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Droit et pratiques théâtrales (XIIe-XVIe s.)

Droit et pratiques théâtrales (XIIe-XVIe siècles)

Marie Bouhaïk-Gironès
p. 107-108

Texte intégral

1Les études rassemblées dans ce dossier témoignent de la démarche, des enquêtes et des réflexions élaborées au sein de l’équipe de recherche réunie par un programme de l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique (Nederlandse Organisatie voor Wetenschappelijk Onderzoek) intitulé Law and Drama : how Theatrical Practices are defined by, with, and against the Law in France & French-speaking regions (13th-16th centuries), dirigé par Jelle Koopmans (Universiteit van Amsterdam). Les enquêtes entreprises au sein de notre programme explorent la relation entre le droit et le théâtre à travers de multiples questionnaires appréciant, notamment, le statut des pratiques théâtrales et de ses acteurs, le statut juridique de la parole sur scène, l’élaboration de la norme en matière théâtrale et les rapports entre cette norme et la pratique, la censure politique et religieuse du théâtre, les liens étroits entre la pratique théâtrale et la pratique judiciaire.

2Il n’y a pas de théâtre au Moyen Âge, au sens moderne du terme. Il n’y a que des acteurs et des pratiques, soit des groupes d’individus qui exercent une activité de spectacle ou de théâtre dans une situation donnée. À une période où le clergé prend en charge une large part des spectacles, où les pratiques théâtrales sont coutumières dans de nombreux milieux sociaux, dans les collèges comme chez les juristes, il importe de distinguer les comportements licites de ceux qui ne le sont pas. L’activité théâtrale est façonnée par les réflexions des canonistes, par la casuistique des juristes, par les conflits de juridiction, par l’évolution des procédures gracieuses et contentieuses, par les législations et réglementations des différentes autorités qui ont tenté de l’encadrer et de la contrôler, par la censure, l’interdiction, la sanction ou la permission. On doit saisir ces procédures, connaître leurs raisons, leurs moyens, leurs variations géographiques et chronologiques, pour comprendre l’évolution des pratiques théâtrales.

3Les sources juridiques et judiciaires constituent l’un des fonds les plus riches pour l’étude du théâtre. Elles n’ont jamais fait l’objet d’une exploitation autre que très ponctuelle. Nous ne plaidons pas pour une enquête exhaustive, inenvisageable tant ces fonds titanesques sont peu inventoriés pour la fin du Moyen Âge, mais pour des enquêtes raisonnées et plus systématiques. Si nous souhaitons, avec ce dossier, suggérer l’intérêt pour l’histoire du théâtre d’une enquête d’ampleur dans ces fonds, nous voulons tenter non pas d’utiliser ces sources pour combler les creux de la documentation d’une histoire du théâtre lacunaire, mais nous désirons les analyser en respectant le système documentaire dont elles sont issues. Il convient de prendre en considération leur provenance institutionnelle, leur contexte de production et l’histoire de leur conservation, la place du document dans la série à laquelle il appartient, dans la procédure plus large, l’usage pour lequel il a été élaboré, et la logique interne de ce document.

4Il s’agit de faire un pas de côté. La réalité du « théâtre médiéval » a été construite par les historiens de la littérature à partir des textes des pièces qui ont été conservées. Si l’on met cette reconstruction à l’épreuve de ce que donnent à lire les documents historiques, l’écart est rien moins que vertigineux. La traditionnelle division des disciplines a, plus que pour tout autre objet, entravé l’appréhension des pratiques théâtrales avant le XVIIe siècle. Notre approche historienne n’entend pas se substituer aux travaux des philologues, des linguistes et des littéraires sur le théâtre médiéval. Elle prétend au contraire défendre la nécessité d’une combinaison de moyens pour se diriger vers un changement radical dans la compréhension de cet objet qui a échappé en grande part au savoir académique : susciter des questions nouvelles, plus complexes, d’autres questionnements et d’autres hypothèses, ne plus nous contenter des artefacts produits par l’histoire littéraire, compléter l’image amputée que nous avions de ce théâtre, pour le rendre plus intelligible.

5Nous avons voulu présenter notre travail en variant les échelles d’analyse, afin de couvrir le spectre des problèmes qui se sont posés à nous. Le premier article étudie une matière récurrente dans le droit canon, celle de la capacité économique de l’histrion. Simon Gabay, qui traite la question sur la longue durée, du XIIe au XVIe siècle, montre que, encore plus que la catégorie juridique de l’infamie de l’acteur – peu discutée dans les sources –, la question de l’argent est au cœur des réflexions des théologiens et canonistes sur le statut de l’histrion. Le problème, qui prend place dans une réflexion sur les métiers licites et illicites, ne se réduit aucunement à la question du salaire, et s’attache à des interrogations sur l’aumône et la dîme. Le deuxième article considère les rapports entre normes et pratiques. L’étude de cas que j’ai menée à partir des plaidoiries effectuées au Parlement de Paris au début du XVe siècle lors d’un conflit de juridiction entre l’évêque et le prévôt autour de la cause de Poncelet de Montchauvet, clerc criminel ayant exercé une activité du spectacle, montre que les processus de construction des normes en matière théâtrale ne peuvent être analysés qu’en examinant la distance qui sépare la lecture du droit canonique de l’usage qu’en font les praticiens. Ces deux articles révèlent que la question économique est fondamentale dans l’élaboration d’un discours juridique sur le théâtre. Enfin, le dernier article offre une réflexion méthodologique sur les difficultés d’interprétation des documents à portée législative ou juridique. À partir d’un topos de l’histoire du théâtre – l’arrêt du Parlement de 1548 condamnant les mystères –, Jelle Koopmans examine la question de l’effectivité d’une loi en matière théâtrale. La portée du plus connu des arrêts contre une forme théâtrale dite « médiévale » ne peut être mesurée qu’à l’aune d’un travail d’appréciation des séries documentaires qui l’entourent – en plus de la contextualisation politique déjà tentée par la critique.

6À lire les sources, c’est, en définitive, plus que l’histoire de la légitimation ou de l’autonomisation du théâtre, l’histoire d’une conceptualisation qui se dessine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Marie Bouhaïk-Gironès, « Droit et pratiques théâtrales (XIIe-XVIe siècles) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes, 23 | 2012, 107-108.

Référence électronique

Marie Bouhaïk-Gironès, « Droit et pratiques théâtrales (XIIe-XVIe siècles) »Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 23 | 2012, mis en ligne le 30 juin 2015, consulté le 19 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/crmh/12816 ; DOI : https://doi.org/10.4000/crm.12816

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Auteur

Marie Bouhaïk-Gironès

Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique
Universiteit van Amsterdam

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