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La première diffusion du Policraticus de Jean de Salisbury en France : l’apport du manuscrit Charleville-Mézières, BM, 151

The Earliest Diffusion of John of Salisbury’s Policraticus in France: the Contribution of the Manuscript Charleville-Mézières, BM, 151
Nicolas Michel
p. 161-176

Résumés

Peu d’œuvres médiévales ont suscité autant d’intérêt que le Policraticus de Jean de Salisbury. Composée à la fin de l’automne 1159 à l’attention du non moins célèbre Thomas Becket, chancelier du roi Henri II Plantagenêt et futur archevêque de Cantorbéry, l’œuvre fut abondamment étudiée pour son contenu politique, en somme comme miroir au prince. Si la recherche a depuis nuancé cette étiquette, insistant notamment sur le caractère profondément humaniste du texte, louant l’exceptionnelle culture classique de Jean, peu d’études furent consacrées à la diffusion concrète de l’œuvre au travers des exemplaires manuscrits. Notre recherche vise un double objectif : d’une part, proposer une synthèse de la première diffusion du Policraticus en France, facilitée par le séjour concomitant de Jean de Salisbury et Thomas Becket en Champagne dans les années 1164-1170 ; d’autre part, comprendre le rôle et la place qu’occupe dans cette diffusion le manuscrit Charleville-Mézières BM 151, provenant de l’abbaye cistercienne de Signy et considéré comme l’un des premiers témoins du Policraticus en France, en insistant sur le réseau de relations existant entre Jean de Salisbury, Thomas Becket et l’ordre de Cîteaux.

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Texte intégral

  • 1 Cet article doit beaucoup aux nombreux conseils et remarques soulevés par Patricia Stirnemann et Ro (...)
  • 2 Il est évident qu’il existe d’autres sources pour mesurer la diffusion et la réception d’un texte, (...)

1Pour l’historien de la transmission des textes, chaque manuscrit constitue un témoin essentiel et unique pour l’histoire de l’œuvre qu’il contient1. Reconstituer la place occupée par tel ou tel codex dans la longue chaîne de diffusion d’une œuvre s’avère donc capital pour qui veut comprendre les mécanismes de transmission, de diffusion et par la suite d’utilisation de celle-ci. Ce constat s’avère d’autant plus pertinent lorsqu’il s’agit d’étudier les premières années de vie d’un texte au Moyen Âge. L’œuvre connut-elle un succès immédiat ? Dans quels milieux fut-elle diffusée ? Quels sont les réseaux de circulation de livres qui furent mobilisés ? L’auteur joua-t-il un rôle dans cette diffusion ? La réponse, totale ou partielle, à ces questions peut être trouvée en un seul et même objet : l’exemplaire manuscrit2.

  • 3 Janet Martin, « Uses of Tradition: Gellius, Petronius and John of Salisbury », Viato: Medieval and (...)
  • 4 Frédérique Lachaud, « L’idée de noblesse dans le Policraticus de Jean de Salisbury (1159) », Cahier (...)
  • 5 Rossana Guglielmetti, La tradizione manoscritta del Policraticus di Giovanni di Salisbury. Primo se (...)
  • 6 Frédérique Lachaud, « De la Satire politique au “miroir” : Jean de Galles et la lecture du Policrat (...)
  • 7 Patricia Stirnemann, « La bibliothèque et le Policraticus de Jean de Salisbury », dans Jean de Sali (...)

2Ces interrogations, toutes légitimes, trouvent un écho particulier dans le Policraticus de Jean de Salisbury. Peu d’œuvres médiévales ont bénéficié d’autant d’attention de la part des chercheurs, en particulier pour les questions qui nous intéressent ici. Si l’historiographie s’est depuis longtemps intéressée à la genèse du texte3, à son contenu4, à l’histoire de sa tradition textuelle5, ou encore à l’influence qu’il put avoir sur d’autres auteurs6, peu d’études se sont directement attachées à l’analyse des nombreux manuscrits qui transmettent le Policraticus. Récemment, Patricia Stirnemann a décidé de réexaminer le dossier du manuscrit Soissons BM 24, qu’elle rattache à l’exemplaire personnel que Jean légua à sa mort à Chartres, ville dont il fut évêque de 1176 à 11807. C’est dans la lignée de cette étude, sur laquelle nous reviendrons, que nous souhaitons inscrire notre propre contribution à l’étude de la diffusion de cette œuvre majeure pour l’histoire culturelle, politique et intellectuelle médiévale.

  • 8 Le manuscrit est connu dans les différentes éditions ou travaux philologiques qui portent sur le te (...)
  • 9 La première à avancer ce chiffre fut R. Guglielmetti dans son étude, philologique, sur la tradition (...)
  • 10 Datation établie à partir de la mention du siège de Toulouse – dans le contexte de la guerre qui op (...)
  • 11 Abbaye fondée en 1135, fille d’Igny (branche de Clairvaux), essaime en 1154 avec la fondation de l’ (...)
  • 12 Nous reviendrons plus loin sur la question de la datation du manuscrit.

3Le manuscrit 151 de la médiathèque de Charleville-Mézières, s’il a depuis longtemps été remarqué par les chercheurs, en particulier par les différents éditeurs du Policraticus8, n’a jamais bénéficié d’une étude approfondie. Bien qu’aucune enquête globale n’ait encore été consacrée à la diffusion manuscrite du Policraticus, les chercheurs s’accordent généralement sur le nombre de 120 témoins manuscrits conservés9. Parmi ceux-ci, on en dénombre une dizaine datés du xiie siècle, soit moins d’une cinquantaine d’années après la rédaction de l’œuvre par Jean, qu’il termina à la fin de l’été 115910. L’exemplaire H provenant de l’abbaye cistercienne de Signy11, traditionnellement daté de la fin du xiie-début du xiiie siècle12, doit donc être considéré comme l’un des premiers témoins de l’œuvre de Jean. La mise en évidence par P. Stirnemann de l’origine anglaise du manuscrit de Soissons (BM, 24 = S), daté de 1160 environ, érige par là même le manuscrit de Signy au rang de premier témoin conservé du Policraticus produit en France. Comment expliquer la présence d’un tel ouvrage à l’abbaye signacienne ? Pour répondre à cette question, plusieurs éléments méritent d’être mobilisés : tout d’abord, le réseau de relations qui unissait Jean de Salisbury à la France, et plus particulièrement à l’ordre de Cîteaux ; ensuite, le rôle joué par Thomas Becket, à qui fut dédié le Policraticus, dans la diffusion de l’œuvre lors de son séjour en France entre 1164 et 1170 ; enfin, les circuits de prêts et d’échanges de livres entre les bibliothèques monastiques, notamment entre les maisons d’un même ordre.

Jean de Salisbury et son réseau intellectuel français

  • 13 Olga Weijers, « The Chronology of John of Salisbury’s Studies in France (Metalogicon, II.10) », dan (...)
  • 14 The Letters of John of Salisbury, II : The Later Letters (1163-1180), C. N. L. Brooke et W. J. Mill (...)
  • 15 Julie Barrau, « John of Salisbury as Ecclesiastical Administrator », dans A Companion to John of Sa (...)
  • 16 Sur le parcours de l’intellectuel anglais, on lira en premier lieu l’introduction biographique de l (...)

4La présence du Policraticus à Signy s’explique avant tout par le séjour concomitant de Jean de Salisbury et Thomas Becket en France dans les années 1160, séjour bien documenté grâce aux nombreuses lettres rédigées par Jean, fort heureusement conservées. Né entre 1115 et 1120, formé aux arts libéraux en France entre 1136 et 1148, d’abord à Paris, à la montagne Sainte-Geneviève, mais aussi à Chartres comme l’a montré Olga Weijers13, Jean fut immergé dans le monde des écoles du xiie siècle où il suivit les cours de maîtres illustres tels Abélard ou Gilbert de la Porée. Peu de temps après, il entra au service de l’archevêque Thibaud de Cantorbéry, poste qu’il occupa jusqu’à la mort du prélat survenue en avril 1161. Contraint à l’exil dès la fin 116314, il séjourna en France entre janvier 1164 et novembre 1170 à l’abbaye Saint-Remi de Reims où son fidèle ami Pierre de Celle avait été élu abbé deux ans plus tôt. Durant cette période, Jean ne semble pas avoir exercé de charges administratives directes15, comme cela avait été le cas auparavant, et bénéficia donc d’une certaine liberté de mouvement. Rentré en Angleterre à la fin de l’année 1170, il fut nommé trésorier d’Exeter en 1173 avant d’être élu évêque de Chartres quelques années plus tard en août 1176, charge qu’il occupa jusqu’à sa mort survenue en 118016.

  • 17 Parmi les 325 lettres conservées de l’auteur anglais (1153-1179), John McLoughlin a relevé certains (...)
  • 18 The Letters of John of Salisbury, II (éd. cit. n. 14), lettre 201, p. 295 : « De cetero iam a multo (...)
  • 19 Cette liste, transcrite dans l’obituaire du chapitre cathédral, fut éditée une première fois : Cart (...)

5En bon intellectuel, Jean entretint de nombreuses relations de part et d’autre de la Manche avec nombre de dignitaires ecclésiastiques férus de savoir, en particulier Pierre de Celle. Ce réseau lui permit ainsi de se fournir en livres17, notamment lors de son séjour en France, comme en témoigne par exemple sa demande de prêt d’ouvrages d’Aristote auprès de son ancien maître à Paris, Richard l’Évêque, alors archidiacre de Coutances18. De même, certains ouvrages de sa bibliothèque, qu’il légua à Chartres à sa mort en 118019, semblent témoigner d’une origine française, à l’instar de son exemplaire de la chronique de Sigebert de Gembloux, dont le texte n’avait pas encore atteint les côtes anglaises à cette époque ou encore de la traduction de la Hiérarchie céleste de Denys l’Aréopagite par Jean Sarrazin, qu’il réclama à son ami Raymond de Poitiers en 1166-1167 (lettres 167 et 224). En ce qui concerne plus particulièrement son Policraticus, les chercheurs ont depuis longtemps souligné l’importance de la lettre 111 envoyée à Pierre de Celle peu de temps après la rédaction de l’œuvre, dans laquelle il demandait à son ami d’émender le texte, afin d’éviter l’inimitié que pourrait lui causer ce livre parmi les membres de la cour du roi d’Angleterre, Henri II :

  • 20 The Letters of John of Salisbury, I : The Early Letters (1153-1161), H. E. Butler, W. J. Millor et (...)

Edidi librum de curialis nugis et vestigiis philosophorum, qui mihi a vestro placebit aut displicebit arbitrio : incultus est, et ex edicto meo a vobis amicis desiderat emendari. Ad illustrem virum regis Anglorum cancellarium properabat, sed eum, nisi processus expedierit, cohibete. Garrulus enim est, et qui vix amicum habebit in curia. Nollem tamen quod me curialibus faceret inimicum20.

  • 21 On peut évidemment se poser la question de savoir si Jean envoya le même exemplaire à l’ensemble de (...)
  • 22 Pour P. Stirnemann, le manuscrit fut produit en Angleterre, en 1160, comme en témoignent l’étude du (...)

6Comme on peut le constater, Jean joua dès le départ un rôle primordial dans la diffusion du Policraticus, tant en France qu’en Angleterre, par l’envoi personnel de copies de son œuvre21. L’emploi du datif pluriel amicis trahit en effet son intention d’envoyer une copie du texte pour révision à plusieurs personnes. Plus loin dans la lettre, Jean précise d’ailleurs avoir déjà envoyé un exemplaire du Policraticus à William Brito, l’un des trois dédicataires de l’œuvre mentionnés dans la préface aux côtés de Thomas Becket et Odo – ancien sous-prieur de Christ Church et membre de l’entourage de Becket –, celui-ci ayant apparemment fait faire, malgré les réserves de Jean, une copie de l’œuvre avant de renvoyer l’exemplaire prêté à son auteur : « Precor ut eum incunctanter erudiatis, eumque exspectanti amico remittite castigatum. Non equidem ut fur ille Cantuarensis Brito, de cuius manu avelli non potuit, antequam totus depingeretur, forte ut facilius possit argui hostium oculis ingerendus ». On peut donc estimer le nombre d’exemplaires du Policraticus à au moins quatre manuscrits dès la fin de l’année 1159, c’est-à-dire l’exemplaire envoyé pour relecture, à moins qu’ils ne soient plusieurs ; l’exemplaire copié subrepticement par William ; celui envoyé à Thomas Becket (Cambridge, Corpus Christi College, 46 = C) ; enfin l’exemplaire personnel de Jean de Salisbury (identifié par P. Stirnemann comme le manuscrit de Soissons, BM, 24)22. Nous reviendrons plus loin sur le rôle exercé par Jean dans la diffusion du Policraticus en France, en particulier à Signy, lorsqu’il s’agira de situer notre manuscrit au sein du stemma codicum.

Thomas Becket et l’abbaye cistercienne de Pontigny

  • 23 The Correspondence of Thomas Becket, Archbishop of Canterbury 1162-1170, I : Letters 1-175, A. Dugg (...)
  • 24 Sur le réseau littéraire qui se mit en place autour de Thomas Becket, on consultera l’ouvrage récen (...)
  • 25 The Correspondence of Thomas Becket… (op. cit. n. 23,) lettre 20 : « Aput Clarevallem, Cistercium, (...)

7Arrivé en France à l’automne 1164 à la suite d’une crise majeure qui l’opposa à Henri II au sujet de l’instrumentalisation des privilèges et droits de l’Église voulue par le monarque, l’archevêque de Cantorbéry séjourna d’abord quelques jours à l’abbaye cistercienne de Clairmarais, puis à Saint-Bertin, avant d’établir résidence de novembre 1164 à novembre 1166 en l’abbaye cistercienne de Pontigny (diocèse d’Auxerre). L’installation de Becket en milieu cistercien doit beaucoup aux nombreuses relations et tractations des membres de son entourage, à l’instar de Jean, évêque de Poitiers, qui défendit personnellement la cause de l’archevêque auprès des moines de Pontigny23, ou d’Isaac de l’Étoile, ancien moine de Pontigny devenu abbé du monastère de l’Étoile en 1147, parfois cité dans la correspondance de Thomas qu’il connut sans doute lorsqu’il était à Cantorbéry24. Thomas Becket bénéficia donc d’un soutien puissant en France auprès de l’ordre de Cîteaux25, sans compter l’appui indéfectible obtenu auprès de la papauté.

  • 26 Materials for the History of Thomas Becket, Archbishop of Canterbury, III, J. C. Robertson (éd.), L (...)
  • 27 Ibid., p. 77.
  • 28 Christopher de Hamel, Glossed Books of the Bible and the Origins of the Paris Booktrade, Woodbridge (...)
  • 29 James Montague Rhodes, The Ancient Libraries of Canterbury and Dover: the Catalogues of the Librari (...)
  • 30 Les manuscrits acquis ou copiés par les membres de la cour de l’archevêque de Cantorbéry doivent be (...)
  • 31 Monique Peyrafort-Huin, La bibliothèque médiévale de l’abbaye de Pontigny (xiie-xixe siècles). Hist (...)

8Quel put être l’impact de la présence de Thomas à Pontigny sur la diffusion du Policraticus, en particulier parmi les abbayes cisterciennes ? La recherche s’accorde pour dire que l’archevêque profita de son séjour en France pour se constituer une importante bibliothèque, qu’il rapporta ensuite en Angleterre lors de son retour d’exil fin novembre 1170, avant que cette dernière ne soit léguée à sa mort à la cathédrale de Christ Church de Cantorbéry26. Toutefois, les seuls ouvrages émanant directement du scriptorium pontigniacien devaient concerner des textes patristiques ou des œuvres d’auteurs cisterciens. On précise d’ailleurs dans sa Vita : « In quarumcumque ecclesiarum omnibus armariis nullum audiebat in Galliis esse antiquitatis vel approbatae auctoritatis librum quem transcribi non faceret »27. Pour constituer sa bibliothèque, Thomas fit donc appel à plusieurs centres de production de manuscrits à travers la France, et non exclusivement à Pontigny comme ce fut parfois avancé. Christopher de Hamel émet même l’hypothèse, quelque peu gratuite, de l’existence d’un atelier de copie spécialisé, d’où proviendraient par exemple un ensemble de livres bibliques glosés dont la complexité d’exécution requérait des moyens et des compétences alors hors de portée du scriptorium de Pontigny28. Il ne faut pas oublier que lors de son arrivée en France, Thomas amena avec lui toute une cour, composée notamment de clercs, capables de copier des manuscrits, qu’il fallut loger en différents endroits. La bibliothèque rapportée par l’archevêque en Angleterre, estimée à près de septante volumes29, fut donc très probablement constituée grâce au travail de copie de ces différents clercs, membres de l’entourage de Thomas. Ce réseau de copies et d’échanges livresques constitue l’un des apports les plus importants sur le plan culturel du séjour de Thomas Becket en terres françaises30. En résumé, comme le note très justement Monique Peyrafort-Huin : « En d’autres termes, et sans préjuger du sens dans lequel ont pu s’exécuter les échanges, un important courant de circulation de textes et de manuscrits a dû se créer autour de Thomas Becket et de son entourage »31.

  • 32 Voir notamment la lettre envoyée par Henri II à Gilbert, abbé de Cîteaux : Materials for the Histor (...)
  • 33 Sanction vivement critiquée par Alexandre III dans une lettre adressée aux abbés cisterciens, PL, C (...)
  • 34 Materials for the History of Thomas Becket (op. cit. n. 26), p. 397-398. Notons que Thomas semble a (...)
  • 35 Retour survenu à la suite d’un accord entre l’archevêque et Henri II le 22 juillet 1170.

9Le départ de l’archevêque de Pontigny doit beaucoup aux pressions exercées par Henri II sur l’ordre cistercien. Ce dernier exigea des représentants de l’ordre réuni en concile de mettre fin à l’hospitalité accordée à Becket sous peine de représailles à l’encontre des maisons cisterciennes situées en territoire anglais32. Dès lors, à la suite d’une réunion d’abbés tenue à Kirksted, à laquelle assista notamment Geoffroy d’Auxerre, qui, comme d’autres membres haut placés de l’ordre, s’était montré réticent à l’accueil de Thomas à Pontigny, décision fut prise par les autorités cisterciennes de ne pas prendre parti dans la lutte opposant l’archevêque au roi d’Angleterre, décision accompagnée d’une sanction à l’encontre de ceux qui avaient pris la défense de Thomas en Angleterre33. En septembre 1166, Gilbert, abbé de Cîteaux, alla donc voir Thomas à Pontigny, lui enjoignant de quitter les lieux en raison des pressions royales34. Après son départ, l’archevêque gagna la ville de Sens où il fut hébergé en l’abbaye Sainte-Colombe de décembre 1166 à novembre 1170, date de son retour en Angleterre35.

  • 36 Bien que résidant tous deux dans le nord de la France, il semblerait que Thomas et Jean n’entretinr (...)
  • 37 Par ailleurs, plusieurs lettres envoyées par Thomas Becket lors de son séjour à Pontigny témoignent (...)
  • 38 Le catalogue, rédigé en plusieurs étapes entre le milieu des années 1160 et 1175, riche de 271 entr (...)
  • 39 M. Peyrafort-Huin (op. cit. n. 31), p. 46-47 et 97. On se référera à cette excellente étude pour to (...)
  • 40 Ibid., p. 540.

10La présence de Thomas en terres françaises joua indubitablement un rôle majeur dans la diffusion du Policraticus36. Un témoignage notable de cette influence peut être observé dans la bibliothèque monastique de Pontigny, au lieu même où résida un temps le jeune archevêque37. On trouve de fait dans l’inventaire de la bibliothèque établi durant le troisième quart du xiie siècle (Montpellier, faculté de médecine, H12, fol. 176-18238), la mention d’un exemplaire du Policraticus sous le numéro 60 : « Liber Policratici de vestigiis philosorum in uno volumine » (col. e, fol. 177v). Selon M. Peyrafort, il s’agit en réalité d’une addition au catalogue du xiie siècle, inscrite durant les premières années du xiiie siècle, à la fin de la section consacrée aux ouvrages de saint Jérôme, par une main, notée « f », dont on ne trouve aucune autre trace39. Elle justifie notamment cette conclusion par l’existence du manuscrit Montpellier (faculté de médecine, H 60), produit à l’abbaye de Pontigny et transmettant le Policraticus de Jean de Salisbury, que P. Stirnemann date précisément des années 1200-120540. Loin de vouloir remettre en cause la datation de M. Peyrafort, nous souhaitons proposer une vision renouvelée à propos de la présence du Policraticus à Pontigny et, par là même, à l’abbaye de Signy.

La place du manuscrit de Signy dans le stemma codicum

  • 41 Ioannis Saresberiensis Policraticus I-IV, K. S. Keats-Rohan (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christ (...)
  • 42 Londres, BL, Royal 13.D.IV., fol. 2-160.
  • 43 « A1 copied the archetype [du Policraticus et du Metalogicon] in both cases, and in both cases the (...)
  • 44 Pour la démonstration, voir R. Guglielmetti (op. cit. n. 5), p. 66-95.
  • 45 Sur la question, on consultera en priorité ses deux articles : Rossana Guglielmetti, « Varianti d’a (...)

11Dans son édition de 1993 des quatre premiers livres de l’œuvre, Katharine Keats-Rohan proposa un stemma codicum audacieux, fondé sur l’hypothèse d’une double « édition » du Policraticus par Jean de Salisbury41. À partir de l’analyse du manuscrit de l’abbaye de Saint-Albans42, transmis à l’abbé Simon, un proche de Thomas Becket, l’éditrice mettait en évidence un travail de reprise du texte par Jean lui-même. En effet, à côté du texte d’origine (A1), on remarque une série d’annotations (A2), qui témoignent d’une véritable augmentation de l’œuvre de base, bien au-delà d’une simple correction des erreurs philologiques présentes dans A1. Selon K. Keats-Rohan, il s’agirait d’une augmentation de la main de Simon lui-même, effectuée à partir d’une seconde « édition » du Policraticus que lui aurait transmise Jean avant son départ en France, c’est-à-dire avant la fin 116343. Quelques années plus tard, Rossana Guglielmetti reprit à frais nouveaux l’étude philologique de la transmission textuelle de l’œuvre de Jean. Pour elle, à l’inverse de ce que pensait K. Keats-Rohan, le manuscrit de Saint-Albans présente en réalité plusieurs niveaux de révision du texte, comme le démontre le relevé de quatre mains différentes dans le manuscrit : A1, qui copia le manuscrit ; A2, responsable d’une grande partie des corrections ; A3, qui corrigea certaines lacunes ou abréviations de A1 ; enfin A4, qui corrigea une lacune propre à la famille anglaise44. Ce que la chercheuse italienne a permis de mettre au jour, c’est essentiellement le travail de correction, ajouts, et reprise progressive de Jean de Salisbury sur son Policraticus45.

  • 46 Tous deux rattachés à la première famille dans le stemma.
  • 47 Par exemple, le chapitre 7 du livre V est intitulé dans P « Que bona vel mala subjectis proveniant (...)
  • 48 R. Guglielmetti (op. cit. n. 5), p. 146. L’exemplaire amené par Thomas en France durant son exil n’ (...)
  • 49 Observation étonnante sachant que ce dernier fut rédigé précisément au moment même où Becket séjour (...)
  • 50 L’exemplaire primaire de Pontigny, copié directement sur le manuscrit apporté par Thomas Becket lor (...)
  • 51 Sur la question des échanges possibles de manuscrits à l’intérieur des différentes branches de l’or (...)
  • 52 Parmi les huit manuscrits qui transmettent le Metalogicon (dont cinq copiés au xiie siècle), six le (...)
  • 53 Achevée en octobre 1159, comme l’atteste la mention de la mort soudaine du pape Adrien IV, auquel J (...)
  • 54 Après le fol. 127r, les cahiers « t » et « v » sont presque complètement perdus, mais la dernière l (...)
  • 55 K. S. Keats-Rohan (art. cit. n. 45), p. 248.
  • 56 Il ne peut être question ici d’accessus ad auctores, dont la pratique fut certes très en vogue au x (...)
  • 57 Nous détaillerons les indices qui nous ont conduits à cette conclusion dans un prochain article tra (...)

12À côté de cela, et après collation des différents manuscrits, R. Guglielmetti remarque l’étroite parenté reliant le manuscrit de Signy (H) à celui de Pontigny (P)46. Dès lors, à partir du moment où, bien qu’ils présentent quelques différences47, ceux-ci offrent le même état du texte, il faut supposer l’existence d’un ancêtre commun à H et P. L’antigraphe commun aux deux manuscrits pourrait être l’apographe du propre exemplaire de Thomas Becket, réalisé durant son séjour à l’abbaye de Pontigny48, dont le catalogue du xiie siècle ne rend cependant pas compte49. De cet antigraphe, aujourd’hui perdu, découleraient les exemplaires de Signy et celui du début du xiiie siècle produit à Pontigny même50. Cette hypothèse n’a rien de surprenant lorsqu’on connaît les échanges extrêmement fréquents de manuscrits entre les abbayes cisterciennes51. Toutefois, à partir du moment où le texte contenu dans P est légèrement différent de celui transmis par H, et tenant compte du fait que le manuscrit de Signy est le seul à joindre au Policraticus le Metalogicon de Jean – il s’agit d’ailleurs du seul exemplaire transcrit sur le continent parvenu jusqu’à nous, ce qui le rend tout à fait exceptionnel au regard de la tradition manuscrite de ce texte52 –, œuvre elle aussi terminée en 1159 et destinée à Thomas Becket53, il paraît pertinent de supposer que le copiste de H ait corrigé la version possédée par Pontigny (aujourd’hui perdue) à partir d’un autre exemplaire, qui contenait à la fois le Policraticus et le Metalogicon. Bien que le texte du Metalogicon soit mutilé à partir du livre II, cap. 1454, K. Keats-Rohan note qu’il s’agit là de la meilleure version de l’œuvre55, ce qui peut s’expliquer par le fait que l’exemplaire qui servit à la correction du Policraticus ainsi qu’à la copie du Metalogicon pour le manuscrit de Signy devait être une copie fournie par Jean lui-même. Un autre élément permettant d’abonder dans ce sens peut être glané dans les marges du manuscrit. On trouve en effet, en vis-à-vis du texte du Policraticus, une série de notes où sont recensés les principaux auteurs et sources, pour la plupart antiques, mobilisés par Jean dans la rédaction de son œuvre. Ces notes, que l’on peut qualifier d’apparat bibliographique56, se retrouvent également, à des niveaux variés, dans d’autres manuscrits du Policraticus, notamment l’exemplaire de Cambridge remis à Thomas Becket, ainsi que celui de Soissons. Cet élément tend à suggérer que Jean avait inclus dans certains manuscrits un apparat critique, sans doute présent dès l’origine dans son exemplaire brouillon, comme instrument de travail, qui fut par la suite retranscrit, le plus souvent de façon partielle, dans les autres manuscrits de l’œuvre57. Après collation des différents exemplaires possédant ledit apparat, on remarque le caractère exceptionnel du manuscrit de Signy, celui-ci présentant un niveau de « glose » fort développé par rapport aux autres manuscrits étudiés. Cette singularité doit vraisemblablement s’expliquer par l’intervention de Jean lui-même, ou à tout le moins par l’utilisation d’un exemplaire d’auteur.

  • 58 Charleville-Mézières, BM, 151, fol. 119r.

13En résumé, la version du Policraticus contenu dans le manuscrit de Signy s’explique d’une part, par la présence de Thomas Becket en France, d’où proviendrait l’ancêtre commun à H et P, et, d’autre part, par l’existence d’un exemplaire personnel de Jean contenant à la fois le Policraticus et le Metalogicon. Sachant que le manuscrit de Signy contient déjà les corrections apportées par A2 et qu’il suppose la présence concomitante de Jean et de Thomas en France, il conviendrait de le dater au plus tôt des années 1164-1170. Par ailleurs, l’explicit du Policraticus dans le codex semble corroborer cette datation : « Explicit Policraticus Iohannis Saresberiensis de curialium nugis et vestigiis philosophorum editus ad Thomam cancellarium regis anglorum »58. La définition de Thomas comme chancelier peut s’expliquer par le fait que le copiste du manuscrit de Signy a simplement recopié l’explicit de l’antigraphe perdu de Pontigny, codex copié à partir du propre exemplaire de Thomas qu’il aurait reçu avant sa nomination comme archevêque de Cantorbéry en 1162. En tout cas, l’absence de la mention de « martyr » pour qualifier Thomas place en apparence la copie du manuscrit, ou de son modèle, avant février 1173, date de sa canonisation par Alexandre III, voire avant décembre 1170, au moment de sa mort.

Le manuscrit Charleville-Mézières, BM, 151 et l’abbaye de Signy : une histoire complexe

14Malgré les éléments philologiques relevés jusqu’à présent, l’analyse du manuscrit, combinée à un bref relevé des autres codices produits à Signy à la même époque, tend à en situer l’origine ailleurs qu’à l’abbaye de Signy.

  • 59 Signature de cahiers alphabétique jusqu’à la lettre P (fol. 120r), après le manuscrit est malheureu (...)
  • 60 Le système de justification se présente comme suit : marge de gouttière de 4,7 cm ; 6,8 cm de marge (...)
  • 61 Présence quasi systématique de lettres d’attente en vis-à-vis de chaque initiale.
  • 62 Il est intéressant de noter la ressemblance sur ce point avec le manuscrit de Soissons, daté de 116 (...)
  • 63 Notons que, contrairement à d’autres manuscrits de la même époque, comme l’exemplaire de Soissons a (...)
  • 64 Introduit sans transition par l’explicit du Policraticus : « Incipit eiusdem Ioannis Metalogicon pr (...)
  • 65 La seconde se contentant de copier l’un ou l’autre passage, ou plus simplement de corriger certains (...)
  • 66 Nous sommes plus proches de la simple concomitance de deux courbes qui se touchent sans pour autant (...)
  • 67 Notre datation doit beaucoup à l’article d’Erik Kwakkel, « Biting, Kissing and the Treatment of Fee (...)
  • 68 Patricia Stirnemann, « Fils de la vierge. L’initiale à filigranes parisiennes : 1140-1314 », Revue (...)
  • 69 Fol. 22v (lettre C) ; fol. 27v (lettre E) ; fol. 44v (lettre E) ; fol. 119v (lettre A).
  • 70 Anvers, musée Mayer van den Bergh (anciennement conservé à l’église de S. Willibrord à Berchem), mi (...)

15Le volume (372 × 251 mm), composé de quaternions59, est copié sur deux colonnes de 51 lignes dans une mise en page assez aérée60 agrémentée de quelques initiales peintes en rouge ou vert61, parfois filigranées, d’une hauteur variant entre trois et sept lignes – sauf cas extrême comme au fol. 2v où l’initiale, ornée de dorures sur fond bleu et vert, s’étale sur vingt-deux lignes du texte. Concernant la mise en texte, on constate l’absence de titres en début de chapitre ; seul le numéro de celui-ci, inscrit en rouge, permet de se repérer à l’intérieur du texte. On notera toutefois la présence d’un récapitulatif des différents chapitres qui composent chacun des huit livres en début de ceux-ci62. Le Policraticus occupe les 119 premiers feuillets63, suivi directement par le Metalogicon64 qui, bien que mutilé, fut copié dans son entièreté puisqu’on peut encore lire au dernier feuillet certains extraits du chapitre XLII du quatrième et dernier livre de l’œuvre. Le texte présente de nombreuses marques de corrections, avec, à certains endroits, des passages où le copiste a gratté le ou les mots erronés pour ensuite recopier la leçon qu’il jugeait adéquate. On observe également tout un système de mise en évidence de certains passages du texte, sous forme de nota, manicules, accolades, ou simples signes notifiant un point d’intérêt. L’analyse paléographique du codex, copié par deux mains, a permis de confirmer la datation du manuscrit du dernier tiers du xiie siècle. La première main, largement responsable de la copie du Policraticus65, assez anguleuse, peut être caractérisée comme une praegothica. On observe une prédominance du « d » oncial avec néanmoins le maintien de certains « d » droits, le « r » rond à la suite d’une lettre terminée par une courbe, une concaténation par double point de contact, l’inclinaison à droite des pieds de certaines lettres comme le « m » ainsi qu’une ovalisation du « o ». Contrairement à la textualis libraria, on observe encore l’ouverture de la courbe du « g », le maintien du « s » long en fin de mot, ainsi qu’une absence significative des fusions des courbes opposées66, à l’exception du couple « pp »67. Quant aux initiales, la tendance est celle décrite par P. Stirnemann – certes pour la production parisienne – entre 1160 et 1200, avec le coussinet dans le prolongement inférieur des lettres, les antennes formant une frontière rectiligne, la présence de fleurons ainsi que du caractéristique long doigt à l’extrémité des tiges68. On notera également la présence d’une marque singulière, en forme de demi-soleil, observée à l’intérieur du corps de certaines initiales69, que P. Stirnemann a retrouvée dans quatre autres manuscrits copiés entre la seconde moitié du xiie siècle et le premier quart du xiiie siècle70. Tous ces éléments, combinés au contexte historique, permettent de dater le manuscrit du dernier tiers du xiie siècle.

  • 71 On doit au chanoine Joseph Mathy la rédaction suivante : Joseph Mathy, Histoire de l’abbaye de Sign (...)
  • 72 Cette donation est confirmée la même année par une charte de l’archevêque de Reims Renaud II, qui a (...)
  • 73 L’abbaye bénéficia de la générosité de nombreux donateurs, notamment du comte Thibaut II de Champag (...)

16Fut-il copié à Signy ? Pour répondre à cette question, il convient de revenir quelques instants sur les premiers temps de l’histoire de l’abbaye ardennaise71. Fondée en mars 1135 par les moines de l’abbaye d’Igny grâce aux libéralités du chapitre cathédral de Reims, qui leur alloua l’alleu de Signy72, la jeune communauté connut un succès extrêmement rapide, puisque dès 1152, soit moins d’une vingtaine d’années après sa fondation, elle essaima une première fois avec la création de l’abbaye de Bonnefontaine73. Elle fonda encore deux autres abbayes au cours du xiie siècle : la première en 1191 au lieu-dit d’Estrival, mais qui ne vit jamais véritablement le jour à la suite de l’abandon du projet ; la seconde en 1200, en terres liégeoises, qui deviendra l’abbaye du Val-Saint-Lambert. Le premier siècle d’existence de l’abbaye est marqué par une relation étroite avec l’abbaye-mère, dont sont issus bon nombre d’abbés pour cette période : le fondateur Bernard (1134-1156), Balduin (1174-1176), Guido (1185-1190) et Étienne (1190-1192). Très vite, la renommée de l’abbaye semble avoir dépassé la simple sphère locale, au point que c’est à Signy que Guillaume de Saint-Thierry, moine bénédictin et ami proche de Bernard de Clairvaux dont il fut le biographe, choisit de se retirer. Au cours du xiie siècle, on vit également l’entrée de deux autres abbés bénédictins de renom : Arnould de Saint-Nicaise et Gérard de Florennes, inscrits au calendrier cistercien, tout comme Guillaume de Saint-Thierry.

  • 74 Les chiffres varient fortement d’un ouvrage à l’autre : 60 selon Anne Bondéelle (Id., Bibliothèques (...)
  • 75 En dehors de l’étude d’Anne Bondéelle (op. cit. n. 74), version revue et corrigée dans : Anne Bondé (...)
  • 76 Liber Sancte Marie Signiaci cistercensis ordinis (ms. 117) ; Liber Sancte Marie Signiacensis eccles (...)
  • 77 C’est le cas pour les manuscrits 49, 66, 72, 114, 158, 197A, 2021-2, 2025, 2029, 20218 et 220.
  • 78 Nous connaissons le nom de ce copiste grâce au colophon qu’il donne à la fin de deux de ses product (...)

17Que savons-nous de l’activité du scriptorium signacien pour le xiie siècle ? En réalité très peu de choses : l’abbaye semble avoir développé rapidement une activité de copie abondante, puisqu’on conserve pas moins d’une soixantaine de volumes produits à cette époque74. Bien qu’aucune étude globale n’ait été consacrée à la bibliothèque médiévale de Signy75, plusieurs informations intéressantes à plus d’un titre peuvent être glanées parmi la bibliographie éparse. Tout d’abord, plusieurs manuscrits transcrits au xiie siècle portent un ex-libris au nom de l’abbaye apposé durant la même période, soit par la main qui a copié le texte, soit par celle du rubricateur ou celle que l’on aurait tendance à attribuer au responsable de la bibliothèque, rôle normalement occupé à l’époque par le chantre76. Ensuite, on remarque que certains codices ont été copiés par plusieurs mains77, signe généralement d’une dynamique d’atelier où le travail est réparti entre les différents moines copistes, sous la direction du responsable d’atelier (qui pourrait être l’auteur de certains ex-libris relevés parmi les manuscrits du xiie siècle). Enfin, une même main se retrouve parfois dans plusieurs manuscrits, ce qui renforce une fois de plus l’hypothèse de l’existence d’un scriptorium à Signy. Citons par exemple le cas du moine Evrard, dont la main apparaît dans au moins trois volumes produits dans la seconde moitié du xiie siècle : mss 158, 196C et 2021378.

  • 79 Nous avons observé les manuscrits suivants : Charleville-Mézières 48 (1148), 66 (fin du xiie siècle (...)
  • 80 On observe également un ex-libris notifiant l’appartenance du volume à l’abbaye cistercienne en fin (...)
  • 81 Exemple au fol. 164r du manuscrit Charleville-Mézières 117 : « Liber Sancte Marie Signiaci Cisterci (...)
  • 82 A. Bondéelle (art. cit. n. 75), p. 191-201.
  • 83 Ibid., p. 199. Des volumes conservés transparaît l’image d’une bibliothèque principalement axée sur (...)

18Ce bref, mais nécessaire, aperçu de l’histoire de l’abbaye et plus particulièrement du scriptorium signacien achevé, revenons à la question de l’origine du manuscrit du Policraticus, à partir des données collectées précédemment combinées à un examen des manuscrits produits à l’abbaye de Signy durant la même période que le manuscrit Charleville 15179. Ces derniers sont copiés pour la plupart à longues lignes, dans une écriture plutôt aérée, dont le nombre de lignes ne dépasse pas les 35-40 unités contre 51 lignes sur deux colonnes pour notre exemplaire, avec une décoration plus chargée, aux initiales entrelacées ; tout cela tend à montrer que le manuscrit n’a pas été copié à Signy. L’appartenance du manuscrit de Charleville à l’abbaye signacienne dépend de deux notes apposées au recto du premier folio, dont la plus ancienne, datée du xve siècle, est complétée par une cote : « Liber Signiaci G numero III »80. Or, certains manuscrits du xiie siècle portent déjà un ex-libris d’une main contemporaine de celle de la copie, au nom de l’abbaye de Signy81. Le manuscrit du Policraticus échappa-t-il à la première campagne de récolement, ou bien l’apposition tardive de l’ex-libris signacien est-il un gage de l’entrée tardive du volume dans la bibliothèque monastique ? Dans la brève étude qu’elle consacre au système de cotation de la bibliothèque médiévale de Signy82, Anne Bondéelle observe une campagne de cotation à la fin du xve siècle, date à laquelle appartient la pose de notre cote, dont le système, qui combine une lettre à un chiffre, s’organise autour des lettres A à J et des chiffres 1 à 53. Sur la base des manuscrits conservés – un peu moins de 150 – l’auteur extrapole le nombre de 342 volumes cotés, ce qui démontre une bibliothèque d’une réelle importance. Quel sens accorder à la cote du manuscrit Charleville 151 ? Anne Bondéelle remarque que les séries F et G – pour laquelle on ne conserve que douze manuscrits sur trente-quatre – sont assez disparates, bien qu’il puisse, selon elle, s’agir « de séries pédagogiques », G étant composé « de textes plus difficiles (Ambroise), axés sur l’argumentation (Thomas d’Aquin, Quodlibeta), ou législatifs (Décret de Gratien) »83. Dès lors, en l’absence d’un catalogue médiéval de la bibliothèque de Signy et faute d’une étude globale des manuscrits issus du scriptorium cistercien, il nous faut pour l’heure conclure que l’exemplaire du Policraticus se trouvait au plus tard à la fin du xve siècle parmi les volumes de l’abbaye signacienne. Il est toutefois possible, par le biais d’indices indirects relevés dans la bibliothèque de l’abbaye cistercienne d’Orval, située non loin de Signy, de préciser la date d’entrée du Policraticus dans la collection monastique.

  • 84 Thomas Falmagne, Die Orvaler Handschriften bis zum Jahr 1628 in den Bestanden der Bibliothèque nati (...)
  • 85 La production de cet épitomé, copié en trois exemplaires – certes en différents états, avec le ms.  (...)
  • 86 T. Falmagne (op. cit. n. 84), p. 75. Puisque les mss 22, 49 et 60 de la BnL transmettent une versio (...)

19En effet, Thomas Falmagne, dans l’étude monumentale qui accompagne le catalogue des manuscrits de l’abbaye gaumaise publié récemment, note l’étroite parenté qui relie plusieurs œuvres possédées par la bibliothèque d’Orval avec les manuscrits de Signy, en particulier en ce qui concerne les textes patristiques84. L’existence d’un atelier d’écriture à Orval à la fin du xiie siècle reste difficile à établir, au contraire de l’abbaye de Signy qui, à cette époque, cherche à enrichir sa bibliothèque, sur le modèle d’autres abbayes cisterciennes telles que Pontigny ou Clairvaux, en particulier au niveau des compilations patristiques, caractéristiques de l’ordre de Cîteaux. On peut donc imaginer qu’Orval, abbaye bénédictine devenue cistercienne le 9 mars 1131 comme fille de Trois-Fontaines, chercha elle-même à renforcer son patrimoine livresque, à l’époque limité, à partir des bibliothèques sœurs avoisinantes. Signy, située à seulement une centaine de kilomètres d’Orval, dont la bibliothèque était déjà richement fournie, a certainement dû jouer un rôle dans l’agrandissement du fonds livresque orvalien. Parmi les volumes issus du scriptorium d’Orval au début du xiiie, on trouve la mention d’un Policratius de curialibus nugis et de vestigiis philosophorum (numéro 28 du catalogue des manuscrits de la bibliothèque d’Orval, rédigé en 1673, noté A dans l’étude de Thomas Falmagne). De cet exemplaire perdu découlent trois autres manuscrits, conservés à la Bibliothèque nationale du Luxembourg sous les cotes 22, 49 et 60, copiés dans la première moitié du xiiie siècle et transmettant une version abrégée de l’œuvre de Jean de Salisbury85. Il serait donc tentant de voir dans le manuscrit de Signy le modèle qui servit à la copie de l’exemplaire perdu d’Orval86. Une telle conclusion conduit à deux remarques. Primo, sachant que le manuscrit 60 de la BNL (considéré comme le plus ancien parmi les trois exemplaires de la version abrégée du Policraticus) fut copié dans le premier tiers du xiiie siècle, cela présuppose que la version complète de l’œuvre de Jean de Salisbury fut transcrite à Orval à la fin du xiie ou au plus tard au début du xiiie siècle. Secundo, et en corollaire, si l’on part du principe que celle-ci eut pour modèle le manuscrit de Signy, il faut en déduire que ce dernier se trouvait déjà dans la bibliothèque signiacienne à la fin du xiie siècle, au moment où Orval sollicita auprès de Signy une partie de son patrimoine livresque afin d’élargir sa propre bibliothèque. L’absence d’ex-libris antérieur au xve siècle sur le manuscrit de Charleville-Mézières pourrait donc s’expliquer par son prêt à l’abbaye d’Orval au moment de la première campagne de récolement mise en place à Signy à la fin du xiie siècle.

  • 87 Où l’on décida par exemple d’y ajouter la ponctuation avec le point surmonté d’une virgule oblique, (...)
  • 88 L’hypothèse la plus probable serait que le manuscrit entra dans la bibliothèque monastique par un d (...)
  • 89 On ne peut exclure l’hypothèse que le manuscrit ait été produit dans un centre de copie proche de R (...)

20Reprenons les différents éléments présentés ci-dessus. Nous avons vu que le manuscrit, d’un point de vue paléographique, pouvait être daté du dernier tiers, voire du dernier quart du xiie siècle. L’histoire de la bibliothèque de Signy, combinée à une brève analyse des manuscrits issus du scriptorium monastique, a conduit à exclure la copie du manuscrit du Policraticus au sein de l’abbaye ardennaise. Sachant que ce dernier se trouvait au plus tard à la fin du xiie siècle parmi les manuscrits envoyés à l’abbaye d’Orval, et que le codex fut produit au plus tôt après l’arrivée de Jean en France, soit l’année 1163, il faut en conclure qu’il entra dans le patrimoine livresque signacien entre 1164 et les années 1190-1200, sans pouvoir en préciser la chronologie exacte87. En l’absence d’un ex dono ou d’un catalogue médiéval qui aurait permis de préciser l’origine du manuscrit, nous en sommes réduits à n’émettre que des hypothèses88. Ce dernier fut très certainement copié dans un espace proche de l’abbaye de Signy, probablement inclus dans ou autour du diocèse de Reims89.

Jean de Salisbury, Thomas Becket et les Cisterciens : l’apport des livres

  • 90 On sait par exemple que deux auteurs anglais illustres, proches de Thomas Becket, se retirèrent dan (...)

21Nous souhaitons conclure cette brève incursion dans l’histoire de la diffusion du Policraticus de Jean de Salisbury, à travers le manuscrit de Charleville, par une présentation, certes partielle, de la diffusion plus générale d’œuvres liées à Jean de Salisbury et Thomas Becket dans le milieu cistercien. Nous avons vu que les deux personnages entretenaient des rapports étroits avec l’ordre de Cîteaux90. Ceux-ci transparaissent notamment à travers la présence de certains textes dans les bibliothèques cisterciennes de France, et ce dès la seconde moitié du xiie siècle.

  • 91 Il existait également un exemplaire de ce texte à l’abbaye de Foigny, aujourd’hui perdu, ainsi qu’à (...)
  • 92 Exemplaire non retrouvé mais dont dérive probablement le volume légué à l’abbaye de Battle par l’ab (...)
  • 93 « Odo, permissione Dei dictus abbas ecclesiae sancti Martini de Bello, dilecto in christo fratri su (...)
  • 94 P. Stirnemann (art. cit. n. 7).
  • 95 Abbaye cistercienne fortement liée à la branche anglaise de l’ordre.

22L’exemple le plus frappant est sans doute la diffusion extrêmement rapide d’œuvres à caractère hagiographique liées au culte de Thomas Becket. Ainsi, les Miracula S. Thomae de Benoît de Peterborough se retrouvent dès la fin du xiie siècle dans trois abbayes de l’ordre : Aulne (Bruxelles, KBR, IV 600), Clairvaux (Montpellier, BIU, 2) et Pontigny (Londres, BL, Egerton 2818)91. L’abbaye de Signy possédait aussi son propre exemplaire (Charleville, BM, 22), copié au début du siècle suivant. Les volumes d’Aulne et de Signy nous livrent un témoignage précieux sur les circulations de manuscrits entre institutions monastiques de part et d’autre de la Manche. Dans ces derniers, on trouve une lettre, datée des années 1180, de l’abbé de Battle, Odo, ancien prieur de Christ Church, à qui Jean de Salisbury avait envoyé un exemplaire de son Policraticus92, adressée à deux anciens moines d’Igny, dans laquelle il leur précise l’envoi du livre des miracles de Thomas purgé de toutes erreurs93. On peut imaginer que l’abbaye d’Igny, après avoir reçu l’exemplaire des miracles envoyé par Odo, transmit à son tour le texte aux abbayes d’Aulne, de Signy et Foigny, toutes trois situées dans la même région. Un autre exemple de transmission indirecte peut être observé dans l’abbaye cistercienne de Bonport. Parmi les manuscrits provenant de la bibliothèque monastique, on trouve un exemplaire du Policraticus (Paris, BnF, lat. 6418). Contrairement aux datations habituellement proposées, qui situent le manuscrit au xive siècle, P. Stirnemann estime que ce dernier peut être daté de l’extrême fin du xiie siècle, tout en précisant qu’il est d’origine anglaise94. Le manuscrit fut sans doute offert à l’abbaye par son fondateur, Richard Cœur de Lion, quelque temps après sa fondation en 1189. Les relations peuvent, dans certains cas, s’avérer plus personnelles, à l’instar des liens qui ont dû exister entre Philippe, abbé de l’Aumône, et Thomas Becket. Ancien archidiacre de Liège (1140-1146/1147), passé à l’ordre cistercien comme prieur de Clairvaux entre 1152/1153-1156, il est nommé abbé de l’Aumône95 en 1156, charge qu’il occupa jusqu’en 1170, avant de se retirer en l’abbaye de Clairvaux où il mourut en 1179. Sa proximité avec l’archevêque de Cantorbéry se révèle au travers de deux Sequentia en l’honneur de Thomas Becket, à la fin desquelles on peut lire : « Sequentia quam de eodem martiri domnus Philippus Leodiensis quondam archidiaconus, postea prior Clarevallensis, deinde abbas Elemosinaris composuit ».

  • 96 Parmi ceux-ci, on citera également la possession par l’abbaye de Breuil-Benoît, dans l’Eure (filiat (...)
  • 97 Voir Hans Hublocher, Helinand von Froidmont und sein Verhältnis zuu Johannes von Salisbury. Ein Bei (...)
  • 98 La complexité du dossier, qui dépasse de loin le cas particulier du manuscrit de Charleville-Mézièr (...)
  • 99 C. J. Nedermann (op. cit. n. 16), p. 50.

23On le voit, les indices qui attestent d’une relation particulière entre le couple Salisbury-Becket et l’ordre cistercien, particulièrement en France, sont légion96. Les textes hagiographiques relatifs à Thomas Becket connurent un succès extrêmement précoce et sans commune mesure parmi les abbayes cisterciennes, témoignant de l’attachement particulier entre l’archevêque et l’ordre de Cîteaux qui, malgré les menaces pesant sur les maisons anglaises, recueillit à Pontigny l’archevêque en fuite. Concernant Jean de Salisbury, nous avons souligné l’intérêt précoce des cisterciens pour le Policraticus, intérêt marqué tant dans les manuscrits conservés que dans la réutilisation textuelle de l’œuvre – on pense bien évidemment ici à l’emploi qu’en fit Hélinand de Froidmont dans son De bono regimine principis ainsi que dans sa Chronique97. L’exemplaire de Signy, bien qu’il n’ait pas été directement copié dans l’abbaye ardennaise, joua indubitablement un rôle dans la diffusion du Policraticus au sein des bibliothèques cisterciennes. Au-delà de son contexte historique de production et de la place qu’il occupe au sein du stemma, ce manuscrit présente un intérêt tout à fait novateur pour l’histoire de la construction et de l’utilisation du texte tel qu’imaginé par Jean de Salisbury lui-même. À côté du texte du Policraticus, le codex transmet toute une série de notes marginales, renvoyant aux auteurs ou aux œuvres mobilisés par Jean pour la constitution de son traité. Cette sorte d’apparat bibliographique, que l’on retrouve par ailleurs, à des niveaux différents, dans d’autres exemplaires du Policraticus, permet de jeter un regard neuf sur l’histoire de la réception et de l’utilisation de l’œuvre au Moyen Âge. L’analyse de ces notes, ainsi que leur mise en perspective avec d’autres exemplaires de l’œuvre, objet d’un prochain article à paraître98, permettra de lever un nouveau pan du voile dans l’histoire de la diffusion de ce « philosophical memoir of one of the most learned courtier-bureaucrats of twelfth-century Europe »99.

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Notes

1 Cet article doit beaucoup aux nombreux conseils et remarques soulevés par Patricia Stirnemann et Rossana Guglielmetti lors de nos discussions. Qu’il me soit permis ici de les remercier chaleureusement.

2 Il est évident qu’il existe d’autres sources pour mesurer la diffusion et la réception d’un texte, comme les inventaires de bibliothèques, les listes d’autorités, les manuels scolaires ou plus simplement les mentions ou reprises textuelles. Toutefois, le manuscrit apparaît comme un témoin privilégié pour étudier cette question.

3 Janet Martin, « Uses of Tradition: Gellius, Petronius and John of Salisbury », Viato: Medieval and Renaissance Studies, 10, 1979, p. 57-76 ; Id., « John of Salisbury as Classical Scholar », dans The World of John of Salisbury, M. Wilks (éd.), Oxford, B. Blackwell (Studies in Church History. Subsidia, 3), 1984, p. 179-201.

4 Frédérique Lachaud, « L’idée de noblesse dans le Policraticus de Jean de Salisbury (1159) », Cahiers de recherches médiévales, 13, 2006, p. 3-19, DOI : 10.4000/crm.743 ; Cary J. Nederman, « John of Salisbury’s Political Theory », dans A Companion to John of Salisbury, C. Grellard et F. Lachaud (éd.), Leiden, Brill (Brill’s Companions to the Christian Tradition, 57), 2015, p. 258-288.

5 Rossana Guglielmetti, La tradizione manoscritta del Policraticus di Giovanni di Salisbury. Primo secolo di diffusione, Florence,  Sismel (Milennio Medievale. Strumenti e studi, 13), 2005.

6 Frédérique Lachaud, « De la Satire politique au “miroir” : Jean de Galles et la lecture du Policraticus de Jean de Salisbury au xiiie siècle », dans Universitas scolarium. Mélanges offerts à Jacques Verger par ses anciens étudiants, C. Giraud et M. Morard (éd.), Genève, Droz (EPHE, Sciences historiques et philologiques, Hautes études médiévales et modernes, 102), 2011, p. 385-407.

7 Patricia Stirnemann, « La bibliothèque et le Policraticus de Jean de Salisbury », dans Jean de Salisbury : nouvelles lectures, nouveaux enjeux, (Metz, 1er-3 octobre 2015), Florence, Sismel (MediEVI, 19), 2018. Je remercie vivement Mme Stirnemann de m’avoir gentiment envoyé le texte de sa communication.

8 Le manuscrit est connu dans les différentes éditions ou travaux philologiques qui portent sur le texte du Policraticus comme le manuscrit H.

9 La première à avancer ce chiffre fut R. Guglielmetti dans son étude, philologique, sur la tradition manuscrite et textuelle de l’œuvre : R. Guglielmetti (op. cit. n. 5), chiffre repris par la suite par la plupart des chercheurs. La base de données Fama, dirigée par l’IRHT, recense la plupart des manuscrits conservés : http://fama.irht.cnrs.fr/oeuvre/254712, consulté le 10/10/2017. Nos recherches ont permis d’augmenter le nombre de témoins recensés à un total de 143 manuscrits. Nous livrerons le détail de ces ajouts dans une étude à venir consacrée plus précisément à la tradition manuscrite du Policraticus.

10 Datation établie à partir de la mention du siège de Toulouse – dans le contexte de la guerre qui opposa le souverain anglais à Louis VII, en soutient à son vassal Raymond de Toulouse – par le chancelier Thomas Becket, siège levé en septembre de la même année : Policraticus I (Prologue, « Dum tamen Tolosam cingitis, ista aggressus sum et me curialibus nugis paulisper ademi… ») et VIII 25 (« Rex illustris Anglorum Henricus secundus […] circa Garumnam et, ut dicitur, te auctore, te duce, fulminat, ut Tolosam felici cingens obsidione… »). L’œuvre, dont la rédaction fut entamée dès 1156, est en réalité constituée de différentes sections réunies en un seul traité à la fin de l’été 1159. Après un premier noyau autour du thème de la fortune (livre VII), thème repris et augmenté de réflexions sur la magie et les sciences (livres I-II), Jean s’attela au contenu plus proprement politique avec les livres III-VI qui traitent du prince et des courtisans, pour enfin rédiger un long développement sur la philosophie morale (livre VIII). Pour une reconstruction de la genèse de composition de l’œuvre, voir Max Kerner, Johannes von Salisbury und die logische Struktur seines Policraticus, Wiesbaden, F. Steiner, 1977, p. 111-119.

11 Abbaye fondée en 1135, fille d’Igny (branche de Clairvaux), essaime en 1154 avec la fondation de l’abbaye de Bonnefontaine.

12 Nous reviendrons plus loin sur la question de la datation du manuscrit.

13 Olga Weijers, « The Chronology of John of Salisbury’s Studies in France (Metalogicon, II.10) », dans The World of John of Salisbury (op. cit. n. 3), p. 109-116.

14 The Letters of John of Salisbury, II : The Later Letters (1163-1180), C. N. L. Brooke et W. J. Millor (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 1979, lettre 136, p. 12-13.

15 Julie Barrau, « John of Salisbury as Ecclesiastical Administrator », dans A Companion to John of Salisbury (op. cit. n. 4), p. 105-146, ici p. 106.

16 Sur le parcours de l’intellectuel anglais, on lira en premier lieu l’introduction biographique de l’édition des lettres de Jean de Salisbury : The Letters of John of Salisbury, I : The Early Letters (1153-1161), H. E. Butler, W. J. Millor et C. N. L. Brooke, Londres/New York, T. Nelson, 1955 et Ibid., II : The Later Letters (éd. cit. 14) ; ainsi que l’ouvrage synthétique : Cary J. Nederman, John of Salisbury, Tempe, Arizona Center for Medieval and Renaissance Studies (Medieval & Renaissance Texts & Studies, 288), 2005.

17 Parmi les 325 lettres conservées de l’auteur anglais (1153-1179), John McLoughlin a relevé certains noms associés à la demande d’ouvrages : Azo de Canterbury, Baldwin de Valle Darii, Pierre de Celle, Raymond de Poitiers, Richard l’Évêque et William Brito, voir : John McLoughlin, « Amicitia in Practice: John of Salisbury (c. 1120-1180) and his Circle », dans England in the Twelfth Century: Proceedings of the 1988 Harlaxton Symposium, D. Williams (éd.), Woodbridge, Boydell Press (Harlaxton Medieval Studies, 5), 1990, p. 165-181. Aux p. 176-181, l’auteur présente une liste des 952 destinataires des lettres de Jean tout en précisant notamment leur statut, leur localisation géographique ainsi que le nombre de lettres reçues. Parmi la correspondance échangée avec Pierre de Celle, plusieurs lettres attestent de l’envoi par Pierre de livres à Jean, comme la collection épistolaire de Bernard de Clairvaux (lettre 31) ou l’Expositio magistri Hugonis (lettre 34).

18 The Letters of John of Salisbury, II (éd. cit. n. 14), lettre 201, p. 295 : « De cetero iam a multo tempore porrectas itero preces quatinus libros Aristotilis, quos habetis, michi faciatis exscribi et notulas super Marcum, meis tamen sumptibus, quaeso, in hac re nulla ratione parcatis ».

19 Cette liste, transcrite dans l’obituaire du chapitre cathédral, fut éditée une première fois : Cartulaire de Notre-Dame de Chartres d'après les cartulaires et les titres originaux, E. Lépinois et L. Merlet (éd.), III, Chartres, Société archéologique d’Eure-et-Loir, 1865, p. 202, en ligne : http://elec.enc.sorbonne.fr/cartulaires/html/Chartres-N-D.html ; elle fut ensuite rééditée : Obituaires de la province de Sens, II : Diocèse de Chartres, A. Moulinier (éd.), Paris, C. Klincksieck (Recueil des historiens de la France, Obituaires, 2), 1906, p. 106-107.

20 The Letters of John of Salisbury, I : The Early Letters (1153-1161), H. E. Butler, W. J. Millor et C. Brooke (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 1986, lettre 111, p. 180-182.

21 On peut évidemment se poser la question de savoir si Jean envoya le même exemplaire à l’ensemble de ses relecteurs, facilitant ainsi le travail de correction, ou s’il opta plutôt pour l’envoi de copies individualisées, ce qui reviendrait à augmenter le nombre de manuscrits produits dès les premières années de diffusion du texte.

22 Pour P. Stirnemann, le manuscrit fut produit en Angleterre, en 1160, comme en témoignent l’étude du décor mais aussi l’état du texte, caractéristique de la première version de l’œuvre. Elle remarque également que, parmi les trois mains responsables de la copie du manuscrit, deux d’entre elles se retrouvent également dans l’exemplaire de dédicace remis à Thomas Becket, soit le manuscrit de Cambridge. Une telle découverte éclaire les étapes de rédaction et, par la suite, de révision du Policraticus par Jean de Salisbury, en pointant notamment le rôle exercé par le chapitre cathédral de Cambridge dans la première diffusion du texte, Jean ayant certainement, grâce aux relations privilégiées entretenues avec la curie archiépiscopale, bénéficié des ressources de la bibliothèque et du scriptorium cantorbérien. Grâce à l’établissement, par R. Guglielmetti, du stemma codicum de l’œuvre (en quatre familles, découlant d’un archétype commun), il est possible de supputer l’existence de deux autres témoins, aujourd’hui perdus : le premier comme étant l’exemplaire de l’auteur (ω) ; le second pouvant être rattaché à la copie faite pour Odo de Cantorbéry, dont découle directement le manuscrit Oxford, BL, lat. misc. c. 16, produit à Battle Abbey (xiie, dernier quart).

23 The Correspondence of Thomas Becket, Archbishop of Canterbury 1162-1170, I : Letters 1-175, A. Duggan (éd. et trad.), Oxford, Clarendon Press (Oxford Medieval Texts), 2000, lettre 18. La biographie du personnage en dit long sur les rapports qu’il entretenait avec l’ordre de Cîteaux, puisqu’il devint archevêque de Lyon en 1182, succédant ainsi à Guichard, lui-même ancien abbé de Pontigny, avant de quitter ses fonctions en 1193 pour se retirer en la prestigieuse abbaye de Clairvaux où il demeura jusqu’à sa mort en 1204.

24 Sur le réseau littéraire qui se mit en place autour de Thomas Becket, on consultera l’ouvrage récent de Julie Barrau, Bible, lettres et politique : l’écriture au service des hommes à l’époque de Thomas Becket, Paris, Classiques Garnier (Bibliothèque d’histoire médiévale, 8), 2013.

25 The Correspondence of Thomas Becket… (op. cit. n. 23,) lettre 20 : « Aput Clarevallem, Cistercium, Pontiniacum, intercessione domini pape, oratur assidue pro vobis, et pro ecclesia vobis a Deo commissa ».

26 Materials for the History of Thomas Becket, Archbishop of Canterbury, III, J. C. Robertson (éd.), Londres, Longman, (Rerum Britannicarum medii aevi scriptores, 67-3), 1877, p. 76 : « […] post missarum celebrationem et divinarum contemplationem, etiam studio litterarum et maxime divinae paginae, operam dabat, libris etiam conscribendis et perquirendis a domino papa privilegiis », selon le témoignage de son secrétaire particulier, Herbert de Bosham, voir aussi p. 359 et 379.

27 Ibid., p. 77.

28 Christopher de Hamel, Glossed Books of the Bible and the Origins of the Paris Booktrade, Woodbridge, D. S. Brewer, 1984, en particulier le chapitre 4 intitulé « The So-Called Pontigny School of Illumination ».

29 James Montague Rhodes, The Ancient Libraries of Canterbury and Dover: the Catalogues of the Libraries of Christ Church Priory and St. Augustine’s Abbey at Canterbury and of St. Martin’s Priory at Dover, Cambridge, University Press, 1903, p. 82-85.

30 Les manuscrits acquis ou copiés par les membres de la cour de l’archevêque de Cantorbéry doivent beaucoup au séjour de Thomas Becket à Sens, où résida un temps la cour pontificale d’Alexandre III, mais aussi aux relations qu’il entretint avec le comte de Champagne Henri le Libéral, et par là même avec son bibliothécaire de l’époque, Nicolas de Montiéramey.

31 Monique Peyrafort-Huin, La bibliothèque médiévale de l’abbaye de Pontigny (xiie-xixe siècles). Histoire, inventaires anciens, manuscrits, Paris, CNRS Éditions (Documents, études et répertoires, 60), 2001, p. 112, sur la question des rapports entre Thomas Becket et Pontigny, voir p. 17-23 et 108-110. On notera également le rôle joué par Henri le Libéral et sa cour, très impliquée sur le plan de la production littéraire, ainsi que celui, plus diffus, joué par Nicolas de Montiéramey au sein de celle-ci. Voir John Benton, « The Court of Champagne as a Literary Center », Speculum, 36, 1961, p. 555-591 ; Charles Brucker, « L’humanisme à la cour d’Henri le Libéral : Jean de Salisbury et Horace », Cahiers de civilisation médiévale, 209, 2010, p. 3-22.

32 Voir notamment la lettre envoyée par Henri II à Gilbert, abbé de Cîteaux : Materials for the History of Thomas Becket, V, J. C. Robertson (éd.), Londres, Longman (Rerum Britannicarum medii aevi scriptores, 67-5), 1881, p. 365.

33 Sanction vivement critiquée par Alexandre III dans une lettre adressée aux abbés cisterciens, PL, CC, 569.

34 Materials for the History of Thomas Becket (op. cit. n. 26), p. 397-398. Notons que Thomas semble avoir malgré tout maintenu des contacts étroits avec les abbayes cisterciennes. C’est par exemple de l’abbaye de Clairvaux, où Thomas a peut-être résidé quelques jours, que partent plusieurs lettres de l’archevêque en avril 1169 (lettres 194-199). Par ailleurs, les cisterciens furent parmi les premiers à rendre hommage à leur ancien protégé, puisqu’on sait que dès 1174, soit moins de quatre ans après la mort de l’archevêque, on institua à Pontigny un office en son honneur. Cette fête fut inscrite au calendrier cistercien en 1185, le 29 décembre, voir Bernard Backaert, « L’évolution du calendrier cistercien », Collectanea ordinis cisterciensium reformatorum, 12, 1950, p. 81-94 et 302-316. Sur les rapports entre Thomas Becket et l’ordre cistercien, on consultera David Hill, « Archbishop Thomas Becket and the Cistercian Order », Analecta Cisterciensia, 27, 1971, p. 64-80, ainsi que Adriaan Bredero, « La canonisation de saint Bernard et sa Vita sous un nouvel aspect », Cîteaux, 25, 1974, p. 185-198.

35 Retour survenu à la suite d’un accord entre l’archevêque et Henri II le 22 juillet 1170.

36 Bien que résidant tous deux dans le nord de la France, il semblerait que Thomas et Jean n’entretinrent pas une relation très intime. Comme le souligne C. J. Nederman (op. cit. n. 16), p. 30 : « There is no evidence that John ever remained with Thomas for any extended perdiod, which is perhaps fortunate, since their communications were instead recorded in a body of correspondence that was eventually collected by John […] he [John] was a servant of canterbury, not a personal aide to becket - ». Sur la relation entre les deux personnages, on consultera la contribution récente du même auteur co-écrite avec Karen Bollermann, « John of Salisbury and Thomas Becket », dans A Companion to John of Salisbury (op. cit. n. 4), p. 63-104.

37 Par ailleurs, plusieurs lettres envoyées par Thomas Becket lors de son séjour à Pontigny témoignent d’une utilisation du Policraticus.

38 Le catalogue, rédigé en plusieurs étapes entre le milieu des années 1160 et 1175, riche de 271 entrées, fut copié sur un quaternion ajouté à la fin du commentaire de Raoul de Flay sur le Lévitique (Radulphus in Leviticum ; cum Catalogo multorum librorum hujus abbatiae volumen unum).

39 M. Peyrafort-Huin (op. cit. n. 31), p. 46-47 et 97. On se référera à cette excellente étude pour tout ce qui touche au catalogue de Pontigny ainsi qu’à l’histoire de la bibliothèque monastique.

40 Ibid., p. 540.

41 Ioannis Saresberiensis Policraticus I-IV, K. S. Keats-Rohan (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum. Continuatio Medievalis, 118), 1993. Cette édition fut largement critiquée par les spécialistes, en particulier en raison du choix des manuscrits utilisés. Ainsi, K. S. Keats-Rohan choisit de ne pas inclure dans son édition le manuscrit Cambridge, Corpus Christi College, 46 ( = C), dont la recherche a depuis lors démontré l’importance pour l’établissement du texte, tout en surinterprétant le rôle du manuscrit Londres, BL, Royal 13.D.IV (= A). Au sujet des réserves à adopter quant à cette édition, on consultera les recensions de Michael Winterbottom, compte rendu de : Ioannis Saresberiensis Policraticus I-IV, K. S. Keats-Rohan (éd.), Turnhout, Brepols (Corpus Christianorum. Continuatio Medievalis, 118), 1993, dans Journal of Ecclesiastical History, 46, 1995, p. 321-323, en ligne : https://doi.org/10.1017/S0022046900011465 ; et celui de Giovanni Orlandi dans Filologia Mediolatina, 4, 1997, p. 21-26.

42 Londres, BL, Royal 13.D.IV., fol. 2-160.

43 « A1 copied the archetype [du Policraticus et du Metalogicon] in both cases, and in both cases the archetype travelled after the scribe’s work was done. A2 or whomever he was working for, borrowed back the archetype at a later stage in their development, and copied the alterations onto A1’s text », p. XXII.

44 Pour la démonstration, voir R. Guglielmetti (op. cit. n. 5), p. 66-95.

45 Sur la question, on consultera en priorité ses deux articles : Rossana Guglielmetti, « Varianti d’autore nel “Metalogicon” e nel “Policraticus” di Giovanni di Salisbury », Filologia Mediolatina, 11, 2004, p. 281-307 ; Id., « Riconoscimento delle linee verticali della tradizione in presenza di contaminazioni sistematiche. L’esperienza del “Policraticus” di Giovanni di Salisbury », Filologia Mediolatina, 14, 2007, p. 107-127, réimprimé sous le titre « Descripti contaminati a catena e altre perturbarzioni. L’esperienza del Policraticus di Giovanni di Salisbury », dans Prassi ecdotiche: esperienze editoriali su testi manoscritti e testi a stampa, atti di due giornate di studio (Milano, 7 giugno-31 ottobre 2007), A. Cadioli et P. Chiesa (éd.), Milan, Cisalpino (Quaderni di acme, 103), 2008, p. 117-36. Notons que K. S. Keats-Rohan avait déjà mis en évidence la reprise textuelle du Policraticus par Jean, lorsqu’elle nous décrit l’archétype, lequel « was the working copy which received progressive, but nonetheless fitfull, correction and revision on the part of the author, resulting in the progressive accumulation of truth in the extant manuscripts » : Katharine S. Keats-Rohan, « The Textual Tradition of John of Salisbury’s Metalogicon », Revue d’histoire des textes, 16, 1986, p. 229-282, ici p. 256.

46 Tous deux rattachés à la première famille dans le stemma.

47 Par exemple, le chapitre 7 du livre V est intitulé dans P « Que bona vel mala subjectis proveniant de moribus principum », alors que dans H l’ordre des premiers mots est inversé en « Que mala vel bona ».

48 R. Guglielmetti (op. cit. n. 5), p. 146. L’exemplaire amené par Thomas en France durant son exil n’est pas le manuscrit de dédicace remis par l’auteur, à savoir le manuscrit de Cambridge (= C), et ce pour des raisons assez simples. D’une part, les exemplaires découlant du premier appartiennent à la première famille textuelle, tandis que le manuscrit C est, quant à lui, rattaché à la deuxième. D’autre part, le manuscrit de Cambridge possède également, à côté du Policraticus, le texte du Metalogicon, œuvre absente du manuscrit de Pontigny, et incluse, comme nous le verrons, dans celui de Signy par un autre canal. Du reste, le manuscrit de Cambridge, d’une taille imposante (342 × 247 mm, caractérisé comme « moyen-grand » c’est-à-dire dont la taille se situe entre 491 et 670 mm, selon la typologie établie par Carla Bozzolo et Ezio Ornato, Pour une histoire du livre manuscrit au Moyen Âge : trois essais de codicologie quantitative, Paris, Éditions du CNRS [Textes et études, 2], 1980, p. 218), se prêtait peu à un tel voyage.

49 Observation étonnante sachant que ce dernier fut rédigé précisément au moment même où Becket séjournait à Pontigny : le manuscrit aurait-il échappé à la campagne de catalogage ?

50 L’exemplaire primaire de Pontigny, copié directement sur le manuscrit apporté par Thomas Becket lors de son exil en France (que R. Guglielmetti identifie dans son stemma comme étant epsilon ou l’un de ses dérivés) aurait donc été envoyé en prêt à l’abbaye de Signy. De là, soit l’exemplaire en prêt est retourné à Pontigny, soit il fut légué à Signy, après qu’une copie en ait été faite à Pontigny, qui donnera naissance au manuscrit P. L’hypothèse d’une parenté directe entre H et P pose néanmoins certaines questions. Primo, l’absence de liens apparents entre les deux abbayes, situées d’ailleurs à une certaine distance l’une de l’autre, laisse perplexe quant à un échange possible de livres. Secundo, dans l’hypothèse que Pontigny ait fait faire une copie de l’exemplaire apporté par Thomas Becket, il paraît étrange que celui-ci n’apparaisse pas dans le catalogue du xiie siècle. Tertio, l’expertise du manuscrit P, daté du premier quart du xiiie siècle, donne l’impression d’une copie quelque peu bâclée, faite rapidement de manière parfois désordonnée (comme le montre les nombreuses mains relevées, qui changent parfois au sein d’un même passage ; les feuillets blancs laissés entre chaque livre ; l’absence de cohérence au niveau de la décoration ; les changements au niveau de la mise en page ; les différences au niveau des annotations marginales, etc.). Si Pontigny possédait déjà un exemplaire du Policraticus, rattaché au manuscrit de Thomas Becket, pourquoi un tel travail ?

51 Sur la question des échanges possibles de manuscrits à l’intérieur des différentes branches de l’ordre cistercien, on consultera l’article de Thomas Falmagne, « Le réseau des bibliothèques cisterciennes au xiie et xiiie siècles », dans Unanimité et diversité cisterciennes. Filiations, réseaux, relectures du xiie au xviie siècle, actes du quatrième colloque international du Cercor (Dijon, 23-25 septembre 1998), N. Bouter (éd.), Saint-Étienne, Université de Saint-Étienne (Travaux et recherches, 12), 2000, p. 195-222.

52 Parmi les huit manuscrits qui transmettent le Metalogicon (dont cinq copiés au xiie siècle), six le font en y associant le Policraticus, contre deux codices où le Metalogicon circule de façon indépendante. Il est d’ailleurs troublant de noter la faible diffusion de l’œuvre, en particulier en dehors du milieu anglais où l’exemplaire de Signy apparaît comme un hapax. Il conviendrait de pister les éventuelles traces d’exemplaires perdus laissés dans les inventaires ou listes de livres, tant médiévaux que modernes, afin de confirmer ce désintérêt.

53 Achevée en octobre 1159, comme l’atteste la mention de la mort soudaine du pape Adrien IV, auquel Jean était particulièrement attaché, Metalogicon, IV 42.

54 Après le fol. 127r, les cahiers « t » et « v » sont presque complètement perdus, mais la dernière languette visible reprend le livre 4, cap. 42 du Metalogicon.

55 K. S. Keats-Rohan (art. cit. n. 45), p. 248.

56 Il ne peut être question ici d’accessus ad auctores, dont la pratique fut certes très en vogue au xiie siècle, mais dont la forme, généralement une œuvre en soi, et la complexité vont bien au-delà d’un simple repérage bibliographique en marge. Sur le sujet, on lira notamment Edwin A. Quain, « The Medieval Accessus ad Auctores », Traditio, 3, 1945, p. 215-264 ; Pascale Bourgain, « Les auteurs dans les Accessus ad auctores », dans Author and Authorship in Medieval Latin Literature: Proceedings of the VIth Congress of the International Medieval Latin Committee (Benevento-Naples, November 9-13, 2010), E. D’Angelo et J. Ziolkowski (éd.), Florence, Sismel (MediEVi, 4), 2014, p. 119-132 ; ainsi que les nombreuses réflexions faites par Birger Munk Olsen sur le sujet.

57 Nous détaillerons les indices qui nous ont conduits à cette conclusion dans un prochain article traitant spécifiquement de ces notes marginales.

58 Charleville-Mézières, BM, 151, fol. 119r.

59 Signature de cahiers alphabétique jusqu’à la lettre P (fol. 120r), après le manuscrit est malheureusement mutilé.

60 Le système de justification se présente comme suit : marge de gouttière de 4,7 cm ; 6,8 cm de marge de queue ; 1,6 cm de marge de dos et 2 cm de marge de tête ; enfin 1,8 cm d’inter-colonne. Les piqures sont apparentes ainsi que le schéma de réglure à la mine de plomb.

61 Présence quasi systématique de lettres d’attente en vis-à-vis de chaque initiale.

62 Il est intéressant de noter la ressemblance sur ce point avec le manuscrit de Soissons, daté de 1160 et connu comme ayant appartenu à Jean de Salisbury lui-même, puisque ce dernier ignore également le titre des chapitres, qu’une main du xive siècle a par ailleurs rajouté en bas de page dans une encre rouge, et présente, comme dans H, la liste des chapitres en tête de chaque livre.

63 Notons que, contrairement à d’autres manuscrits de la même époque, comme l’exemplaire de Soissons avec lequel H partage de nombreux points communs, le manuscrit de Signy ne possède pas le texte de l’Entheticus, ce long poème philosophico-satirique écrit en vers élégiaques qui introduit généralement le texte du Policraticus.

64 Introduit sans transition par l’explicit du Policraticus : « Incipit eiusdem Ioannis Metalogicon prologus libri primi ».

65 La seconde se contentant de copier l’un ou l’autre passage, ou plus simplement de corriger certains termes préalablement grattés.

66 Nous sommes plus proches de la simple concomitance de deux courbes qui se touchent sans pour autant fusionner, phénomène décrit par Eric Kwakkel sous le nom de « kissing ».

67 Notre datation doit beaucoup à l’article d’Erik Kwakkel, « Biting, Kissing and the Treatment of Feet: The Transitional Script of the Long Twelfth Century », dans Turning Over a New Leaf: Change and Development in the Medieval Manuscript, E. Kwakkel, R. McKitterick et R. Thomson (éd.), Leiden, Leiden University Press (Studies in Medieval and Renaissance Book Culture), 2012, p. 79-126, dans lequel l’auteur analyse l’évolution de la minuscule caroline vers l’écriture gothique, entre 1075 et 1225, à partir d’un corpus de 342 manuscrits datés.

68 Patricia Stirnemann, « Fils de la vierge. L’initiale à filigranes parisiennes : 1140-1314 », Revue de l’art, 90, 1990, p. 58-73, ici p. 62-63, en ligne : https://doi.org/10.3406/rvart.1990.347872.

69 Fol. 22v (lettre C) ; fol. 27v (lettre E) ; fol. 44v (lettre E) ; fol. 119v (lettre A).

70 Anvers, musée Mayer van den Bergh (anciennement conservé à l’église de S. Willibrord à Berchem), missel de l’abbaye Saint-Michel d’Anvers (deuxième quart du xiie siècle) ; Douai, BM, 340 (vers 1175, provient de l’abbaye d’Anchin) ; Saint-Omer, BM, 232 (vers 1200, provient de l’abbaye Saint-Bertin) et Chantilly, Musée Condé, 9 (plus connu sous le nom de psautier d’Ingeburge, réalisé durant le premier quart du xiiie siècle). On peut donc en conclure qu’il s’agit là d’un motif régional, utilisé par les artistes sur une période assez longue qui s’échelonne sur près d’un siècle.

71 On doit au chanoine Joseph Mathy la rédaction suivante : Joseph Mathy, Histoire de l’abbaye de Signy, Reims, Imprimerie Coulon, 1993, bien que de nature essentiellement économique. Plus récemment, on consultera : Signy-l’abbaye, site cistercien enfoui, site de mémoire et Guillaume de Saint-Thierry, actes du colloque international d’études cisterciennes (les Vieilles-Forges, 9-11 septembre 1998), N. Boucher (éd.), Signy l’Abbaye, Association des amis de l’abbaye de Signy, 2000. Les contributions sur l’abbaye, pour la plupart publiées dans des revues locales, sont pour l’essentiel centrées sur un élément ponctuel de son histoire. On consultera notamment les différents articles parus dans les revues Terres ardennaises et Revue historique ardennaise. Les principales sources archivistiques relatives à l’abbaye de Signy, pour la plupart conservées aux Archives départementales des Ardennes dans la série H, ont bénéficié d’une attention particulière de la part de Françoise Canut dans sa thèse de l’École des chartes (1964), consacrée au cartulaire du xiiie siècle, rédigé vers 1223 (avec additions) et riche de 465 actes (1135-1250, Archives départementales des Ardennes, H 0203). Sur ces documents, on consultera également la base de données CartulR, http://www.cn-telma.fr//cartulR/producteur364/, consultée le 20/01/2018. La chronique monastique réalisée au xiiie siècle, où est relatée l’histoire de l’abbaye depuis sa fondation jusqu’en l’année 1233, fut éditée par Léopold Delisle : Manuscrits légués à la Bibliothèque nationale par Armand Durand, L. Delisle (éd.), Paris/Genève, Droz (Bibliothèque de l’École des chartes, 55) 1894, p. 627-660, ici p. 644-658, en ligne : https://doi.org/10.3406/bec.1894.447790. Pour une présentation de l’évolution des possessions de l’abbaye aux xiie-xiiisiècles, nous renvoyons au travail de Virginie Corneille, Le temporel de l’abbaye cistercienne de Signy, 1135-1300, mémoire de maîtrise sous la direction de C. Vulliez, université de Reims-Champagne-Ardenne, 1999.

72 Cette donation est confirmée la même année par une charte de l’archevêque de Reims Renaud II, qui avait par ailleurs contribué à la fondation de l’abbaye d’Igny en 1126, voir AD Ardennes, H203, fol. 21-23, cartulaire de l’abbaye.

73 L’abbaye bénéficia de la générosité de nombreux donateurs, notamment du comte Thibaut II de Champagne qui paya de ses propres deniers la construction de la chapelle monastique, mais aussi de la part des archevêques de Reims, comme Samson de Mauvoisin (1140-1161), neveu de l’archevêque Renaud, qui se montra particulièrement prolixe envers la communauté de moines blancs, voir Patrick Demouy, Genèse d’une cathédrale : les archevêques de Reims et leur église aux xie et xiisiècles, Langres, D. Guéniot, 2005.

74 Les chiffres varient fortement d’un ouvrage à l’autre : 60 selon Anne Bondéelle (Id., Bibliothèques cisterciennes dans la France médiévale : répertoire des abbayes d’hommes, Paris, Éditions du CNRS [Documents, études et répertoires], 1991, p. 289-291) contre 86 pour Monique-Cécile Garand (Catalogue des manuscrits en écriture latine, V : Est de la France, M.-C. Garand, M. Mabille, et al. [éd.], Paris, CNRS, 1965, p. XV). L’inventaire des biens de l’abbaye dressé en 1790 faisait état de 225 manuscrits, dont seulement la moitié est parvenue jusqu’à nous, voir J. Mathy (op. cit. n. 71), p. 365-366.

75 En dehors de l’étude d’Anne Bondéelle (op. cit. n. 74), version revue et corrigée dans : Anne Bondéelle, « Pierres d’attente pour l’étude de la bibliothèque ancienne de Signy », dans Signy-l’abbaye… (op. cit. n. 71), p. 203-211, il convient de mentionner le travail pionnier et malheureusement inédit d’Alison Prunier, Le corpus scolaire de la bibliothèque médiévale de l’abbaye de Signy, mémoire de maîtrise sous la direction d’I. Heullant-Donat, université de Reims-Champagne-Ardenne, 2013, partiellement publié sous le titre « Étude et manuscrits scolaires à l’abbaye cistercienne de Signy au Moyen Âge », Terres Ardennaises, 126, 2014, p. 24-32. Sur les manuscrits hagiographiques de l’abbaye, on lira l’ouvrage : Joseph van der Straeten, Les manuscrits hagiographiques de Charleville, Verdun et Saint-Mihiel, Bruxelles, Société des bollandistes (Subsidia hagiographica, 56), 1974. Dans son étude : Jean-Baptiste Lefèvre, « La construction de l’abbaye de Signy d’après sa chronique (1135-env. 1300) », dans Signy-l’abbaye… (op. cit. n. 71), p. 64, J.-B. Lefèvre ne signale pas l’existence d’un scriptorium ou d’une bibliothèque à Signy. Tout au plus estime-t-il, à partir d’un « plan type » d’une abbaye cistercienne, que celle-ci devait normalement posséder une « salle des moines », qu’il associe à un scriptorium, dont la construction aurait été achevée sous l’abbé Poncard (1251-1261). Cécile Bertrand suppute quant à elle la présence d’un atelier de copie à Signy, puisqu’elle nous dit que « les rapports entre les scriptoria d’Orval et de Signy étaient dès lors probablement fréquents et la faible distance géographique entre les deux abbayes devaient encore faciliter ces échanges », constat établi à partir de l’appartenance commune des deux abbayes à la branche claravalienne, et de l’existence d’un exemplaire du Triumphus de Saint-Lambert dans chacune des deux bibliothèques : Cécile Bertrand, « Un manuscrit du Triumphus Sancti Lamberti de Castro Bullonio (xiie s.) provenant de l’abbaye de Signy et conservé à Charleville », Bulletin de la Commission royale d’histoire, 148, 1982, p. 193-204, ici p. 195.

76 Liber Sancte Marie Signiaci cistercensis ordinis (ms. 117) ; Liber Sancte Marie Signiacensis ecclesie (mss 173 et 203) ; Liber Sancte Marie Signiacensis (mss 49 et 103) ; Liber Sancte Marie in Signiaco (mss 196D et 2023-4) ; Liber Sancte Marie Signiaci (mss 51, 66, 72, 196B-C, 197A, 2021-2, 2024, 2025, 2026-8, 2029, 20214, 20218, 2075-6, 208 et 220).

77 C’est le cas pour les manuscrits 49, 66, 72, 114, 158, 197A, 2021-2, 2025, 2029, 20218 et 220.

78 Nous connaissons le nom de ce copiste grâce au colophon qu’il donne à la fin de deux de ses productions : « Oro vos, fratres mei karissimi, ut in fine libris istius videatis et dicatis : anima Ebrardi scriptoris requiescat in pace. Amen », ms. 158 (vol. I), fol. 192v ; « Hoc orent fratres hunc librum, queso, legentes : finito libro, Deus, adsit pax Everardo », ms. 196C, fol.  154r.

79 Nous avons observé les manuscrits suivants : Charleville-Mézières 48 (1148), 66 (fin du xiie siècle), 72 (entre 1140 et 1180), 103 (milieu du xiie siècle), 109 (troisième quart du xiie siècle), 158 (troisième tiers du xiie siècle), 189 (vers 1175), 196BCD (deuxième moitié voire troisième tiers du xiie siècle), 202 (troisième quart du xiie siècle), 207 (dernier quart du xiie siècle), 220 (troisième quart du xiie siècle).

80 On observe également un ex-libris notifiant l’appartenance du volume à l’abbaye cistercienne en fin de copie : « de signaco cisterciensis ordinis remensis diocesis ».

81 Exemple au fol. 164r du manuscrit Charleville-Mézières 117 : « Liber Sancte Marie Signiaci Cisterciensis Ordinis ».

82 A. Bondéelle (art. cit. n. 75), p. 191-201.

83 Ibid., p. 199. Des volumes conservés transparaît l’image d’une bibliothèque principalement axée sur l’Écriture sainte et ses commentaires, sans oublier les traditionnels textes patristiques et des docteurs de l’Église, si communs dans les bibliothèques cisterciennes. Toutefois, on notera un certain intérêt pour les textes classiques, notamment Cicéron (Charleville 67), Priscien (Charleville 76), les poètes Juvencus et Arator (Charleville 103) ou encore Sénèque (Charleville 121 et 206).

84 Thomas Falmagne, Die Orvaler Handschriften bis zum Jahr 1628 in den Bestanden der Bibliothèque nationale de Luxembourg und des Grand Séminaire de Luxembourg, I, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2017, p. 52-70, ici p. 56-57. Sur les rapprochements entre les deux abbayes, cf. note 75.

85 La production de cet épitomé, copié en trois exemplaires – certes en différents états, avec le ms. 60 qui apparaît comme l’exemplaire de présentation, les mss 22 et en particulier 49 étant davantage des manuscrits de travail, comme le montrent les nombreuses annotations présentes dans l’espace marginal –, pose question. Pourquoi un tel travail, qui plus est en plusieurs exemplaires produits à la même époque ? Se pourrait-il que ceux-ci répondent à un usage scolaire ; hypothèse certes problématique lorsqu’on sait que l’Ordre de Cîteaux n’accepte pas de novices avant quinze ans, et que nous sommes avant 1245, date de la fondation du collège des Bernardins qui voit l’entrée de l’Ordre dans le milieu universitaire ? Il conviendrait dans un premier temps de comparer l’épitomé au texte source afin de voir quels passages ont été gardés par les Cisterciens, élément qui permettrait d’en préciser l’usage. La question reste pour l’heure en suspens.

86 T. Falmagne (op. cit. n. 84), p. 75. Puisque les mss 22, 49 et 60 de la BnL transmettent une version remaniée de l’œuvre de Jean de Salisbury, il ne nous a pas été possible par notre collation d’établir une parenté directe entre ceux-ci et le texte contenu dans l’exemplaire de Signy. Les particularismes textuels propres à H étant impossibles à pister, tant la version présente dans les trois codices orvaliens est abrégée.

87 Où l’on décida par exemple d’y ajouter la ponctuation avec le point surmonté d’une virgule oblique, particulièrement fréquente dans les manuscrits cisterciens. Voir Nigel Palmer, « Simul cantemus, simul pausemus. Zur mittelalterlichen Zisterzienserinterpunktion », dans Lesevorgänge: Prozesse des Erkennens in mittelalterlichen Texten, Bildern und Handschriften, E. Lutz, M. Backes et S. Matter (éd.), Zürich, Chronos (Medienwandel, Medienwechsel, Medienwissen, 11), 2010, p. 483-570.

88 L’hypothèse la plus probable serait que le manuscrit entra dans la bibliothèque monastique par un don ou un legs pieux, ou encore par l’arrivée d’un nouveau moine dans la communauté qui offrit sa bibliothèque à l’abbaye. Malheureusement, les données historiques dont nous disposons ne permettent pas d’en préciser la nature. Nous avons vu qu’à l’époque, Signy bénéficia des faveurs de nombreux seigneurs locaux, voire plus importants comme les comtes de Champagne ou l’archevêque de Reims. Elle entretint également des contacts étroits avec les institutions monastiques des environs, en particulier avec les monastères cisterciens, en premier lieu Igny. Du reste, elle semble avoir noué très tôt des relations avec le reste de l’Ordre, en particulier avec Clairvaux, d’où provient l’abbé Jacques (1192-1197), ancien sous-prieur de l’abbaye champenoise. Toutefois, aucun élément ne permet, à l’heure actuelle, de rattacher le manuscrit du Policraticus à l’une de ces relations.

89 On ne peut exclure l’hypothèse que le manuscrit ait été produit dans un centre de copie proche de Reims, peut-être même à l’abbaye Saint-Pierre dont fut abbé Pierre de Celle. Ce dernier entretint des relations privilégiées avec l’ordre de Cîteaux, notamment avec l’abbé de Vauluisant. Certaines lettres envoyées par Pierre de Celle attestent en effet des échanges de livres entre ce dernier et certains membres de la communauté cistercienne, notamment Nicolas de Montiéramey, alors secrétaire de Bernard de Clairvaux (PL 202, 475, lettre 50), voir Marie-Dominique Chenu, « Platon à Cîteaux », Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen Âge, 21, 1954, p. 99-106. P. Stirnemann a également attiré mon attention sur deux lettres envoyées par Pierre à deux novices de l’ordre de Grandmont, à la suite desquelles ces derniers décidèrent de quitter leur ordre pour prendre l’habit cistercien à Pontigny (lettres 161 et 162 de l’édition de la correspondance de Pierre de Celle par Julie Haseldine, Oxford, 2001). Ces indices conduisent P. Stirnemann à rattacher l’exemplaire de Signy au « manuscrit perdu » de l’abbé rémigeois. Toutefois, les données philologiques recensées par R. Guglielmetti tendent à montrer que le brouillon transmis à Pierre de Celle pour correction n’a sans doute joué aucun rôle dans la diffusion de l’œuvre, l’abbé bénédictin ayant directement renvoyé l’exemplaire après sa lecture, voir Rossana Guglielmetti, « Les variantes d’auteur du Policraticus et les débuts de sa tradition manuscrite », dans Jean de Salisbury… (op. cit. n. 7). Par ailleurs, nous n’avons retrouvé aucune trace du manuscrit de Pierre de Celle, que ce soit dans les sources de la bibliothèque de Saint-Remi de Reims ou de celles du chapitre cathédral de Chartres où Pierre succéda à son ami Jean de Salisbury comme évêque en 1181. Enfin, si l’on suit cette hypothèse, on comprend mal les liens textuels, par ailleurs établis, entre le manuscrit de Signy et celui de Pontigny, sans parler de la présence du Metalogicon dans le premier. Nous laissons donc la question de l’origine du manuscrit Charleville-Mézières 151 en suspens, faute d’éléments probants qui permettraient de clore le débat.

90 On sait par exemple que deux auteurs anglais illustres, proches de Thomas Becket, se retirèrent dans des abbayes cisterciennes françaises. Le premier, Thomas de Beverley (1150-1225), auteur d’une Vita de l’archevêque de Cantorbéry rédigée à la demande de l’abbé d’Aulne, se retira à l’abbaye de Froidmont en 1174. Le second, Herbert de Bosham, ancien secrétaire de Thomas Becket, séjourna également à l’abbaye de Pontigny, avant de s’installer à la fin de sa vie à l’abbaye d’Ourscamp où il rédigea, sur demande de l’évêque Pierre d’Arras, un commentaire sur les Psaumes. Parmi les relations anglaises de Jean de Salisbury, citons également Baldwin de Forde, cistercien influent et archevêque de Cantorbéry de 1185 à 1190.

91 Il existait également un exemplaire de ce texte à l’abbaye de Foigny, aujourd’hui perdu, ainsi qu’à l’abbaye de Clairmarais, où l’on a cousu, à la fin de l’exposition de Bède sur les Épîtres de Saint Paul, un feuillet transmettant un extrait des Miracula (Saint-Omer, BM, 25, fol. 158, xiiie siècle) – on se souvient que Thomas séjourna quelques jours dans l’abbaye peu de temps après son arrivée en France.

92 Exemplaire non retrouvé mais dont dérive probablement le volume légué à l’abbaye de Battle par l’abbé Richard, Oxford, BL, lat. misc. c. 16 (fin xiie siècle).

93 « Odo, permissione Dei dictus abbas ecclesiae sancti Martini de Bello, dilecto in christo fratri suo Adae et radulfo cognato suo, monachis Igniacensibus, cum salute in bono propositio perseverare. Librum miraculorum beati martyris Thomae dilectioni vestrae transmitto, quae quidem miracula probata noveretis esse et examinata, nihilque eis admixtum quod pateat falsitati. Miseram quidem jam vobis ante de ipsis miraculis librum, isto multo meliorem, sed nuncii fraude minime pervenit ad vos », Materials for the History of Thomas Becket… (op. cit. n. 26), II, p. XLIX.

94 P. Stirnemann (art. cit. n. 7).

95 Abbaye cistercienne fortement liée à la branche anglaise de l’ordre.

96 Parmi ceux-ci, on citera également la possession par l’abbaye de Breuil-Benoît, dans l’Eure (filiation de Clairvaux), d’un recueil des lettres de Jean de Salisbury, daté du xiiie siècle (Paris, BnF, lat. 8562). L’œuvre de Jean de Salisbury a du reste connu un certain succès chez les Cisterciens, notamment en raison des nombreux points de contacts qui relient la pensée de Jean à celle de Bernard de Clairvaux. On connaît les relations qui unir les deux personnages : c’est par exemple grâce à Bernard de Clairvaux, rencontré par l’intermédiaire de son ancien maître en théologie de Paris, Robert Pullen, que l’auteur du Policraticus entra au service de l’archevêque Théobald de Cantorbéry. Rappelons que Jean de Salisbury, dans son ouvrage, défend la supériorité du clergé régulier sur les autres ordres, les moines ayant été épargnés par la corruption et la déchéance des mœurs décrites par l’auteur. Ce rapprochement avec le milieu monastique, notamment cistercien, se retrouve à de nombreuses reprises dans le Policraticus, en particulier lorsque Jean traite des notions de philosophie ou d’amitié, empruntant alors à la pensée de Bernard de Clairvaux (De amore Dei) ou d’Aelred de Rielvaux (De spirituali amicitia). Sur le sujet, voir Laurence Moulinier-Brogi, « Jean de Salisbury : un réseau d’amitiés continentales », dans Culture politique des Plantagenêt (1154-1224), actes de colloque (Poitiers, 2-5 mai 2002), M. Aurell (éd.), Poitiers, Université de Poitiers/CNRS/CESCM, (Civilisation médiévale, 14), 2003, p. 341-359. Concernant la diffusion du Policraticus chez les Cisterciens, on dénombre, à titre indicatif, dix exemplaires issus d’abbayes cisterciennes du nord de la France et des Pays-Bas méridionaux : un exemplaire à Bonport (Paris, BnF, lat. 6418), Pontigny (Montpellier, BIU, H 60), Signy (Charleville-Mézières, BM, 151), Gimont (Auch, BM, 9), Dunes (Brugge, OB, 507) ; deux manuscrits à Ter Doest (Brugge, OB, 159 et Brugge, GS, 108/72) ainsi que trois autres à Orval (Luxembourg, BN, 22, 49 et 60). On pourrait également ajouter les trois exemplaires disparus de Clairvaux mentionnés dans le catalogue des livres du Dortoir (1520) sous les cotes C g II et C c II, ainsi que dans le catalogue de Mathurin de Cangey (vers 1521) sous la cote M b I, voir André Vernet (éd.), La bibliothèque de l’abbaye de Clairvaux du xiie au xviiie siècle, I : Catalogues et répertoires, Paris, Éditions du CNRS (Documents, études et répertoires), 1979. Le catalogue des manuscrits de l’abbaye de Mortemer, daté du deuxième quart du xiiie siècle, contient également la mention d’un exemplaire du Policraticus (Paris, BnF, lat. 3922A, fol. 246r, item 50 : « Post hunc policraticon. Hic loquitur de nugis curialium et vestigiis philosophorum »). Pontigny possédait également dès le dernier quart du xiie siècle un exemplaire de la Vita sancti Thomae Cantuariensis, aujourd’hui conservé à la British Library sous la cote Egerton 2818. Enfin, Thomas Falmagne note que Jean de Villers (xive siècle), auteur du célèbre florilège des Flores Paradisi, composé à l’abbaye de Villers-en-Brabant, a visiblement eu en main le texte de l’auteur anglais puisqu’il utilise certains passages du Policraticus dans son florilège : « ex libro Policraticon Iohannis de curialium nugis et vestigiis philosophorum ». Les Flores Paradisi puisent longuement dans l’œuvre, quatre-vingt-dix passages en tout, de longueur parfois importante. Selon T. Falmagne, c’est d’ailleurs sur le manuscrit de Signy que l’auteur des Flores a dû s’inspirer. Voir Thomas Falmagne, Un texte en contexte. Les Flores Paradisi et le milieu culturel de Villers-en-Brabant dans la première moitié du xiiie siècle, Turnhout, Brepols (Instrumenta patristica et mediaevalia, 39), 2001. Je profite de cette note pour le remercier des précieuses informations qu’il a bien voulu partager avec moi.

97 Voir Hans Hublocher, Helinand von Froidmont und sein Verhältnis zuu Johannes von Salisbury. Ein Beitrag zur Geschichte des Plagiates in der mittelalterlichen Literatur, Regensburg, Manz, 1913 ; Frédérique Lachaud, « Filiation and Context. The Medieval Afterlife of the Policraticus », dans A Companion to John of Salisbury (op. cit. n. 4), p. 377-438, ici p. 398-404.

98 La complexité du dossier, qui dépasse de loin le cas particulier du manuscrit de Charleville-Mézières, mérite en effet une étude spécifique, distincte de celle que nous venons de présenter.

99 C. J. Nedermann (op. cit. n. 16), p. 50.

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Pour citer cet article

Référence papier

Nicolas Michel, « La première diffusion du Policraticus de Jean de Salisbury en France : l’apport du manuscrit Charleville-Mézières, BM, 151 »Cahiers de civilisation médiévale, 246 | 2019, 161-176.

Référence électronique

Nicolas Michel, « La première diffusion du Policraticus de Jean de Salisbury en France : l’apport du manuscrit Charleville-Mézières, BM, 151 »Cahiers de civilisation médiévale [En ligne], 246 | 2019, mis en ligne le 02 janvier 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ccm/478 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ccm.478

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Auteur

Nicolas Michel

Université de Namur

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