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B92

Bou Grara (mer de)

R. Paskoff et P. Trousset
p. 1568-1570

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Mots clés :

Géographie, Tribus
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Texte intégral

1La mer de Bou Grara, qui couvre une superficie d’environ 450 km2 est située dans le Sud tunisien, à proximité de l’île de Jerba qu’elle sépare du continent. Elle communique avec le golfe de Gabès par deux passages. Le premier, au nord-est, est celui d’El Kantara qui est large d’environ 6 km et profond de moins de 2 m. Dans l’antiquité, il a été barré par une chaussée romaine et, par la suite, des caravanes l’ont franchi à gué en suivant le trik el jemel. L’autre passage, au nord-ouest, correspond au canal d’Adjim qui est plus étroit (2 km) et plus profond (16 m). De fait, ce canal est constitué par deux chenaux parallèles, celui de Jorf à l’ouest (– 16 m) et celui d’Adjim à l’est (– 14 m), séparés entre eux par des hauts-fonds.

2La mer de Bou Grara se situe dans un environnement marqué par une aridité que corrige un peu une humidité atmosphérique dont la moyenne annuelle est de l’ordre de 60%. Il tombe en moyenne par an quelque 200 mm de pluie, répartis en 40 jours. Il ne pleut pratiquement pas d’avril à septembre. Les moyennes de températures se situent entre 12°5 en janvier et 30° en août. On compte 29 jours de sirocco par an et l’évaporation potentielle annuelle dépasse 1,50 m. Dans ces conditions, on comprend que la salinité des eaux soit élevée et puisse atteindre 50 en été.

3Le déficit hydrologique de la mer de Bou Grara est compensé par des apports d’eau du golfe de Gabès. Des courants de marée dont la vitesse atteint quelque fois 5 nœuds pénètrent dans la mer de Bou Grara où l’amplitude de la marée (0,40 m en moyenne) est nettement moins marquée que dans le golfe de Gabès où elle est de l’ordre de 2 m en période de vives-eaux.

4Les profondeurs arrivent à 16 m dans la partie centrale du bassin mais en général elles ne dépassent pas 5 m. Les fonds sont essentiellement sablo-vaseux et largement couverts par des prairies étendues de zostères, de caulerpes et de posidonies. A l’ouest, du côté de la presqu’île de Jorf, des falaises d’argile en recul, hautes de quelques mètres, bordent la mer de Bou Grara. Le rivage oriental est dans l’ensemble bas et rocheux. Au sud, aux abords de la sebkha Aïn Maïder, la côte montre des phénomènes de colmatage, dus à des apports de sédiments par le vent et par les oueds lors de crues épisodiques. Des indices d’un léger relèvement du plan d’eau depuis l’antiquité ont été relevés sur les bords de la mer de Bou Grara. Ce relèvement est évalué à quelques dizaines de centimètres.

La mer de Bou Grara et les sites antiques (carte de J. Lenne).

La mer de Bou Grara et les sites antiques (carte de J. Lenne).

(R. Paskoff)

L’originalité géographique de ce vaste plan d’eau en communication avec la haute mer, mais incorporé dans une zone de hauts-fonds que l’île de Jerba — l’île des Lotophages — protégeait du large, avait sans doute été perçue très tôt par les Anciens. Elle est peut-être à l’origine d’une des localisations possibles du lac ou de la baie du Triton, où Hérodote place l’épisode légendaire de l’échouage des Argonautes (IV, 179). Selon Gsell (1916, p. 77-84), cette évocation se rapporte bien au golfe de Gabès et non au Chott el Jérid, car celui-ci était sans communication possible avec la mer dans l’antiquité, comme on avait pu le penser à tort à la suite du Major Rennell et du Commandant Roudaire (Bunbury, 1, p. 314-316 ; Tissot, 1884, p. 101-146).

Les caractéristiques nautiques de la mer de Bou Grara autorisent à retenir la suggestion de Peretti (1979, p. 330-333) en faveur de cette quasi-lagune ouverte sur la mer, pour y reconnaître le limnè megalè tritonida d’Hérodote. Mais on aura peine à reconnaître dans les oueds indigents débouchant dans la mer de Bou Grara, le fleuve Triton qui, au dire d’Hérodote (IV, 180), séparait les Libyens nomades des Libyens cultivateurs. Force est d’admettre toutefois, que les données des géographes anciens sur ces côtes lointaines interdites aux navigateurs grecs par le monopole jaloux des Puniques, étaient restées pour le moins évasives.

Dès les temps puniques, puis à l’époque romaine, ce bassin maritime a connu, bien que ses côtes ne soient pas particulièrement attractives, une activité économique importante, liée à l’exploitation des ressources de la pêche, au commerce et à la mise en valeur agricole de l’arrière pays. La ville de Meninx, dont le nom désignait aussi Jerba, était située à l’entrée du passage d’El Kantara, face à la pointe du continent où se trouvait Pons Zitha et qui pour les Anciens, marquait l’extrémité de la Syrte (Desanges, 1980, p. 430-431). Meninx était réputée pour sa production de pourpre ; les vestiges de la ville sont très étendus sur le front de mer, attestant une activité portuaire du iie siècle av. J.-C. au ve siècle ap. J.-C. A Guellala, se reconnaissent aussi des traces d’une occupation préromaine et des vestiges de cuves liées au traitement des produits de la mer.

Sur la côte sud-ouest de la Bahiret, le site de Gightis (aujourd’hui Bou Grara) a gardé les vestiges très importants — en particulier le forum — d’un centre urbain, vieille cité d’origine phénicienne, érigée en municipe et dotée du Latium majus, sous le règne d’Antonin (Gascou, 1972, p. 138-142). Auparavant, elle était le chef-lieu d’une tribu indigène, les Cinithii qui avaient fait parler d’eux pendant la guerre de Tacfarinas (Tacite, Ann. II, 52). Cette ville, sans doute enrichie par l’oléiculture, était dotée d’un port dont les vestiges sont aujourd’hui envasés par l’alluvionnement marin : il s’agit d’une jetée de 140 m de long, se terminant par un môle arrondi (Constans, 1916, p. 70).

Un autre port romain, constitué de deux jetées à parements de grand appareil et terminées par des plates-formes rectangulaires, se remarquent à Ras Segala, sur la côte est. L’absence de vestiges d’une agglomération à proximité de ces aménagements de première grandeur (350 m pour la jetée sud) ne laisse pas de surprendre et donne à penser que la raison d’être de ce port était de servir de débouché maritime et commercial à la ville de Zitha dont les ruines étendues se trouvent à l’intérieur de la presqu’île des Accara et qui est tenue pour avoir été dans l’Antiquité au centre d’une riche région oléicole.

(P. Trousset)

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Bibliographie

Jedoui Y., Étude hydrologique et sédimentologique d’une lagune du domaine méditerranéen : le Bahiret el Bou Grara (Tunisie). Université de Bordeaux I, 1979, thèse de géologie, 90 p.

Zaoulai J., « La mer de Bou Grara, les fonds et les peuplements végétaux », Tunis, 1971, Bull. Inst. Océanogr. Pêche Salammbô, 2, p. 229-235.

Zaoulai J., « La mer de Bou Grara : facteurs climatiques, physico-chimiques et édaphiques », Tunis, 1977, Bull. Office Nat. Pêches Tunisie, 1, p. 193-205.

Bunbury E.H., History of Ancient Geography, Londres (1879) rééd. Amsterdam, 1979, p. 286-287, 314-316.

Constans L.A., « Rapport sur une mission, archéologique à Bou-Ghara (Gigthis) (1914 et 1916) », Bull, archéol. du Comité T.H., 1916, p. 70.

Desanges J., Pline l’Ancien H.N. V., 1-46, l’Afrique du Nord, Paris, 1980, p. 267-269, 430-434.

Gascou J., La politique municipale de l’Empire romain en Afrique Proconsulaire de Trajan à Septime-Sévère, Rome, 1972, p. 137-142.

Gsell S., Hérodote. Textes relatifs à l’histoire de l’Afrique, Alger, Paris, 1916, p. 77-84.

Peretti A., Il Periplo di Scilace, studio sul primo portolano del Mediterraneo, Pise, Giardini éd., 1979, p. 330-333.

Peyras J. et Trousset P., « Le lac Tritonis et les noms anciens du Chott El Jérid », Antiquités Africaines, 24, 1988, p. 149-204 (p. 163).

Tissot Ch., Géographie comparée de la province romaine d’Afrique, 1, Paris, 1884, p. 100-146.

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Table des illustrations

Titre La mer de Bou Grara et les sites antiques (carte de J. Lenne).
URL http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/docannexe/image/1792/img-1.png
Fichier image/png, 174k
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Pour citer cet article

Référence papier

R. Paskoff et P. Trousset, « Bou Grara (mer de) »Encyclopédie berbère, 10 | 1991, 1568-1570.

Référence électronique

R. Paskoff et P. Trousset, « Bou Grara (mer de) »Encyclopédie berbère [En ligne], 10 | 1991, document B92, mis en ligne le 01 juin 2013, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/encyclopedieberbere/1792 ; DOI : https://doi.org/10.4000/encyclopedieberbere.1792

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R. Paskoff

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