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2018

A propos du dernier livre de Sebastian Roché, Police de proximité, Nos politiques de sécurité, Paris, Seuil, 2005.

Olivier Hassid

Texte intégral

1Les émeutes urbaines de novembre 2005 viennent de relancer le débat sur la nécessité de disposer d’une police de proximité. Mise en place par Jean-Pierre Chevènement et stoppée par Nicolas Sarkozy, la réforme de la police de proximité est, pour de nombreux observateurs, indispensable au maintien du pacte républicain. La sortie du livre de Sebastian Roché est, en ce sens, une aubaine pour le décideur public. L’objectif de ce livre est simple : éclairer celui-ci sur les causes de l’échec de cette réforme et lui donner des clefs, à la lumière de l’analyse de cet échec, afin d’élaborer une police « plus efficace et plus démocratique ». Après avoir présenté les arguments développés par Sebastian Roché pour expliquer l’insuccès de la plus grande réforme de la police depuis 50 ans, on pourra se demander si l’auteur a entièrement atteint son objectif.

Les échecs de la police de proximité

2Si l’on tente de résumer les arguments de Sebastian Roché pour expliquer ces échecs, on peut retenir 5 causes majeures. Tout d’abord, l’absence d’objectifs préalablement définis à cette nouvelle forme de police ensuite, les faiblesses de doctrine sous tenant ce projet et le bilan mitigé de sa généralisation mais également les aléas politiques qui ont freiné son épanouissement et enfin, une conduite du changement laborieuse.

Absences d’objectifs clairs

3À la lecture de cet ouvrage, on comprend que la réforme de la police de proximité, entamée par Jean-Pierre Chevènement et terminée par Daniel Vaillant, est une réforme dont l’objectif n’est pas clairement énoncé. S’agit-il de faire diminuer le taux de crimes et de délit ? D’améliorer la relation police/ population ? De satisfaire à la demande de sécurité ? De rendre la police nationale plus visible aux yeux des citoyens ou s’agit-il plus prosaïquement de remettre les policiers au travail ?

  • 1 Michel Rocard, Oser la réforme de l’État, Lettre du Management Public, mai-juin 2002.

4Or, sans objectif préalablement défini, quelle que soit la réforme, celle-ci a toutes les chances d’échouer. Comme le rappelle Michel Rocard : « trop souvent, des ministres, sur une pression indéterminée (…), sont embarqués dans des intentions réformatrices qui n’ont d’autre origine que l’air du temps, sans que l’objectif précis, délimité et fondamental de la réforme à laquelle il faut parvenir dans ce secteur de l’administration publique, soit clair. C’est évidemment une condition résolutoire de l’échec programmé1 ». L’échec de la police de proximité est donc tout d’abord l’incapacité des ministres de l’Intérieur à avoir su élaborer une vision compréhensible et partagée avec l’ensemble des membres de leur organisation.

Une doctrine a minima

  • 2 Directeur Général de la Police Nationale.

5Toute réforme prend appui sur une doctrine. Or si au départ, une doctrine a vu le jour en grande partie grâce à Dominique Monjardet et François-Yves Boscher (p. 69), celle-ci semble s’être édulcorée au cours du temps. Comme Sebastian Roché l’écrit : en raison des luttes d’influences au sein du ministère, des changements de ministres, de DGPN2, des conflits entre le ministère de l’Intérieur et de la Justice, d’une résistance de la base (qui n’est pas préparée à la réforme) et du temps de la réforme (vite fait, mal fait), les contours de la doctrine se sont réduits comme « peau de chagrin » (p. 83). D’autant que si Jean-Pierre Chevènement veut alors une police de proximité, il ne veut pas d’une police communautaire. Le modèle anglo-saxon est rejeté car le ministre souhaite conserver une « police républicaine », concept également vide de sens, comme le remarque l’auteur. Aucun débat de fond n’a été entretenu pour nourrir la doctrine.

Un bilan mitigé

6Dans ces conditions, le bilan ne peut être que mitigé.

7Les résultats les plus significatifs se situent dans les zones où les moyens ont été substantiellement renforcés. En terme de sentiment de sécurité, il semble que les effets soient positifs.

8En revanche, en matière de délinquance et de plaintes, cette réforme est sans effet. Le taux de crimes et délits ne baisse pas. Les atteintes aux personnes poursuivent leur ascension. Les individus ne signalent pas plus que par le passé les actes dont ils sont les victimes. Si le taux de victimisation croît, le taux de plaintes aux autorités reste sensiblement le même entre 1995 et 2001. Enfin, les pratiques de la police évoluent très peu. Les policiers se limitent, dans le cadre du développement des contrats locaux de sécurité, à être plus présents auprès des partenaires institutionnels mais absolument pas auprès de la population. Il apparaît que la police n’est pas plus visible. Or, il ressort de l’argumentaire que la visibilité de l’action policière est indispensable au projet.

9En terme d’image, la police ne sort pas grandie (ou très peu).

Une réforme soumise à de nombreux aléas

10Rien ne paraît sourire à cette réforme :

    • 3 « Il ne s’agit pas de réformer la police de Lyon ou de Chicago, mais d’un pays tout entier, et cela (...)

    les budgets de la police nationale sont rognés alors qu’il faudrait des moyens exceptionnels3 ;

  • des textes de loi sont votés, comme celui de la présomption de l’innocence, qui irritent la police et qui la rendent encore moins favorable à la réforme ;

  • la hiérarchie policière ne soutient pas la réforme. Celle-ci s’appuyant sur une décentralisation du commandement, les commissaires craignent de perdre leur pouvoir et de manière plus générale, les policiers ne souhaitent pas se substituer aux « assistantes sociales ».

Une conduite du changement laborieuse

  • 4 Aurélien Colson, la conduite du changement au sein du secteur public : une contribution pour l’acti (...)

11La conduite du changement au sein du secteur public est le leitmotiv des politiques depuis plusieurs années4. Mais, le plus souvent, cette conduite du changement est laborieuse voire désastreuse et la réforme de la police de proximité en est un bel exemple ! Les raisons en sont multiples :

    • 5 Dominique Monjardet, La police de quartier : la réforme du service de police de Montréal, 1994-2004 (...)

    tout d’abord, il faut du temps pour mettre en place une réforme : celle-ci n’en a pas eu. Comme le rappelle Dominique Monjardet, la réforme du service de police de Montréal en police de proximité a demandé dix ans5 ;

    • 6 D’ailleurs ce qu’oublie Sebastian Roché dans son propos, c’est que la grande différence entre Nicol (...)

    Ensuite, il faut un leader pour porter le projet. Or, Jean-Pierre Chevènement ne pouvait pas être ce leader puisqu’il semble, en lisant Sebastian Roché, qu’il n’était pas convaincu par cette réforme6 ;

  • De plus, il est indispensable d’impliquer en amont, et ce le plus possible, tous les membres de l’organisation. Force est de constater, que le management de la police n’a su ni mobiliser, ni sensibiliser sa base ;

    • 7 Alfred Chandler, Strategy and structure, New York Doubledau & Co, 1966.

    Enfin, la structure doit suivre la stratégie7. Pour fonctionner, cette réforme aurait dû s’appuyer sur une organisation plus décentralisée et notamment prendre appui sur les collectivités locales, ce qui ne fut pas le cas.

Critiques sur la méthode

12À notre sens, l’intérêt de cet ouvrage est double. D’une part, il présente de manière intéressante l’incapacité bien française à réformer l’État et plus particulièrement la police et la gendarmerie. Les réformes de la police se sont multipliées sans que l’organisation ne change fondamentalement. D’autre part, il fait une analyse critique de la police de proximité en s’appuyant sur le cas français. La « community policing », que l’on présente comme le remède miracle au sentiment d’insécurité et à la délinquance de voie publique, est-elle aussi performante que certains criminologues ont bien voulu le croire ?

13Malgré tout l’intérêt du livre, celui-ci présente néanmoins quelques imperfections d’un point de vue historique, analytique et épistémologique.

Historique

14Sebastian Roché retrace l’évolution de la réforme de la police de proximité : des premières réflexions sur la police de proximité dès le début des années 1980 à la mise en œuvre et à l’application de la réforme dans les années 1990, 2000. Le risque de ce type de présentation historique est de trop forcer le trait et l’ouvrage n’échappe malheureusement pas à la règle. Jean-Pierre Chevènement et Nicolas Sarkozy, les deux ministres dont il parle le plus, sont présentés comme des caricatures. Le premier serait un ministre de l’Intérieur absent, qu’il soit malade ou pas. On a l’impression qu’il laisse faire les choses, qu’il n’a pas l’âme d’un leader et qu’il ne croit pas en ce projet. Nicolas Sarkozy serait quant à lui un communiquant sans fond qui n’a fait qu’avancer des réformes qui étaient déjà dans les « cartons des socialistes » (p.272).

  • 8 Didier Migaud, La gestion des effectifs et des moyens de la police nationale, Assemblée nationale, (...)

15Ces représentations nous semblent un peu grossières. Très certainement Jean-Pierre Chevènement savait où il voulait aller, mais ne pouvait pas le formuler clairement. Curieusement, Sebastian Roché ne rappelle pas qu’à l’époque, l’Assemblée nationale et la Cour des comptes se sont fait l’écho des dysfonctionnements au sein de la police nationale et de la préfecture de police de Paris. Le ministre lui-même en fait part : « Les tâches d'administration de la police sont très largement confiées à des policiers, ce qui manifeste le fait que la police est sous-administrée. Le total des emplois administratifs, techniques, de service, atteint 13.000, effectif très inférieur aux pays voisins. En Allemagne, une infrastructure administrative beaucoup plus importante dégage des moyens pour la police proprement dite8 ». Outre l’externalisation qui représente une solution envisagée par le rapport parlementaire, c’est surtout la création d’une police de proximité qui semble le meilleur moyen de combattre les dysfonctionnements du système.

16Comme le rappelle le rapport réalisé par Didier Migaud, en conclusion : « le ministre l'a indiqué à la Mission et ses propos rejoignent les préoccupations des élus et de nos concitoyens : le développement d'une police de proximité, et donc l'accroissement du nombre de policiers présents sur la voie publique, constituent l'orientation majeure de la politique qu'il entend mener. La plus grande visibilité des policiers, et donc leur plus grande disponibilité, constituent, en effet, un enjeu essentiel pour répondre aux attentes de la population et combattre un fort sentiment d'insécurité. Cela suppose que les policiers ne soient pas accaparés par des tâches non policières et que leur répartition sur le territoire soit mieux adaptée à l'évolution de la délinquance. Cela suppose aussi, avant tout, que la police repense les modalités de la gestion de ses personnels ». En d’autres termes, Jean-Pierre Chevènement veut remettre au travail les policiers et son arme : la police de proximité.

  • 9 Rudolph W. Giuliani, Leadership, New York, Miramax Books, 2002.

17Quant à l’action de Nicolas Sarkozy, qu’on l’apprécie ou que l’on ne l’apprécie pas, il faudrait au moins lui reconnaître, en tout cas lors de son premier passage au ministère de l’Intérieur, le profil d’un « leader ». Comme le rappelle Rudolph H. Giuliani, un leader est une personne qui est directe, qui sait communiquer ses idées et qui parvient à canaliser les énergies en donnant l’impression d’être l’homme de la situation9. À ce titre, Nicolas Sarkozy va parvenir, en tout cas pendant un temps, à remettre les policiers dans la rue, en leur montrant qu’il est leur chef, en envoyant un message clair (combattre la délinquance de voie publique, et de manière particulière la prostitution) et en les accompagnant quand c’est nécessaire sur le terrain.

Analytique

18L’auteur défend la thèse que ce sont les dysfonctionnements de la chaîne pénale, dont la police est le premier maillon qui explique, pour une large part, la réforme de la police nationale en police de proximité.

19Cette thèse ne nous convainc pas. Pourquoi attendre la fin des années 1990 pour lancer la réforme de la police nationale alors que la chaîne pénale semble dérailler depuis les années 1970 ? Comme l’auteur le rappelle lui-même, le rapport Peyrefitte en 1977 met déjà en évidence la nécessité d’une police qui réponde à la petite délinquance. Pourquoi a-t-il fallu attendre plus de 20 ans ? N’y a-t-il pas d’autres explications sous-jacentes à la mise en place d’une police de proximité ?

20Plusieurs explications pourraient être avancées :

  • Un effet mimétique : tous les pays européens ont cherché à mettre en place une police de proximité dès le milieu des années 1990 ;

  • Un besoin de légitimité : la gauche avait besoin de crédibilité sur ce sujet auprès de son électorat, faute de perdre un certain nombre d’adhérents et d’électeurs ;

  • Le leadership de certains hommes de gauche : certains hommes influents à gauche ont proposé cette réforme, comme la grande réforme de la police (Alain Bauer, Julien Dray, etc.) ;

    • 10 Alex S. Vitale, innovation and institutionalization : factors in the development of « quality of li (...)

    En finir avec les désordres publics. Les innovations policières de ces dernières années visent avant tout à « éliminer » les désordres publics10. En ce sens, la police de proximité, qui est généralement associée à la notion de prévention plutôt que de répression, a pour objectif premier de restaurer l’ordre et de faire disparaître le plus possible les lieux de trouble que cela soit par la persuasion ou par la force.

Épistémologique

21Quel est l’enjeu de ce livre ? Quel est son objectif ? Est-ce une analyse scientifique, un rapport pour le compte du Premier ministre ? Un pamphlet ? Au même titre que pour la police de proximité, l’objectif assigné à cet ouvrage n’étant pas clairement défini, on ne voit pas bien où il mène. À la fin de l’ouvrage, il y a un certain nombre de recommandations qui touchent de près mais aussi de loin la réforme de la police de proximité. Elles pourront surprendre. Prenons un exemple : « en résumé, écrit-il, la délinquance s’organise au plan des agglomérations, la prévention est une prérogative d’agglomération, la police de sécurité publique doit l’être aussi. Tout le monde le sait, c’est un secret de Polichinelle » (p. 291).

  • 11 Délégation Interministérielle à la ville, les experts communaux de prévention et de sécurité, rappo (...)
  • 12 Cours des comptes, L’intercommunalité en France, Cours des Comptes, Paris, Novembre 2005.

22Tout d’abord, il aurait fallu démontrer que la délinquance s’organise au plan des agglomérations. Peut-être que tout le monde le sait, néanmoins, ceci n’est pas du tout prouvé. La délinquance se déplace également entre agglomérations et malheureusement bien souvent ces agglomérations ne communiquent pas les unes avec les autres. Ensuite, dire que la prévention est une prérogative d’agglomération est inexact ou encore faudrait-il étayer cette thèse. Le nombre de coordinateurs de la prévention dans les communes est passé en 5 ans de 100 à 50011, ce qui montre que les communes investissent également largement cette question et le futur texte de lois de Nicolas Sarkozy sur la prévention de la délinquance devrait d’ailleurs renforcer le statut des communes en la matière. Dans ces conditions, comment aboutir à la conclusion que la police de sécurité publique doit être placée sous l’autorité des agglomérations, ce qui est extrêmement compliqué et discutable dans un contexte où la Cour des comptes a fortement critiqué l’existence de ce niveau institutionnel12.

23Cette réflexion semble à la fois destinée au grand public, aux décideurs institutionnels et au monde de la recherche. L’absence de population cible identifiée et d’objectifs clairement indiqués nuit à la démonstration. C’est un peu dommage car il serait urgent, compte tenu des événements récents, de faire un bilan exhaustif sans compromis et sans concession sur la question de la police de proximité et sur ses enjeux.

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Notes

1 Michel Rocard, Oser la réforme de l’État, Lettre du Management Public, mai-juin 2002.

2 Directeur Général de la Police Nationale.

3 « Il ne s’agit pas de réformer la police de Lyon ou de Chicago, mais d’un pays tout entier, et cela aucune grande nation ne l’a réalisé dans le passé. L’orientation vers la proximité est consommatrice d’effectifs. Lorsque, de plus, la réforme se déroule dans un contexte démographique peu favorable avec de nombreux départs à la retraite mal anticipés par les directions nationales, il est très difficile de doter durablement les circonscriptions de police des effectifs nécessaires à leur fonctionnement et également à l’obtention d’un soutien des syndicats » (p.169).

4 Aurélien Colson, la conduite du changement au sein du secteur public : une contribution pour l’action, Les cahiers, Commissariat Général du Plan, n°13, septembre 2005.

5 Dominique Monjardet, La police de quartier : la réforme du service de police de Montréal, 1994-2004, document de travail, 2005, téléchargeable sur le site du Commissariat général du Plan.

6 D’ailleurs ce qu’oublie Sebastian Roché dans son propos, c’est que la grande différence entre Nicolas Sarkozy et les ministres précédents, c’est le leadership à savoir l’implication du chef dans la conduite des changements de la police. 

7 Alfred Chandler, Strategy and structure, New York Doubledau & Co, 1966.

8 Didier Migaud, La gestion des effectifs et des moyens de la police nationale, Assemblée nationale, Rapport d’information n°1781, 7 juillet 1999.

9 Rudolph W. Giuliani, Leadership, New York, Miramax Books, 2002.

10 Alex S. Vitale, innovation and institutionalization : factors in the development of « quality of life » policing in New York City, Policing and Society, vol.15, n°2, June 2005, pp. 99-124.

11 Délégation Interministérielle à la ville, les experts communaux de prévention et de sécurité, rapport non publié.

12 Cours des comptes, L’intercommunalité en France, Cours des Comptes, Paris, Novembre 2005.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Olivier Hassid, « A propos du dernier livre de Sebastian Roché, Police de proximité, Nos politiques de sécurité, Paris, Seuil, 2005. »Champ pénal/Penal field [En ligne], Compte-rendus de lectures, mis en ligne le 25 avril 2018, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/champpenal/9656 ; DOI : https://doi.org/10.4000/champpenal.9656

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Auteur

Olivier Hassid

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