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Mémoires et thèses

Sastre Grégoire, Le phénomène des agents d’influence japonais en Asie (1880-1915)

Thèse de doctorat sous la direction de Éric Seizelet, Université Paris‑Diderot, 2016.
p. 367-370

Texte intégral

1L’objet de cette thèse est d’analyser les origines et l’apport des agents d’influence non institutionnels japonais à la politique extérieure japonaise. Par agents d’influence non institutionnels, on entend des activistes politiques qui ont promu leur projet expansionniste par l’action directe en Asie et leur influence au Japon durant une période allant du début de la restauration impériale de Meiji (1868) à la fin de la Première Guerre mondiale. Ces hommes agirent sur et parfois avec les institutions politiques, militaires et économiques japonaises sans en reconnaître la tutelle.

2Dans le but de démontrer la particularité de l’action de ces hommes et de mesurer l’ampleur de leur influence ainsi que leur place au sein de l’histoire du Japon, nous avons résolu de ne pas considérer ces hommes au prisme de l’idéologie dite « asiatiste », angle souvent adopté qui s’est cependant avéré insuffisant pour la compréhension de ce phénomène. Ce choix méthodologique a permis de considérer les agents d’influence comme des agents de l’expansionnisme japonais plutôt que comme les tenants d’une solidarité asiatique fantasmée.

3Ce travail se divise en quatre parties. Dans la première sont explorées les origines politiques, historiques et sociales de leur activisme. Dans la deuxième, avec le processus ayant mené à la guerre sino-japonaise de 1894 comme arrière-plan, sont proposées deux études de cas, celles d’Uchida Ryōhei (1874‑1937) et d’Arao Sei (1859‑1896). La troisième partie porte sur la guerre russo-japonaise de 1904 et l’annexion de la Corée par le Japon et le rôle qu’y jouent les agents d’influence. Enfin, dans la quatrième et dernière partie est abordé leur rôle dans la révolution chinoise de 1911 ainsi que dans deux tentatives pour donner au Japon le contrôle de la Manchourie.

4Dans cette étude, leurs modes d’action ont été séparés en deux grandes catégories. La première consistait à s’appuyer sur des groupes ou figures autochtones des pays au sein desquels les agents opérèrent. La deuxième était de rassembler et de partager des renseignements. Ces deux méthodes sont intimement liées avec la constitution de réseaux d’influence au Japon comprenant des responsables politiques, militaires et économiques. Ainsi, les renseignements collectés étaient transmis aux responsables japonais accompagnés d’analyses appuyant les objectifs politiques des agents afin d’influencer la politique japonaise.

5L’association Gen.yōsha joua un rôle central dans l’apparition des agents d’influence. Les hommes qui la fondèrent en 1881 participèrent activement au mouvement pour la liberté et les droits du peuple, et jouèrent un rôle important dans son ancrage régional à Fukuoka. Cependant, lors de sa création, la Gen.yōsha marqua une rupture avec ce mouvement et fit le choix de promouvoir l’idée d’une nation forte à travers le respect dû à la maison impériale, ainsi qu’une attitude agressive dans la politique étrangère du Japon. Les membres de l’association considérèrent que la défense des droits démocratiques était secondaire au regard de leur but principal : assurer la protection de la souveraineté nationale et augmenter la puissance militaire du pays. Les agents d’influence, et notamment ceux qui gravitaient autour d’Uchida Ryōhei, furent les héritiers de cette position qui demeure marquée par un élitisme et, in fine, un rejet de la démocratie comme moyen d’atteindre leurs objectifs.

6Ces hommes avaient en héritage les raisons et les effets de la controverse sur la conquête de la Corée en 1873. Il s’agissait d’en finir avec l’influence chinoise en Asie, en particulier en Corée. Les premières actions extérieures des agents d’influence allèrent dans ce sens.

7C’est à la fin des années 1880 et au début des années 1890 qu’apparurent les agents d’influence « professionnels », dont l’activité se concentra sur l’action hors des frontières japonaises.

  • 1 Actuelle ville chinoise de Wuhan.

8Les activités de collecte de renseignements furent systématisées pour la première fois par Arao Sei. Membre des services de renseignement de l’armée japonaise, il fut envoyé en Chine en 1886, où il reprit le contrôle du Rakuzendō de Hankou1. De là, il rassembla un groupe d’agents d’influence qu’il envoya à travers la Chine pour y récolter des informations concernant le pays. Arao n’avait cependant pas pour seul objectif de servir ses employeurs, mais bien de constituer une base sur laquelle construire ses projets à venir. En 1890, il fonda le Centre de recherche sur le commerce sino-japonais afin de former des hommes qui, à l’occasion, travaillèrent pour l’armée, notamment durant la guerre sino-japonaise de 1894-1895. En cela, il joua un rôle dans l’implantation japonaise en Chine ainsi que dans le développement du renseignement militaire japonais. Uchida Ryōhei utilisa également le renseignement comme méthode, en particulier en Russie. Son objectif était de fournir à ses interlocuteurs de l’armée et du gouvernement un contenu factuel et de l’analyser de manière à servir ses objectifs.

9Ainsi, le rôle des agents n’est pas de fournir un casus belli par leurs propres moyens, mais bien de pousser les hommes au pouvoir à agir comme ils le souhaitent. En 1894, ils fondent le groupe Ten.yūkyō pour forcer l’entrée en guerre du Japon contre la Chine.

10Afin d’obtenir la confrontation russo-japonaise, des agents d’influence se rendirent à Vladivostok où ils rassemblèrent des renseignements en collaboration avec l’armée. Afin de renforcer leurs capacités d’action et d’influence, ils fondèrent l’association Kokuryūkai en 1901. Pendant le conflit russo-japonais de 1904-1905, ils proposèrent et obtinrent la création par l’armée d’une milice en Mandchourie. Ils y prirent part aux côtés de militaires et de brigands équestres mandchous.

11L’annexion de la Corée fut sans nul doute le fait démontrant le mieux l’influence des agents sur les décisions afférentes à la politique extérieure du Japon, et c’est aussi le moment qui marqua le pinacle de leur influence. Ainsi, de 1896 à 1910, en s’appuyant sur ses relations politiques au Japon, en particulier avec des genrō tels que Yamagata Aritomo (1838‑1922) et en manipulant l’association politique coréenne Ilchinhoe, Uchida parvint à obtenir l’assentiment par les gouvernement japonais et coréens à une « fusion » du Japon et de la Corée, en fait à son annexion par le Japon.

12Cependant, la capacité des agents à peser sur les décisions japonaises commença à décliner dès les années 1910. La Révolution de 1911 en est un bon exemple. Par la suite, l’action de Kawashima Naniwa pour l’indépendance de la Mandchourie et de la Mongolie en 1912 et 1915 tend à démontrer que la marge d’action des agents fut limitée par le pouvoir politique et militaire dont la présence en Asie augmentait : le gouvernement japonais commençait alors à disposer de ses propres relais et sources d’information, rendant la dépendance à l’égard de ces « aventuriers politiques », parfois difficilement contrôlables, moins indispensable dans la construction de sa politique asiatique.

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Notes

1 Actuelle ville chinoise de Wuhan.

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Pour citer cet article

Référence papier

« Sastre Grégoire, Le phénomène des agents d’influence japonais en Asie (1880-1915) »Cipango, 24 | 2021, 367-370.

Référence électronique

« Sastre Grégoire, Le phénomène des agents d’influence japonais en Asie (1880-1915) »Cipango [En ligne], 24 | 2021, mis en ligne le 11 octobre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cipango/5145 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cipango.5145

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