, society, situated bodies and the material infrastructures of societies’ politics, inequalities and ideologies » (traduction personnelle).

2 « […] are all at the margins of what can be seen to be core to the work in social science » (traduction personnelle).

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Pour citer cet article

Référence papier

Serge Weber, « Le retour au matériel en géographie »Géographie et cultures, 91-92 | 2014, 5-22.

Référence électronique

Serge Weber, « Le retour au matériel en géographie »Géographie et cultures [En ligne], 91-92 | 2014, mis en ligne le 28 octobre 2015, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/gc/3313 ; DOI : https://doi.org/10.4000/gc.3313

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Auteur

Serge Weber

Laboratoire Analyse comparée des pouvoirs (ACP)
Université Paris-Est Marne-la-Vallée
serge.weber@u-pem.fr

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