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Carnets de débats

« On n’est pas un bon légionnaire quand on n’a pas le cafard »1 : enjeux médicaux, culturels et politiques d’un sentiment géographique (1880-1930)

Jean-François Staszak

Résumés

Au croisement de la géographie médicale, politique et culturelle, l’article porte sur le cafard colonial. Le cafard est un mal du pays qui apparaît dans les années 1880 au sein la Légion étrangère et des Bataillons d’Afrique, qui tirent pour partie leur identité de cette forme de nostalgie. Identifié comme pathologie coloniale par les médecins dans les années 1910, il affecte ensuite les Poilus dans les tranchées, avant de se banaliser pour constituer un sentiment qui diffuse ensuite dans toute la société française. Dans les colonies, les coups de cafards débouchent souvent sur des excès de violence, que la médicalisation de cet état d’âme permet d’excuser. En fait, le cafard semble consubstantiel au projet colonial, dont les contradictions font qu’il est impossible au colon de trouver une juste place. L’article plaide par l’exemple pour une approche critique des affects géographiques.
Mots-clés : affect, colonisation, exotisme, médicalisation, nostalgie

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Notes de la rédaction

Note des coordinatrices : faisant initialement partie de l’article du même auteur (« Quand le cafard fait son cinéma : la mise en scène du cafard colonial dans les films français des années 1930 ») publié dans la rubrique Carnets de recherches de ce numéro, cette partie du texte a été — en accord et avec l’aide de l’auteur — autonomisée, développée et placée dans la rubrique Carnets de débats. Consacré à l’apparition du cafard colonial et à sa banalisation, ce texte permet en effet d’alimenter les débats sur les apports potentiels d’une telle étude à la géographie des émotions ou à ce que l’auteur appelle plus largement la géographie des affects. Parce qu’il considère le cafard comme une forme de nostalgie, il entre en outre en résonance avec l’entretien de Philippe Gervais-Lambony qui est consacré en grande partie à cette question et se trouve dans la même rubrique.

Texte intégral

L’auteur tient à remercier les évaluateurs anonymes pour leurs critiques et suggestions, qui lui ont été très précieuses.

  • 1 Le Matin, 2/10/1913.
  • 2 J’utilise le mot d’affect parce qu’il est le plus général et inclut aussi bien les émotions, les se (...)

1Les affects2 constituent assurément un objet de recherche légitime pour les sciences sociales, quoiqu’il ait été jusqu’à une période récente fort négligé par celles-ci, surtout dans le monde francophone. Leur prise en compte pose toutefois de sérieux problèmes, d’ailleurs très tôt identifiés dans les critiques (Cresswell, 2012) adressées à la géographie non-représentationnelle (Thrift, 2007 ; Lorimer, 2005).

2J’en retiens ici essentiellement une. Un des apports les plus notables des récents développements de la géographie, et en particulier de la nouvelle géographie culturelle, tient à sa dimension critique, et à la façon dont elle articule des systèmes de représentations à des pratiques et des situations de pouvoir, en prenant en compte les matrices de domination de la classe, du genre et de la race. Bref, cette géographie culturelle est tout autant sociale et politique. Faire des affects l’enjeu central de la recherche, n’est-ce pas dépolitiser les sciences sociales et les priver de toute fonction émancipatrice ? Raisonner en termes d’affects, n’est-ce pas rabattre le collectif sur l’individuel, et le politique sur le psychologique ?

3Par ailleurs, la dimension spatiale n’est pas toujours évidente ou prégnante dans les affects qu’on éprouve. Bien sûr, l’expérience affective prend place quelque part, varie selon les lieux et a probablement des conséquences sur ceux-ci. Mais cela suffit-il pour que la géographie ait des choses intéressantes à dire à propos des affects ? Cette question ne torture pas les géographes anglophones, moins obsédés par l’espace que leurs collègues français, réticents à se saisir d’un objet qui ne soit pas proprement spatial. Cela explique sans doute que les géographes français s’approprient cet objet plus tard que leurs collègues anglophones (comme il en a été du genre et de la sexualité).

4Pour répondre à ces deux objections à une géographie des affects, cet article propose d’en analyser un exemple indubitablement politique et géographique : le cafard colonial. Celui-ci est en effet consubstantiel à l’exercice du pouvoir, inscrit dans un lieu et une époque spécifiques, et résulte de la distance matérielle et symbolique dont le colon fait l’expérience. Cette forme de nostalgie sévit dans l’Empire français entre les années 1870 et 1940, d’abord comme pathologie ensuite comme état d’âme. Il ainsi indissociable du contexte de la domination coloniale, même si le terme se banalise dans les années 1920 pour désigner toutes sortes d’idées noires. L’enjeu de cet article, au-delà de son apport empirique, est d’une part d’attester de l’existence d’affects géographiques au sens où ils sont directement liés à l’expérience ou l’effet des lieux, et qui devraient donc appeler l’attention des géographes, d’autre part de montrer que, pour analyser une expérience affective, les outils critiques de la géographie politique et culturelle sont loin d’être inutiles ou caduques.

5Cet article (i) établit les lieux et les circonstances dans lesquelles le cafard fait son apparition durant les années 1880, (ii) montre comment on le décrit dans les années 1900-1910, en particulier dans sa dimension géographique, (iii) présente comment l’expérience et la caractérisation du cafard se déplace et évolue ensuite, (iv) explique les logiques politiques et les registres justificatifs dans lesquels il s’inscrit, et (v) rend finalement compte du lien entre le cafard et le projet colonial.

  • 3 J’ai exploité la base de donnée Gallica (BNF) entre janvier 2015 et février 2016.

6Il s’agit ainsi d’esquisser une géographie tout à la fois médicale, culturelle et politique du cafard colonial. Fondé sur une analyse de publications savantes consacrées au cafard colonial (principalement médicales, et dans une moindre mesure militaires et coloniales) et des mentions de celui-ci dans la presse3, cet article n’en présente que l’expression publique, sinon officielle. Dans un contexte historiographique où le cafard colonial n’a guère été étudié, il est logique de commencer par exploiter les sources les plus facilement disponibles. Il est probable que d’autres sources (on pense d’abord aux journaux intimes et correspondances, dossiers militaires et médicaux, archives policières et judiciaires) donneraient à voir du cafard d’autres facettes. Ainsi, les premières mentions du cafard dans des sources publiées datent de la fin des années 1890, mais le cafard a évidemment fait son apparition avant.

Apparition du cafard colonial

  • 4 Jean Hoher, Dissertatio medica de nostalgia, oder Heimwehe, Bâle, Bertschuis, 1688.

7Les émotions ont une histoire (Deluermoz, 2013 ; Rosenwein, Debiès, Dejois, 2006 ; Plamper, 2015). On a écrit celle de la mélancolie, caractéristique du XVIIIe siècle, puis de la nostalgie, qui sévit essentiellement au XIXe (Bolzinger, 2007 ; Illbruck, 2012). Le mot nostalgie (étymologiquement la douleur du retour) est conçu en 1688 par Jean Hofer4 pour désigner et médicaliser ce qu’on appelait communément Heimweh ou « maladie du pays » : une souffrance de l’exil qui affecte tout spécialement les Suisses et peut s’avérer mortelle (Rice-Davis, 2015). Le terme s’impose dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, et suscite une abondante littérature à partir du moment où cette affection touche en masse les troupes révolutionnaires et napoléoniennes (Venayre, 2005), puis les colons, particulièrement en Algérie (Dodman, 2011), et les soldats américains lors de la Guerre de sécession (Matt, 2011).

8La nostalgie possède une historicité et une géographicité, au sens où elle prend place dans le cadre de l’impérialisme français (en Europe et dans les Colonies) et constitue une souffrance directement liée à la distance (matérielle et symbolique). Le mal du pays est d’autant plus fort que le patient est attaché à celui-ci. Un Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques note en 1834 que la nostalgie « s’empare avec une grande facilité des Suisses, des Bretons, des paysans de l’Ouest de la France, de tous les hommes sortis de solitudes ou de montagnes », au contraire de « l’habitant des grandes villes, le jeune soldat sorti de la capitale, (qui) connaissent rarement la nostalgie » (cité in Dodman, 2011 : 17).

  • 5 L’article de Th. Dodman (2011), qui fait référence sur l’histoire de la nostalgie coloniale en Algé (...)

9Dans les années 1840, la nostalgie est « une maladie à bout de souffle » ; elle se transforme en un « sentiment anodin » ou un motif littéraire. « La problématique neuve de l’acclimatement subsuma tout simplement celle de la nostalgie devenue soudainement désuète » (Dodman, 2011 : 41). L’éradication de la nostalgie doit aussi au progrès et au processus de civilisation qui toucheraient de plus en plus profondément l’Empire. Sur les 59 thèses de médecine consacrées à la nostalgie, une seule est postérieure à 1877 (Venayre, 2005). Apparaît alors une nouvelle pathologie, un autre mal du pays que les historiens, à l’exception notable de Vann (2005), ont peu évoqué5 : le cafard.

10Le Trésor de la Langue Française signale la première occurrence du mot cafard employé pour désigner des idées noires dans un sonnet de Baudelaire (La Destruction, publié dans Les Fleurs du mal en 1857) :

Parfois il (le démon) prend, sachant mon grand amour de l'Art

La forme de la plus séduisante des femmes,

Et, sous de spécieux prétextes de cafard,

Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.

  • 6 Base de donnée de la Bibliothèque nationale de France, consultée le 20/2/2016.
  • 7 Le cafard-nostalgie ne figure ni dans le Littré, publié entre 1873 et 1877, ni dans le Polylexique (...)

11Mais le terme semble ici usité encore dans son sens ancien et aujourd’hui caduc de faux dévot, d’hypocrite. Jusqu’en 1900, le mot cafard n’est guère utilisé que pour désigner l’animal ou la figure du fourbe ou du tartuffe (surtout dans un contexte religieux : le bigot). Parmi les 393 articles ou ouvrages publiés entre 1890 et 1900 dans lesquels la base de données Gallica6 signale une occurrence du mot « cafard », aucune ne réfère à une forme de nostalgie. On est un cafard, on a un air cafard, mais on n’a pas le cafard. Une recherche systématique parmi les sources où on pourrait espérer voir apparaître le cafard dans le sens métaphorique qui nous intéresse (dictionnaires et mémoires de militaires antérieurs à 19007) s’avère infructueuse.

  • 8 Selon T. Bouzard (2013), l’arrangement musical date de 1885, et la mention dans un couplet des comb (...)

12A ma connaissance, la premier usage du mot cafard pour désigner des idées noires se trouve dans le fameux hymne de la Légion étrangère, Le Boudin, qui daterait des années 1880 :

Nous sommes des dégourdis

Nous sommes des lascars

Des types pas ordinaires.

Nous avons souvent notre cafard

Nous sommes des légionnaires.

  • 9 L’article est repris pour constituer un chapitre de son livre consacré à la Légion (1900), qui conn (...)

13Le cafard est bien alors quelque chose qu’on a, et non quelque chose qu’on est. La première occurrence de cet usage que j’ai rencontrée dans un texte imprimé est due au colonel de Légion G. de Villebois-Mareuil (1896), qui présente la Légion dans la Revue des deux Mondes. Mais c’est le long article que l’homme de lettres Georges d’Espardès consacre au cafard qui fait vraiment connaître celui-ci. Il commence ainsi : « La Légion étrangère a un vice : l’alcoolisme, et trois maladies : le paludisme, la syphilis et le cafard » (Esparbès, 1899 : 1). Il s’agit de la première publication significative sur le cafard ; abondamment citée et jamais remise en cause malgré sa faible fiabilité9, elle donne le ton et inspire le contenu des nombreuses publications qui suivront.

14A peu près au même moment, le 3ème Bataillon d’infanterie légère d’Afrique (ces bataillons sont plus connus sous les noms de Bat’ d’Af’ ou Joyeux) affecté dans le grand Sud tunisien à la frontière de la Tripolitaine, à Médenine, se distingue en discernant une décoration de fantaisie : le Cafard de Médenine, que La Dépêche tunisienne (24/2/1896) semble être la première à mentionner, et qu’elle présente comme une manifestation de la façon dont « l’esprit français vient heureusement lutter contre la nostalgie » dans un lieu où « la vie ne laisse pas que d’(…) être très monotone ». La décoration reproduit en découpe la silhouette de l’animal entre deux croissants de lune (Figures 1 et 2). Quelle en est l’histoire ?

Figures 1 et 2 : le Cafard de Médenine, recto et verso

Figures 1 et 2 : le Cafard de Médenine, recto et verso

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Cliché : B. Sevestre, collection privée.

Médenine est laid, monotone, désespérant ! Ni montages, ni dunes ! Rien qu’un vaste plateau crayeux, poussiéreux, sans cesse balayé par des vents écœurant de chaleur ; sans eau, sans arbres, avec une ville arabe extraordinaire qui est un véritable cauchemar. Toutes ses maisons sont faites de boue agglomérée (…). Et aucune vie, aucun mouvement, aucune couleur dans ces maisons. C’est que ce ne sont pas des habitations, ce ne sont que des greniers, des greniers dans lesquels la population nomade vient mettre en sécurité son blé. (…) Cette abondance de blé dans une ville sans habitants a engendré des cafards par milliers, par millions ; si bien que les premiers Français arrivés à Médenine en trouvèrent partout, dans leur assiette, dans leur lit, dans leurs vêtements. Il y avait de quoi attraper ‘le cafard’. Par la suite, on est parvenu à conjurer le cafard, la petite bête, mais l’autre cafard est resté, alimenté par l’éloignement et la laideur des choses (…) On a créé à la commanderie de Médenine l’ordre du cafard — sans doute pour l’amadouer en le vénérant — dont on décore militaires et civils qui ont le courage de demeurer quarante-huit heures dans le poste sans y être absolument forcés, raconte-t-on dans L’Echo d’Alger (31/1/1917).

  • 10 Cette datation est confirmée par une recherche sur les sites ou les catalogues d’enchères, où l’on (...)

15Un article plus tardif (L’Africain illustré, 12/5/1931) confirme que « c’est dans ce triste pays qu’a pris l’expression fameuse de cafard », insistant sur « l’aspect désertique du pays et la brûlant ardeur du climat », l’isolement des lieux « rattach(és) très imparfaitement à la civilisation », où « les malheureux officiers (…) se considéraient condamnés à un temps de rigoureux exil ». La décoration du cafard, inventée « il y a une quarantaine d’années » (soit vers 1891)10, aurait compté parmi les facéties réservées aux touristes et néophytes pour les « récompenser (…) de leur témérité à venir jusqu’ici et surtout pour y demeure au moins quarante-huit heures » (Le Temps, 24/10/1910). « Les femmes mêmes sont admises dans la confrérie ‘sur autorisation de leur mari ou assimilé’«  (L’Afrique du Nord illustrée, 29/2/1936). La construction d’une route et d’un hôtel a fait craindre que l’« ordre tombe en désuétude » (Le Temps, 24/10/1910), mais il est au contraire devenu une attraction du lieu, devenue comme lui accessible. La revue du Touring Club de France, dans un article consacré au Sud tunisien (août 1912) mentionne ainsi les échoppes d’orfèvres juifs de Médenine, « qui fondent pour le touriste et devant lui, dans un moule fait d’un os de sèche, le fameux "cafard" d’argent ou d’or, souvenir autrefois fort rare » (août 1912 : 355).

16A Médenine, le cafard ne figure pas que sur cette décoration. On le retrouve sur au moins cinq cartes postales différentes des années 1910, qui en vignette montrent des vues de la région, distribuées autour de la figure centrale de l’insecte (Figure 3). Ces cartes représentent ce qu’on appelle alors l’« empire » ou le « royaume du cafard » du Sud ou de l’Extrême-Sud tunisien, « Etat que les géographes omettent de mentionner » (Police Magazine, 1932 : 74), et qui regroupe les villes de Médenine, Gabès, Tataouine, Ben Gardane. Par ailleurs, Médenine possède une Place du cafard, qui figure également sur les cartes postales (Figure 4). Ces cartes postales portent souvent, en plus du tampon officiel de la poste, celui — officieux — du Royaume du cafard : un militaire indique dans une carte écrite à ses parents en 1916 que le cachet « a été prêté par le mess des officiers ». Les cachets postaux et les médailles sont des attributs officiels et ostentatoires des Etats ; la toponymie et la carte postale confèrent du sens aux lieux et les donnent à voir d’une certaine façon. Usant de ces codes, les militaires perpètrent à Médenine un canular géographique dont l’enjeu est de mettre en place un pays de fiction : celui où règne le cafard. Devenant sujets du/au Cafard, ils scellent leur communauté, marquent leur exil et s’abandonnent à un déterminisme géographique qui les condamne à la nostalgie coloniale.

Figure 3 : Carte postale « Le Royaume du cafard »

Figure 3 : Carte postale « Le Royaume du cafard »

17La campagne mentionnée est celle de la guerre des Sénoussis, qui se soulevèrent en Libye et dans le sud de la Tunisie. Elle fit presque 3000 morts dans les troupes française. Collection de l’auteur.

Figure 4 : Carte postale « Médenine. Place du cafard »

Figure 4 : Carte postale « Médenine. Place du cafard »

18On voit les fameux greniers ou Rhorfas, qui attirent les cafards et dont l’architecture ne suscite pas l’admiration des Occidentaux. Collection de l’auteur.

Qu’est-ce que le cafard colonial ?

19Au moment de son apparition dans les années 1880, le cafard se distingue de la nostalgie coloniale d’abord par la population qu’il affecte. Celle-ci pouvait toucher tous les colons ; celui-là naît et reste confiné jusqu’aux années 1900 au sein de deux corps bien particuliers de l’armée d’Afrique, réputés accueillir délinquants, criminels et fortes têtes : la Légion et les Bataillons d’Afrique.

  • 11 Dès son deuxième numéro (mai 1912), la revue mensuelle publiée par le Société des anciens de la Lég (...)

20Le possessif qui désigne l’animal dans l’hymne de la Légion et son institution en étendard par les Joyeux laisse penser que le cafard, « orgueil secret des soldats combattants » (Mac Orlan, 1927), était au sein de ces deux corps d’armée conçu comme un motif identitaire. « On n’est pas un bon légionnaire quand on n’a pas le cafard », déclare un ancien (Le Matin, 2/10/1913)11. Avec « l’élan naturel (…) au combat » et le « sabir » qui constitue son idiome, le cafard est ce qui donne à la Légion son « caractère éminemment français » (Bulletin du comité de l’Afrique française, comité du Maroc, janv. 1907). « La Légion étrangère a inventé une expression spéciale de son cru pour désigner cet état mental (…) Il n’y a pas de mot en anglais pour le désigner » (Rosen, 1910 : 174). Cet aspect distingue également le cafard de la nostalgie sur un plan épistémique. Celle-ci était une catégorie étique, un terme savant conçu et utilisé par les médecins ; celui-là est une catégorie émique qui appartient à l’argot militaire.

21Le cafard possède une dimension pandémique (Granjux, 1911 ; Jude, 1907 ; Rebierre, 1909). A la fin du XIXe siècle, le tiers des légionnaires seraient affectés (Esparbès, 1899 : 1). A partir des années 1900, il se répand dans d’autres corps d’armée coloniaux et semble menacer tous les militaires européens dans l’Empire. Aussi, le début des années 1910 voient se multiplier les publications médicales sur le « cafard colonial » (Abbatucci, 1910 ; Beaussard, 1911 ; Dautheville, 1911 ; Houssin, 1916 ; Jullien, 1911 ; Navarre, 1911). « Le ‘cafard’ semble être l’α et l’ω de la pathologie mentale coloniale » (Granjux, 1911 : 826). Tout comme la nostalgie avait suscité l’intérêt des médecins du XIXe parce qu’elle affaiblissait les troupes, le cafard interpelle en particulier les médecins militaires.

22Le cafard colonial est qualifié de diverses façons dans les textes médicaux des années 1910. Pour les uns, « ce n’est ni une forme d’aliénation, ni un trouble mental, mais un ‘état d’esprit’, à peine une psychose » (Houssin, 1916 : 13), sans « signification psychiatrique » (Combe, 1912) ; pour d’autres, c’est un « vice » (Esparbès, 1901 : 59). Mais la majorité des auteurs s’accordent à y voir une pathologie. C’est « la neurasthénie du légionnaire » (Le Figaro, 9/1/1909). Usure du système nerveux, psychose, trouble ou aliénation mentale, neurasthénie, manie, aboulie, altération de la personnalité, modification du caractère et du jugement, syndrome : tels sont les termes employés.

23Son étiologie est multiple : le désœuvrement, le dépaysement, le milieu tropical (climat, chaleur et humidité, ou aussi bien sécheresse, lumière, alimentation, etc.), l’alcool, la fréquentation des indigènes, comptent parmi les facteurs les plus cités. Le cafard est lié à l’éloignement, l’isolement et un environnement délétère, propres à certains lieux qui dérèglent la mentalité. Ce n’est pas un hasard que le cafard soit né à Médenine, dont a vu plus haut les sinistres descriptions que les lieux inspirent. Tout semble y susciter le dégoût : le relief, le climat, la végétation, l’architecture, les couleurs, etc. Ce qui dans un autre contexte pourrait être apprécié comme typique et pittoresque est ici dénoncé comme un intolérable écart à la norme, un scandale géographique. L’exotisme, qui fait aimer tel lieu parce ce qu’il est différent et lointain (Staszak, 2008), est l’exact contraire du cafard colonial, qui le rend détestable pour les mêmes raisons.

24Le cafard résulte non seulement de la déprime qu’inspirent les lieux et l’isolement mais aussi de l’influence directe du milieu local sur l’organisme. Comme dans la théorie médicale hippocratique, il s’agit aussi bien de l’environnement social que physique. Le cafard est lié à la « décivilisation » qui affecte certains coloniaux, et dont « le premier facteur (…) est la femme indigène » (Campagnou, 1933 : 27), comme en attestent abondamment les romans coloniaux (Saada, 2005 ; White, 2004). George Hardy, historien et directeur de l’Ecole coloniale, parle plus savamment en 1931 d’« endosmose, c’est-à-dire la sourde influence exercée sur l’Européen par certaines tendances fâcheuses du milieu indigène, la disparition de certains scrupules au contact d’une moralité différente de la nôtre » (cité in Saada, 2005 : 16).

25Le cafard se décline suivant le lieu : guyanite, cochinchinite, tonkinite, calédonite, africanite, soudanite, biskrite, colonite, saharite, etc. C’est bien une affection géographique :

  • 12 Ce sont les auteurs qui soulignent.

lorsqu’un fonctionnaire ou un chef de poste déclare : "j’ai le cafard", il exprime avec précision l’action du climat et du milieu sur son esprit ; il éprouve quelque chose que là où il est à ce moment dans la colonie et qu’il n’éprouvera plus de la même manière en France (Huot et Voivenel, 1918 : 7)12.

26C’est « un syndrome incontestablement spécifique, puisqu’il dispara(ît) dès que le colonial revi(ent) en métropole » (Campagnou 1933 : 26).

27Selon certains auteurs, il existe des tempéraments prédisposés au cafard, ainsi les « dégénérés » et les « fous moraux » des Bataillons d’Afrique (Juve, 1907) ; il épargne les officiers car il n’affecte que les « esprits primitifs » (Combe, 1912). Selon d’autres, il « se développe chez les individus normaux, pourvus qu’ils soient placés dans certaines conditions » (Houssin, 1916 : 13). Toutefois, les Bretons ont une prédisposition pour le cafard comme ils en avaient une pour la nostalgie.

Elle est la conséquence de cette loi biologique qu'est l'attachement au sol, chaque milieu vital possédant ses secrètes affinités (…) devenues indispensables à la prospérité des existences qui s'y sont lentement formées. La nostalgie est une forme de désadaptation. Elle apparaît spécialement chez les simples qui ont un rapport intime avec le sol et chez les jeunes dont le cerveau n'est pas encore adulte. Ne ressentant plus les stimulations auxquelles il a coutume de réagir, l'organisme s'engourdit. (Huot et Voivenel, 1918 : 189)

28Les symptômes du cafard sont multiples et variés : ennui, mauvaise humeur, idées obsédantes, pensées mélancoliques, angoisses, susceptibilité mégalomanie, autoritarisme et abus de pouvoir, violence contre les autres ou soi-même, jalousie, perte du sens des réalités et de celui de la valeur humaine, pratique de la sodomie, antisémitisme, idées de déambulation ou de vengeance, etc. Quant au remède, c’est essentiellement le rapatriement en métropole. On prescrit aussi le repos ou des séjours dans des stations balnéaires ou climatiques.

29Le cafard se distingue de la nostalgie aussi sur le plan médical. L’étiologie de le seconde tenait essentiellement à l’exil et à la solitude, celle du premier ajoute un effet de lieu : l’influence délétère du climat tropical et de la société indigène. Les symptômes de la nostalgie relèvent surtout de la mélancolie, la langueur et de l’abattement ; ceux du cafard incluent aussi bien des manifestations de suractivité, notamment sous la forme de violentes décompensations.

30Toutefois, le cafard est bien comme la nostalgie une dérive mentale liée au mal du pays, et qui frappe en premier les troupes. Qu’on cesse de parler de la seconde au moment ou on se met à évoquer le premier tend à laisser croire que celui-ci s’inscrit bien dans le prolongement de celle-là, voire en constitue une déclinaison.

Diffusion et banalisation du cafard

31Avant guerre, le cafard est encore considéré comme « une maladie propre au légionnaire en garnison » (L’Afrique du Nord illustrée, 9/8/1913). Mais dès le déclenchement de la Première guerre mondiale, il fait son apparition dans les tranchées européennes (Huot et Voivenel, 1918 ; Tison et Guillemain, 2013). Il devient alors un sujet de préoccupation nationale, fréquemment évoqué dans la presse et les cartes postales patriotiques (Figures 5 et 6).

Figures 5 et 6 : Cartes postales « C’est grâce à vous que j’ignore le cafard »

Figures 5 et 6 : Cartes postales « C’est grâce à vous que j’ignore le cafard »

32Pendant la Première guerre mondiale sont éditées de nombreuses cartes figurant le cafard poilu et les moyens d’y remédier (fumer une pipe, boire de l’alcool, recevoir un message de se femme ou de l’argent). Collection de l’auteur.

33Comment une pathologie propre aux troupes coloniales en vient-elle à affecter les Poilus ? En fait, il s’agit moins de la diffusion de la maladie que de celle du lexique propre aux troupes coloniales, qui a constitué une des sources majeures de l’argot des tranchées (cf. les mots bled, cagna, kasba, etc.) (Roynette, 2014). Le cafard dont les Poilus se disent affectés présente certes des symptômes comparables à celui des Légionnaires ou des Bat’ d’Af’, mais il n’est évidemment pas lié à l’expérience coloniale ni à celle de l’exil, encore qu’on puisse souffrir du mal du pays dans les tranchées. « On a le cafard quand on a envie d’aller en permission… et aussi souvent quand on en revient » (La Nouvelle Revue, 1918, 38 : 11). « C’est du chagrin, du regret, du désir qu’on ne peut satisfaire », que le poilu éprouve quand « on ne reçoit pas de nouvelles des siens », quand on « manque de pinard (…) ou la soupe n’(est) pas bonne », quand « on a vu mourir un camarade », quand « les rats vous embêtent », « à certains anniversaires » ou « sans savoir pourquoi » (id.). L’usage croissant du mot cafard, « courant dans les corps africains et coloniaux, généralisé par la guerre » (Gaston 1919 : 120) s’accompagne d’une double mutation.

34La première est sociologique. « Cantonné autrefois dans les milieux coloniaux et militaires, le terme de cafard a fait son apparition dans les salons les plus parisiens. L’autre jour, une dame des plus distinguées, s’écriait ‘Ah ! le cafard ne me quitte plus dans cette maison morose’«  (L’Echo d’Alger, 11/1/1917). La banalisation du terme suscite quelque énervement : « le cafard est une expression militaire, qui exprime un état particulier aux militaires. Il devrait être formellement interdit aux civils de s’en servir. D’ailleurs les civils n’ont pas le droit d’avoir le cafard. Ils peuvent avoir du chagrin (…) Ce n’est pas le cafard » (La Nouvelle Revue, 1918, 38 : 11). Cette vigilance tient probablement au caractère irréductible de l’expérience militaire (en particulier celle des tranchées), dont on ne veut pas voir le vocabulaire galvaudé, mais aussi à l’institution du cafard en motif identitaire par les Légionnaires, les Joyeux puis les Poilus. Comment en préserver la noblesse s’il atteint aussi non seulement les dames du monde ? Le cafard militaire et masculin déchoit en un cafard civil et féminin.

  • 13 A titre d’exemple, on trouve pas moins de 14 occurrences du mot cafard dans L’Afrique fantôme. Ains (...)

35La deuxième évolution est sémantique. Le cafard élargit son répertoire. Il n’est plus nécessairement lié à une nostalgie géographique (comme le cafard colonial) ou à une situation spécifique et difficile (comme de cafard des tranchées). Se rapprochant du spleen, il peut renvoyer à toute forme de déprime, existentielle ou amoureuse, comme souvent dans le répertoire mélodramatique des chanteuses réalistes des années 1920-1940. En développant une dimension sentimentale, le cafard perd de sa « virilité » et gagne un public féminin. Il baisse en intensité et ses manifestations sont moins terribles. Il quitte le vocabulaire médical. Le cafard se banalise en suivant le même parcours que la mélancolie puis la nostalgie : ce n’est plus une pathologie dangereuse qui fait débat parmi les médecins mais un état d’âme banal quoique désagréable, qui intéresse chanteuses (Damia, Fréhel, Piaf, etc.), écrivains (Leiris13, Céline, Simenon, Mac Orlan, Conrad, etc.) et cinéastes (Staszak, 2016).

36A la suite de sa mutation sociologique et sémantique de la fin des années 1910, le cafard touche dans les colonies non plus seulement la troupe mais tous les Européens, voire les Européennes (Chivas-Baron, 1929 ; Fournier, 1929, 1935) qui s’y trouvent : « peu de coloniaux peuvent y échapper » (Abbatucci, 1934 : 93). Le cafard prend ainsi place en tête du long catalogue des affections tropicales, au même rang que l’anémie, la dysenterie ou la malaria.

37Tout comme à la fin du XIXe, un légionnaire n’est pas un vrai légionnaire s’il n’a pas ses coups de cafard ; au début du XXe siècle, un colon n’est un vrai colon si, à un moment ou un autre, il n’est pas sujet au cafard colonial. Il est possible que le prestige de la Légion, qui donne lieu à toute une mythologie, à tant de films ou de récits où le cafard est un motif important, ait rejailli sur l’état d’âme qui la caractérise, facilitant sa diffusion à l’extérieur de cette troupe. La distinction serait alors un des moteurs de la diffusion du cafard, dont l’épidémie prendrait les allures d’une mode.

38Du fait de sa propagation et de son aura, le cafard s’impose à partir des années 1930 comme un trait stéréotypé du colonial, décrit comme affligé par l’inaction, les autochtones et la chaleur, saisi d’accès de désespoir ou de violence et volontiers alcoolique. Le cafard prend place dans le quotidien de la vie coloniale. Il n’est plus décrit comme une maladie mais comme une humeur, un état d’esprit, un sentiment : « une grincherie agressive, qui vous conduit parfois à des gestes impulsifs ou violents » (Abbatucci, 1934 : 93) (Figure 7).

Figure 7 : carte postale. Le colon en Afrique soigne son cafard à l’alcool.

Figure 7 : carte postale. Le colon en Afrique soigne son cafard à l’alcool.

39La crise, semble-t-il déclenchée par une lettre, le fait penser aux joies perdues du ski, du cinéma, du théâtre ( ?) et de la compagnie féminine. Collection de l’auteur.

40Tout comme la nostalgie avant lui, le cafard change de nature, essentiellement selon la période, mais aussi selon le lieu, la personne qu’il affecte ou qui en fait l’analyse. Cela n’a guère de sens ici de statuer si c’est une maladie, un sentiment, une humeur, ou un état psycho-somatique. Le cafard a été tout cela, selon les circonstances. Faire une histoire ou une géographie des émotions pose problème au sens où ce qui est considéré dans un certain contexte comme une émotion ne l’est pas nécessairement dans un autre : il faut se garder du risque de réification. La définition des différents types d’affects, la liste de ceux-ci et la délimitation du champ des émotions varient dans l’espace et le temps. Une histoire ou une géographie des émotions doit donc examiner comment, à partir de quoi — voire pourquoi — s’invente une émotion, et comment le cas échéant elle devient autre chose, et éviter de présenter et analyser comme une émotion ce qui n’est pas considéré comme tel par les intéressés.

A quoi et à qui sert le cafard colonial ?

41Le cafard, on l’a vu, participe de l’identité du légionnaire, du joyeux, puis du poilu et du colon, de l’aveu même des intéressés, qui en revendiquent la spécificité, voire le monopole. Dans le cas de la Légion, dont la culture est bien documentée, le cafard relève d’un « esprit de corps » (Porch, 1991 : 426). Il compte parmi ces éléments qui permettent de distinguer la Légion des autres corps d’armée (avant que l’épidémie de cafard ne s’étende), et confèrent aux légionnaires, qui viennent d’horizons culturels très différents, une identité collective. Mais sa fonction est bien plus large.

42L’expression même de cafard suggère qu’une cause extérieure s’attaque à l’esprit du malade, qui n’y peut rien. « Le cafard s’engage dans la matière cérébrale, y traîne ses pattes fines, s’assoupit dans une fissure, trotte, rampe ou furète, et corrompt ainsi tout l’entendement » (Esparbès, 1899 : 1). La déclinaison du cafard en noms de lieux accolés du suffixe -ite et l’érection de Médenine en Royaume du Cafard suggèrent de la même façon qu’il n’est pas propre au colon mais à l‘endroit où celui-ci a le malheur de se trouver : c’est une malédiction à laquelle on ne peut échapper. Jean Renaud, militaire et écrivain colonial prétendant emprunter aux contes Nord-africains, la désigne par une autre métaphore : « on l’appelle ‘La Sorcière’. Au Soudan : c’est la Sorcière jaune ! ; au Congo : la Sorcière Noire ; en Indo-Chine : la Sorcière de Jade ; au Maroc : la Sorcière d’émeraude ! » ; « La Sorcière d’Emeraude (…) défend son bled vierge contre le viol de nos charrues » ; « Une belle garce, allez ! » (Renaud et Essafi, 1929 : 98, 49, 101). On a évoqué plus haut le rôle attribué à la femme autochtone dans la décivilisation et le cafard du colon qui s’en suit : la figure de la Sorcière, assimilant la colonie à la femme indigène, évoque la fatalité du charme vénéneux qu’elles exercent sur un colon réduit à l’état de victime — inversion des rôles commune au roman colonial.

43Si le colon est présenté comme victime du cafard, on est toutefois frappé, dans les tableaux des manifestations du cafard ou dans les récits des médecins, par la mention répétée des excès de violence dont les malades se rendent coupables, vis-à-vis des indigènes, de leurs supérieurs ou de leurs subordonnés. Coupables ? Pas vraiment puisque qu’il s’agit des symptômes d’une pathologie : le cafard « excite (…) à la folie, au vol ou à la révolte » et « pousse au viol », affirme le médecin en chef de l’Asile de Villejuif (Marie, 1900), trop confiant en ce qui semble être sa seule source, l’article de G. d’Espardès (1899). L’article du Dr. Dautheville (1911) est caricatural en la matière, tant il ne semble n’avoir pour but que de disculper les auteurs des violences qu’il énumère pour en en médicaliser leurs causes. La victime du cafard éprouve une irrépressible envie de « faire une connerie » (Jude, 1907 ; Campagnou, 1933), dont il est par avance pardonné puisqu’il s’agit en fait d’un besoin maladif. Dans ses mémoires, un légionnaire américain définit ainsi le cafard par ce qu’il fait faire : c’« est un nom collectif pour les inconcevables stupidités, excès et crimes que des nerfs tourmentés peuvent commettre (…) Dans le ‘cafard’ se cache le meurtre, le suicide, la mutinerie ; il signifie automutilation et fuite éperdue dans le désert » (Rosen, 1910 : 174).

44Le cafard est donné comme une explication aux exactions des colons, qu’aujourd’hui les historiens rapportent à la violence coloniale plutôt qu’à une névrose ou à un effet débilitant du climat tropical (Mathieu, 1995 ; Taithe, 2009). Le médecin-colonel S. Abbatucci, reprenant un argument employé plus tôt par Lacassagne et Navarre (1911) et Huot et Voivenel (1918), impute ainsi « le triste drame » de la mission Voulet-Chanoine, coupable en 1899 d’atroces massacres en Afrique centrale, au cafard colonial. Voulet :

était un homme robuste, à l’aspect sage et pondéré, et rien ne pouvait faire prévoir à cette époque le geste tragique qu’il allait accomplir deux ans après. Mais, dans les pays chauds, il faut toujours compter, ainsi que je l’ai dit, sur les rayons perpendiculaires du soleil qui vrillent le crâne de l’homme blanc. (Abbatucci, 1934 : 93)

45Si l’homme blanc est coupable, c’est seulement d’avoir négligé de porter son casque colonial. Campagnou reprend les analyses de son maître Louis Huot, expert ès cafard, directeur du service de santé de l’Indochine, qui « connaissait les traitrises de l’Afrique » (Campagnou, 1933 : 21) pour lire les notes d’un des officiers de la mission, et y voir « le mécanisme du détraquement cérébral qui fit d’un beau soldat un bandit », dont « l’état sanitaire s’aggrave ». Voulet apparaît victime de l’« action nocive du pays sur les cerveaux européens » ; « Ce n’est pas un bandit mais un malade » (id. : 20, 25, 26). L’auteur appelle à :

se penche(r) avec bonté sur les pionniers, qui, dans l’excès de leurs mérites ou de leur souffrance, trouvèrent la cause essentielle de ce que la société appelle un crime et que le cœur des camarades et l’expertise médicale considèrent comme une ‘blessure de guerre’ du système nerveux. (id. : 31, 32)

46Le discours médical sur le cafard est explicitement mobilisé pour exonérer Voulet de ses crimes et transformer le bourreau en victime. Sans surprise, Renaud accuse la Sorcière :

Il faut avoir connu des drames comme celui de la mission Voulet, pour comprendre que ces choses n’ont pas seulement pour cause le climat, l’énervement, la dépression physique et morale : il y a autre chose, une puissance singulière et mystérieuse. (Renaud et Essafi, 1929 : 98)

47Toutefois, on ne peut toujours impliquer le cafard. En 1909, 53 légionnaires abandonnent leur poste d’Aïn el-Hadjar (au sud d’Oran). Ces « hommes, qui, sous le commandement d’un des leurs, désertent avec armes et bagages (…) ont certainement obéi à une autre inspiration que celle du ‘cafard’« , interroge La Croix (20/12/1908). La désertion « a manifesté trop de méthode et d’esprit de suite ». On soupçonne le :

légionnaire qui a pris, avec le nom de Pal, le commandement des déserteurs ( : ) est-il, comme on le croit, un comte von Rhoden, ancien officier de l’armée allemande (…) payé par l’Allemagne pour élever et entretenir autour de lui le mystérieux cafard de la désertion, comme un médecin cultiverait le bacille de la typhoïde ? (id.)

48La réticence à imputer au cafard cette désertion « qui se fait dans un ordre parfait » tient à ce qu’elle ne semble pas présenter les caractéristiques d’improvisation et d’irrationalité propre à celui-ci, mais aussi à ce que elle porte trop clairement atteinte aux intérêts nationaux pour résulter d’un état d’âme typiquement français. Il faut l’hypothèse d’une inoculation allemande pour parvenir à impliquer le cafard.

49Le cafard colonial, rabattant le politique sur le psychologique, le collectif sur l’individuel, sert à justifier l’injustifiable et à protéger le colonialisme des critiques que ses pires exactions pouvaient susciter. Cette logique joue aussi sur le plan juridique, le cafard permettant de disculper les auteurs de crimes prétendument commis sous son emprise. Le cafard, qui suspend le temps de la crise la responsabilité individuelle de celui qui en est affecté, instaure un régime d’exception dont le colon est le seul bénéficiaire. Il en excuse par avance les fautes tout en garantissant à leur auteur que, la crise passée, il retrouvera les droits que l’exclusion de responsabilité fait habituellement perdre. Il faut pour cela que la justice reconnaisse le cafard comme tel. Ainsi, tel légionnaire détruit son équipement et insulte son supérieur parce qu’il « avai(t) le cafard ».

Si le conseil de guerre est présidé par un officier venant de France, malheur à lui ! (…) Mais si le Conseil est présidé, au contraire, par un vieil Africain (un officier de l’Armée d’Afrique), il s’en tirera avec le minimum, car le vieil Africain sait bien ce que c’est que le cafard. Peut-être en a-t-il eu des accès lui-même. (Le Figaro, 9/1/1909)

50Certains sont toutefois conscients du risque d’accuser le cafard plutôt que le criminel : « ce serait un danger social que d’admettre le cafard comme entité morbide, dont les accusés se prévaudraient comme d’une façon d’irresponsabilité. Ils y ont déjà une propension trop grande, et, pour ainsi dire, une vanité de cafard » (Houssin, 1916 : 33). Le Dr Jullien critique les analyse du Dr Dautheville (1911), qui rend « le responsable le désert d’une série de défaillance mentales » : « l’argument Sahara n’entraîne pas ma conviction » (1911 : 488, 493). Le Dr Combe (1912) estime que le cafard brouille tout et excuse tout. Quant au journaliste de La Croix (20/12/1908), il note que « c’est insecte légendaire qui se loge dans le cerveau du légionnaire et à l’existence duquel celui-ci ne croit que dans le mesure où il sert à expliquer les plus inexplicables de ses fantaisies ». En fait, dès le premier texte publié où il est question du cafard, et qui est pourtant à la gloire de la Légion, le colonel Villebois-Mareuil le présente comme une « navrante fiction » prêtant à sourire, que le légionnaire « interrog(é) sur le mobile d’une de ses frasques » évoque comme « explication » et « rend (…) responsable de ses mésaventures » (Villebois-Mareuil, 1896 : 871). Mais ces voix, minoritaires, trouvent peu d’écho.

51La nostalgie, présentée comme un sentiment négatif voire toxique, a longtemps eu mauvaise presse. Depuis les années 2000 se multiplient en revanche les travaux de psychologues qui insistent au contraire sur ses effets bénéfiques, considérant la nostalgie comme une « ressource psychologique » (Routledge, 2016). En connectant le présent et le passé et en évoquant des souvenirs heureux, la nostalgie aide à donner de la cohésion au parcours de vie et à trouver un sens à celle-ci ; elle renforce les liens sociaux, alimente un sentiment de sécurité et participe au développement personnel. La nostalgie aurait une fonction de consolation et consolidation ; elle ferait du bien. Cela expliquerait pourquoi le ressenti nostalgique est à fois douloureux et plaisant, et pourquoi il est peut être délibérément provoqué et entretenu par sa « victime ». Il en irait ainsi du cafard : en même temps qu’il manifeste un malaise, la crise qu’il occasionne aiderait à le soigner. Que ce soit dans les tranchées ou les colonies, la crise de cafard pourrait soulager celui qui la traverse, avec ici la particularité que cette forme spécifique de nostalgie affermit en même temps la cohésion du groupe et l’identité de chacun. Je n’ai toutefois pas trouvé de récit ou témoignage qui valide clairement cette hypothèse.

Cafard et colonisation

52L’impact de la nostalgie puis du cafard sur le processus colonial dépasse largement le cadre de la psychologie et le registre de la justification.

53Les Français sont réputés attachés à leur terroir, ce qui, en situation d’exil, les prédispose à la nostalgie. Seraient-ils inaptes à la colonisation ? Pour pallier la crainte ou les effets du déracinement, plusieurs projets de « colonisation départementale » sont élaborés à la fin des années 1840 : il s’agit de regrouper dans chaque nouveau village algérien des colons de même provenance (bretons, alsaciens, etc.) de façon à ce que le lien communautaire préservé compense la difficulté du dépaysement. L’amour du pays, qui est la cause de la nostalgie, devient alors aussi son remède. Il s’agit d’« amener le pays au nostalgique plutôt que ramener celui-ci à celui-là » (Dodman, 2011 : 25). Dans les stations d’altitude, les villes d’eaux ou balnéaires où les colons viennent soigner leurs maux, notamment leur cafard, ils ne retrouvent pas seulement le climat européen. On a conçu l’architecture et les paysages de stations comme Dalat sur les Hauts plateaux annamites ou Ifrane dans le Moyen-Atlas marocain pour qu’ils ressemblent à ceux des stations métropolitaines et offrent un cadre apaisant aux colons souffrant de dépaysement (Jennings, 2006, 2011). En fait, et dès le début du XIXe siècle, on considère que « si les colons européens (…) bâtirent des villes sur le modèle des villes européennes, c’était d’abord pour lutter contre la nostalgie » (Venayre, 2005 : 215). Plus largement, les infrastructures qui assurent le confort des colons et leur « niveau de vie disproportionnellement élevé » (Vann, 2005 : 97) étaient conçues comme une nécessité médicale répondant aux menaces qui pesaient sur la santé – notamment mentale – des colons. L’impératif hygiéniste propre au projet colonial était totalitaire en ce qu’il affectait chaque aspect de la vie et de la société dans l’Empire (Le Cour Grandmaison, 2014).

54Le cafard s’inscrit dans le « paradoxe essentiel de l’ordre colonial » : malgré leurs conditions de vie privilégiées et leur supériorité de fait et de droit par rapport aux populations indigènes, les colons sont dans l’Empire l’objet de menaces qui mettent leur santé en danger, si bien qu’ils se caractérisent à la fois par leur force et leur faiblesse, leur pouvoir et leur vulnérabilité (Vann, 2005). Le cafard est ainsi une maladie ou un état d’âme propre au colon, et qui participe de la définition de sa position : en ce sens, il est un des éléments par ou contre lesquels les colons construisent leur identité et leur attitude. Un personnage du roman de H. de Montherlant, La Rose des Sables, affirme ainsi : « En Afrique du Nord, il faut que tu marches dans un rêve, sinon ce que tu vois te donne le cafard. Soit le rêve ‘français’ : réduire, gouverner, exploiter. Soit le rêve ‘artiste’ : danseuses, jasmin, petits garçons. Soit le rêve ‘humain’ : assimilation, fraternité justice » (1968 : 526).

55Il est d’autant plus indispensable d’aider les colons à lutter contre la maladie mentale en général et le cafard en particulier qu’elle n’obère pas seulement leur action : elle remet aussi en cause leur image, risquant de donner le mauvais exemple aux indigènes, voire de les conduire à remettre en cause le principe de la supériorité des Européens (Keller, 2007). Les colons sont astreints à une « performance identitaire » et à un « impératif du contrôle de soi » (Saada, 2005 : 15) à la fois parce qu’ils sont menacés par le risque de décivilisation et parce que c’est en les imitant que les indigènes peuvent se civiliser. Les indigènes et les colons doivent se trouver « à bonne distance » (id. : 32) les uns des autres, pour permettre l’imitation des seconds par les premiers mais pas la décivilisation des premiers par les seconds.

56La cafard, tout comme la nostalgie avant lui (Venayre, 2005), est moralement et politiquement ambigu. D’un côté, il manifeste la faiblesse du colon et le rend incapable de faire son devoir vis-à-vis de son pays ; de l’autre, il atteste d’une forme aiguë — proprement maladive — d’attachement à la patrie difficile à blâmer, ce qui explique sans doute qu’il trouvé sa place dans la culture militaire. Le cafard pose aussi la question d’une autre « bonne distance » : celle entre le colon et la métropole. Trop attaché à la métropole, il ne peut faire son œuvre de colon ; pas assez, il perd son identité — voire sa loyauté.

57Le cafard colonial manifesterait la difficulté à trouver ou maintenir ces « bonnes distances ». Il résulte du caractère instable et inconfortable de la place matérielle et symbolique des colons dans l’Empire. Si l’on accepte que cette juste place n’existe simplement pas, du fait des contradictions profondes qui caractérisent le projet colonial, le cafard est bien — dans tout l’Empire — une fatalité : la Sorcière blanche. La « puissance singulière et mystérieuse » qui rend fou les Européens « existe partout aux colonies » (Renaud et Essafi, 1929 : 99, 98) parce qu’ils la portent en eux, autre fardeau de l’homme blanc.

58« Le cafard n’est plus qu’un sujet de conversation des anciens », conclut aujourd’hui un expert de l’histoire de la Légion (Comor, 2014 : 188). Ce n’est pas si sûr. Il ne faut pas croire que la question du cafard colonial n’est plus d’actualité parce que nous vivrions dans un monde décolonisé : dans les pays du Sud qui furent d’anciennes colonies, certains expatriés souffrent de formes de mal-être nostalgique (Robert-Demontrond, 2001) dont les symptômes et peut-être les causes rappellent fort celles du cafard. D’une part, les structures de pouvoir mises en place durant la colonisation n’ont pas toutes disparu, ou ont connu des métamorphoses qui n’en ont pas aboli les effets de domination et les contradictions. D’autre part, la culture occidentale reste très marquée par l’héritage de certains aspects de l’idéologie coloniale, dont le cafard lui-même. En avril 2009, à Abéché, un légionnaire de 27 ans tue :

son sergent, un de ses camarades, un soldat tchadien et un paysan (…) Victime d'un ‘accès de folie’, le jeune engagé (…) avait déjà dérapé à Djibouti, en juin 2008. C'était sa première mission, il se plaignait de ‘coups de cafard’, d'atteintes au moral et finit par fuguer en Éthiopie voisine. (Le Figaro, 9/4/2009).

59Le cafard est encore actif dans la rhétorique de la Légion ; 110 ans après la mission Voulet-Chanoine, au même endroit, il tue encore.

Conclusion

60Le cafard colonial se distingue de deux autres types de nostalgies identifiées en lien avec la colonisation, et qui sont toujours vivaces. La première est la « nostalgie impérialiste » (imperialist nostalgia), « une forme particulière de nostalgie, qu’on rencontre fréquemment dans un contexte impérialiste, par laquelle ceux-là mêmes qui sont responsables du changement portent le deuil de ce qui a changé » (Rosaldo 1989 : 108). Ainsi l’explorateur, le militaire, l’administrateur, le missionnaire, mais aussi l’ethnologue ou le touriste regrettant les sociétés précoloniales qu’ils ont participé à faire disparaître.

61La seconde est ce que P. Gilroy (2004) appelle la « mélancolie postcoloniale » (postcolonial melancholia). L’auteur désigne ainsi, au sein des sociétés issues des anciennes puissances coloniales, « l’incapacité à faire face au profond changement (…) consécutif à la fin de l’Empire et à la perte du prestige impérial qui s’en est suivie — sans parler de l’incapacité à en faire vraiment son deuil » (Gilroy, 2004 : 90). Elle se traduit par un déni de l’histoire, qu’on préfère oublier, si bien que les immigrés issus des anciennes colonies, dont la nature et l’épaisseur des liens avec l’ancienne métropole sont passées sous silence, sont appréhendés comme de purs étrangers et des envahisseurs. Gilroy choisit le mot mélancolie pour « souligner les liens de ce syndrome avec le passé et son caractère pathologique ». Son analyse concerne essentiellement le Royaume-Uni, mais les difficultés de la France à gérer les relations avec son ancien empire (cf. la « Françafrique ») et à accorder en son sein une « juste place » aux immigrés issu de celui-ci (ainsi qu’à leurs descendants, stigmatisés par leur filiation) attestent que le pays n’est pas épargné par la mélancolie postcoloniale.

62La mélancolie postcoloniale et la nostalgie impérialiste rappellent le cafard colonial en ce qu’elles procèdent, hier et aujourd’hui, de la (même ?) difficulté des sociétés des (anciennes) métropoles à se placer à « bonne distance » des sociétés de leur (ancien) Empire. Il ne s’agit plus de la Sorcière blanche, mais toujours d’une difficulté pour les Européens à assumer leur place dans l’espace et le temps. Ils ne sont pas les seuls à en payer le prix.

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Bibliographie

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Notes

1 Le Matin, 2/10/1913.

2 J’utilise le mot d’affect parce qu’il est le plus général et inclut aussi bien les émotions, les sentiments, les humeurs, les sensations, etc. Dans cet article, je ne cherche pas à définir le cafard en tant qu’affect ni à le ranger dans une de ces sous-catégories, mais à analyser comment il a été ressenti et appréhendé dans différents contextes.

3 J’ai exploité la base de donnée Gallica (BNF) entre janvier 2015 et février 2016.

4 Jean Hoher, Dissertatio medica de nostalgia, oder Heimwehe, Bâle, Bertschuis, 1688.

5 L’article de Th. Dodman (2011), qui fait référence sur l’histoire de la nostalgie coloniale en Algérie, ne mentionne le cafard qu’une fois, et en note. Venayre (2005) n’en parle pas, arrêtant son étude aux années 1880, quand la nostalgie semble disparaître.

6 Base de donnée de la Bibliothèque nationale de France, consultée le 20/2/2016.

7 Le cafard-nostalgie ne figure ni dans le Littré, publié entre 1873 et 1877, ni dans le Polylexique méthodique de E. Desormes et A. Basile (Angers, Lachaise, 1897-1899), qui répertorie pourtant les néologismes de la fin du XIXe siècle. Ces deux dictionnaires ne mentionnent que le sens de faux dévot, hypocrite. Parmi les mémoires de légionnaires ou joyeux où le cafard-nostalgie n’apparaît pas : Lonlay 1886, Blanc 1890, Ecorres 1892, Armangaud 1893, Darien 1890. Il est frappant que les mémoires de ce dernier, qui raconte Biribi, le milieu même où le cafard est né, n’use de ce mot que pour un capitaine « tartufe », aux « yeux de cafard et un menton de chanoine ; l’air d’un bedeau assassin qui vous montre le ciel de la main droite et vous assomme de la main droite » ou un caporal pleurnichard (Darien, 1890 : 87, 190).

8 Selon T. Bouzard (2013), l’arrangement musical date de 1885, et la mention dans un couplet des combats de Tuyen Quang (1885) atteste que le chant est postérieur à ceux-ci. Mais il est possible qu’il existe des versions antérieures, qui expliqueraient que parfois le chant soit daté des années 1870 (Comor, 2013 : 220).

9 L’article est repris pour constituer un chapitre de son livre consacré à la Légion (1900), qui connaîtra de nombreuses rééditions (dont sous le titre de Les Mystères de la Légion étrangère, 1912). Le succès de ce texte ne doit guère au sérieux de la démarche de l’auteur : « sa méthode d'enquête, qui consiste surtout à fréquenter les bars de Sidi-bel-Abbès en offrant à boire aux légionnaires aussi longtemps qu'ils étaient désireux — ou capables — de raconter leur vie, paraîtrait bien suspecte à des enquêteurs modernes, car l'imagination des légionnaires était probablement aussi profonde que les poches de Monsieur d'Esparbès » (Porch, 1994 : 776).

10 Cette datation est confirmée par une recherche sur les sites ou les catalogues d’enchères, où l’on trouve en vente la décoration, qui porte parfois une date. Je n’en ai pas trouvé d’antérieure à 1895.

11 Dès son deuxième numéro (mai 1912), la revue mensuelle publiée par le Société des anciens de la Légion, La Légion étrangère, publie un sonnet intitulé « Le Cafard », attestant de l’importance de celui-ci dans la culture de ce corps d’armée.

12 Ce sont les auteurs qui soulignent.

13 A titre d’exemple, on trouve pas moins de 14 occurrences du mot cafard dans L’Afrique fantôme. Ainsi commence le journal du 26 décembre : « Cafard effroyable. Le vrai cafard : le cafard colonial. Inactif, une chambre pour moi seul ; la porte ouverte à toutes les hantises. Rétrospective de tous mes ratages : actes manqués, aventures manquées, coïts manqués » (Leiris, 1934 : 812).

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Table des illustrations

Titre Figures 1 et 2 : le Cafard de Médenine, recto et verso
URL http://journals.openedition.org/cdg/docannexe/image/680/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 124k
URL http://journals.openedition.org/cdg/docannexe/image/680/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 8,0k
Titre Figure 3 : Carte postale « Le Royaume du cafard »
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Titre Figure 4 : Carte postale « Médenine. Place du cafard »
URL http://journals.openedition.org/cdg/docannexe/image/680/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 212k
Titre Figures 5 et 6 : Cartes postales « C’est grâce à vous que j’ignore le cafard »
URL http://journals.openedition.org/cdg/docannexe/image/680/img-5.jpg
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URL http://journals.openedition.org/cdg/docannexe/image/680/img-6.jpg
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Titre Figure 7 : carte postale. Le colon en Afrique soigne son cafard à l’alcool.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-François Staszak, « « On n’est pas un bon légionnaire quand on n’a pas le cafard » : enjeux médicaux, culturels et politiques d’un sentiment géographique (1880-1930) »Carnets de géographes [En ligne], 9 | 2016, mis en ligne le 20 décembre 2016, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cdg/680 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cdg.680

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Auteur

Jean-François Staszak

Professeur à l’Université de Genève
Département de géographie et environnement
jean-francois.staszak@unige.ch

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