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Clio a lu

Véronique Blanchard, Régis Revenin et Jean-Jacques Yvorel (dir.), Les Jeunes et la sexualité. Initiations, interdits, identités (XIXe-XXIe siècle)

Paris, Autrement, 2010
Cécile Thomé
p. 250-254
Référence(s) :

Véronique BLANCHARD, Régis REVENIN & Jean-Jacques YVOREL (dir.), Les Jeunes et la sexualité. Initiations, interdits, identités (XIXe-XXIe siècle), Paris, Autrement, 2010, 407 p.

Texte intégral

  • 1 On peut cependant noter que de nombreuses contributions s’intéressent aussi à des enfants parfois (...)
  • 2 Pour « tout ce qui est des discussions sur le concept “jeunesse” et sur ce qu’il recouvre, notamm (...)

1S’il apparaît encore important, cinq ans après sa parution, de rendre compte de ce recueil de textes articulant jeunesse et sexualité, c’est que ce riche ouvrage venait en 2010 combler un vide sur le sujet dans le champ des sciences sociales. Comme le soulignent dès l’introduction ses directeurs et sa directrice – dans des propos toujours d’actualité – le débat public autour de ces questions est aujourd’hui majoritairement occupé par un discours « psy » souvent peu fondé sur des enquêtes empiriques. Ici sont au contraire rassemblées trente-cinq contributions caractérisées par une grande variété. Disciplinaire d’abord : histoire, science politique, sciences de l’éducation ou encore sociologie sont mobilisées. Temporelle ensuite, avec quelques incursions dans le xviiie siècle, des développements plus longs sur les xixe et xxe siècles, et même sur le début du xxie siècle ; mais aussi spatiale, avec des détours par l’Argentine, les États-Unis, l’Iran ou encore le Cameroun qui répondent aux nombreuses contributions portant sur la France. Variété des sources utilisées par les contributeurs et contributrices enfin : correspondances, œuvres littéraires et artistiques, entretiens, archives judiciaires, journaux intimes, presse, observation participante, questionnaires ou encore résultats d’enquêtes quantitatives. C’est donc le croisement de deux catégories souvent considérées comme problématiques qui lie ces différentes recherches : la jeunesse d’une part, considérée par les auteur.e.s comme « n’englobant pas l’enfance (période que nous pourrions situer de la naissance à la puberté) », et incluant donc uniquement, dans le cadre de cet ouvrage, « les adolescents et les jeunes adultes » (p. 12)1, et la sexualité d’autre part. L’introduction souligne d’ailleurs que l’objet de l’ouvrage n’est pas tant de contribuer à la problématisation de l’un ou l’autre de ces objets2, mais bien plutôt de voir en quoi leur croisement représente une perspective heuristique pour les sciences sociales.

2L’ouvrage se structure autour de trois thématiques principales, elles-mêmes divisées chacune en deux ou trois chapitres. La première partie porte sur les initiations, et prend en compte à la fois des questions liées à l’éducation, à la sexualité, aux différentes instances de socialisation et aux sociabilités des jeunes. Le lien avec la santé est mis en évidence, témoignant du fait que ces initiations sont souvent considérées comme des moments « à risque » par les adultes. C’est d’ailleurs aux interdits qu’est consacrée la seconde partie, qui souligne que les jeunes sont toujours considéré.e.s comme potentiellement en danger en même temps que dangereux. Enfin, c’est sur les identités que se centrent les dernières contributions, dans une analyse en termes de genre qui vise à déconstruire non seulement féminité et masculinité/virilité, mais aussi hétérosexualité et homosexualité.

3Les premières contributions s’attachent à la question des initiations. Après des analyses historiques portant plus spécifiquement sur l’éducation sexuelle (entendue au sens large, et non scolaire) en France et en Allemagne, une seconde section se concentre sur le lien entre santé sexuelle et contrôle social. Deux contributions éclairent en particulier cette thématique au Québec dans le premier xxe siècle (avec l’analyse de la régulation socio-judiciaire de la sexualité juvénile par David Niget, et celle de la gestion de la sexualité des collégiens par les prêtres et les parents dans les années 1940, par Louise Bienvenue et Christine Hudon), tandis que trois autres abordent des problématiques plus contemporaines. Ainsi Cécile Chartrain revient sur la manière dont la catégorie « jeunes » a été (et est toujours) instituée en cible de la prévention du VIH/sida très rapidement après l’apparition de celui-ci, alors même que ces jeunes sont les mieux informés sur la question et que les disparités sociales sont bien plus explicatives de la contamination que l’âge. Séverine Bernard développe quant à elle, dans un article qui met particulièrement bien en évidence la persistance de l’inégalité des rapports de genre dans ce domaine, les problématiques liées à la gestion de la contraception par les lycéen.ne.s, tandis que Claire Greslé-Favier s’intéresse aux politiques en faveur de l’abstinence menées en particulier par le gouvernement de Georges W. Bush. Une dernière section de cette partie « Initiations » se centre enfin sur les arts et les médias, abordant aussi bien la presse et le cinéma que les vidéos pornographiques. L’analyse de Patricia Legouge sur le magazine pour adolescentes Jeune & Jolie permet de constater une fois encore que les représentations de la sexualité féminine évoluent très lentement, celle-ci apparaissant majoritairement subordonnée aux désirs masculins. L’article de Pardis Mahdavi permet quant à lui un décentrement quant aux conséquences de la diffusion de la pornographie sur internet pour les jeunes : les jeunes Iraniennes qu’elle interroge soulignent ainsi à quel point l’accès à ces vidéos représente « une source d’inspiration en termes de plaisir féminin » (p. 159), tandis qu’elle est « un mode d’apprentissage et un moyen de s’amuser ou de se retrouver entre amis » (ibid.) pour les jeunes hommes.

4Une deuxième section se penche ensuite sur les « interdits », en abordant en premier lieu les prostitutions. Quatre articles permettent de traiter cette thématique aussi bien du point de vue des clients (avec l’exemple de « l’apprentissage amoureux des étudiants du Quartier latin du second xixe siècle » par Lola Gonzalez-Quijano) que des prostitué.e.s. Malika Amaouche développe ainsi, à partir d’un travail de terrain et d’entretiens auprès de jeunes hommes pratiquant la prostitution gare du Nord à Paris, la question du rapport à la masculinité qu’implique cette pratique. Les interdits sont ensuite appréhendés à travers l’étude des violences sexuelles subies, mais aussi de celles commises, grâce à sept contributions. Concernant les violences subies, il est beaucoup question de pédophilie et/ou d’inceste (assez paradoxalement pour un ouvrage consacré à la jeunesse et non à l’enfance), avec les contributions d’Anne-Claude Ambroise-Rendu sur le consentement enfantin, de Fabienne Giuliani sur l’inceste au xixe siècle, de Sébastien Roux sur le tourisme sexuel impliquant des enfants en Thaïlande ou encore de Claude-Olivier Doron qui entreprend de cerner la pédophilie « de l’affaire Dutroux à l’affaire d’Outreau ». Les contributions de Céline Regnard-Drouot et de Véronique Le Goaziou et Laurent Mucchielli portent quant à elles sur les violences commises par de jeunes hommes ; l’absence d’analyse de violences commises par des femmes amène alors à s’interroger : insuffisance de cas féminins, cécité de la justice ou angle mort des recherches historiques et sociologiques ?

5Une dernière section, consacrée aux « identités », s’interroge d’abord sur les rapports de genre et sur l’hétérosexualité. Un article de Christophe Gracieux éclaire l’évolution des représentations autour de la sexualité des conscrits dans les années 1960 et 1970, montrant que le lien entre conscription et virilité (« bon pour les filles ») se détend progressivement (et éclairant au passage les questions des violences sexuelles et de l’acceptation de l’homosexualité au sein des casernes). Les autres articles se concentrent sur la sexualité des jeunes filles, considérée comme la plus problématique, et donc celle qu’il faut surveiller. Anne-Claire Rebreyend revient ainsi sur l’apparition de la « fille amoureuse », qui prend progressivement place dans les années 1950 entre la « fille facile » et la « fille sérieuse », et Isabelle Clair, à partir de deux terrains ethnographiques et d’entretiens avec des jeunes issu.e.s de « banlieues » ou d’espaces ruraux, revient sur la « liberté surveillée » des jeunes filles (surveillées par la figure du « grand frère » dans le premier cas, par la mère dans le second). Un dernier article porte sur l’évolution des comportements sexuels des jeunes femmes à Madagascar sur plus de deux siècles, et souligne un déplacement de la « permissivité » au « tabou » : dans certaines régions de l’île la virginité n’avait auparavant aucune signification (la valeur d’une femme augmentait si elle avait déjà eu des enfants, preuve de sa fertilité), alors qu’aujourd’hui les grossesses précoces sont objet de réprobation sociale et empêchent les jeunes filles de faire des études.

  • 3 Seule la dernière page du dernier article, celui de José Ignacio Pichardo Galàn : « Espagne. Les (...)

6Enfin, le dernier chapitre revient sur les liens entre genre et homosexualité, à partir de quatre contributions dont trois portent sur la période actuelle : deux sur les jeunes gays (en France et au Cameroun) et une sur les LGBT (en Espagne). Gabriel Girard s’interroge ainsi sur la « vulnérabilité » d’une population homosexuelle qui n’est, comme il le note en s’appuyant sur différentes enquêtes quantitatives, « ni précisément dénombrable ni clairement délimitée » (p. 342) ; il souligne cependant la difficulté de la communauté homosexuelle « à transmettre aux plus jeunes les normes de prévention élaborées dans les deux premières décennies de l’épidémie » (p. 350). À partir d’une enquête de terrain à Yaoundé et d’une analyse du lexique employé par les hommes ayant des pratiques homosexuelles pour s’auto-désigner, Patrick Awondo constate le développement progressif, malgré la répression officielle, de lieux de rencontre homosexuels, voire même d’une « identité » gay au Cameroun. Ce chapitre sur l’homosexualité clôt un volume qui a le mérite d’articuler tout au long de ses sections les différentes orientations sexuelles, mais en se centrant principalement, comme c’est souvent le cas, sur les gays plutôt que sur les lesbiennes (et en occultant largement les problématiques liées à la bisexualité). On peut regretter en outre que les questions trans ne soient quasiment pas abordées dans cette ultime section3 (pas plus qu’elles ne le sont dans les précédentes).

7Croisant des thèmes aussi divers que la religion, la pornographie, le couple, les médias, le sida, l’inceste ou encore les masculinités, cet ouvrage offre donc un aperçu efficace et passionnant des recherches sur les jeunes et la sexualité. On peut cependant s’étonner de l’absence d’articles portant spécifiquement sur des problématiques pourtant distinctives de la jeunesse, comme l’école ou la « première fois », même si ces thématiques sont évoquées dans certaines contributions. Par ailleurs, on aurait aimé que les notions de « jeunesse » et de « sexualité » soient considérées plus systématiquement comme des objets d’analyse en tant que tels, et non simplement comme des outils pour appréhender et délimiter des études de cas. Mais l’absence d’exhaustivité est le lot de tout ouvrage collectif, surtout constitué à partir d’un appel à communications, et cela n’enlève rien à la qualité des contributions réunies ici.

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Notes

1 On peut cependant noter que de nombreuses contributions s’intéressent aussi à des enfants parfois beaucoup plus jeunes, en particulier dans le chapitre portant sur les violences sexuelles (cf. infra).

2 Pour « tout ce qui est des discussions sur le concept “jeunesse” et sur ce qu’il recouvre, notamment dans une perspective historique » (p. 12), les lecteurs et lectrices sont ainsi invité.e.s à se reporter à la bibliographie générale proposée à la fin du volume.

3 Seule la dernière page du dernier article, celui de José Ignacio Pichardo Galàn : « Espagne. Les adolescents LGBT aujourd’hui », évoque cette problématique.

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Pour citer cet article

Référence papier

Cécile Thomé, « Véronique Blanchard, Régis Revenin et Jean-Jacques Yvorel (dir.), Les Jeunes et la sexualité. Initiations, interdits, identités (XIXe-XXIe siècle) »Clio, 42 | 2015, 250-254.

Référence électronique

Cécile Thomé, « Véronique Blanchard, Régis Revenin et Jean-Jacques Yvorel (dir.), Les Jeunes et la sexualité. Initiations, interdits, identités (XIXe-XXIe siècle) »Clio [En ligne], 42 | 2015, mis en ligne le 05 février 2016, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/clio/12848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.12848

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Auteur

Cécile Thomé

EHESS-Iris

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