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Voyager, se loger, découvrir ou redécouvrir

Les étapes de l'itinéraire d'Azorín dans La ruta de don Quijote (1905) : la Mancha entre passé, présent et fiction littéraire

Adelaïde Pestano y Viñas
p. 443-467

Résumés

Dans ce récit de voyage pourtant élaboré et publié au fur et à mesure du déplacement, La Manche donnée à voir au lecteur n’est pas celle que parcourt Azorín, mais une Manche vue au travers du double filtre du passé historique de la région et du Quichotte. Azorín dépasse en effet très vite le but officiel de son voyage, qui était de retrouver et de décrire les lieux témoins des aventures de don Quichotte, pour montrer ce qu’ils sont devenus trois cents ans plus tard ; il fait ainsi de son voyage un périple dominé par la nostalgie pour un Siècle d’Or révolu synonyme de temps meilleurs.

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Entrées d’index

Index géographique :

Espagne, Manche

Index chronologique :

XXe
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Texte intégral

  • 1 L’initiative en revient à Mariano de Cavia, qui, dans un article paru dans El Imparcial le 2 déce (...)
  • 2 Pour cette raison, l’année 1905 est marquée par une intense activité intellectuelle autour du rom (...)

1La ruta de don Quijote est une œuvre de commande. Envoyé par El Imparcial – désireux de commémorer1 de façon originale le tricentenaire de la publication de la première partie de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche2 (1605) – accomplir un pèlerinage dans La Manche sur les principaux lieux supposés de l’action du roman de Miguel de Cervantès, Azorín, depuis les endroits qu’il visite, expédie ponctuellement quinze articles que le quotidien publie entre le 4 et le 25 mars 1905.

2Ce récit de voyage aurait donc pu n’être qu’un simple recueil d’arti-cles journalistiques comme il y en avait tant à l’époque. Au lieu de cela, il s’agit d’un récit à l’ordonnance rigoureuse. Très certainement, l’auteur l’a écrit dès le départ en vue de la publication définitive en volume, c’est-à-dire avec un plan d’ensemble nettement tracé, car les modifications destinées à faciliter le passage des articles de journal au livre sont pratiquement inexistantes. Elles concernent des détails typographiques (emploi ou suppression de majuscules et d’italiques) ou stylistiques (remplacement d’un adjectif par un autre, allégement d’une construction grammaticale). L’essentiel – la progression du récit, la succession des différents chapitres en vue de créer un tout cohérent – figure dès l’origine dans les articles. Aucune modification n’a été opérée au niveau de la structure d’ensemble, que ce soit par suppression, addition ou déplacement de passages.

  • 3 « Yo voy a recorrer brevemente los lugares que él recorriera ». Azorín, La ruta de don Quijote, i (...)

3La ruta de don Quijote est un récit construit en fonction d’une double temporalité : celle des déplacements de l’écrivain et celle du rapport entre présent et passé, dessinée par la référence à L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche. Du coup, le texte entre dans la catégorie « voyage sur les pas de... », et en effet Azorín, partant sur les traces de don Quichotte, affirme être désireux de « parcourir brièvement les endroits qu’il avait parcourus »3. En réalité, il ne refait que certaines étapes du parcours du personnage cervantin au cœur de La Manche. Et ces étapes vont donner matière à une comparaison incessante entre la contrée parcourue par l’auteur et cette même contrée telle qu’elle était au XVIIe siècle, comparaison loin d’être flatteuse pour La Manche de 1905, qui apparaît, à la lueur de sa prospérité passée, comme une région en pleine décadence économique.

4Mais La Manche de La ruta de don Quijote n’est pas seulement vue au travers de la nostalgie de l’écrivain pour un Siècle d’Or révolu synonyme de temps meilleurs : elle l’est également au travers du roman de Miguel de Cervantès. Car son voyage, Azorín ne l’effectue pas seul : présent directement (au travers des fantasmagories de notre auteur) ou indirectement (par le biais des lieux théâtres de ses aventures, ou qui auraient pu être tels) dans le texte, don Quichotte se transforme peu à peu, au fur et à mesure qu’il “contamine” notre écrivain, en deuxième protagoniste de l’ouvrage.

  • 4 « L’éminent écrivain Azorín collabore à partir d’aujourd’hui dans les colonnes dEl Imparcial. Il (...)

5La pérégrination d’Azorín est présentée officiellement – par le titre même du récit de voyage et la brève introduction en italique qui précédait, dans le journal, le premier article4 – comme une reconstitution de l’itinéraire suivi par don Quichotte au cours de son odyssée manchega ; mais la lecture attentive du texte révèle que l’auteur n’a pas respecté ce projet initial.

  • 5 Texte de référence : Miguel de Cervantès, El ingenioso hidalgo don Quijote de La Mancha, T. I, Ma (...)
  • 6 Ibidem, 1e partie, chapitre XX.
  • 7 Ibidem, 2e partie, chapitres XXII et XXIII.
  • 8 Ibidem, 1e partie, chapitre VIII.
  • 9 Ibidem, 2e partie, chapitres IX et X.

6En effet, cinq épisodes seulement des aventures survenues dans La Manche au héros de Miguel de Cervantès se voient sélectionnés par notre écrivain pour fournir la matière de son périple : l’adoubement de don Quichotte dans une auberge5, la nuit d’angoisse due au bruit des moulins à foulons6, l’exploration de la grotte de Montesinos7, le combat contre les moulins à vent8 et la recherche infructueuse de la demeure de Dulcinée à El Toboso9.

7Pourquoi précisément ceux-là ? Serait-ce parce qu’ils sont les plus significatifs aux yeux de l’écrivain ? Peut-être, dans la mesure où ils illustrent tous quelques-uns des thèmes principaux du roman de Miguel de Cervantès, à savoir la folie, la déformation de la réalité qu’elle entraîne, les efforts du protagoniste pour imposer comme réelle cette vision déformée, et l’échec qu’il connaît systématiquement. Une autre hypothèse serait de considérer qu’Azorín a choisi les épisodes immortalisés par la tradition, la culture populaire, ceux qui font partie de ces images que tout le monde a présentes à l’esprit dès qu’il est question de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche, et ce sans l’avoir forcément lu.

  • 10 Alors considérée par la critique littéraire comme le village de don Quichotte, sur la foi des poè (...)
  • 11 Une Manche bien réduite, puisque tous les lieux où se rend Azorín se trouvent dans la province de (...)

8Enfin, une dernière possibilité serait d’attribuer la sélection des épisodes aux impératifs géographiques. Le temps limité et les modestes ressources dont il disposait ont dû en effet obliger très certainement l’auteur à choisir non seulement les lieux et les choses (moulins à vent ou à foulons) qui existaient encore à son époque (et ceci en tenant compte du fait que Miguel de Cervantès a écrit une fiction littéraire et que, même s’il connaissait bien La Manche, il n’y a pas forcément correspondance entre la géographie de son livre et la géographie réelle), mais encore ceux qui étaient les plus proches de sa base d’opérations, Argamasilla de Alba10 ; contrairement à don Quichotte, il ne pouvait se permettre de vagabonder de-ci de-là dans La Manche. Ceci expliquerait d’une part le périmètre réduit du territoire par lui exploré (la plus grande distance couverte par l’écrivain est celle séparant Madrid-Argamasilla : 178 km ; une fois dans La Manche11, il ne se déplacera jamais à plus de 45 km d’Argamasilla), et d’autre part la délocalisation subie par certains des lieux (l’auberge, les moulins à foulons) décrits par Miguel de Cervantès.

9À ce nombre réduit d’épisodes vient s’ajouter le fait que ceux-ci ne sont pas présentés dans le même ordre que dans L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche. Les sorties que fait Azorín hors d’Argamasilla, et qui semblent être, comme dans le roman de Cervantès, au nombre de trois, ne reproduisent pas celles effectuées par don Quichotte. Notre auteur ne voit pas en effet les mêmes choses que son modèle au cours de ces sorties, l’itinéraire suivi par le héros cervantin ayant été radicalement modifié pour éviter ses tours et détours. Du coup, alors que la succession des épisodes proposée dans L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche est :

10– auberge (1ère sortie)

– moulins à vent, moulins à foulons (2ème sortie)

– demeure de Dulcinée, grotte de Montesinos (3ème sortie)

celle qui figure dans le récit de voyage se trouve être :

– auberge (1ère sortie)

– moulins à foulons, grotte de Montesinos (2ème sortie)

– moulins à vent, demeure de Dulcinée (3ème sortie).

11Mais il y a plus. De façon évidente, l’écrivain a substitué au but officiel de son voyage, qui était de retrouver les lieux et les édifices témoins de certaines des aventures manchegas de don Quichotte, le désir de montrer ce que ces lieux et ces édifices étaient devenus trois cents ans plus tard. La Manche de 1905 est ainsi constamment vue, comme le démontre l’étude du parcours d’Azorín, à travers un filtre qui est celui de La Manche de 1605, évoquée par la culture de l’auteur.

12La première sortie a lieu au chapitre VII, « La primera salida », dont l’intitulé reprend une partie de celui du chapitre II de la 1ère partie de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche.

13Auparavant, La ruta de don Quijote ne nous avait présenté qu’un chapitre introductif, « La partida », qui, contrairement à ce que son titre pouvait laisser présager, n’avait pas constitué le récit du départ de Madrid d’Azorín, mais l’annonce de ce départ à la logeuse de l’écrivain. C’était avec le deuxième chapitre, « En marcha », que le récit de voyage avait vraiment commencé, puisque l’on y avait vu le déplacement d’Azorín, en train, de Madrid à Argamasilla de Alba. Les quatre chapitres suivants s’étaient déroulés à Argamasilla de Alba. Ils présentaient le lieu et la vie que l’on y menait, et dépeignaient les individus que l’on y côtoyait.

  • 12 Près de Puerto-Lápiche a lieu un tout autre épisode de l’ouvrage : celui où, aux chapitres VIII e (...)
  • 13 Tout comme pour le village de don Quichotte, la critique littéraire est divisée quant à la locali (...)

14Le chapitre VII narre, pour sa part, le déplacement de l’auteur d’Argamasilla à Puerto Lápiche, où se trouverait l’auberge censée être celle où don Quichotte fit sa veillée d’armes une nuit durant pour pouvoir être adoubé chevalier. La visite de l’écrivain à cet endroit est relatée dans le chapitre VIII, « La venta de Puerto Lápiche ». La première constatation est que l’auberge a été délocalisée : d’après le roman, elle se trouverait en effet à une lieue du village de don Quichotte, or notre écrivain, avons-nous dit, va la visiter à Puerto-Lápiche, à 44 km d’Argamasilla12. Pourquoi cette délocalisation ? Très certainement parce que, en supposant que l’auberge ait jamais existé, il ne devait plus en rester trace, trois cents ans après, à son emplacement d’origine13, tandis qu’à Puerto-Lápiche il y en avait une du XVIIIe siècle que la tradition considérait comme celle où don Quichotte avait été adoubé (c’est aujourd’hui un restaurant). Quand bien même Azorín ne l’aurait pas su, dans la mesure où Puerto-Lápiche, au XVIIe siècle, disposait de plusieurs auberges situées autour du chemin royal allant de Villarta de San Juan à Tolède, il était plus aisé pour lui d’y trouver des restes de ce type de construction que dans une autre ville.

15Dans L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche, l’auberge est sommairement décrite comme un édifice situé en rase campagne, comprenant une cour, un puits et un bassin. En 1905, la bâtisse que notre auteur donne pour équivalent n’est plus qu’un ensemble de ruines semées sur un terrain vague :

  • 14 « La venta está situada a la salida del pueblo ; casi las postreras casas tocan con ella. Mas yo (...)

L’auberge est située à la sortie du village ; elle est presque contiguë aux dernières maisons. Mais je suis en train de parler comme si l’auberge en question existait réellement, et l’auberge en question, ami lecteur, n’existe pas. Il y a, cela oui, un grand espace plat où croissent des plantes sauvages. J’examine le terrain où se trouvait l’auberge ; le fin empierrement de la cour intérieure est encore bien conservé, par endroits ; un trou étroit indique ce qu’il subsiste du puits ; un autre trou plus vaste marque l’entrée de la cave ou du cellier. Et au fond, crevassés, lézardés, quatre murs rougeâtres, qui forment un espace rectangulaire, sans toit, les restes de l’ancien pailler, demeurent debout. Cette auberge était spacieuse, immense ; aujourd’hui, le terrain mesure plus de cent soixante mètres carrés. Placée en haut du col, frôlant la large route, ses cours intérieures, ses chambres, son vestibule, sa cuisine, devaient regorger à toute heure de voyageurs de toutes sortes et de toutes conditions ; d’un côté du col s’ouvre le territoire de Tolède ; de l’autre, la région de La Manche. Le large chemin allait tout droit d’Argamasilla à l’auberge.14

16Malgré sa situation des plus stratégiques, à la frontière de deux territoires, celui de Tolède et celui de La Manche, en position dominante « en haut du col, à la sortie du village », et face à la route – ce qui la rend visible de loin et en fait tout naturellement le lieu vers lequel convergent tous les voyageurs – l’auberge, comme sans doute ses pareilles, n’a pas survécu à la disparition de ce qui la faisait vivre : la circulation des voyageurs. Cette construction « spacieuse, immense », conçue pour héberger de nombreuses personnes, n’avait plus, en effet, de raison d’être lorsque cette zone jusque-là fréquentée cessa de l’être du fait du dépérissement du commerce local et du déplacement consécutif des zones d’activité, qui draina vers d’autres lieux la main-d’œuvre et les richesses qui transitaient par là.

17Le retour à Argamasilla est passé sous silence ; ce n’est que par des allusions faites au chapitre IX, « Camino de Ruidera », que l’on comprend qu’il a eu lieu, et a été suivi de l’expédition d’Argamasilla à Ruidera, qui constitue donc la deuxième sortie de l’auteur, et qui est centrée sur les moulins à foulons et la grotte de Montesinos.

  • 15 Là encore, les chercheurs ne s’accordent pas sur leur localisation : Rupert Croft-Cooke opte pour (...)
  • 16 Argument non négligeable quand l’on sait qu’il est allé à Ruidera en chariot, et qu’il lui a fall (...)

18Le chapitre IX relate l’inspection faite par l’écrivain de moulins à foulons semblables à ceux qui avaient si fort effrayé une nuit don Quichotte et son écuyer. Ces moulins ont, comme l’auberge, subi une délocalisation : les indications de Miguel de Cervantès permettent en effet de les situer près de Miguelturra (à 5 km de Ciudad Real) ; or ceux qu’Azorín visite se trouvent au cœur des lagunes de Ruidera, à 103 km de là15. Pourquoi ce changement ? Parce qu’il n’y avait peut-être plus de moulins à foulons du côté de Miguelturra en 1905, ou parce que Ruidera était plus proche d’Argamasilla que Miguelturra, ou encore, plus simplement, parce que dans les lagunes de Ruidera se trouvait aussi la grotte de Montesinos et que cela permettait à l’auteur de regrouper ses déplacements16.

19Dans l’ouvrage de Miguel de Cervantès, les moulins à foulons, au nombre de six, sont à l’intérieur de maisonnettes en ruine situées dans un pré, au pied d’une cascade. Ceux que notre écrivain découvre sont au nombre de huit et leur situation est la même, à ceci près que, du temps du héros cervantin, ces moulins connaissaient une activité incessante, alors qu’en 1905 celle-ci n’est plus que sporadique. Comme l’auberge en ruines, les moulins à foulons silencieux sont le symbole de La Manche ruinée, de temps prospères à jamais révolus.

  • 17 « hasta hace poco trabajaban catorce o dieciséis en la vega. “Ahora me dice el dueño de los úni (...)

Jusqu’à une époque récente, quatorze ou seize [moulins] travaillaient dans la vallée. « Maintenant, – me dit le propriétaire des seuls à travailler encore – avec deux seulement, cela suffit ». Et les draps de Daimiel, de Villarobledo, de La Solana, de La Alhambra, d’Infantes, d’Argamasilla, y viennent ; les moulins connaissent leur plus grande activité lorsqu’a lieu la tonte des troupeaux ; puis, le reste de l’année, ils connaissent un profond repos, tandis que l’eau tombe inactive dans les profondeurs de la cascade et que les pies et les aigles planent au-dessus d’eux dans les hauteurs.17

  • 18 Le déclin des moulins à foulons en Castille résulte de l’introduction massive sur le marché casti (...)

20C’est une activité en sursis que décrit là Azorín, en rapide déclin, limitée dans l’année à quelques mois, et dont l’on peut supposer qu’elle ne va pas tarder à prendre fin. Elle est, en effet, alimentée par la production des villages, chaque jour moins nombreux, restés fidèles à un mode de foulage traditionnel des tissus de laine et disposant d’une clientèle à qui le proposer. Le jour où celle-ci se laissera conquérir par des procédés de foulage industriels effectués par des machines modernes plus rapides qui, grâce à la mécanisation et à l’automatisation des tâches, permettent de produire à plus grande échelle, les moulins à foulons s’arrêteront définitivement18.

  • 19 Pour Rupert Croft-Cooke, la grotte se trouve près de Ossa de Montiel. Ramón Serrano Vicens, parta (...)
  • 20 « descubrimos una excavación somera, abierta en tierra roja ». Azorín, La ruta de don Quijote…., (...)
  • 21 « ahora, en la peña lisa, se enrosca una parra desnuda ». Ibidem.

21Par comparaison, la situation de la grotte est des plus enviables. L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche la situe à deux lieues de Ruidera19, c’est là aussi que va notre auteur, dont le voyage de Ruidera à Montesinos est rapporté au chapitre X, « La cueva de Montesinos ». Dans le roman, don Quichotte, qui s’est laissé descendre encordé dans la grotte, s’y endort, selon toute vraisemblance, et rêve qu’il entre dans un palais habité par Montesinos, son ami Durandarte, la fiancée de celui-ci, Belerma, et d’autres personnages encore, dont Dulcinée, tous victimes d’un enchantement de Merlin survenu cinq cents ans plus tôt. Lorsque l’écrivain y pénètre à son tour, la caverne se présente sous la forme d’« une excavation sommaire, ouverte dans une terre rouge »20, dont l’entrée, loin d’être encombrée par une végétation touffue, est agrémentée d’« une treille nue », enroulée en spirale autour de « la roche lisse »21. De même, il n’y a plus de corbeaux, de craves, ni de chauve-souris qui s’en échappent, et il n’est plus nécessaire de s’y laisser glisser au bout d’une corde, car le sol descend en pente douce. Enfin, au lieu d’abriter des palais enchantés et des personnages de légende, elle ne renferme que des eaux stagnantes procédant d’un courant qui aboutit aux lagunes de Ruidera :

  • 22 « La atmósfera es densa, pesada ; se oye de rato en rato en el silencio un gotear pausado, lento, (...)

L’atmosphère est dense, pesante ; l’on entend de temps en temps dans le silence un dégouttement posé, lent, d’eau qui tombe du toit. Et au fond, en bas, dans les limites de l’enceinte spacieuse, parmi des crevasses béantes, apparaît une eau muette, une eau noire, une eau profonde, une eau immobile, une eau mystérieuse, une eau millénaire, une eau aveugle qui fait un bruit sourd indéfinissable – de menace et de lamentation – lorsque nous y jetons quelques cailloux. Et c’est là, en ces eaux qui reposent éternellement, dans les ténèbres, loin du ciel bleu, loin des nuages amis des étangs, loin des menus lits de pierres blanches, loin des jonchaies, loin des peupliers vaniteux qui se regardent dans les courants ; et c’est là, en ces eaux sinistres, maudites, que consiste toute la suggestion, toute la poésie perturbatrice de cette grotte de Montesinos...22

22Le silence absolu qui règne dans les lieux, à peine interrompu par le bruit monotone et régulier de l’eau qui tombe goutte à goutte de la voûte dans la nappe phréatique, l’air raréfié que l’on y respire, l’humidité et le froid qui y règnent, contribuent à créer une atmosphère angoissante. Ce lac souterrain, qui aurait naturellement sa place dans un paysage riant, un locus amoenus, se voit arbitrairement séparé – comme le souligne la construction lejos de + nom, cinq fois répétée – de tous les éléments qui composent ce cadre harmonieux (l’air libre, le soleil, la lumière, la végétation) et devient, de symbole de vie, symbole de mort. Ces eaux « qui reposent éternellement, dans les ténèbres », et qu’Azorín qualifie au moyen d’adjectifs connotant les idées de mort (« silencieuse », « noire », « profonde », « immobile », « aveugle »), d’étrangeté (« mystérieuse »), de peur (« sinistres », « maudites ») ou d’ancienneté (« millénaire »), constituent en effet un tombeau qui semble être là depuis toujours et qui, malgré les visites dont il a fait l’objet, a su garder son secret.

  • 23 « Cuando nosotros hemos salido a la luz del día, hemos respirado ampliamente. [...] Invade el esp (...)

23La grotte, telle que la présente l’auteur, est un endroit coupé de la vie et du monde ; un endroit qui donne au visiteur un avant-goût de l’éternité. C’est pourquoi il est si difficile à l’écrivain, quand il en ressort, de se réhabituer à la surface : « Lorsque nous sommes sortis à l’air libre, nous avons respiré amplement. [...] Une sensation de stupeur, d’anéantissement, de non-être, envahit notre esprit »23.

  • 24 « otras mansiones subterráneas más hondas y temibles ». Ibidem, p. 289.
  • 25 Cette association a sans doute été inspirée à l’auteur par le Handbook for travellers in Spain (1 (...)
  • 26 « Y estas dolorosas remembranzas son la lección que sacamos de la cueva de Montesinos ». Azorín, (...)

24Chez Miguel de Cervantès, la caverne symbolisait l’affirmation du rêve sur la réalité : don Quichotte la peuplait d’un monde tout droit sorti de son imaginaire livresque, monde qui l’empêchait de la voir telle qu’elle était réellement ; chez notre écrivain, la grotte représente au contraire la victoire du réel sur l’imaginaire : loin de lui suggérer la vision de lieux enchantés, la caverne, cet endroit lugubre, le fait penser à « d’autres demeures souterraines plus profondes et terribles »24, coupées du monde elles aussi, et où souffre, de surcroît, une humanité en danger de mort permanent : les mines25. Ce lieu hors de l’espace et du temps qu’est la grotte se voit doté de la sorte d’une dimension didactico-morale : ainsi que le souligne Azorín, il rappelle aux hommes la situation vécue par d’autres hommes et s’élève de ce fait au rang d’enseignement édifiant : « Et ces souvenirs douloureux [les mines] sont la leçon que nous tirons de la grotte de Montesinos »26, dit-il en quittant l’endroit.

25Encore une fois, le retour à Argamasilla est escamoté. Le chapitre suivant, « Los molinos de viento » (ch. XI), décrit le nouveau trajet effectué par Azorín sur les traces de don Quichotte : le voyage d’Argamasilla à Campo de Criptana. Il s’agit de la troisième sortie de l’auteur, et elle va le mettre au contact des moulins à vent et de la demeure de Dulcinée à El Toboso.

  • 27 Jesús Muñoz Romero, dans La única y verdadera ruta..., pense pour sa part que les deux premières (...)

26Les premiers, invention hollandaise destinée à remplacer les moulins à eau dans cette zone à courants irréguliers qu’est La Manche (en arabe manxa signifie terre sèche), y avaient été implantés en 1575, dit Azorín, citant le Handbook for travellers in Spain (1845), de Richard Ford ; au début, l’on n’en trouvait qu’à Campo de Criptana, à 39 km d’Argamasilla, puis ils ont fait leur apparition dans d’autres localités. C’était, en effet, une invention des plus utiles qui, en augmentant la production de farine, contribuait à l’extension de la surface des champs cultivés, et par ricochet à l’accroissement de la population et au développement des agglomérations. Miguel de Cervantès ne précise pas où se trouvent les moulins à vent qu’affronte don Quichotte (qui les prend pour des géants) ; aussi Azorín, partant du principe que l’action du roman se situe entre 1560 et 1575, estime-t-il que les seuls existant alors étaient ceux de Criptana27, et décide-t-il d’aller voir ce qu’il en reste.

  • 28 « los molinitos de Criptana andan y andan ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 289, 292 et 29 (...)

27Les moulins à vent qu’il découvre au chapitre XII, « Los Sanchos de Criptana », sont en nombre indéfini et situés tout en haut de la colline sur laquelle est érigé le village de Criptana. Malgré leur vétusté, ils connaissent une activité incessante dont témoigne le leitmotiv « les petits moulins de Criptana tournent encore et encore »28, qui ouvre et qui ferme le chapitre.

  • 29 Le développement de la vigne dans la région à la fin du XIXe siècle, au moment où le vignoble fra (...)

28Il y a plus de moulins à vent en fonctionnement que de moulins à foulons, et cela peut donner l’impression que l’industrie minotière traditionnelle est prospère dans La Manche ; mais cette activité résulte simplement du fait que les besoins en farine sont quotidiens, alors que ceux en tissus de laine ne le sont pas. Les moulins à vent tournent donc tous les jours, mais c’est pour un marché tout aussi local que celui des moulins à foulons – à savoir Criptana et/ou les villages environnants – et une clientèle tout aussi restreinte. C’est donc à nouveau une activité en sursis qui est dépeinte29, vouée à disparaître le jour où des méthodes de production industrielles se seront définitivement imposées.

  • 30 Leandro Rodríguez, dans Cervantes en Sanabria..., déclare que ce nom cache en réalité le village (...)
  • 31 Aujourd’hui, restaurée, cette maison donne à voir au visiteur du mobilier d’époque et des objets (...)

29Passons à présent à cette demeure de Dulcinée où Sancho, porteur d’un message de son maître pour la jeune femme, ne s’était jamais rendu. Miguel de Cervantès situe cette maison à El Toboso30, bourg qui se trouve à dix-huit kilomètres de Criptana, et qui comprenait, au XVIIe siècle, neuf cents maisons ; il était en outre renommé pour ses jarres. C’est également là que va Azorín : le chapitre XIII, « En El Toboso », relate son déplacement de Criptana à El Toboso, dont la description occupe tout le chapitre suivant. Notre auteur s’y rend pour visiter non pas le logis original de Dulcinée, ce qui est bien sûr impossible, puisqu’il est aussi fictif que son occupante, mais une maison ayant appartenu à Ana María Zarco de Morales, considérée par la critique littéraire comme l’un des modèles de Dulcinée31. Cette demeure est située tout au bout du village, à la lisère des champs ; elle est encore debout et en bon état, bien qu’elle ait perdu sa splendeur première et que sa façade accuse le poids des ans :

Vous vous trouvez devant un ample édifice, vieux, crevassé ; autrefois, cette maison a dû comporter deux étages ; mais toute la partie supérieure s’est écroulée, et aujourd’hui, presque au ras de la porte, l’on a couvert la vieille bâtisse d’un petit toit modeste, et les dénivellations et les fentes des murs en pierre noble ont été colmatées avec des murs d’argile.

  • 32 « Os encontráis ante un ancho edificio, viejo, agrietado ; antaño, esta casa debió de constar de (...)

Voilà la demeure de la plus admirable de toutes les princesses de La Manche. Présentement, c’est un prosaïque moulin à huile. Et pour comble d’humiliation et de défaite, dans la cour intérieure, dans un coin, sous de petits fagots de branchages d’oliviers, abîmés, bafoués, reposent les deux magnifiques blasons armoriés qui figuraient auparavant sur la façade.32

30La maison constitue un autre cas d’édifice somptueux condamné, par la fuite du temps, à assumer une tout autre fonction que celle pour laquelle il avait été bâti à l’origine. Le « recyclage » dégradant dont l’édifice a fait l’objet (de riche demeure, il est devenu moulin à huile) souligne encore plus sa décadence actuelle. Le contraste entre les matériaux d’origine, « les murs en pierre noble », et les nouveaux, « les murs d’argile », présente comme un raccommodage rudimentaire, entrepris à peu de frais, les travaux de réparation effectués, tandis que « les deux magnifiques blasons armoriés qui figuraient auparavant sur la façade », devenus inutilisables depuis l’effondrement des étages, mais que l’on n’a pas osé jeter et qui ont été relégués « dans un coin, cachés à demi sous de petits fagots de branchages d’olivier », comme s’il s’agissait de quelque chose de honteux, témoignent de façon accusatrice de l’offense faite à une construction que son ancienneté et sa beauté rendaient digne d’un meilleur sort.

31La maison devient l’emblème de ces aristocrates ruinés, qui soit vendent la demeure de leurs ancêtres et quittent leur ville natale, soit se résignent à mourir de misère dans un logis chaque jour plus vétuste. Elle est, de même que l’auberge, les moulins à foulons et les moulins à vent, à l’image d’une contrée qui n’est plus, en 1905, que l’ombre de ce qu’elle avait été trois siècles plus tôt.

  • 33 « El Toboso – os dicen – era antes una población caudalosa ; ahora no es ya ni sombra de lo que f (...)
  • 34 Le château de Peñarroya, où fait halte Azorín en se rendant aux lagunes de Ruidera, et qui fut un (...)

32C’est, en effet, une vision de décadence généralisée que nous présente l’auteur : le présent, vu à la lumière du passé en un contraste constant, n’en paraît que plus décevant, et l’on perçoit toute l’amertume de l’écrivain lorsqu’il déclare par exemple : « El Toboso – vous dit-on – était auparavant une agglomération opulente ; à présent, il n’est même plus l’ombre de ce qu’il fut en ce temps-là. Les maisons qui s’écroulent ne sont pas réédifiées ; leurs habitants émigrent vers les villages proches ; les vieilles familles des hidalgos – alliées par des unions consanguines depuis deux ou trois générations – s’éteignent à présent sans descendance »33. Plus rien ne rappelle La Manche prospère du XVIIe siècle : les années écoulées depuis ont détruit l’activité commerciale, les industries traditionnelles, les lieux de mémoire34, et ont dispersé la noblesse.

  • 35 « Las tierras son apenas rasgadas por el arado celta. » (« Les terres sont à peine griffées par l (...)
  • 36 « una tercera parte de la tierra, en esta extensión inmensa de La Mancha, es sólo utilizada ». Ib (...)
  • 37 « los huertos están abandonados ; El Tomelloso, sin agua, sin más riegos que el caudal de los poz (...)

33Quant à l’agriculture, à l’origine le nerf de la région, elle périclite à cause de l’exploitation du sol selon des méthodes archaïques : l’araire, qui ne fait que « griffer » la terre35, et la jachère, qui immobilise des terrains qui pourraient être cultivés (« un tiers seulement de la terre, dans cette étendue immense de La Manche, est utilisé »36, dit Azorín). Le désintérêt des paysans ne fait qu’aggraver la situation : l’auteur constate, par exemple, qu’à Argamasilla les habitants n’entretiennent pas leurs potagers, ce qui conduit à la situation aberrante d’un village qui importe ce qu’il est capable, grâce à sa situation géographique privilégiée, de produire en abondance : « Les vergers sont abandonnés ; El Tomelloso, qui n’a pas d’eau, qui ne dispose d’autre système d’irrigation que le débit des puits, fournit en légumes verts Argamasilla, où le Guadiana, paisible, à fleur de terre, croise le village et traverse les potagers ; les journaliers de ce village [Argamasilla] gagnent deux réaux de moins que ceux des villages proches »37, lisons-nous.

34Au chapitre XV, « La exaltación española », qui fait immédiatement suite à l’expédition à El Toboso et tient lieu de conclusion, Azorín se trouve à Alcázar de San Juan. Nulle allusion au voyage qui l’y a amené. Est-ce celui d’Argamasilla à Alcázar de San Juan, et s’agit-il donc de la quatrième sortie de l’auteur, suite à un quatrième retour à Argamasilla ? Où est-ce celui d’El Toboso à Alcázar de San Juan, et l’écrivain n’a-t-il réalisé, comme don Quichotte, que trois sorties d’Argamasilla ?

35L’analyse que nous venons de faire du parcours effectué par Azorín montre qu’entre la réalité du monde décrit et le regard de l’auteur s’intercale un filtre qui est celui de La Manche de 1605. À ce premier écran vient s’en superposer un second, celui de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche. En effet, la contrée dépeinte dans La ruta de don Quijote est vue non seulement à travers sa prospérité passée, mais aussi à travers le roman de Miguel de Cervantès. Le voyage d’Azorín, s’il ne suit pas exactement les pas de don Quichotte, se fait du moins en sa compagnie, puisque son ombre, nous allons le voir, accompagne notre auteur partout où il va.

  • 38 À cette différence près toutefois qu’Azorín ne lit pas de romans de chevalerie mais le chef-d’œuv (...)

36Les circonstances dans lesquelles il entreprend son voyage – le tricentenaire – et l’itinéraire qu’il se voit obligé d’emprunter stimulent en effet malgré lui l’imagination d’Azorín. Très vite, le lecteur voit devenir floue la frontière entre le monde de la réalité (les lieux et les personnes découverts par l’auteur lors de son voyage) et celui de la fiction (les événements décrits par Miguel de Cervantès dans L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche), et voit le périple de l’auteur évoluer, par conséquent, vers un voyage au cœur de la fantaisie. Comme don Quichotte, l’écrivain voit le réel à travers le filtre de ses lectures38 et, tel le héros cervantin, dont il devient peu à peu un double, il perçoit dès lors ce réel de manière déformée.

  • 39 « ¿ Nuestra vida no es como la del buen caballero errante que nació en uno de estos pueblos manch (...)

37Tout commence avec l’association établie, au chapitre I, « La partida », entre les journalistes et le personnage de Miguel de Cervantès : « Notre vie n’est-elle pas comme celle du brave chevalier errant qui naquit dans l’un de ces villages de La Manche ? Peut-être notre existence, comme celle de don Alonso Quijano, le Brave, est-elle un combat interminable, sans récompense, pour des idéaux que nous ne verrons pas réalisés... J’aime cette grande figure douloureuse qui est notre symbole et notre miroir »39, lisons-nous. Voilà posée, dès le départ, à l’aide d’un syllogisme, la nature essentiellement quichottesque d’Azorín : les journalistes sont tous des don Quichotte, Azorín est journaliste, donc il est un don Quichotte.

  • 40 « Mas ya, mientras nuestra fantasía - como la del hidalgo manchego - ha ido corriendo, el paisaje (...)
  • 41 « Mas es preciso que continuemos nuestro viaje ; demos de lado a nuestros sueños ». Ibidem, p. 28 (...)
  • 42 « todo nos va sugestionando poco a poco, enervándonos, desatando nuestra fantasía, haciéndonos co (...)

38Cette association de sa personnalité à celle de l’ingénieux hidalgo se verra rapidement ratifiée et confirmée par la découverte qu’il existe chez Azorín, à l’état latent, la même imagination débordante que chez don Quichotte ; cette dernière est présentée à plusieurs reprises comme stimulée par le voyage, et échappant au contrôle de l’auteur. Par exemple, au chapitre VII, « La primera salida », consacré au long trajet qui mène l’écrivain d’Argamasilla à Puerto-Lápiche en chariot (dix heures pour parcourir 44 km), l’on voit apparaître cette indication : « Mais déjà, tandis que notre imagination – comme celle de l’hidalgo de La Manche – a pris son envol, le paysage a connu une mutation considérable »40. À deux reprises, il est d’ailleurs dit explicitement dans le texte qu’Azorín rêve tout éveillé : la première au chapitre IX, « Camino de Ruidera », lors de la visite du château de Peñarroya – « Mais il faut que nous continuions notre voyage ; laissons nos rêves de côté »41 –, et la deuxième au chapitre XI, « Los molinos de viento », au cours de sa promenade nocturne dans les rues de Criptana : « Tout nous influence peu à peu, en nous amollissant, en libérant notre imagination, en nous faisant courir à travers les régions de la rêverie... »42.

  • 43 « Señoras mías, escuchadme un momento. Yo les agradecería a vuesas mercedes un poco de salpicón, (...)

39L’étape suivante consistera à nous montrer cette imagination à l’œuvre. C’est chose faite avec l’arrivée à Argamasilla : l’imagination de l’auteur s’emballe et le conduit, une fois installé à la pension de famille, à demander son repas en parodiant une phrase de l’incipit du roman cervantin : « Chères dames, écoutez-moi un instant. Je serais très reconnaissant à vos Grâces de me donner un peu de salpicon, quelques œufs frits avec des lardons, et peut-être un peu de quelque pot-au-feu modeste où il y ait plus de bœuf que de mouton »43, déclare-t-il à l’aubergiste et à la servante.

40La dernière étape du processus est franchie à partir du chapitre IV, « El ambiente de Argamasilla », puisque la réalité du voyage est dès lors régulièrement donnée à voir de façon déformée, contemplée qu’elle est systématiquement au travers du prisme de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche.

  • 44 « Le long de ce chemin, à travers ces plaines, à cette même heure précisément, cheminait, par une (...)
  • 45 « c’est ici que don Quichotte fit sa veillée d’armes par une nuit de lune ». Ibidem, p. 279.
  • 46 « Ce fut ici que se produisit, devant ces moulins à foulons qui perdurent encore, cette intime et (...)
  • 47 « Pourquoi ne pas entrer là où lui [don Quichotte] était entré ? Pourquoi ne pas poser, à notre é (...)
  • 48 « Ne serait-ce pas, par hasard, dans ces parages, près de ce chemin, que don Quichote rencontra J (...)
  • 49 « Le château de Penarroya ne renferme aucun souvenir relatif à don Quichotte ; mais combien de fo (...)
  • 50 Du nom de celui qui entreprit de photographier les lieux de l’Odyssée et publia l’ouvrage – l’on (...)
  • 51 Christine Montalbetti, Entre écriture du monde et récriture de la bibliothèque. Conflits de la ré (...)
  • 52 D’autant plus nécessaire que l’écrivain sait qu’un lecteur connaissant l’ouvrage de Cervantès ne (...)

41Les lieux que dépeint Azorín sont ainsi décrits soit comme étant ceux où s’est déroulée l’action du livre de Miguel de Cervantès44 (cas de la plaine qui s’étend entre Argamasilla et Puerto-Lápiche, de l’auberge de Puerto-Lápiche45, des moulins à foulons des lagunes de Ruidera46, et de la grotte de Montesinos47), soit comme étant ceux où elle aurait pu avoir lieu (ainsi en est-il d’un bosquet de chênes verts sur la route d’Argamasilla à Puerto-Lápiche48, et du château de Peñarroya49). Dans les deux situations, qui relèvent de ce que Christine Montalbetti appelle le complexe de Victor Bérard50, le voyageur prend le monde réel pour celui de la fable, et fait comme si la fiction avait eu lieu dans le monde physique, confondant ainsi deux sphères de nature rigoureusement différente : « Un énoncé du type “C’était à peu près dans les mêmes lieux que paissaient les troupeaux de Ménélas, et qu’il offrait un festin à Télémaque” fait fi de l’étanchéité entre le monde réel et les espaces virtuels de la fiction. La fiction a lieu ailleurs que dans le monde physique, et le sol vérifiable sur lequel se trouve le voyageur ne peut sérieusement, c’est-à-dire littéralement, coïncider avec celui que traversent les figures épiques »51. Dans La ruta de don Quijote, la tentative d’identification est conduite par l’emploi de l’adjectif démonstratif este, de l’adverbe de lieu aquí, de l’adverbe donde, et surtout d’un ton fortement affirmatif qui donne aux déclarations de l’auteur une grande force de conviction52 et le fait apparaître comme un témoin oculaire des plus fiables, en même temps qu’il fait passer ses déclarations pour des vérités indiscutables.

42Trois autres procédés complémentaires vont être utilisés pour favoriser, dans l’esprit du public, l’identification des lieux parcourus par Azorín avec ceux qui furent le théâtre des aventures de don Quichotte.

43Le premier procédé consiste à citer des passages du roman dans les lieux où sont censés s’être déroulés les épisodes auxquels correspondent ces passages. L’on en voit un exemple au chapitre XIII, « En El Toboso », où la citation du début du dialogue du héros cervantin et de son écuyer, lors de leur entrée nocturne à El Toboso, fait office de conclusion à la description de la demeure de Dulcinée.

44La citation est utilisée comme caution du discours, auquel elle est supposée transmettre sa fiabilité : elle authentifie les dires d’Azorín. Comme toutefois, employée seule, elle ne constitue que le premier degré du processus de cautionnement, il est normal que l’écrivain, à la recherche d’un degré supérieur, l’associe parfois – et c’est là le deuxième des procédés dont nous parlions – à une reconstitution (qui peut même, quelquefois, être actualisée par l’emploi du présent de l’indicatif ou du futur proche) de l’épisode du roman. C’est le cas au chapitre IX, « Camino de Ruidera », lorsqu’après avoir décrit l’emplacement et l’aspect des moulins à foulons, Azorín ajoute :

  • 53 « Estos, lector, son los famosos batanes que en noche memorable, tanta turbación, tan profundo pa (...)

Voici, lecteur, les fameux moulins à foulons qui, lors d’une nuit mémorable, semèrent dans l’esprit de don Quichotte et de Sancho Pança un tel trouble, un effroi si profond. Les ténèbres étaient tombées sur la campagne, les deux grandes figures avaient cheminé à tâtons au milieu d’une futaie ; un bruit d’eau paisible les réjouit tout à coup ; peu après, un fracas formidable de fers, de chaînes, de grincements et de grands coups les laissa apeurés, interdits. Sancho tremblait ; Don Quichotte, une fois les premiers instants passés, sentit surgir en lui son intrépidité de toujours ; il monta rapidement sur le brave Rossinante ; puis il fit savoir à son écuyer son dessein irréfutable d’entreprendre cette aventure. Sancho pleurait ; Don Quichotte s’obstinait ; le vacarme continuait, assourdissant. Et pendant ce temps, après de longues palabres, après d’angoissants événements, l’aurore poignit lentement. Et alors, maître et valet virent, stupéfaits, les six moulins à foulons infatigables, humbles, prosaïques, pilant dans leurs solides caissons. Don Quichotte demeura pensif un moment. Sancho le regarda – dit Cervantès – et vit qu’il avait la tête inclinée sur sa poitrine, et tout l’air d’être confus...53

45L’on voit ici combinées de façon parfaite les diverses techniques que nous avons précédemment signalées : l’usage du démonstratif este, le ton fortement affirmatif et une citation doublée d’une reconstitution. Dans cet exemple, il s’agit d’une reconstitution totale : l’auteur résume au lecteur tout l’épisode romanesque ; la citation joue un rôle de complément, elle est clairement subordonnée à la reconstitution, qu’elle clôt. Il n’en est pas toujours ainsi dans La ruta de don Quijote : la reconstitution peut être, en effet, comme dans le chapitre X, « La cueva de Montesinos », partielle, tronquée – l’écrivain ne va pas au-delà de l’évocation de don Quichotte debout devant l’entrée de la grotte –, et ce sont alors les citations, généralement abondantes (trois dans le chapitre X, tirées de différents moments de l’aventure de l’apprenti chevalier), qui priment sur elle.

  • 54 Victor Bérard, dans son livre Dans le sillage d’Ulysse (1933), procède de la façon inverse, puisq (...)
  • 55 Et qui a été rédigée par Azorín, comme l’indique sa reprise dans les Œuvres Complètes de l’écriva (...)
  • 56 « de tipos y lugares descritos por Cervantes ». Azorín, La ruta de don Quijote, 2e éd., Madrid, I (...)

46Enfin, le troisième et dernier procédé utilisé par Azorín pour convaincre le public de ce que les endroits dépeints dans La ruta de don Quijote sont bien ceux évoqués par Miguel de Cervantès dans L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche consiste à insérer des illustrations dans le texte54. Cette méthode est, par rapport aux deux autres, et à cause de la puissance référentielle de l’image, celle qui revêt le plus grand pouvoir d’authentification. Elle apparaît dès la deuxième édition du récit de voyage, en 1912 : celle-ci comporte une préface anonyme55 qui explique que, la première édition étant épuisée et les commandes de l’Amérique Latine très importantes, il a été jugé préférable de procéder à une réédition, en agrémentant le livre de photographies « de types et de lieux décrits par Cervantès »56. Et l’auteur d’ajouter :

  • 57 « ahí verán los lectores, en imágenes curiosísimas, a don Quijote, a Sancho, a Dulcinea, al ama y (...)

Les lecteurs y verront, en des images très curieuses, don Quichotte, Sancho, Dulcinée, la gouvernante et la nièce du grand hidalgo, la femme et la fille de l’écuyer sans pareil. [...] Les érudits disent que don Quichotte n’est pas né à Argamasilla ; il a forcément dû naître dans un village quelconque de La Manche. Pourquoi ce village ne serait-il pas Argamasilla ? Que le glorieux hidalgo a pu naître à Argamasilla est démontré par les portraits que nous publions de lui et de son écuyer ; aucune preuve n’est plus tangible, évidente, irrécusable.
Que ces nobles images de don Quichotte, de ses familiers et ses serviteurs, et des divers endroits où l’immortel hidalgo et son aide de camp ont fait leur pèlerinage aillent en Amérique ; que ces silhouettes et ces paysages liés spirituellement à l’œuvre de Cervantès puissent être contemplés parmi ceux qui parlent comme nous la langue castillane.57

47Dans cette préface se fait jour une vision encore plus déformée de la réalité que celle à l’œuvre dans le récit de voyage : les lignes précédentes donnent effectivement pour exacts équivalents de ceux figurant dans un ouvrage de fiction paru trois cents ans plus tôt non seulement des paysages et des lieux contemporains, mais aussi des personnes.

  • 58 « Ruidera – la posada », « Argamasilla – Teresa Panza y Sanchica Panza », « Criptana – Molino de (...)

48La préface et les illustrations disparaissent toutefois des éditions de La ruta de don Quijote à partir de la publication, en 1919, des Œuvres Complètes de l’écrivain. La décision était-elle due à de simples raisons économiques, ou à une volonté nettement formulée d’Azorín, lequel estimait peut-être, sept ans après la mise sur le marché de la deuxième édition, que l’iconographie n’était plus nécessaire ? Ce qui est sûr, c’est que les photographies sont absentes de toutes les éditions de La ruta de don Quijote postérieures à 1916. Nous les avons toutes feuilletées : seule l’édition de José María Cachero, en 1984 (et sa réédition en 1988), pour la collection de poche Cátedra-Letras Hispánicas, en comporte quatre58 ; encore est-ce à titre de curiosité littéraire, afin de montrer qu’une édition illustrée du récit de voyage avait circulé et pour donner une idée de ce à quoi elle ressemblait.

49La ruta de don Quijote est le fruit d’une commande passée à Azorín par celui qui était alors l’un des plus grands quotidiens madrilènes, El Imparcial. Bien que rédigée au fur et à mesure du voyage, elle n’a rien d’une œuvre improvisée, au contraire : sa structure interne très méditée, riche de nombreux jeux de miroir, laisse à penser qu’elle a certainement été conçue dès le départ en vue de la publication en volume.

50L’occasion de refaire, à l’intérieur d’un périmètre que les impératifs économiques et géographiques ont considérablement réduit, certaines étapes de l’errance du héros cervantin à travers La Manche permet à l’auteur de dépasser le projet officiel de retrouver et de décrire les lieux théâtres des aventures de don Quichotte pour établir, au fil des pages de son récit, un parallèle constant entre La Manche de 1905 et celle de 1605. C’est un spectacle de décadence qui nous est ainsi donné à voir : la région prospère d’autrefois n’est plus qu’une contrée désertée par l’aristocratie, où les activités traditionnelles ne battent que d’une aile, ruinées qu’elles sont par la concurrence chaque jour plus grande des productions industrielles.

51Mais La Manche de 1905 n’est pas seulement vue à travers le filtre d’un passé prospère évoqué avec nostalgie. De nombreux indices éparpillés de-ci de-là dans le texte permettent en effet au public de comprendre rapidement que La Manche dans laquelle évolue Azorín est aussi une Manche vue au travers du filtre déformant de L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche, une Manche que l’auteur s’efforce de présenter – en s’appuyant sur des citations du roman, sur des reconstitutions d’épisodes, et même, de 1912 à 1916, sur des éditions illustrées – comme celle où s’est déroulée une partie de l’action de l’ouvrage de Miguel de Cervantès, peut-être parce qu’il voudrait l’impossible fusion de deux époques irrémédiablement séparées par la fuite du temps.

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Bibliographie

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– CERVANTÈS, Miguel de, El ingenioso hidalgo don Quijote de La Mancha, Madrid, Clásicos Castalia, 2ème éd., 1978, 2 vols.

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– MONTALBETTI, Christine, Entre écriture du monde et récriture de la bibliothèque. Conflits de la référence et de l’intertextualité dans le récit de voyage au XIXème siècle, in LINON-CHIPON, Sophie, MAGRI-MOURGUES, Véronique et MOUSSA, Sarga, eds, Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité (11ème colloque du CRLV tenu à Nice les 5, 6, 7 septembre 1997 sous la responsabilité scientifique de François Moureau), Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de Nice et du Centre de Recherches sur la Littérature de Voyages (Sorbonne), 1998, pp. 3-15.

– MUÑOZ ROMERO, Jesús, La única y verdadera ruta de don Quijote en que se revela la fecha exacta de tan descomunal aventura, con otros adornos y metáforas de gran conocimiento, Toledo, Ledoria, 2001.

– ORTEGA Y GASSET, Manuel, El Imparcial - Biografía de un gran periódico español, Zaragoza, Librería General, 1956.

– RODRÍGUEZ, Leandro, Cervantes en Sanabria. Ruta de don Quijote de La Mancha, Zamora, Editorial Semuret, 2004.

– RUIZ DE VARGAS, Luis, Tierras y lugares de la ruta de « don Quijote de La Mancha » - Investigación sobre los auténticos lugares de la ruta y del pueblo natal de « don Quijote de La Mancha », Madrid, Hijos de Minuesa, 1986.

– SERRANO VICENS, Ramón, Ruta y patria de don Quijote, Zaragoza, 2ème éd., 1972.

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Notes

1 L’initiative en revient à Mariano de Cavia, qui, dans un article paru dans El Imparcial le 2 décembre 1903, présenta le tricentenaire comme un devoir racial des Espagnols, affirmant : « L’Espagne a perdu ses Indes, ou plutôt, ses Espagnes occidentales. Mais il lui reste le Quichotte, et celui-ci est tel, et d’une telle grandeur, que s’il existe de l’autre côté de l’Océan quelqu’un qui a en horreur le nom de l’Espagne, cette personne est la première à se découvrir en entendant celui du Quichotte. » (C’est nous qui traduisons). Cité par Manuel Ortega y Gasset, dans El Imparcial - Biografía de un gran periódico español, Zaragoza, Librería General, 1956, p. 203.

2 Pour cette raison, l’année 1905 est marquée par une intense activité intellectuelle autour du roman de Miguel de Cervantès, dont l’on prétend démêler la signification. Les études d’ensemble fleurissent, de même que les analyses partielles consacrées aux aspects les plus divers du livre, à ses sources, sa genèse, sa diffusion à l’étranger, son iconographie, sa suite apocryphe... Ce sont au total 120 ouvrages qui sortent des presses en espagnol (90%), portugais, allemand et français. Des obscurs littérateurs aux gloires littéraires confirmées, tout ce que l’Espagne compte de commentateurs éclairés se penche en 1905 sur L’ingénieux hidalgo don Quichotte de La Manche. Cette activité éditoriale se double de l’organisation de nombreuses manifestations civiques (le 5 mai eurent ainsi lieu une exposition cervantine à la Bibliothèque Nationale et les funérailles de Cervantès – organisées par l’Académie Royale – à l’église San Jerónimo le 9 mai ; une procession qui s’acheva avec le couronnement de la statue de Cervantès, sur la place des Cortès) et académiques comme, par exemple, la veillée à l’Athénée de Madrid (un cycle de vingt conférences, réparties entre le 29 avril et le 7 mai, fut programmé) au cours de laquelle Azorín lut son étude Don Quijote en casa del caballero del Verde Gabán, publiée cette même année 1905, et reprise en 1912 dans Lecturas españolas.

3 « Yo voy a recorrer brevemente los lugares que él recorriera ». Azorín, La ruta de don Quijote, in Obras Completas, T. II, Madrid, Aguilar, 1947, p. 244.

4 « L’éminent écrivain Azorín collabore à partir d’aujourd’hui dans les colonnes dEl Imparcial. Il quitte aujourd’hui Madrid pour décrire l’itinéraire de don Quichotte dans une série d’articles, qui accroîtront certainement la renommée de cet humoriste original ». (C’est nous qui traduisons). El Imparcial, n° 13626 du samedi 04 mars 1905, p. 1, col. 3-4.

5 Texte de référence : Miguel de Cervantès, El ingenioso hidalgo don Quijote de La Mancha, T. I, Madrid, Clásicos Castalia, 2e éd., 1978, 1e partie, chapitres II et III.

6 Ibidem, 1e partie, chapitre XX.

7 Ibidem, 2e partie, chapitres XXII et XXIII.

8 Ibidem, 1e partie, chapitre VIII.

9 Ibidem, 2e partie, chapitres IX et X.

10 Alors considérée par la critique littéraire comme le village de don Quichotte, sur la foi des poèmes et épitaphes consacrés, à la fin de la 1ère partie du roman, à don Quichotte, Dulcinée, Rossinante et Sancho par six mystérieux « Académiciens » d’Argamasilla. Aujourd’hui, les chercheurs sont autrement plus divisés. Parmi les études les plus récentes consacrées à la topographie du roman de Cervantès, si Rupert Croft-Cooke, dans De la mano de don Quijote (Barcelona, Plaza e Janés, 1970), reste fidèle à Argamasilla, Ramón Serrano Vicens, dans Ruta y patria de don Quijote (Zaragoza, 2ème éd., 1972), propose Santa María del Campo Rus, tandis que Luis Ruiz de Vargas, dans Tierras y lugares de la ruta de « don Quijote de La Mancha » - Investigación sobre los auténticos lugares de la ruta y del pueblo natal de « don Quijote de La Mancha » (Madrid, Hijos de Minuesa, 1986), qui reprend et complète les conclusions de Serrano Vicens, penche plutôt pour La Puebla de Almoradiel. En revanche, Jesús Muñoz Romero, dans La única y verdadera ruta de don Quijote en que se revela la fecha exacta de tan descomunal aventura, con otros adornos y metáforas de gran conocimiento (Toledo, Ledoria, 2001), choisit Quero parce qu’il est à 20-25 km de El Toboso, alors qu’Argamasilla est à plus de 50 km de celui-ci, tandis que Leandro Rodríguez, dans Cervantes en Sanabria. Ruta de don Quijote de La Mancha (Zamora, Editorial Semuret, 2004), opte pour Cervantes, dans la région de Sanabria (province de Zamora).

11 Une Manche bien réduite, puisque tous les lieux où se rend Azorín se trouvent dans la province de Ciudad Real, sauf la grotte de Montesinos, qui est dans la province d’Albacete.

12 Près de Puerto-Lápiche a lieu un tout autre épisode de l’ouvrage : celui où, aux chapitres VIII et IX de la 1ère partie, don Quichotte voit passer deux bénédictins précédant la voiture d’une dame qui se rend à Séville dûment escortée d’hommes à pied et à cheval ; l’apprenti chevalier errant, croyant avoir affaire à deux enchanteurs transportant l’une de leurs victimes, met en fuite les deux prêtres avant de s’attaquer à l’écuyer biscayen de la dame.

13 Tout comme pour le village de don Quichotte, la critique littéraire est divisée quant à la localisation de cette auberge : Rupert Croft-Cooke propose ainsi Quesada, alors que Ramón Serrano Vicens, dans Ruta y patria..., la situe entre Quintanar et La Mota, que Luis Ruiz de Vargas, dans Tierras y lugares de la ruta..., penche plutôt pour Puerto-Lápiche, et que Leandro Rodríguez, dans Cervantes en Sanabria, opte pour Terroso.

14 « La venta está situada a la salida del pueblo ; casi las postreras casas tocan con ella. Mas yo estoy hablando como si realmente la tal venta existiese, y la tal venta, amigo lector, no existe. Hay, sí, un gran rellano en que crecen plantas silvestres. Yo examino el solar donde estaba la venta ; todavía se conserva, a trechos, el menudo empedrado del patio ; un hoyo angosto indica lo que perdura del pozo ; otro hoyo más amplio marca la entrada de la cueva o bodega. Y permanecen en pie, en el fondo, agrietadas, cuarteadas, cuatro paredes rojizas, que forman un espacio cuadrilongo, sin techo, restos del antiguo pajar. Esta venta era anchurosa, inmensa ; hoy, el solar mide más de ciento sesenta metros cuadrados. Colocada en lo alto del puerto, besando la ancha vía, sus patios, sus cuartos, su zaguán, su cocina, estarían a todas horas rebosantes de pasajeros de todas clases y condiciones ; a una banda del puerto se abre la tierra de Toledo ; a otra, la región de La Mancha. El ancho camino iba recto desde Argamasilla hasta la venta ». Azorín, La ruta de don Quijote..., pp. 277-278.

15 Là encore, les chercheurs ne s’accordent pas sur leur localisation : Rupert Croft-Cooke opte pour Los Chorros, à 14 km de Viso del Puerto Muladar, Ramón Serrano Vicens les situe du côté de Piedrabuena, près du ruisseau Peralosa, tandis que Luis Ruiz de Vargas le fait sur le fleuve Guadiana, près de Las Casas, à 6 km de Ciudad Real, que Jesús Muñoz Romero penche plutôt pour le Campo de Montiel, près de la source du fleuve Azuer, entre San Carlos del Valle et La Alhambra, et qu’enfin Leandro Rodríguez, lui, envisage la vallée de Sotillo, à la Cascada (ou El Pingón) de Sotillo.

16 Argument non négligeable quand l’on sait qu’il est allé à Ruidera en chariot, et qu’il lui a fallu huit heures pour parcourir les 28 km du trajet. En outre, ce regroupement lui avait été suggéré par José Ortega Munilla, alors le directeur de El Imparcial, lors de l’entretien (tel que le raconta, 36 ans plus tard, Azorín dans le chapitre IV de Madrid) où il lui proposa de réaliser ce voyage sur les pas de don Quichotte : « Vous allez d’abord, naturellement, à Argamasilla de Alba. D’Argamasilla je crois quant à moi que vous devez pousser jusqu’aux lagunes de Ruidera. Et comme la grotte de Montesinos est près, vous descendez dans la grotte. » (C’est nous qui traduisons). Azorín, « Las Redacciones », in Madrid, Madrid, Biblioteca Nueva, 1941, p. 22.

17 « hasta hace poco trabajaban catorce o dieciséis en la vega. “Ahora me dice el dueño de los únicos que aún trabajan , con dos tan sólo bastan”. Y vienen a ellos los paños de Daimiel, de Villarobledo, de la Solana, de la Alhambra, de Infantes, de Argamasilla ; su mayor actividad tiénenla cuando el trasquileo se efectúa en los rebaños ; luego, el resto del año, permanecen en reposo profundo, en tanto que el agua cae inactiva en lo hondo y las picazas y las águilas se ciernen sobre ellos en las alturas... ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 284.

18 Le déclin des moulins à foulons en Castille résulte de l’introduction massive sur le marché castillan, à partir de 1860 (grâce au chemin de fer), de tissus catalans moins chers, ainsi que d’une qualité et d’un dessin novateurs ; pas plus que les autres industries traditionnelles échelonnées sur la chaîne de production, les moulins à foulons ne purent résister à la concurrence : « Le processus le plus significatif de cette deuxième moitié du XIXe siècle fut la lente disparition de la structure de production traditionnelle, ce qui entraîna pratiquement l’élimination des vieux métiers à tisser manuels familiaux, et la destruction des moulins à foulons, des billots, des petites teintureries locales. » (C’est nous qui traduisons), nous dit Vega. Mariano Esteban de Vega, El sueño imposible de una burguesía agraria. Los intentos de industrialización , in García Simón, éd., Historia de una cultura, T. III, Las Castillas que no fueron, Junta de Castilla y León, Conserjería de Turismo, 1995, pp. 342-343.

19 Pour Rupert Croft-Cooke, la grotte se trouve près de Ossa de Montiel. Ramón Serrano Vicens, partant du principe que don Quichotte à parcouru 115 km en direction de Saragosse et qu’il se trouve donc à 140 km de Ruidera, pense qu’il s’agit plutôt d’une des cavernes de la Serranía de Cuenca, sans doute la grotte Montesina, ou la grotte de Fuerte Escusa, qui se trouvent à deux lieues de Cañamares. Leandro Rodríguez, lui, opte en revanche pour la Cueva dus Torus près de Ribadelago.

20 « descubrimos una excavación somera, abierta en tierra roja ». Azorín, La ruta de don Quijote…., p. 287.

21 « ahora, en la peña lisa, se enrosca una parra desnuda ». Ibidem.

22 « La atmósfera es densa, pesada ; se oye de rato en rato en el silencio un gotear pausado, lento, de aguas que caen del techo. Y en el fondo, abajo, en los límites del anchuroso ámbito, entre unas quiebras rasgadas, aparece un agua callada, un agua negra, un agua profunda, un agua inmóvil, un agua misteriosa, un agua milenaria, un agua ciega que hace un sordo ruido indefinible - de amenaza y de lamento - cuando arrojamos sobre ella unos pedruscos. Y aquí, en estas aguas que reposan eternamente, en las tinieblas, lejos de los cielos azules, lejos de las nubes amigas de los estanques, lejos de los menudos lechos de piedras blancas, lejos de los juncales, lejos de los álamos vanidosos que se miran en las corrientes ; aquí, en estas aguas torvas, condenadas, está toda la sugestión, toda la poesía inquietadora de esta cueva de Montesinos... ». Ibidem, p. 288.

23 « Cuando nosotros hemos salido a la luz del día, hemos respirado ampliamente. [...] Invade el espíritu una sensación de estupor, de anonadamiento, de no ser ». Ibidem, pp. 288-289.

24 « otras mansiones subterráneas más hondas y temibles ». Ibidem, p. 289.

25 Cette association a sans doute été inspirée à l’auteur par le Handbook for travellers in Spain (1845) de Richard Ford, qui fait de la grotte une ancienne mine : « La grotte formait probablement partie d’une ancienne mine, puisqu’un labyrinthe de puits a été percé, et que des amas de débris de métal, les scories, ont été trouvés. » (C’est nous qui traduisons). Richard Ford, A handbook for travellers in Spain, T. I, Londres, Murray, 3e éd., 1855, p. 243. Cité par Alan Hoyle, « Con Azorín ante el paisaje », in Florencio Sevilla et Carlos Alvar, eds, Actas del XIII Congreso de la Asociación Internacional de Hispanistas (celebrado en Madrid del 6 al 11 de julio de 1998), T. II, Madrid, Castalia, 2000, p. 255. Hoyle fait également mention d’un autre ouvrage qui ratifie l’avis de Ford. Il s’agit de On the trail of Don Quixote (New York, Scribner, 1896), d’August F. Jaccaci, où il est dit, à la p. 82, que « il est plus que probable que la Grotte de Montesinos n’est qu’une vieille mine de cuivre romaine ».

26 « Y estas dolorosas remembranzas son la lección que sacamos de la cueva de Montesinos ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 289.

27 Jesús Muñoz Romero, dans La única y verdadera ruta..., pense pour sa part que les deux premières sorties de don Quichotte se déroulent au cours de l’été 1588 (il se base pour cela sur la nouvelle intercalée Historia del cautivo (1e partie, chapitres XXXIX, XL et XLI), dont le protagoniste affirme être parti de chez lui vingt-deux ans plus tôt, en 1566, à l’âge de vingt ans), et déclare qu’à cette époque il y avait des moulins à vent ailleurs qu’à Criptana. Pour lui, ceux que mentionne Cervantès sont ceux du Cerro Navajo, car ils sont sur le chemin de Puerto-Lápiche, où don Quichotte et Sancho arrivent le soir.

28 « los molinitos de Criptana andan y andan ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 289, 292 et 294.

29 Le développement de la vigne dans la région à la fin du XIXe siècle, au moment où le vignoble français est pratiquement détruit par le phylloxéra, et la diversification des cultures qui en a résulté ont été cause de ce que les céréales n’ont plus été la base de l’économie de Criptana, d’où le déclin des moulins à vent.

30 Leandro Rodríguez, dans Cervantes en Sanabria..., déclare que ce nom cache en réalité le village d’Aldonza, près de Santa Colomba de Sanabria.

31 Aujourd’hui, restaurée, cette maison donne à voir au visiteur du mobilier d’époque et des objets typiques de La Manche.

32 « Os encontráis ante un ancho edificio, viejo, agrietado ; antaño, esta casa debió de constar de dos pisos ; mas toda la parte superior se vino a tierra, y hoy, casi al ras de la puerta, se ha cubierto el viejo caserón con un tejadillo modesto, y los desniveles y rajaduras de los muros de noble piedra se han tabicado con paredes de barro.

Esta es la mansión de la más admirable de todas las princesas manchegas. Al presente es una almazara prosaica. Y para colmo de humillación y vencimiento, en el patio, en un rincón, bajo gavillas de ramaje de olivo, destrozados, escarnecidos, reposan los dos magníficos blasones que antes figuraban en la fachada ». Azorín, La ruta de don Quijote..., pp. 303-304.

33 « El Toboso – os dicen – era antes una población caudalosa ; ahora no es ya ni sombra de lo que fue en aquellos tiempos. Las casas que se hunden no tornan a ser edificadas ; los moradores emigran a los pueblos cercanos ; las viejas familias de los hidalgos - enlazadas con uniones consanguíneas desde hace dos o tres generaciones - acaban ahora sin descendencia ». Ibidem., p. 303.

34 Le château de Peñarroya, où fait halte Azorín en se rendant aux lagunes de Ruidera, et qui fut un lieu décisif de la Reconquête (très longtemps au pouvoir des Arabes, il fut repris en 1198 par don Alonso Pérez de Sanabria), se réduit ainsi à une grosse tour et aux murailles qui le ceignaient.

35 « Las tierras son apenas rasgadas por el arado celta. » (« Les terres sont à peine griffées par l’araire celte. »). Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 313.

36 « una tercera parte de la tierra, en esta extensión inmensa de La Mancha, es sólo utilizada ». Ibidem, p. 272.

37 « los huertos están abandonados ; El Tomelloso, sin agua, sin más riegos que el caudal de los pozos, abastece de verduras a Argamasilla, donde el Guadiana, sosegado, a flor de tierra, cruza el pueblo y atraviesa las huertas ; los jornaleros de este pueblo ganan dos reales menos que los de los pueblos cercanos ». Ibidem, p. 313.

38 À cette différence près toutefois qu’Azorín ne lit pas de romans de chevalerie mais le chef-d’œuvre de Cervantès : arrivé à Criptana, il en profite par exemple pour relire l’épisode du combat contre les moulins à vent : « He abierto el Quijote y me he puesto a leer en sus páginas. En esto – leía yo a la luz de la vela – descubrieron treinta o cuarenta molinos de viento que hay en aquel campo... » (p. 292) (« J’ai ouvert le Quichotte et je me suis mis à lire ses pages. Sur ces entrefaites – lisais-je à la lueur de la bougie – ils découvrirent trente ou quarante moulins à vent quil y a dans cette plaine »). Un effet de mise en abyme est clairement perceptible : notre auteur joue à don Quichotte (le titre français de la traduction réalisée en 1914 par Mme Devismes de Saint-Maurice, Sur les pas de don Quichotte, le montrait très nettement : au sens propre, l’écrivain suit les pas de don Quichotte en empruntant un itinéraire inspiré du sien ; au sens figuré, il le fait en voyant comme lui la réalité sous un angle déformé), tout comme ce dernier jouait au chevalier errant.

39 « ¿ Nuestra vida no es como la del buen caballero errante que nació en uno de estos pueblos manchegos ? Tal vez nuestro vivir, como el de don Alonso Quijano, el Bueno, es un combate inacabable, sin premio, por ideales que no veremos realizados... Yo amo esa gran figura dolorosa que es nuestro símbolo y nuestro espejo ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 244.

40 « Mas ya, mientras nuestra fantasía - como la del hidalgo manchego - ha ido corriendo, el paisaje ha sufrido una mutación considerable ». Ibidem, p. 273.

41 « Mas es preciso que continuemos nuestro viaje ; demos de lado a nuestros sueños ». Ibidem, p. 282.

42 « todo nos va sugestionando poco a poco, enervándonos, desatando nuestra fantasía, haciéndonos correr por las regiones del ensueño... ». Ibidem, p. 292.

43 « Señoras mías, escuchadme un momento. Yo les agradecería a vuesas mercedes un poco de salpicón, un poco de duelos y quebrantos, algo acaso de alguna olla modesta en que haya más vaca que carnero ». Ibidem, p. 249. Voici le texte parodié par Azorín : « Una olla de algo más vaca que carnero, salpicón las más noches, duelos y quebrantos los sábados, lentejas los viernes, algún palomino de añadidura los domingos, consumían las tres partes de su hacienda ». Miguel de Cervantès, op. cit., pp. 69-70.

44 « Le long de ce chemin, à travers ces plaines, à cette même heure précisément, cheminait, par une ardente matinée de juillet, le grand Chevalier à la Triste Figure. ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 272.

45 « c’est ici que don Quichotte fit sa veillée d’armes par une nuit de lune ». Ibidem, p. 279.

46 « Ce fut ici que se produisit, devant ces moulins à foulons qui perdurent encore, cette intime et douloureuse humiliation du brave manchego ; de l’autre côté du fleuve, l’on voit encore une épaisse futaie ; c’est de là, sans doute, que don Quichotte et son écuyer ont dû entendre, saisis, le bruit effrayant des fouloirs. ». Ibidem, pp. 283-284.

47 « Pourquoi ne pas entrer là où lui [don Quichotte] était entré ? Pourquoi ne pas poser, à notre époque, après que trois siècles sont passés, nos pieds là où les siens, fermes, audacieux, se sont posés ? ». Ibidem, p. 287.

48 « Ne serait-ce pas, par hasard, dans ces parages, près de ce chemin, que don Quichote rencontra Juan Haldudo, l’habitant de Quintanar ? Andresillo ne fut-il pas attaché à l’un de ces chênes verts et sauvagement fouetté par son maître ? ». Ibidem, p. 273.

49 « Le château de Penarroya ne renferme aucun souvenir relatif à don Quichotte ; mais combien de fois le grand don Alonso Quijano ne dût-il pas venir jusqu’ici, entraîné par ses élucubrations ? ». Ibidem, p. 282.

50 Du nom de celui qui entreprit de photographier les lieux de l’Odyssée et publia l’ouvrage – l’on remarquera la parenté de titre avec celui d’Azorín – Dans le sillage d’Ulysse (Paris, 1933).

51 Christine Montalbetti, Entre écriture du monde et récriture de la bibliothèque. Conflits de la référence et de l’intertextualité dans le récit de voyage au XIXe siècle, in Sophie Linon-Chipon, Véronique Magri-Mourgues, et Sarga Moussa, eds, Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité (11ème colloque du CRLV tenu à Nice les 5, 6, 7 septembre 1997 sous la responsabilité scientifique de François Moureau), Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines de Nice et du Centre de Recherches sur la Littérature de Voyages (Sorbonne), 1998, p. 10. Cf. également, du même auteur, Le voyage, le monde et la bibliothèque, Paris, PUF, 1997 (Coll. Écriture).

52 D’autant plus nécessaire que l’écrivain sait qu’un lecteur connaissant l’ouvrage de Cervantès ne manquerait pas de relever toutes les inexactitudes et les modifications à l’œuvre dans La ruta de don Quijote.

53 « Estos, lector, son los famosos batanes que en noche memorable, tanta turbación, tan profundo pavor llevaron a los ánimos de Don Quijote y Sancho Panza. Las tinieblas habían cerrado sobre el campo, habían caminado a tientas las dos grandes figuras por entre una arboleda ; un son de agua apacible alegrólas de pronto ; poco después, un formidable estrépito de hierros, de cadenas, de chirridos y de golpazos los dejó atemorizados, suspensos. Sancho temblaba ; Don Quijote, transcurrido el primer instante, sintió surgir en él su intrepidez de siempre ; rápidamente montó sobre el buen Rocinante ; luego hizo saber a su escudero su propósito incontrastable de acometer esta aventura. Lloraba Sancho ; porfiaba Don Quijote ; el estruendo proseguía atronador. Y en tanto, tras largos dimes y réplicas, tras angustiosos tártagos, fue quebrando lentamente la aurora. Y entonces, amo y criado vieron estupefactos los seis batanes incansables, humildes, prosáicos, majando en sus recios cajones. Don Quijote quedóse un momento pensativo. Miróle Sancho - dice Cervantès - y vio que tenía la cabeza inclinada sobre el pecho, con muestras de estar corrido... ». Azorín, La ruta de don Quijote..., p. 283.

54 Victor Bérard, dans son livre Dans le sillage d’Ulysse (1933), procède de la façon inverse, puisqu’il essaie, lui, de renforcer l’authenticité de ses photographies en leur accolant des passages de l’Odyssée.

55 Et qui a été rédigée par Azorín, comme l’indique sa reprise dans les Œuvres Complètes de l’écrivain.

56 « de tipos y lugares descritos por Cervantes ». Azorín, La ruta de don Quijote, 2e éd., Madrid, Imp. de la Revista de Archivos, 1912, p. 8.

57 « ahí verán los lectores, en imágenes curiosísimas, a don Quijote, a Sancho, a Dulcinea, al ama y a la sobrina del gran hidalgo, a la mujer y a la hija del sin par escudero. [...] Dicen los eruditos que don Quijote no nació en Argamasilla ; forzosamente debió de nacer en uno u otro pueblo de La Mancha. ¿Por qué no ha de ser ese pueblo Argamasilla ? Que pudo nacer el glorioso hidalgo en Argamasilla lo demuestran los retratos que publicamos de él y de su escudero ; ninguna prueba más tangible, palmaria, irrecusable. Vayan a América estas nobles imágenes de don Quijote, de sus deudos y servidores y de los sitios diversos por donde el hidalgo inmortal y su edecán peregrinaron ; puedan ser contempladas entre quienes hablan como nosotros la lengua castellana, esas figuras y paisajes ligados espiritualmente a la obra de Cervantes ». Ibidem, pp. 8-9.

58 « Ruidera – la posada », « Argamasilla – Teresa Panza y Sanchica Panza », « Criptana – Molino de viento », « El Toboso – El labrador que encontró don Quijote al entrar en el pueblo », qui apparaissent respectivement dans l’édition de 1912 en 20e, 6e, 31e et 28e position.

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Pour citer cet article

Référence papier

Adelaïde Pestano y Viñas, « Les étapes de l'itinéraire d'Azorín dans La ruta de don Quijote (1905) : la Mancha entre passé, présent et fiction littéraire »Cahiers d’études romanes, 17 | 2007, 443-467.

Référence électronique

Adelaïde Pestano y Viñas, « Les étapes de l'itinéraire d'Azorín dans La ruta de don Quijote (1905) : la Mancha entre passé, présent et fiction littéraire »Cahiers d’études romanes [En ligne], 17 | 2007, mis en ligne le 15 janvier 2013, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/etudesromanes/934 ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesromanes.934

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Auteur

Adelaïde Pestano y Viñas

Aix Marseille Université, CAER (Centre Aixois d’Etudes Romanes), EA 854, 13090, Aix-en-Provence, France.

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