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Fouiller des cabanes de bergers : pour quoi faire ?

Excavating shepherds' huts: For what purpose?
Christine Rendu
p. 151-176

Résumés

Pour constituer l’estivage en domaine de l’histoire il faut mettre en lumière une transformation de sa pratique au cours du temps en un même lieu. L’entreprise paraît simple mais la carence des textes nécessite la constitution d’un corpus de sources inédit. Alliée à des études paléoenvironnementales, la fouille des sites pastoraux d’estivage permet ici de retracer les grandes étapes de l’anthropisation d’une montagne des Pyrénées de l’est, du néolithique à nos jours. Mais dans le tableau qui se dessine et qui fait affleurer les rythmes majeurs d’expansion et de repli des activités pastorales, quelques dissonances subsistent entre les différentes approches disciplinaires. Loin de nuire à la compréhension, ces discordances constituent une voie d’accès à une perception plus aiguë de l’évolution de la pratique de l’estivage. C’est par la comparaison diachronique et par une approche systémique du versant que chaque période semble susceptible de dévoiler sa personnalité et sa véritable dimension.

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Notes de l’auteur

Ce travail doit beaucoup à P. Campmajo et D. Crabol, qui ont collaboré aux fouilles, et aux trois chercheurs souvent cités, B. Davasse, D. Galop et M.-P. Ruas, pour leurs analyses et leurs réflexions. Mes remerciements vont aussi à A. Paradis et A. Catafau qui ont relu ce texte.

Texte intégral

1Novembre et ses bourrasques : des tourbillons blancs, pluie et neige mêlées, descendent en cascade du col du Puymorens et s’engouffrent dans la ville. Ces minuscules tempêtes se succèdent à la vitesse du vent et, entre deux assauts, à chaque accalmie, Puigcerdà offre ses vieilles pierres aux rayons du soleil. Enserré dans le souvenir de ses remparts, le bâti paraîtrait, à l’image des hommes, saisi déjà par le froid si n’y pénétrait aussi, avec les remous d’air glacé, l’ample vibration de la fête : sur la marge haute du bourg se tient la foire aux chevaux -- autrefois, plus largement, foire aux bestiaux -- qui, depuis plus de sept cents ans, dans cette petite capitale pyrénéenne, clôt définitivement la saison d’estive.

  • 1 Arxiu Historic Comarcal de Puigcerdà (AHCP), Regestrum Baroniae Salteguel, fol. 277 et suivantes.

2Novembre encore. Dans la chaleur silencieuse des archives, un vieux et gros registre renvoie l’écho tumultueux d’une montagne au début de l’été : une ville seigneur des pâturages, Puigcerdà, une communauté usagère, Caixans, une paroisse limitrophe pauvre en territoire, Vilallobent ; un contrôle inopiné au lendemain de la saint Jean, des vaches qui mangent l’herbe là où elles ne devraient pas, une saisie signifiée aux gardiens du troupeau commun. L’affaire est des plus banales. Elle nourrit cependant, cinq années durant, de 1704 à 1708, des pages et des pages d’un procès qui déchire le fragile tissu du bon voisinage1.

La mémoire des vaches

3Secondaire en apparence et pourtant récurrente, une question quelque peu obscure s’avère, progressivement, prendre une place centrale. Les vaches « étrangères » au village, qui formaient le gros de la troupe délictueuse, n’auraient pas dû se trouver là cette année-là. Réunis au mois de mai dans le cimetière, lieu coutumier de leurs assemblées, les chefs de famille de Caixans avaient refusé de les admettre dans le troupeau commun en raison du manque d’herbe. En acceptant quand même certaines bêtes, les consuls avaient-ils agi conformément ou contrairement à la décision collective ? L’incertitude était entretenue par une réflexion -- mais était-ce la conclusion du débat ou une simple mise en garde ? -- lancée dans le brouhaha final : « Pour les vaches de Vilallobent, avait-on entendu à la porte de l’enclos, on pourrait faire ce qu’on voudrait, d’une manière ou d’une autre, elles viendraient. »

4Le fonctionnement actuel des estives éclaire la conduite de ces vaches à l’insoumission prévisible. À quelques kilomètres de Caixans, à quelques siècles de distance, voici la montagne d’Enveig. Dans un contexte de déprise et d’enfrichement, la gestion des ressources pastorales ne semble plus assurée que par deux grandes clôtures barbelées qui, tirées à travers 2 000 hectares, régissent un calendrier et un partage de l’espace des plus grossiers : le troupeau commun passe la fin du printemps et le début de l’automne sur la moitié basse du versant, entre les deux clôtures, le plein été en haut, entre le second fil et les crêtes. Il faut monter avec les éleveurs pour découvrir combien la pratique, en réalité, structure plus finement le territoire. Mi-juillet : pour faire passer les vaches au-dessus du deuxième fil, les agriculteurs et quelques amis, une quinzaine de personnes, se sont donné rendez-vous au matin. On se sépare en trois équipes qui se répartissent d’ouest en est le versant pour rassembler les animaux éparpillés. Rien d’extraordinaire à cette dislocation du troupeau : les bêtes pâturent en fait par petits groupes correspondant souvent au cheptel de chaque éleveur, et de ce découpage implicite dont vous apprenez d’abord qu’il « s’est fait comme ça, naturellement ; elles se sont choisi leur coin », vous découvrez aussi que, transmis d’une génération à l’autre parmi les vaches, il nécessite, parfois, comme un acte de refondation, l’intervention inaugurale de l’homme. Lorsque les abattages sanitaires liés à l’épidémie de brucellose ont imposé de remplacer des troupeaux entiers, l’apprentissage de la montagne par les bêtes a offert un sujet supplémentaire d’inquiétude : « Si elles n’y sont pas nées, craignait-on, elles se mélangeront ; leurs patrons devront monter leur donner un parcours. »

5Les écarts incontrôlables des vaches de Vilallobent et l’errance contrôlée de celles d’Enveig, à l’évidence, ne font qu’un. Une même aptitude des bêtes à mémoriser les lieux et l’ordre dans lequel ils se succèdent, une même conduite jouant de cette fidélité aux cheminements appris et incorporés fondent les deux cas de figure. L’insubordination des vaches de Vilallobent n’est que le fruit de la très longue habitude qu’elles avaient, un été après l’autre, par la vertu d’un contrat passé entre voisins, de s’agréger au troupeau de Caixans et d’en suivre les parcours.

6Une mémoire immémoriale, donc. À trois siècles de distance, rien ne conforte mieux le sentiment d’une permanence que cette compréhension de l’histoire à la lumière du présent. À y regarder de plus près pourtant, la comparaison suggère de possibles différences, l’esquisse d’une fêlure, un espace pour le changement. Ces itinéraires, en effet, s’apprennent, se modifient, se contrarient ; et lorsque les bêtes d’Enveig dépaissent librement en petits groupes, celles de Caixans forment un seul troupeau, soumis au respect des limites, et que le vacher canalise.

Pour une histoire de l’estivage

7La montagne apparaît comme un domaine où les césures de l’espace et du calendrier semblent plus qu’ailleurs immuables. Si elle s’ouvre aujourd’hui largement à l’histoire, force est de constater que ce qui forme le coeur même des massifs -- les territoires pastoraux d’altitude -- constitue encore, à cet égard, un ultime ilôt de résistance. Sans doute faut-il voir dans cette longue ignorance le résultat de représentations ancrées dans un passé ancien : contemplés tantôt comme le vert paradis des origines, tantôt comme une expression de l’effrayante sauvagerie de la nature, les paysages montagnards, aux XVIIIe et XIXe siècles, s’offrent aux regards comme des confins immobiles, demeurés à l’écart de l’agitation des hommes et de tous les courants, corrupteurs ou civilisateurs, qui parcourent les plaines [Briffaud 1994]. Une fois identifiés, les éléments qui composent ce monde de la marge ne peuvent à leur tour qu’être perçus comme investis de la même permanence. Les ethnographies pyrénéennes de la première moitié du XXe siècle, dans leurs descriptions minutieuses des productions et des vocabulaires pastoraux, recherchent d’abord le témoignage, intact et préservé, d’une société ancestrale. Inchangés, les cabanes, les gestes, les attitudes et les techniques se révèlent donc dans toute leur profondeur historique, qui n’est qu’insondable transparence.

  • 2 Accords de dépaissance entre communautés villageoises ou valléennes voisines.

8Il existe toutefois une histoire des pâturages d’altitude. Fondée sur les textes, elle retrace la destinée économique et « géopolitique » des massifs pastoraux. La constitution des grands domaines monastiques, la mise en relation par la transhumance d’espaces lointains et complémentaires, leur intégration par un élevage spéculatif au rythme des conjonctures, les fluctuations des troupeaux, les conflits des limites ou les accords de compascuité2 sont quelques-uns des grands thèmes que ces sources éclairent. Mais cette histoire, mouvementée, complexe, n’est pas toute l’histoire des estives ; elle n’en dessine que les contours. Constituer ces espaces en objet de recherche autonome demande tout autre chose : pour questionner leur organisation interne, il faut y pénétrer.

9Sur ce qui fait le coeur d’un système d’estivage, les textes pyrénéens sont à peu près muets. Bornons-nous pour l’instant à ce constat en y apportant une première explication : le statut le plus souvent collectif des montagnes -- qu’il s’agisse de la détention du sol ou des droits d’usage qui s’y exercent --, la nature même du pastoralisme qui suppose une présence temporaire et mobile ne peuvent susciter une profusion de documents équivalente à celle que suscitent l’agriculture et ses terroirs, pris dans un réseau de parcelles que l’écrit sans cesse recense, impose, transmet, mesure, échange. En outre, c’est en gardant à l’esprit l’exemple contemporain de la montagne d’Enveig qu’il faut lire les quelques sources disponibles. À l’est des Pyrénées, les règles collectives édictées par les criées seigneuriales des XVIIe et XVIIIe siècles [Brunet 1998], puis par les règlements de pacage ou de police rurale des XIXe et XXe siècles, sont à la réalité de la dépaissance d’alors ce qu’est à celle d’aujourd’hui le tracé des clôtures : même s’il est celui des limites internes, il ne s’agit encore que d’un cadre. Face à ces rares textes normatifs, le procès de Caixans a ceci de précieux qu’il rend soudain perceptible l’insaisissable. Or c’est dans ces dévoilements fugitifs de la pratique qu’une structure affleure à l’histoire.

Les ressources de l’archéologie

10Appréhender dans une perspective dynamique l’organisation et les formes de la dépaissance, la répartition des espèces sur la montagne, les partages sociaux et techniques des pâturages d’altitude, les modes de gestion des ressources : tel peut être en premier lieu le projet d’une histoire de l’estivage. Au silence des textes sur ces questions, le faible ancrage de l’occupation humaine sur les hauteurs ne peut être la seule explication. Sans doute faut-il y discerner aussi le poids de l’image que les communautés montagnardes ont d’elles-mêmes ou veulent donner d’elles-mêmes, de leur propre permanence et de l’intangibilité de certains de leurs espaces. Ouvrir une brèche dans cet univers que tout dépeint immobile réclame donc la constitution d’autres sources.

11En raison de leur intemporalité présumée et d’une pauvreté matérielle bien réelle (comment dater ?), l’étude archéologique des sites pastoraux -- cabanes de bergers, parcs du bétail -- s’est vue longtemps différée. Certes, ici aussi, l’aspect extensif et saisonnier de l’occupation a joué : au-delà des périodes les plus récentes, les vestiges sont souvent très ténus et l’aménagement du territoire revêt un caractère léger, diffus, ponctuel, qui rend difficile la détection et la mise en relation des traces. En contrepartie, la faible emprise des remaniements contemporains garantit une bonne conservation des témoins et, sur de vastes zones, une lecture en continu du terrain. L’étude s’avère donc féconde et les sites explorés révèlent une typologie variée que, grâce à des datations radiocarbone, on peut replacer dans le temps. Mais à quels modèles d’exploitation ces formes répondent-elles ? Les cabanes, à travers leurs transformations, interrogent bientôt sur ce qui les entoure : dans quels paysages s’insèrent-elles, quelles ressources utilisent-elles et comment ? La nécessité d’éclairer ces contextes oriente alors vers les sciences de l’environnement dont les analyses croisées permettent de saisir de manière complémentaire, dans le temps et dans l’espace, les formes et les rythmes de l’impact anthropique.

12Parcourir les pâturages d’altitude, étudier les cabanes et les enclos, découvrir la diversité dans le temps de leurs implantations, de leurs formes, de leurs milieux, conduit progressivement, au lieu d’envisager les sites comme une source par défaut, à mieux mesurer l’originalité de leur apport. En proposant un pas à pas au fil duquel le terrain finit par imposer sa dimension propre, temporelle, spatiale, matérielle, l’archéologie, avec l’aide des disciplines paléoenvironnementales, bouleverse doucement les échelles et la hiérarchie des phénomènes perçus. Désormais l’éclairage porte d’abord sur les gestes, les techniques, les pratiques de la dépaissance, qu’une histoire de l’estivage par les textes, en restant isolée, semblait questionner en vain. À condition d’envisager dans sa continuité une portion représentative de l’espace, l’approche archéologique, jouant de sa qualité première qui est de localiser précisément des faits datés, est apte, en outre, à saisir quelque chose de l’organisation et des transformations, internes cette fois, des hauts pâturages. Cette perspective dégage une évolution dont la profondeur temporelle outrepasse largement celle des sources écrites. Sur la plage qu’ils partagent avec l’archéologie, les textes dévoilent le jeu de certains facteurs qui, sans eux, resteraient indécelables, proposant ainsi des modèles affinés. Pour le reste, il faut composer avec une très longue durée, un paysage changeant, des acteurs anonymes…

Un terrain pyrénéen : la montagne d’Enveig

13Partagée entre la France et l’Espagne, voisine de l’Andorre, la Cerdagne forme à l’est des Pyrénées une plaine élevée, allongée comme une amande entre deux lignes de sommets. Cette topographie particulière de vaste vallée ouverte dans un dédoublement longitudinal de la Chaîne lui vaut des proportions assez peu communes pour une région d’altitude, entre terroirs agricoles et montagnes. Les premiers s’étendent amplement entre 1 000 et 1 600 mètres, sur des surfaces planes puis sur les piémonts. Vers 1 600 mètres, les secondes, bois et pâturages, prennent le relais, la proximité des espaces ne nécessitant pas, ici, les granges intermédiaires que connaît le reste des Pyrénées. Parfois néanmoins, un habitat intercalaire mais permanent -- gros mas ou hameau -- occupe la transition.

14Le territoire d’Enveig répond à ce schéma (fig. 1 p. 156). Installé en bordure de la plaine, à 1 200 mètres d’altitude, le village a disposé ses maisons sur les premiers contreforts du massif du Carlit, à la rencontre des terres de labour et des prés riverains du Carol où se trouve la limite basse de la commune. De là, le finage se déploie en une large bande qui s’étage, du sud au nord, jusqu’aux crêtes. À la moraine, qui domine le terroir villageois, succède, à 1 500 mètres d’altitude, un plateau aux formes lourdes qui porte les terres à seigle des hameaux : Salit, malgré un statut territorial ambigu, Bena, Feners, Brangolí et le noyau disparu de Ces Cases, dont le Mas Franço maintient le souvenir, forment, avec les parcellaires qui les entourent et les 2 000 hectares de soulane qui s’élèvent au-dessus d’eux, ce que, depuis le XIIIe siècle au moins, on appelle « la montagne » d’Enveig… Relativité des découpages.

15Les recherches archéologiques se déroulent sur la partie montagneuse de cette « montagne », c’est-à-dire sur ces 2 000 hectares de pâturages qui, semés de quelques bois de pins, dominent les hameaux et courent de la limite supérieure actuelle des cultures aux crêtes, soit entre 1 700 et 2 600 mètres d’altitude. Sur ce vaste versant, l’étagement se poursuit en trois paliers principaux : l’Orri d’en Corbill, à 1 900 mètres d’altitude, le Pla de l’Orri à 2 100 mètres puis les vastes surfaces d’aplanissement sommitales divisées en deux grands quartiers pastoraux, Maurà et La Padrilla.

16Une prospection de l’ensemble de ce territoire y a recensé quelque cent vingt implantations là où la carte et le cadastre en signalaient quatre. Quatorze de ces implantations ont à l’heure actuelle fait l’objet de fouilles, plus ou moins exhaustives, plus ou moins extensives, qui jalonnent une durée de près de 6 000 ans, du néolithique à nos jours.

17Sans doute faut-il insister sur la très grande inégalité de la documentation, que cette longue durée rend particulièrement sensible. Au regard de l’analyse, qu’y a-t-il de commun entre la lisibilité des sites des derniers siècles de l’histoire, pour certains encore nommés et dont la forme des enclos indique la fonction, et l’opacité des traces les plus anciennes, souvent révélées à la faveur d’occupations postérieures et qui se bornent parfois à attester la réalité d’un séjour et à le dater ? La disparité relève également d’autres facteurs : occupations ponctuelles contre chronologies longues, cabanes isolées face à des ensembles complexes ; la dimension intrinsèque des sites joue, comme joue aussi la place que chacun tient, au moment où il est fouillé, dans une évolution de la connaissance et de la problématique, qui, toutes deux, orientent la collecte d’informations.

Questions d’échelles

  • 3 Unité topographique.

18Envisagé comme une totalité archéologique, le versant offre donc un environnement touffu où l’on progresse à vue. Il est d’autant plus nécessaire de repérer quelques axes majeurs. Le premier d’entre eux est l’étagement altitudinal. Si l’estivage n’est rien d’autre qu’une montée des troupeaux en été, mettre en lumière son fonctionnement demande d’abord de prendre acte de la pente. L’obtention d’un transect vertical ne peut cependant constituer le seul enjeu. D’autres objectifs interfèrent, qui forcent à composer avec la ligne droite : en posant la question de partages territoriaux entre plusieurs utilisateurs contemporains, la répartition de sites identiques sur un même gradient altitudinal conduit à mener conjointement une approche transversale dont le premier souci sera de vérifier, justement, cette contemporanéité, la chronotypologie restant la préoccupation principale. Enfin, la nécessité de comprendre l’enchaînement des événements -- reprises, déplacements, abandons -- sur un même pla3, le besoin d’appréhender globalement l’espace par quelques trouées dans le temps long peuvent retenir longtemps les fouilleurs en un lieu.

19Quatorze implantations sur cent vingt. Si l’on veut conserver au territoire son épaisseur, sa variété, sa complexité, croiser les résultats des fouilles avec ceux des prospections s’impose. On connaît, certes, les limites de ces dernières : la perception des sites reste superficielle et il demeure bien difficile d’apprécier leur profondeur temporelle. Mais, outre qu’il s’atténue avec l’avancée des fouilles -- car l’enrichissement du corpus de référence permet une meilleure évaluation de surface --, ce biais n’oppose pas de véritable obstacle à la démarche. Ces prospections ne visent pas tant à saisir avec précision l’histoire de chaque site qu’à prendre la mesure des relations possibles entre les lieux, à fournir une esquisse de leurs affinités, de leurs polarités. Sauf pour les cas les plus récents qui s’offrent comme des évidences, il reviendra toujours à la fouille, autant que possible, d’avérer les liens effectifs. Mais, comme une vieille broderie défaite livre dans la trame de son tissu le tracé, la couleur et le mouvement de ses motifs, le territoire ne peut ici révéler ses rythmes, ses césures, et les transformations qui l’animent que dans le maillage de l’ensemble de ses sites.

20Des constructions pastorales, leur évolution dans le temps, leur dispersion dans l’espace : voilà pour l’ossature du versant et ses articulations. Mais la chair autour ? Qu’en est-il de la végétation qui, changeante selon les époques et les activités des hommes, s’étend entre les cabanes et les sépare ? Pelouse, lande, pinèdes composent un environnement qu’il faut voir, vis-à-vis du pastoralisme, comme occupant tour à tour et simultanément tous les rôles et toutes les places. Car ces paysages qui, dans leur matière, sont l’aliment des bêtes, sont aussi, dans leur forme, dans leurs proportions et dans leur structure, le produit des modes de conduite et de la pression qu’exercent les troupeaux, le résultat des techniques d’aménagement, d’exploitation et d’entretien des ressources, la matrice, le support et le fruit des règles sociales d’un partage de l’espace.

Des sites aux paysages

  • 4 Ces questions de complémentarité et de croisement des sources, ainsi que les modélisations graphiqu (...)

21Trois disciplines, l’anthracologie (B. Davasse), la carpologie (M.-P. Ruas) et la palynologie (D. Galop), ont aidé à restituer l’évolution des paysages de la montagne d’Enveig. On reconnaît généralement à chacune d’elles des champs et des échelles de prédilection, qui vont des environs immédiats à un rayon de quelques kilomètres autour du site. Ici, les caractéristiques du milieu et la logique géographique de l’approche environnementale -- qui rejoint celle de l’archéologie puisqu’elle raisonne, elle aussi, sur l’ensemble du versant -- redéfinissent quelque peu la compétence spatiale des sources4. En opérant à partir de tourbières, la palynologie s’affranchit de la contrainte des prélèvements en sites ; le poids des orientations archéologiques demeure en revanche pour la carpologie, et partiellement pour l’anthracologie qui examine des échantillons issus soit des habitats soit des charbonnières, bien rares sur le versant d’Enveig. Mais quels que soient les biais que ces procédés imposent, la multiplication des points d’observation sur le versant (plusieurs fouilles et plusieurs tourbières étagées) concourt, comme pour le réseau de sites bâtis, à raisonner selon des transects altitudinaux, à croiser des impacts de portée variable, à faire dialoguer des séquences chronologiques d’amplitude inégale. Correspondant à chacun des points d’enregistrement, plusieurs cercles de taille diverse interfèrent et se relaient pour donner à la fois les tonalités majeures de l’évolution du milieu et ses nuances locales. Dans la confrontation, identifier clairement ce que chaque source mesure ou reflète constitue toujours l’enjeu principal [Guilaine 1989].

22La palynologie des tourbières situées sur des replats ouverts fournit des indications sur les mouvements de longue durée, à l’échelle du versant, voire du bassin cerdan. Cette vision panoramique des transformations de la végétation, qui livre les cadres de référence, les grands rythmes et les points d’inflexion de l’impact anthropique, retranscrit cependant les phénomènes de manière globale et diffuse. Aussi perd-elle de sa pertinence lorsqu’il s’agit de saisir la singularité des différents secteurs. L’anthracologie tempère cette perception générale par des évolutions de plus courte durée -- quelques siècles tout de même quand la continuité archéologique est assurée -- mais plus précisément localisées ; comme la carpologie qui apporte ici un éclairage ponctuel mais essentiel, comme aussi l’analyse palynologique des petites tourbières de pente, elle permet de descendre à l’échelle du pla pastoral, là où devient perceptible la diversité des situations et des dynamiques.

Rythmes et dissonances

23Le premier apport de ces études est donc de dérouler une conjoncture générale dans laquelle chaque établissement fouillé prend sens. Les traces archéologiques les plus anciennes corroborent une ouverture du milieu dès le néolithique final, la découverte d’un site important du Bronze moyen concorde avec un essor constaté à cette époque ; les deux sites du haut Moyen Âge s’inscrivent dans un frémissement enregistré dès le VIIe siècle et qui s’amplifie aux VIIIe et IXe siècles, tandis qu’un peu plus tard, deux cabanes des XIe et XIIIe siècles prennent place dans l’expansion spectaculaire du Moyen Âge central. La forêt, alors presque totalement éradiquée, se reconstitue durant la déprise des XIVe et XVe siècles, les grands sites de cette période de transition marquant le début d’une reprise un peu plus tardive dans les tourbières. Il faut voir dans ce mouvement les prémices d’un nouvel élan qui culmine au XVIIIe siècle et dont témoigne, au niveau archéologique, la multiplication des sites de l’époque moderne.

24Vis-à-vis de la disparité des sources et de la fragmentation des durées, ce tempo de fond joue un rôle intégrateur : avec ses cycles pluriséculaires d’expansion et de repli, il replace l’ensemble des indices sur une échelle unique où l’intensité des phénomènes se mesure à la même aune ; ainsi apparaît-il, ce temps de l’environnement, comme le plus petit dénominateur commun d’une évolution dont les linéaments demeureraient souvent, sans lui, indépendants et irréductibles.

  • 5 Pour une première approche, chronologique, de ces discordances : C. Rendu et al. [1999].

25Mais quantifier ne suffit pas. Dans les modèles élaborés jusqu’à présent, quelques dissonances se font entendre entre séquences palynologiques, séquences anthracologiques, tendances historiques et faits archéologiques5. Elles ne remettent guère en cause la cohérence de l’ensemble : le poids respectif de chaque période est désormais cerné, les découpages qui structurent l’histoire du versant sont solidement établis. Mais, même discrètes, ces discordances intriguent, attirent l’attention et, par la vertu qu’elles ont de provoquer sur elles une concrétion d’indices, finissent par prendre une réelle consistance. Ainsi s’impose, ici et là, progressivement, la singularité d’une implantation, d’un impact, d’une évolution. Ces moments, ces lieux ou ces séquences, parce qu’ils ne répondent pas au mécanisme d’une simple alternance de phases d’emprise et de déprise, conduisent à aborder la question d’un changement de nature des modes d’exploitation : nous voici revenus à l’espace, aux parcours et au « dialogue des durées ».

Le XVIe siècle au Pla de l’Orri

26Étendu sur à peu près 6 hectares, à 2 100 mètres d’altitude, le Pla de l’Orri propose à mi-versant une halte dans la pente. Occupé au sud-ouest par une tourbière, il développe une pelouse riche et bien pâturée que bordent à l’amont plusieurs sources. Une végétation d’enfrichement, faite de lande à genêts et genévriers, remonte ensuite dans la soulane. Elle cache l’un de ces longs couloirs de pierre destinés à la traite des brebis, qui rendent immédiatement reconnaissables les sites d’estivage à production fromagère. Accompagnés de massives cabanes entièrement bâties en pierres, y compris la toiture faite en encorbellement de dalles ou de blocs, on les appelait autrefois des orris [Rendu 1998]. Celui-ci donna sans doute au pla son nom.

27À partir du XVIe siècle, d’après le diagramme palynologique de la tourbière, le lieu est soumis à une dynamique particulière de la végétation : après une forte déprise des activités humaines, associée à une reconstitution forestière importante, un nouvel essor pastoral s’amorce. S’il entraîne au départ un recul de la pinède, il montre ensuite un type d’impact sur l’environnement qui tranche avec les processus habituels. Cette fois, la fréquentation croissante des troupeaux s’accompagne du maintien, voire d’une légère extension, de la forêt [Davasse, Galop et Rendu op. cit. ; Galop 1998].

28L’installation de l’orri du Pla de l’Orri, suivant la reconnaissance de surface et le corpus de référence actuellement disponible, daterait de ce démarrage. Est ainsi posée l’hypothèse d’une corrélation entre ces deux phénomènes, la présence de l’orri et une certaine stabilisation des paysages : comment ?

29La première explication qui vient à l’esprit est celle que livre la forme même des sites : qui dit couloir à traire dit troupeau de brebis laitières en période de production. Des parcours plus intensifs, cantonnés à des surfaces réduites, une moindre divagation des bêtes, voilà qui permet à la forêt de prospérer doucement alors même que, localement, sur la belle pelouse qui borde la tourbière, les indicateurs de la présence pastorale augmentent. Mais ce serait oublier que le plein Moyen Âge pratiqua largement, dans ces régions, l’estivage des brebis laitières : bien documenté par les textes -- que l’on se souvienne des étés de Pierre Maury, le pâtre de Montaillou, dans les ports de la haute Ariège ou de la Cerdagne même [Le Roy Ladurie 1975] -- il doit sans doute à des enclos de bois -- les archives aussi le disent -- de ne pas apparaître à l’archéologue. Pour mieux cerner le lien qui unirait les orris à « leur » paysage, il faut donc chercher plus loin.

30Saisir leur genèse, du moins localement, demande d’élargir un peu le cadre, d’achever l’ascension de la montagne d’Enveig. Sur les grands plas sommitaux de Maurà et La Padrilla, à 2 200 et 2 300 mètres d’altitude, s’étendent aussi deux longs couloirs à traire bordés de cabanes de pierres (site 16 à Maurà, 42 à La Padrilla). Leur fouille a montré qu’ils ont été installés tous deux au début du XVe siècle. À cent ans d’écart, la conjoncture dans laquelle ils s’inscrivent est tout autre : la chute rapide des indicateurs anthropiques enregistrée dans le diagramme du Pla de l’Orri rend ici particulièrement tangibles les « grandes mortalités », le vide d’hommes et le retour à l’inculte dont les textes se font l’écho. La tourbière du Pla de l’Orri, cependant, reflète la tendance générale du versant, voire du bassin cerdan. Plus haut, à Maurà et La Padrilla, les séquences tourbeuses révèlent des mouvements plus complexes et parfois contradictoires.

31Située sur un replat glaciaire tout proche des crêtes et du site de La Padrilla 42, la tourbière de Gros Roc indique, paradoxalement, une diminution continue de la pression anthropique au moment où l’établissement de La Padrilla connaît son apogée (XVe-XVIe siècle) [Galop 1997]. Les courbes présentent en fait une série d’asynchronismes que seule l’ouverture du gisement tourbeux aux influences de la vallée voisine du Carol, profonde et boisée, semble pouvoir expliquer : Gros Roc, comme le Pla de l’Orri, refléterait ainsi, pour cette période, plutôt un enfrichement rapide des versants qu’une recolonisation proche, sur les hauts pâturages même.

  • 6 L’effet de l’altitude se double, sur ce panneau que G. Soutadé a baptisé « Carlit des mouillères », (...)

32Comment s’en assurer ? À Maurà, une petite tourbière de pente située en contrebas du site de Maurà 16 offre une chance de mieux appréhender les dynamiques locales [Galop 1998 : 70-74]. Bien que la tendance dominante du versant -- reprise ou densification forestière -- pèse encore fortement sur l’allure des courbes, elle ne parvient pas à masquer un palier dans la recolonisation de la pinède aux XVe et XVIe siècles. Inertie naturelle due à l’altitude et à des conditions particulières6, maintien d’une activité pastorale : ces deux facteurs ont sans doute joué. Mais le fait est que la tourbière de Maurà confirme une disparité d’évolution entre hautes pelouses et pâturages intermédiaires.

  • 7 Dissocié du reste de la montagne d’Enveig dès le XIIe siècle, lorsque les moines cisterciens de San (...)

33Les deux établissements, uniques à l’époque et donc originaux et précurseurs, de Maurà 16 et La Padrilla 42 s’inscrivent dans le contexte, lui aussi spécifique, de grandes surfaces pastorales demeurées relativement stables et ouvertes, au sommet d’un versant tendant à l’enfrichement. Les couloirs de traite des deux grands sites permettent de formuler un schéma d’occupation de la montagne : témoignant de la présence de brebis laitières en production, installées tôt dans l’été à haute altitude, ils désignent probablement, par opposition aux troupeaux locaux qui montent par paliers, des transhumants qui louent des « ports », grands quartiers d’estive sommitaux, sur lesquels ils restent toute la saison7.

34Les orris apparaîtraient ainsi dotés d’une double naissance. La première remonte au tournant des XIVe et XVe siècles, survient sur les grandes pelouses d’altitude et serait liée à une réaction vive des entreprises transhumantes face à la crise. La seconde, au XVIe siècle, coïncide avec la descente de ces massives constructions de pierre sur les plas intermédiaires ; elle marque leur intégration au système d’estivage local.

35Mais cette naissance ne peut se comprendre qu’à la lumière de ce qui la précède et de ce qui la suit : avec quoi rompt-elle, que porte-t-elle en germe ?

À l’amont et à l’aval du temps

  • 8 Pour le détail des mesures et la discussion des datations au radiocarbone, voir C. Rendu et al. [19 (...)

36L’apogée de l’expansion médiévale, que l’histoire et la palynologie situent aux XIIe et XIIIsiècles, est documenté, archéologiquement, par la fouille de trois sites, tous localisés sur les grands plas sommitaux, entre 2 200 et 2 400 mètres d’altitude. Deux d’entre eux se réduisent aux vestiges d’une cabane unique : soubassement de pierres dessinant un ovale au pied de la face verticale d’un petit affleurement du granite. Ils évoquent une élévation légère, armature de bois sans doute couverte de terre et de gazon, adossée au rocher. Les datations obtenues sur les deux habitats, XIe et XIIIe siècles, indiquent une permanence du type architectural, sans changement sensible jusqu’au coeur de la croissance. Le troisième site est celui de La Padrilla 42. Son occupation la plus ancienne, largement perturbée par l’aménagement des nouvelles structures au XVe siècle, n’est perceptible que par lambeaux, mais la taille de ses installations, son emplacement sur un replat bien ouvert et son histoire ultérieure confirment l’impression d’un ensemble assez exceptionnel, par son extension, dès le XIIIe siècle8. L’hypothèse d’un établissement transhumant à production fromagère est tentante mais elle manque d’arguments probants. Rien ne signale cependant que la cabane, elle aussi en appui contre un rocher, a été construite différemment des autres.

37Marqué par un ancrage progressif des plus grands sites, l’essor médiéval s’est donc produit sur ces bases, éphémères et labiles, des cabanes de terre et de bois.

  • 9 Maurà 16 est abandonné, La Padrilla 42 reconverti pour un troupeau ovin non laitier.

38À l’aval de leur histoire, au tout début du XIXe siècle, les orris apparaissent dans les règlements de pacage émanant du conseil municipal d’Enveig ; non qu’ils fassent l’objet de dispositions particulières, mais certains, entrés dans la toponymie, servent de jalons à l’énumération des limites successives de la dépaissance. Enquête orale, défrichements, prospections ont permis d’en retrouver quatre sur les replats intermédiaires, entre 2 000 et 2 100 mètres d’altitude. L’un ou l’autre fonctionnait peut-être encore, mais de façon marginale, à la fin du XVIIIe siècle ou au début du XIXe. Les grands ensembles de Maurà et La Padrilla s’étaient en revanche arrêtés beaucoup plus tôt, dans le courant du XVIIe siècle sans doute9. Contrairement à eux, les orris du versant ont le plus souvent conservé un nom. Et dans la composition de ce nom, devenu celui d’un lieu de la montagne, figure presque toujours celui d’une personne ou d’une maison : Orri de Salit, Orri del Roig, Orri d’en Corbill, Orri de la Viuda…

  • 10 Placé avant le nom ou le surnom du fondateur ou du propriétaire de la maison, cal, « contraction de (...)

39Le procédé n’est pas spécifique. À côté des orris consacrés aux brebis laitières, nous trouvons, durant toute l’époque moderne, d’autres sites de pierre sèche, les pletes, formés d’enclos quadrangulaires ou circulaires, associés à des cabanes, de pierre également. Destinées au parcage de troupeaux ovins non laitiers, ces pletes portent, elles aussi, des noms de maisons des hameaux : Pleta del Pal, Pleta de l’Eugini, del Colomer, del Cavaller, del Polon renvoient ainsi à Cal10 Pal et Cal Polon à Brangolí, Cal Colomer et Cal Cavaller à Feners, Ca l’Eugini à Bena…

  • 11 La lecture du livre de B. Cursente, Des maisons et des hommes, a apporté un éclairage décisif à la (...)
  • 12 Les XVIIe et XVIIIe siècles marqueront une emprise de plus en plus affirmée de quelques maisons dom (...)

40Pérennité de la pierre, pérennité du nom et de la maison : c’est à l’intrusion de ce modèle sur l’estive que renvoie l’opposition entre les légères cabanes médiévales et les lourdes cabanes modernes11. Il semble que l’on ne puisse comprendre le cantonnement écologique de l’espace qu’affirment les dynamiques paysagères nouvelles du XVIe siècle si l’on ne perçoit aussi, parallèlement, le « cantonnement social » qui l’accompagne12. Des règles médiévales, rien ou presque n’affleure directement. Mais de certains traits coutumiers dispersés le long de la chaîne des Pyrénées émerge une conception différente du partage des ressources pastorales où domine le principe d’une redistribution circulaire ou aléatoire des lieux entre les usagers : des pratiques comme l’attribution au premier occupant -- qui poussait les cadets à monter dans la neige pour réserver les cabanes --, le tirage au sort, les rotations réglées, mais aussi, dans un tout autre registre, l’échange quotidien des rôles et des places hiérarchiques au sein des équipes de bergers, en porteraient témoignage. Symbolique, enfin, la pierre dont l’emploi suffit à signifier l’appropriation durable des places d’estivage par des maisons et le partage tacite de la montagne que celles-ci opèrent. Dans certaines vallées occidentales du massif, l’interdiction de couvrir de pierre les cabanes n’a d’autre justification, dit-on, que de rappeler instamment le caractère temporaire de la concession des lieux.

  • 13 Celui-ci, toutefois, prend place dans un contexte plus général de spécialisation des espaces, notam (...)

41La stabilisation des paysages, fruit d’un dessin plus précis des lisières, d’un découpage plus strict entre pelouse et forêt, pourrait donc résulter d’un nouvel ancrage des sites en montagne13. Dans la relation entre troupeaux et territoire, la question des parcours demeure dans l’ombre. La logique qui préside à ceux des cabanes de l’époque moderne peut, certes, s’éclairer un peu à la lumière de l’enquête orale et du comparatisme. La technique de conduite consiste ici à favoriser l’autonomie du troupeau en cultivant la mémoire des bêtes fondée sur l’habitude qu’elles ont des lieux. Cette adéquation à un espace, cette connaissance des parcours et de leurs limites permettent, comme dans le cas de l’invistita corse, « que cohabitent sur un territoire limité un nombre important de troupeaux dont les parcours se jouxtent » [Pernet et Lenclud 1977 : 78]. Parmi les systèmes pastoraux d’estivage des montagnes du Sud, toujours définis comme extensifs, celui-là apparaîtrait donc comme l’un des plus intensifs. Face à ces éléments, le système associé aux cabanes médiévales reste bien incertain et on se borne, pour l’instant, à l’imaginer en négatif : des parcours plus linéaires dans un environnement aux lisières plus floues, une errance moins contrôlée des bêtes dès lors qu’elles ne sont plus traites… Tout reste à faire, mais envisager un essor sur ces bases extensives contribuerait peut-être à relativiser l’ampleur de l’impact ressenti par la palynologie.

42À l’aval, sur le versant, en un lieu et un temps autres, la montagne d’Enveig dévoile cependant quelques informations sur un mode d’exploitation lâche de l’espace.

Le haut Moyen Âge à l’Orri d’en Corbill

  • 14 Le terme désigne ici de grandes pâtures irriguées et encloses, situées au bord des torrents, à la l (...)

43Du bas de la montagne, il faut une demi-heure de marche pour atteindre l’Orri d’en Corbill (fig. 2 p. 164). La côte qui s’élève au-dessus des devèses14 est raide, avant ce premier pla de 3 hectares environ situé à 1 900 mètres d’altitude. Vu de l’aval, il forme comme un hémicycle herbu, aux versants couverts d’une lande à genêts piquetée de quelques pins. Deux grosses cabanes de pierre, associées à deux enclos, dont l’un, très massif, s’étend sur près de 1 hectare, rappellent que l’endroit servait, jusqu’aux années quarante, au parcage printanier et automnal du troupeau commun de vaches : il constituait le premier palier de l’estive.

44Outre les deux établissements récents, des prospections consécutives à un brûlage du service pastoral ont livré six autres sites dont cinq ont été fouillés ou le sont actuellement. Là, quatre cabanes presque alignées sur à peine 70 mètres suggéreraient un ensemble unique si leur étude n’avait révélé entre elles un écart de mille ans : la cabane 82 -- dans son dernier état -- date du VIIe siècle de notre ère, la cabane 81 du VIIIe ou IXe siècle, la cabane 79 des XVIIe-XVIIIe et la cabane 80 du XIXe siècle.

45Architecturalement, les cabanes 82 et 81 sont si semblables que leur parenté s’est imposée dès la fouille, avant même que l’on ne dispose du moindre repère chronologique (elles n’ont fourni aucun matériel). Construites toutes deux sur une butte artificielle, elles présentent un plan rectangulaire composé d’une ligne de blocs sur trois côtés et, à l’amont (au nord), d’un mur conservé sur plusieurs assises. Dans la cabane 82, ce mur, au nord-ouest, s’appuie sur un rocher naturel. Central ou installé en bordure, un foyer à plat occupe chacune des deux structures, preuve qu’elles furent habitées, au moins temporairement. Enfin, sous le niveau d’éboulement, la cabane 81 a révélé une couche très riche en gros charbons et morceaux de bois carbonisés, interprétée comme résultant de l’incendie d’une toiture végétale. Elle confirme ce que les traces architecturales laissaient imaginer : une couverture périssable à une seule pente, prenant appui sur le mur nord.

46L’incendie de la cabane 81 n’a pas conservé que des branches. La couche était également assez riche en semences carbonisées, et l’analyse d’une première série de prélèvements a permis à M.-P. Ruas de recueillir 3 239 restes et d’identifier 18 taxons [Ruas 1997 et 1998]. Si la flore spontanée (fruitiers et herbacées sauvages), dans le spectre obtenu, domine en nombre d’espèces, les céréales sont quantitativement prépondérantes : 87 % de tous les vestiges se rapportent au seigle, auquel il faut ajouter quatre spécimens d’un blé tendre qui pourrait être du froment.

47S’agit-il de céréales montées là depuis la plaine cerdane ou cueillies sur place ? La carpologie note la présence d’adventices des plantes cultivées mais ne tranche pas. Archéologiquement, l’idée d’une céréaliculture locale est soutenue par plusieurs indices dont le principal est l’existence de légers talus, très effacés, sur le pla. Leur antériorité par rapport à l’enclos moderne qui les recoupe, et une forte ressemblance dans l’aménagement des banquettes et des cabanes -- ces dernières sont, elles aussi, installées sur des levées de terre et situées dans le prolongement des talus -- appuient l’hypothèse d’une contemporanéité des deux types de structures.

48Si tel était le cas, comment comprendre cette très précoce agriculture d’altitude ? L’idée d’une montagne-refuge densément peuplée bien avant l’an Mil répondrait aisément à la question [Bonnassie 1975-1976] si elle ne se heurtait à une contradiction. Voir dans ces défrichements marginaux l’ultime effort d’une population trop nombreuse suppose en effet qu’ailleurs, en aval, les cultures occupent déjà l’essentiel du territoire, du moins qu’elles aient largement mis à mal le couvert forestier. Or, à l’échelle régionale, puisque c’est de la plaine cerdane qu’il s’agit ici, les données palynologiques infirment une telle hypothèse : la pression anthropique demeure faible encore aux VIIe-VIIIe siècles, des signes de reforestation sont même perceptibles à basse altitude et, si le IXe siècle marque le début d’une réelle expansion, celle-ci n’a rien de comparable encore avec la « saturation » de l’espace des XIIe-XIIIe siècles [Galop 1998 : 85].

49Mieux cerner les activités de l’Orri d’en Corbill au haut Moyen Âge exige de revenir au terrain. Dans quel environnement immédiat ce seigle poussait-il ? Les tourbières sont ici trop lointaines pour exprimer la végétation du pla. L’anthracologie des niveaux archéologiques en revanche renseigne sur la période et aide aussi, en l’inscrivant dans la longue durée, à en saisir la personnalité.

50L’emplacement de la cabane 82, occupé au IVe siècle avant J.-C. puis au VIIe siècle de notre ère, déroule la première séquence paysagère. Alors que les niveaux les plus anciens dévoilent une végétation arborée structurée (forêt résineuse mixte à pin sylvestre, sapin et feuillus), la disparition du sapin, l’apparition puis l’augmentation du genêt (22 % au VIIsiècle) montrent dans la phase suivante une ouverture du milieu : « une pinède clairsemée où le genêt purgatif prend de l’importance », clairiérée sans doute, tels seraient, selon B. Davasse, les alentours proches du site au haut Moyen Âge [Davasse op. cit. : 191 ; Davasse, Galop et Rendu op. cit.].

51Avec 80 % de pin et 20 % de genêt dans la cabane 82, l’impact des activités humaines au VIIe siècle est visible, mais comment le mesurer ? Par comparaison. À l’autre extrémité de la chronologie, aux XVIIIe-XIXe siècles de notre ère, les cabanes 79 et 80 inversent les proportions : 10 % de pin et 80 % de genêt au XVIIIsiècle, 35 % de pin, 58 % de genêt au XIXe [Davasse op. cit.].

52C’est donc dans une ambiance très boisée que s’exerce cette petite culture céréalière des VIIe-IXe siècles. Le modèle dès lors se dessine : il s’agit d’une agriculture forestière itinérante à jachère longue, supposant un procédé de défrichement de type essartage ou écobuage [Sigaut 1975 : 26-29]. Alternant et voisinant avec ces quelques trouées emblavées de loin en loin, les parcours des animaux traversent aussi ces territoires intermédiaires, probablement d’usage collectif. Ils se développent dans des forêts résineuses peu denses et s’attardent dans quelques espaces ouverts dont la carpologie peint le détail. La flore spontanée reflète la pelouse, les berges de marais piétinées par le bétail et les reposoirs, les landes ensoleillées et les lisières forestières [Ruas 1997 : 169-170].

Les oscillations d’un seuil

  • 15 Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 7 J 58.

53Mille ans séparent les deux couples de cabanes, 81-82 et 79-80. Mille ans et une spécialisation. L’inversion des proportions entre pin et genêt ne marque en effet rien d’autre qu’une conversion de cet espace à l’herbe, son intégration au versant comme premier palier de l’estivage : les cabanes 79 et 80 sont de vraies cabanes pastorales qui suivent la même évolution typologique que leurs contemporaines des plas supérieurs. Il faudra d’autres fouilles et une exploration plus approfondie des textes pour appréhender la chronologie fine de cette mutation. Mais une mention des devèses de Brangolí et de Bena au XIVe siècle15, la découverte en prospection, sur le pla, d’une cabane semblable à celles des XIe-XIIIe siècles, enfin les données de la palynologie incitent à penser que le basculement essentiel s’opère en conformité avec la chronologie d’ensemble du versant : landes et pelouse l’emporteraient, à l’Orri d’en Corbill, entre le Xe et le XIIIe siècle.

54À une exploitation mixte et relativement mobile d’un espace homogène succèderait ainsi une structuration différenciée des ressources du piémont : cette fixation des terroirs agricoles -- céréaliers et herbagers -- du bas du versant s’accompagnerait d’une définition plus étroite, plus linéaire, de la frontière entre cultures et montagne.

  • 16 AHCP, Baronia d’Enveig-Capbreu, 1623.
  • 17 Le meilleur exemple en est la boiga du seigneur lui-même, qui apparaît dans l’un des confronts et s (...)
  • 18 Tout en gardant à l’esprit ce qui sépare les deux cas de figure, on ne peut s’empêcher de penser à (...)

55Pourtant, au début du XVIIe siècle, un terrier concernant les hameaux (un capbreu) montre, entre 1 700 et 1 800 mètres d’altitude, un liseré encore très irrégulier, fortement découpé, troué d’enclaves16. Cette marge haute est faite de champs stables mais cernés de tous côtés par la friche (l’herm) ou par des pâtures collectives de terres récemment ouvertes dans ces comuni et que l’on qualifie de novali, de boïgues, dont le nom évoque toujours une agriculture à cycles longs, conduite avec le feu [Sigaut op. cit.]. À mille ans d’écart, tout irait dans le sens d’une permanence des pratiques si le contexte paysager lui-même n’indiquait le changement. Dans l’environnement très ouvert du versant d’Enveig, ces cultures temporaires de l’époque moderne relèvent pour la plupart d’une « agriculture du gazon » qui demande un fort investissement en main-d’oeuvre. Les quelques boïgues citées, certainement exploitées par écobuage, sont d’ailleurs le fait des grandes maisons des hameaux17. Sans doute voisinent-elles, sur ces confins, avec des défrichements de subsistance dont la poussée sera particulièrement sensible au XVIIIe siècle. Mais l’une et l’autre pratique témoignent d’un même système, d’une structure des terroirs caractéristique, peut-être, de ces piémonts élevés : stabilisation et fixation n’ont jamais totalement effacé la présence souple et mobile d’une agriculture itinérante que permet la proximité de la montagne et du comú et qui ajuste les ressources aux cycles de vie des maisons comme aux rythmes plus généraux de la croissance ou de la déprise18. Repoussée sur la frange, cette agriculture qui, selon la manière dont elle est pratiquée, différencie socialement les gens des hameaux, les inscrit en revanche tous, vis-à-vis de la plaine cerdane, dans une même marginalité : « Enveig et la montagne », la frontière des deux terroirs passe bien en aval, à 1 500 mètres d’altitude.

  • 19 Cette analyse rejoint celle de J.-J. Larrea [1990]. Elle n’exclut pas, par ailleurs, une interpréta (...)

56Cet éclairage permet désormais de mieux comprendre la spécificité des cultures d’altitude du haut Moyen Âge : nous ne sommes vraisemblablement pas, ici, sur la frange d’un terroir pour l’essentiel stable mais à la lisière haute d’un plateau où l’essartage est dominant19. Pour qui connaît un peu la répartition des sites protohistoriques sur tout ce bas de soulane, ce mode particulier de mise en valeur soulève le problème de l’enracinement historique de cette organisation spatiale et des frontières qu’elle met en jeu. Entre 1 500 et 1 800 mètres d’altitude, c’est en effet tout le pied du massif du Carlit, avec ses chaos granitiques et ses petites retenues de terre meuble, qui offre, en abri sous roche le plus souvent, l’image d’un peuplement à la fois abondant et dispersé, s’étendant pour l’essentiel sur les Âges du bronze et surtout du fer. L’hypothèse d’une occupation mobile reposant sur un élevage extensif et une agriculture itinérante fournirait à cette remarquable densité une explication. Elle montre aussi comment le fait de poser la question d’un seuil pour la montagne renvoie inévitablement à d’autres limites et d’autres espaces : plaine, plateau, versant ne se définissent que l’un par l’autre tandis que chacun d’eux, en son sein, est orienté selon ses propres pôles et possède son haut et son bas, sa montagne et son pla.

57Du haut Moyen Âge au Moyen Âge, la rupture qui fait de l’Orri d’en Corbill un premier palier d’estive le reliant vers l’amont à une chaîne de sites étagés et complémentaires est donc essentielle. Mais est-elle unique ? L’étude de cette unité pastorale a révélé aussi, à moins de 100 mètres au nord-ouest des quatre cabanes, un ensemble formé de trois enclos de pierre accolés, d’une surface totale de 500 mètres carrés. La fouille est loin d’être achevée mais une première mesure radiocarbone place ces structures au XIVe siècle avant J.-C., à la charnière du Bronze moyen et du Bronze final. S’il est encore trop tôt pour se prononcer définitivement sur le sens de cet ensemble, il convient toutefois d’observer le contexte dans lequel il s’inscrit : au même moment, la palynologie enregistre un accroissement significatif de l’impact anthropique, tant en montagne que sur le piémont [Galop 1998 : 81] ; de l’autre côté de la plaine, sur le site perché de Llo, habitat permanent construit à 1 600 mètres d’altitude, les activités d’élevage s’affirment [Berlic 1995 ; Campmajo 1983 ; Vigne 1983] ; sur le versant même d’Enveig, enfin, quatre ensembles pastoraux au moins, entre 1 900 et 2 200 mètres, pourraient être comparés à celui de l’Orri d’en Corbill : outre quelques indices chronologiques, ils possèdent comme lui -- trait remarquable -- des enclos de pierre.

58Accentuation de la pression pastorale, développement de l’élevage et pérennisation des sites (même s’ils restent saisonniers) : l’impact anthropique n’a, certes, rien de commun, quantitativement, avec ce qu’il sera 2 500 ans plus tard, mais ces trois faisceaux laissent percevoir ce qui pourrait constituer, à l’égard de l’estivage, la personnalité de ce « bel Âge du bronze ». Associée à un renforcement de la vocation pastorale de l’Orri d’en Corbill, l’occupation de la partie centrale de la montagne dessinerait, en filigrane, une structuration du versant en zones d’altitude complémentaires, un premier aménagement appuyé de l’étagement montagnard, une première affirmation, dans la pinède qui sépare alors le piémont des crêtes, des paliers intermédiaires de l’estive… Hypothèse de travail.

Le néolithique au Serrat de la Padrilla

59Sur les hautes surfaces d’aplanissement de la montagne d’Enveig, la cuvette de La Padrilla forme une dépression où les eaux convergent pour donner naissance au torrent du Bena. Les sites de La Padrilla 75 et 49, distants de 250 mètres, se trouvent dans le versant qui s’élève à l’ouest des méandres et s’achève par le dôme, tout proche et venté, du Serrat de la Padrilla (2 355 m). Face à eux se développe un grand pan de soulane, le Ras del Cucut, belle étendue de pelouse qui monte jusqu’aux crêtes en une pente ensoleillée, régulière et abritée (2 564 m). Découvertes à la suite de l’exploration des niveaux médiévaux, les occupations néolithiques couvrent une chronologie large que six datations précisent.

  • 20 Ly-8223 : 3810 ± 55 BP soit entre 2435 et 2057 av. J.-C. (pics de probabilité : -2272, -2253, -2203 (...)
  • 21 Ly-7541 : 5290 ± 60 BP soit entre 4287 et 3985 av. J.-C. (pics de probabilité : -4204, -4125, -4053 (...)
  • 22 Gif-A99606 : 4680 ± 80 BP soit entre 3643 et 3136 av. J.-C. (pics de probabilité : -3501, -3431, -3 (...)

60La fouille de la cabane 49 n’est pas terminée mais divers prélèvements, réalisés sur des structures dégagées à plat ou dans la coupe stratigraphique, ont permis de relever trois phases distinctes, sous le niveau médiéval. Antérieurement à la dernière occupation de la préhistoire, située au tout début du Bronze ancien20, deux installations s’étaient déjà succédé, contre la face verticale de ce petit rocher, au cours du néolithique moyen. Presque sept cents ans les séparent puisque la première remonterait à la fin du 5e millénaire21, la seconde au milieu du 4e22. S’il est bien difficile pour l’instant de caractériser le niveau le plus ancien, les charbons datés des années 3500 avant J.-C. appartiennent à un foyer structuré relativement important. La durée de chacune des phases de l’habitat n’est donc pas appréciable, mais dans cette incertitude autour de la fidélité au lieu, d’un été à l’autre, le soin consacré à cet aménagement semble plaider pour un séjour suivi durant une partie de la saison.

  • 23 Ly-7496 : 4950 ± 50 BP soit entre 3903 et 3651 av. J.-C. (pics de probabilité : -3749, -3707).
  • 24 Ly-7064 : 4550 ± 60 BP soit entre 3473 et 3051 av. J.-C. (pics de probabilité : -3339, -3269, -3209 (...)

61Située à 30 mètres en aval du grand site médiéval et moderne de La Padrilla 42, la cabane 75 se présente en surface sous le même aspect que la cabane 49, construction légère -- mais d’époque moderne -- adossée à un rocher. Sous-jacente à ces traces, une couche plus étendue mais dont les limites ne sont pas franchement apparentes a livré plusieurs lentilles cendreuses et charbonneuses et deux véritables structures de combustion, l’une de la deuxième23, l’autre de la première moitié du 4e millénaire avant J.-C.24

  • 25 Ly-6242 : 4370 ± 68 BP soit entre 3302 et 2880 av. J.-C. (pics de probabilité : -3023, -2994, -2928 (...)

62Enfin, à 50 mètres environ à l’amont de la cabane 75, hors habitat, un lit de charbons daté des alentours de 3000 avant J.-C. atteste, grâce à l’anthracologie, une pratique de déforestation de la pinède par brûlage, presque à la même époque25.

63Rien n’assure, à vrai dire, qu’il s’agisse bien d’implantations pastorales. Faute d’analyses sédimentologiques, une telle interprétation peut néanmoins s’appuyer sur deux éléments : l’absence de mobilier archéologique, d’une part, qui inscrirait ces sites dans la longue tradition -- postérieure -- des établissements d’estive, et, d’autre part, une bonne cohérence avec la chronologie des premiers indices d’anthropisation recueillis par la palynologie. De très faibles marques d’ouverture à la fin du 5e millénaire, l’apparition du plantain lancéolé vers 3500 avant J.-C., une petite diminution du pin, à haute altitude, vers - 3300, puis une déforestation par brûlage contemporaine de celle enregistrée par l’archéologie, vers - 2900, retracent ici, telles des pulsations extrêmement ténues d’abord mais qui s’amplifient pour culminer au néolithique final, les premières transformations par l’homme des milieux d’altitude.

64Avec des dates qui s’échelonnent pour ainsi dire régulièrement sur un peu plus d’un millénaire, les sites 49 et 75 semblent, à eux deux, scander cette progression. Mais que signifient, en réalité, ces occupations insistantes à la marge haute, cette fois, de la montagne ?

Essence et naissance d’une structure ?

65Installés sur un versant secondaire entre 2 300 et 2 350 mètres, les deux sites de La Padrilla ne rentrent pas, à proprement parler, dans le domaine des crêtes. Celles-ci les dominent encore de 300 mètres, laissant entre elles et eux 200 hectares de pelouse de soulane dans lesquels il faut reconnaître, à quelques nuances près, les étendues naturellement asylvatiques d’il y a 6 000 ans. Le brûlage enregistré sur le replat même de la cabane 75 au tournant des 4e et 3e millénaires montre clairement que les premiers abris 75 et 49 ont été installés dans des clairières ou des échancrures ouvertes en deçà de la limite supérieure de la forêt qui se situe à 2 400 mètres d’altitude. Les charbons, en effet, ne peuvent qu’être en place ou provenir de l’amont. À la rencontre de deux unités géographiques et de deux environnements tranchés, les sites 49 et 75 paraissent ainsi marquer, durant mille ans, une sorte de front lâche d’anthropisation entre pelouse naturelle et pinède.

66Comment comprendre de telles implantations ? Les sites de La Padrilla sont peut-être, à cette époque, les plus hauts du versant. Cependant, la préférence des moutons pour les espaces ouverts et l’insécurité que représente pour eux un parcage en zone boisée suggèrent une deuxième hypothèse qui consisterait à considérer comme une position seconde ces installations en front forestier. Assiste-t-on alors, durant ce quatrième millénaire, à la naissance de l’estivage ou simplement au franchissement d’un seuil au-delà duquel la présence des troupeaux deviendrait sensible ? Examinons en termes de transition -- par rapport à l’amont et l’aval de l’espace et du temps -- cette position limitrophe si particulière de La Padrilla.

67Archéologiquement, les traces d’habitat sont rares sur la haute soulane mais attestées. Il faut en mentionner deux, sur les étendues du Ras del Cucut, à 2 460 et 2 490 mètres, qui -- indatables bien sûr en surface -- montrent seulement que cette zone asylvatique connut des installations d’abris légers contre des rochers, tels qu’on les rencontre du néolithique au Moyen Âge. On sait par ailleurs que dans un paysage naturellement ouvert, la présence de petits effectifs ovins risque fort, au regard des sciences de l’environnement, de passer inaperçue. Un estivage de moutons sur les pelouses d’altitude est donc concevable antérieurement aux premières occupations archéologiques actuellement reconnues et aux premiers indices d’anthropisation. Mais envisager deux hauteurs de sites exploitant simultanément deux environnements différents est aussi possible. À côté d’une hypothèse selon laquelle les premiers impacts anthropiques enregistrés seraient le résultat d’une augmentation de la charge pastorale et d’une affirmation des parcours dans la pinède, le schéma qui consisterait à voir dans ces sites de la frange forestière et dans les transformations qu’ils amorcent la marque d’un seuil qualitatif ne saurait être négligé. Il évoque alors en filigrane la question d’un démarrage ou d’un développement, au néolithique moyen, d’un estivage des bovins [Vigne 1991 : 447-449].

68La proposition sera peut-être vérifiable. Retenons pour l’instant la double nature du modèle qui répondrait au partage implicitement contenu dans ces sites de La Padrilla.

69Dans le temps, tout d’abord, cette dualité laisserait se profiler, en point aveugle, une occupation des hautes surfaces asylvatiques au néolithique ancien, mais dont il faut trouver les preuves. Non loin de la Cerdagne, les fréquentations des grottes de l’étage montagnard -- Dourgne, dans la haute vallée de l’Aude (711 m d’altitude), et surtout La Balma de la Margineda, en Andorre (970 m) -- incitaient déjà à supposer ces estivages et posaient la question, toujours épineuse, de l’amplitude annuelle des déplacements des troupeaux [Guilaine ed. 1993 ; Guilaine et Martzluff, eds. 1995 ; Vaquer 1993]. Il n’est guère plus facile, depuis les crêtes, d’identifier les lieux d’hivernage. Du moins la chronologie qui se met en place sur les sommets contribue-t-elle à opposer à la vieille idée d’une colonisation exclusivement pastorale du massif, impliquant nomadisme ou grande transhumance (d’origine extra-valléenne), l’antériorité ou la simultanéité des traces d’occupation agricole de la plaine de Cerdagne [Davasse, Galop et Rendu op. cit. ; Galop 1998 ; Rendu et al. 1996]. L’estivage, à sa naissance, ne semble pas dissociable d’une néolithisation locale dont on sait, depuis les fouilles de la Margineda, qu’elle n’aurait pas « connu de retard sensible », dans ces Pyrénées de l’Est, par rapport à celle des zones côtières [Guilaine 1995 : 264].

70Dans l’espace, l’hypothèse d’une division des hautes surfaces d’aplanissement en deux terroirs pastoraux trouverait, à Maurà et La Padrilla, un écho tout au long de l’histoire. Les fluctuations selon les époques des frontières entre parcours -- à vaches, à brebis laitières, à ovins non laitiers, etc. -- montrent de fait qu’une limite, ici encore, oscille avec le temps, qui aménage et départage les ressources en fonction des milieux, des espèces, des configurations sociales et des productions.

71Si rien ou presque ne peut être dit sur les parcours autour des sites, un constat, en revanche, s’impose avec force : dès sa naissance, ce pastoralisme montagnard s’étend jusqu’au sommet du versant, prend possession de toute l’amplitude de la montagne. Dans cette montée a dalt de tot (en haut de tout), diraient les bergers d’aujourd’hui, se lit déjà ce qui forme le coeur de l’estivage, envisagé à la fois comme une pratique et comme une structure sociale : un jeu sur l’étagement des ressources entre le haut et le bas, un compromis entre la fixation des territoires et l’emprise mouvante et temporaire des troupeaux, les multiples transitions -- de la complémentarité à l’antinomie -- entre la pelouse et la forêt, l’opposition, dans la forme des parcours, entre la ligne et la surface -- entre l’extensif et l’intensif --, le partage, enfin, quoiqu’un peu plus tard peut-être, entre espèces animales. Mais dans cette montée a dalt de tot se lit autre chose encore que la complexité initiale de cette relation à l’espace. Entre nature et culture, ce que la présence des troupeaux sur les crêtes dessine aussi, mais en creux cette fois, c’est ce très subtil dosage entre l’instinct des bêtes et l’autorité des hommes, qui fonde précisément la domestication. Car si le propre d’un bon berger, dit-on, est de conduire le troupeau en fonction de « l’envie » des bêtes, de savoir, sans les contrarier et avec justesse, à la fois les suivre et les diriger selon les ressources du terrain, de partager en fait une même faculté d’appréciation, au sens gustatif du terme, le propre des bêtes, en été, à la montagne, c’est de monter. L’existence des cabanes au sommet des versants ne refléterait-elle que cette connaissance et cette construction conjointe des troupeaux et des espaces dans un même procès de domestication [Digard 1990], elle suffirait à montrer la complexité initiale, ici aussi, d’une structure et des relations mises en jeu.

72Que l’on ne se méprenne pas, toutefois, sur ce qui s’avère ainsi présent dès l’origine. Ce n’est ni une configuration particulière et rigide de l’estivage -- la permanence des formes à laquelle on croyait naguère -- ni un noyau primitif que le nettoyage des scories accumulées par l’histoire restituerait dans sa vérité première. La pertinence de la longue durée ne réside pas dans l’approche d’une structure -- toute démarche synchronique saurait la mettre au jour -- mais dans l’observation des transformations de cette structure avec le temps. Que le haut et le bas, la conduite et l’errance, la ligne et la surface, la pelouse et la forêt soient des polarités reconnues comme effectives dès la naissance de l’estivage ne révèle rien d’autre que l’existence, déjà, tout à la fois des relations qui le fondent et des tensions qui le mettent en mouvement. Indissociables, ces oppositions binaires sont précisément celles qui conduiront la pratique, au long de son histoire, à de permanents réajustements, à de permanentes redéfinitions.

73Ne se donnant à lire qu’à travers les choix que l’histoire opère, la structure de l’estivage ne peut être appréhendée, à chaque époque de cette longue durée, ni sous les mêmes angles ni aux mêmes échelles. Qu’y a-t-il de commun entre la complexité du jeu social que rend perceptible l’évolution des sites médiévaux et modernes, et cette trame fantôme des premières fréquentations pastorales qu’il faut essayer de rebâtir sur le témoignage incertain de minuscules fragments ? Peu de choses, certes, mais l’espace. C’est donc dans les continuités et les césures des territoires, dans les affinités et les oppositions des lieux, dans ces seuils et ces marges autour desquels leur sens bascule, qu’il faut chercher les points d’inflexion d’une histoire de l’estivage. La pertinence de l’archéologie, face à ces questions, réside sans doute dans sa capacité à approfondir ce « lien au lieu » [Moreno et Poggi 1998 : 152] dans la durée. On saisit, à cet égard, toutes les limites de l’approche menée ici. La compréhension des logiques des parcours, de leurs transformations à travers le temps, nécessite, dans le périmètre des sites, des analyses plus nombreuses, un croisement plus serré des données, une perception plus fine des ressources, des espèces animales peut-être et de la genèse des sols. Elle requiert aussi, dans le champ de l’ethnologie, la constitution d’une véritable « grammaire », précise et nuancée, des modes de conduite des troupeaux selon les milieux et les productions : autrement dit, des « façons pastorales ». Mais, au bout du compte, cette aptitude à localiser et à qualifier, à rappeler aussi la prégnance des choses, montre qu’entre une longue histoire des paysages et une courte histoire des sociétés, la longue durée, dont l’ambition n’est que de dialoguer au mieux avec l’instant, constitue une échelle légitime pour une histoire sociale de l’espace et de ses pratiques. Inégale en effet, malaisée, cette perspective temporelle est difficile à maîtriser mais elle offre l’avantage d’être finie. Or c’est en s’éclairant mutuellement que les différentes périodes peuvent révéler leur personnalité et leur véritable dimension, montrer ce que toutes partagent et ce que chacune transforme d’un même espace et d’une même structure.

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Notes

1 Arxiu Historic Comarcal de Puigcerdà (AHCP), Regestrum Baroniae Salteguel, fol. 277 et suivantes.

2 Accords de dépaissance entre communautés villageoises ou valléennes voisines.

3 Unité topographique.

4 Ces questions de complémentarité et de croisement des sources, ainsi que les modélisations graphiques des différentes étapes de l’anthropisation de la montagne d’Enveig ont été développées dans B. Davasse, D. Galop et C. Rendu [1997].

5 Pour une première approche, chronologique, de ces discordances : C. Rendu et al. [1999].

6 L’effet de l’altitude se double, sur ce panneau que G. Soutadé a baptisé « Carlit des mouillères », d’un empâtement des fonds de cuvette favorable à un blocage de la forêt à la limite inférieure des grands plas sommitaux [Soutadé 1980 : 223].

7 Dissocié du reste de la montagne d’Enveig dès le XIIe siècle, lorsque les moines cisterciens de Santes Creus y acquièrent des droits, le « port de Maurà » (avec le secteur de La Padrilla) possède, au XVe siècle, une tradition de quartier de transhumance vieille d’au moins trois siècles.

8 Pour le détail des mesures et la discussion des datations au radiocarbone, voir C. Rendu et al. [1999].

9 Maurà 16 est abandonné, La Padrilla 42 reconverti pour un troupeau ovin non laitier.

10 Placé avant le nom ou le surnom du fondateur ou du propriétaire de la maison, cal, « contraction de casa del » [Alcover et Moll 1930-1962], est à peu près l’équivalent de « chez ».

11 La lecture du livre de B. Cursente, Des maisons et des hommes, a apporté un éclairage décisif à la compréhension des données issues de la montagne d’Enveig.

12 Les XVIIe et XVIIIe siècles marqueront une emprise de plus en plus affirmée de quelques maisons dominantes sur les pâturages. Une approche diachronique des criées seigneuriales montre que la règle de la proportionnalité entre bêtes admises aux estives et terres arables remplace peu à peu une répartition « égalitaire » qui accordait à chaque capmas (grande maison) un même nombre de têtes. À Enveig même, dans les années 1730, un jugement fera jurisprudence pour la Province du Roussillon, qui permettra au seigneur de restreindre les troupeaux des usagers.

13 Celui-ci, toutefois, prend place dans un contexte plus général de spécialisation des espaces, notamment des espaces forestiers [Davasse 2000 ; Fruhauf 1980].

14 Le terme désigne ici de grandes pâtures irriguées et encloses, situées au bord des torrents, à la limite supérieure des terroirs agricoles.

15 Archives départementales des Pyrénées-Orientales, 7 J 58.

16 AHCP, Baronia d’Enveig-Capbreu, 1623.

17 Le meilleur exemple en est la boiga du seigneur lui-même, qui apparaît dans l’un des confronts et se trouve qualifiée de hereditaria.

18 Tout en gardant à l’esprit ce qui sépare les deux cas de figure, on ne peut s’empêcher de penser à la structure des manses montagnards que décrit A. Durand pour le Languedoc [1998 : 301-325].

19 Cette analyse rejoint celle de J.-J. Larrea [1990]. Elle n’exclut pas, par ailleurs, une interprétation de l’exploitation à l’Orri d’en Corbill comme le signe d’un premier frémissement de la croissance [Salrach 1989], mais qui se produirait en conservant les mêmes cadres, très extensifs, d’une agriculture en grande partie itinérante.

20 Ly-8223 : 3810 ± 55 BP soit entre 2435 et 2057 av. J.-C. (pics de probabilité : -2272, -2253, -2203).

21 Ly-7541 : 5290 ± 60 BP soit entre 4287 et 3985 av. J.-C. (pics de probabilité : -4204, -4125, -4053).

22 Gif-A99606 : 4680 ± 80 BP soit entre 3643 et 3136 av. J.-C. (pics de probabilité : -3501, -3431, -3379).

23 Ly-7496 : 4950 ± 50 BP soit entre 3903 et 3651 av. J.-C. (pics de probabilité : -3749, -3707).

24 Ly-7064 : 4550 ± 60 BP soit entre 3473 et 3051 av. J.-C. (pics de probabilité : -3339, -3269, -3209, -3149).

25 Ly-6242 : 4370 ± 68 BP soit entre 3302 et 2880 av. J.-C. (pics de probabilité : -3023, -2994, -2928, -3070).

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Pour citer cet article

Référence papier

Christine Rendu, « Fouiller des cabanes de bergers : pour quoi faire ? »Études rurales, 153-154 | 2000, 151-176.

Référence électronique

Christine Rendu, « Fouiller des cabanes de bergers : pour quoi faire ? »Études rurales [En ligne], 153-154 | 2000, mis en ligne le 13 décembre 2016, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesrurales/9 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesrurales.9

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