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Sociologie de la traduction

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Madeleine Akrich
, 
Michel Callon
, 
Bruno Latour

Redéfinir le lien social : des babouins aux humains

Shirley Strum et Bruno Latour

Texte intégral

  • 1 Traduction Catherine Rémy. Shirley C. Strum est professeur au département d’anthropologie de San Di (...)

1Dans la dernière décennie, une importante production de données sur les sociétés humaines et non-humaines est venue questionner, de manière implicite, les anciennes idées sur la nature de la société et du lien social. Ces recherches foisonnantes ont rendu obsolètes toutes les définitions trop simples de la vie en société qu’il s’agisse des humains ou des non-humains. Mais elles ont aussi multiplié les difficultés, les contradictions et les apories. Ces inconsistances sont-elles simplement le résultat de « difficultés pratiques » qui seront bientôt éliminées grâce à l’apport de nouvelles données, d’une meilleure méthodologie et d’une plus grande distance des scientifiques à l’égard de l’idéologie et de l’amateurisme ? Dans cet article1, nous ne voulons pas mettre fin à toute ces difficultés mais proposer une approche différente.

2Nous prétendons que les inconsistances dans les recherches actuelles sont largement dues à l’utilisation d’un mauvais cadre d’analyse. Afin d’explorer les implications d’une telle rupture du cadre d’analyse, nous passerons d’abord en revue les deux paradigmes opposés qui servent à définir la société et ensuite nous prendrons un cas spécifique : l’histoire des idées au sujet de la société des babouins. Dans un deuxième temps, nous examinerons les conséquences de l’adoption d’une nouvelle définition du social sur notre conception de l’évolution du lien social. Nous conclurons en suggérant l’utilité de ce nouveau cadre d’analyse pour résoudre des problèmes récurrents au sein de la sociologie des humains comme des non-humains, notamment en ce qui concerne la conception de la politique.

REDÉFINIR LA NOTION DE SOCIAL

3Les sciences sociales souscrivent couramment à un paradigme dans lequel la notion de « société », bien que difficile à éclaircir et à mobiliser, peut faire l’objet d’une définition ostensive. Les acteurs de la société, même si le degré de leur capacité à agir peut varier entre les diverses écoles de sociologie, sont contenus dans cette vaste entité. Ainsi, les scientifiques du social reconnaissent l’existence d’une différence d’échelle : le niveau « micro » (celui des acteurs, des membres, des participants) et le niveau « macro » (celui de la société entendue comme un tout) [Knorr et Cicourel, 1981a]. Au cours des deux dernières décennies, cette définition ostensive de la société a été mise à mal par l’ethnométhodologie [Garfinkel, 1967] et par la sociologie des sciences [Knorr-Cetina, Karin D. et Mulkay, 1983], plus particulièrement celle des sciences sociales [Law, 1986c] et de la technologie [Latour, 1986]. À la lumière de ces études, les distinctions conventionnelles entre les niveaux micro et macro sont apparues moins évidentes et il est devenu plus difficile d’accepter une définition traditionnelle de la société. Celle-ci est désormais perçue comme une construction ou une performation continuelle, accomplie par des êtres sociaux actifs qui passent d’un « niveau » à l’autre au cours de leur « travail ».

4Les deux positions, le modèle ostensif et le modèle performatif, diffèrent en principe et en pratique, ce qui implique des conséquences cruciales sur la caractérisation du lien social. Ces deux perspectives peuvent être résumées de la manière suivante.

La définition ostensive du lien social

  1. Il est, en principe, possible de découvrir les propriétés typiques qui permettent à une société de former un tout homogène, propriétés qui pourraient expliquer le lien social et son évolution, même si, en pratique, il apparaît difficile de les repérer.

  2. Ces propriétés sont en elles-mêmes sociales. Si d’autres propriétés sont incluses, il en résulte que l’explication de la société est économique, biologique, psychologique, etc.

  3. Les acteurs sociaux (quelle que soit l’échelle d’analyse – micro ou macro) appartiennent à la société définie en 1. Même s’ils sont considérés comme actifs, leur activité est restreinte puisqu’ils ne constituent qu’une partie au sein d’une société plus large.

  4. Les acteurs sont dans la société et de ce fait peuvent s’avérer des informateurs utiles pour les sociologues qui cherchent à découvrir les principes de la société. Néanmoins, ne représentant qu’une partie du « tout », ils ne peuvent en aucun cas, en dépit de leur « conscience », percevoir ou rendre compte de celui-ci.

  5. À l’aide d’une méthodologie adéquate, les chercheurs en sciences sociales peuvent découvrir les principes qui donnent à la société sa consistance et son homogénéité, en distinguant notamment les croyances des acteurs de leurs comportements. Cette représentation de la société comme un tout n’est pas à la portée des acteurs sociaux individuels qui la composent.

5Selon le paradigme traditionnel, la société existe et les acteurs y participent en adhérant à des règles et à une structure déjà déterminées. Les acteurs ne sont pas en mesure de découvrir ou de connaître la nature de la société. Seuls les scientifiques, se situant à l’extérieur de la société, ont la capacité d’envisager et de comprendre cette dernière dans sa globalité.

La définition « performative » du lien social

  1. Il est impossible, en principe, d’établir les propriétés qui seraient spécifiques à la vie en société, même si, en pratique, cela s’avère possible.

  2. Un ensemble d’éléments et de propriétés définis par les acteurs sociaux contribuent au lien social. Ces éléments ne sont pas purement sociaux et peuvent renvoyer à l’économie, la biologie, la psychologie, etc.

  3. En pratique, les acteurs (quelle que soit l’échelle d’analyse – macro ou micro) définissent, pour eux-mêmes et pour les autres, ce qu’est la société, le tout qu’elle représente et les parties qui la composent.

  4. Les acteurs qui « performent » la société savent ce qui est nécessaire à leur succès. Cela peut inclure une connaissance des parties et du tout et de la différence entre croyances et comportement.

  5. Les chercheurs en sciences sociales soulèvent les mêmes questions que les autres acteurs sociaux et « performent » la société ni plus ni moins que les non-scientifiques.

6Dans cette perspective, la société est construite à travers les nombreux efforts qui sont faits pour la définir. Ce processus est accompli en pratique par tous les acteurs, y compris les scientifiques qui s’efforcent eux aussi de qualifier la société. Pour reprendre l’expression de Garfinkel [Garfinkel, 1967], les acteurs sociaux ne sont plus, dans cette optique, des « idiots culturels » mais bien des créateurs de la société. Le lien social n’est plus à rechercher dans les relations entre les acteurs, mais se découvre dans la façon dont les acteurs l’accomplissent au cours de leur tentative de définition de ce qu’est la société.

7Ce passage du cadre d’analyse traditionnel au cadre d’analyse performatif crée deux séries de relations paradoxales, une première qui révèle une symétrie surprenante entre tous les acteurs et une seconde qui met en évidence une nouvelle asymétrie. La première relation paradoxale est la suivante : plus les acteurs sont actifs, moins ils diffèrent les uns des autres. Cela revient à dire que tous les acteurs sont des chercheurs en sciences sociales à part entière dans le sens où ils s’interrogent sur ce qu’est la société, ce qui la fait tenir et la façon dont elle peut être altérée. La seconde relation paradoxale est la suivante : plus les acteurs sont perçus comme égaux, en principe, plus les différences pratiques entre eux deviennent apparentes aux vues des moyens dont ils disposent pour produire la société. Voyons maintenant comment nous pouvons appliquer ces principes aux sociétés babouines.

BABOUINS : HISTOIRE DES IDÉES

8Lorsque Darwin écrivit que « nous pourrions apprendre plus des babouins que de beaucoup de philosophes occidentaux », il ne savait en fait que très peu de choses sur les babouins puisque ce fut la révolution darwinienne qui initia l’étude scientifique moderne du comportement et de la société des autres animaux [Darwin, 1977].

  • 2 [Marais, 1939, 1969] [Zuckerman, 1932]
  • 3 [Maslow et Flanzbaum, 1936] [Zuckerman, 1932]

9Avant elle, le sens commun se représentait les babouins comme un gang de brutes désordonnées, ne possédant aucune organisation sociale, errant au hasard [Morris et Morris, 1946]. Toutefois, l’image d’une société ordonnée émergea dès le commencement des enquêtes « scientifiques ». Les premières études de laboratoire sur des singes [Kempf, 1917] et des babouins captifs [Zuckerman, 1932] n’incorporaient que très peu de connaissance sur le comportement des animaux en milieu naturel2. En dépit de cela, les études démontraient que les babouins possédaient effectivement une société, encore que très simplement organisée. Le sexe et la domination étaient les principaux facteurs de cohésion3. Le sexe faisait tenir la société, ou plutôt le désir des mâles d’avoir un accès sexuel aux femelles. Les babouins s’avéraient ainsi les représentants les plus primitifs et les plus classiques de la société simple et ordonnée des primates.

  • 4 [DeVore, 1965, DeVore et Hall, 1965] ; [Hall, 1963] [Washburn et DeVore, 1961]
  • 5 [Washburn et Hamburg, 1965] ; [Washburn, et al., 1965]
  • 6 [DeVore et Hall, 1965] ; [Hall et DeVore, 1965] ; [Washburn et DeVore, 1961]

10Les études de terrain modernes sur les babouins initiées dans les années 19504 comptèrent parmi les premières tentatives de compréhension du comportement des primates en situation naturelle et donc évolutionniste5. Les données suggéraient que cette société n’était pas fondée sur le sexe. La structure sociale était, au contraire, produite par les effets de l’agression des mâles et de la hiérarchie entre eux qu’elle engendrait. Les liens sociaux, et non sexuels, semblaient maintenir la cohésion du groupe. Lorsqu’ils comparèrent leurs résultats, Washburn, DeVore et Hall6 furent impressionnés par la ressemblance de leurs babouins, et cela en dépit du fait que trois espèces différentes étaient impliquées et que les différentes populations vivaient à des distances de milliers de kilomètres. Non seulement les babouins fournissaient le modèle d’une vie sociale ordonnée, mais, en outre, ils affichaient une « loyauté » à l’égard de leur société en demeurant indifférents à la géographie ou aux distinctions entre les espèces.

  • 7 Cf. [Altmann, Jeanne, 1980] ; [Altmann, Stuart A. et Altmann, 1970] ; [Ransom, 1981] ; [Rowell, 196 (...)
  • 8 [Rowell, 1966] ; [Rowell, 1969]
  • 9 [Ransom, 1981] ; [Ransom et Ransom, 1971] ; [Strum, 1975b] ; [Strum, 1982]

11Cependant, dans les années 1960 et 1970, les études de terrain sur les primates, et notamment sur les babouins, proliférèrent7. Certaines observations menées dans différents habitats de babouins vinrent mettre en question les idées régnantes sur leur société. Par exemple, les babouins vivant dans la forêt en Ouganda8 n’avaient pas une hiérarchie stable de mâles dominants, et ils n’exhibaient pas la variété de comportements « adaptatifs » masculins repérés dans les études antérieures. La parenté et l’amitié apparurent comme les bases de la société babouine9 plutôt que la lutte des mâles pour la domination. Ces découvertes furent rendues possibles par l’introduction de nouvelles méthodes comme la « filature » d’individus connus sur une longue période de temps. Rapidement, chaque groupe de babouins observé apparut diverger de la norme, et les variations dans les comportements ébranlèrent le modèle officiel de l’espèce ainsi que son interprétation évolutionniste.

12La première façon de sortir de ce dilemme de la variabilité au sein de l’espèce et d’éliminer les incongruités multiples (et, du coup, l’imprévisibilité croissante du comportement des babouins), fut de rejeter les données et les opinions des observateurs ! Une prise de position commune défendit l’idée que les babouins des premières enquêtes ne se comportaient pas différemment, mais que simplement ils n’avaient pas été étudiés correctement. En deçà de la variété des observations, la structure sociale des babouins existait donc de manière stable.

  • 10 [Crook, 1970, Crook et Gartlan, 1966] ; [Eisenberg, et al., 1972] ; [Gartlan, 1968] ; [Jay, 1968] ; (...)
  • 11 [Maynard Smith, 1976, Maynard Smith et Parker, 1976, Maynard Smith et Price, 1973]

13Néanmoins, l’importance de la variation mise en évidence à propos des babouins eut finalement pour effet, dans une certaine mesure, d’atténuer la controverse méthodologique. Les scientifiques acceptèrent l’idée que le comportement et la société sont flexibles10. La difficulté consistait à trouver les principes qui gouvernaient cette variabilité. Les meilleurs candidats de l’époque étaient l’écologie et la phylogénie mais seule l’approche socio-biologique du milieu des années 1970 [Wilson, 1975] fournissait une synthèse satisfaisante. Cette réorganisation du cadre d’analyse évolutionniste permettait d’envisager une solution irrésistible à la question des principes de la société. Les propriétés stables ne se trouvaient pas dans la structure sociale elle-même mais plutôt dans les génotypes individuels. Ce n’étaient pas les groupes qui étaient sélectionnés, comme les formulations évolutionnistes précédentes l’avait soutenu, mais les individus. La société elle-même était un résultat stable mais « accidentel » de décisions individuelles, de stratégies évolutionnistes stables (Evolutionary Stable Strategy) qui variaient selon les circonstances11.

14La solution socio-biologique n’a pas résolu la question des moyens par lesquels la société est réalisée. Les « gènes intelligents » auraient pu être de bons candidats pour une explication lointaine et ultime, mais pas pour une explication des mécanismes causaux proches (proximate explanation). Toutefois, l’existence d’individus à part entière qui cœxistaient, co-opéraient et donc s’avéraient les véritables participants de la société, ne pouvait être niée. Les recherches plus récentes sur les babouins (et les primates) se sont penchées sur cette existence sociale. Les premiers résultats ont été établis à partir d’études de longue durée en milieu naturel (les sites d’étude se trouvant au Kenya – Amboseli, Gilgil/Laikipia, Mara ; en Tanzanie – Gombe, Mukumi ; au Bostwana – Okavango).

  • 12 [Griffin, 1981, 1984]
  • 13 [Strum, 1975b] ; [Strum, 1975c] ; [Strum, 1981] ; [Strum, 1982] ; [Strum, 1983b] ; [Strum, 1983a] ; (...)

15Ces nouvelles recherches sont tout à fait intéressantes pour notre propos. La voie empruntée involontairement par la sociobiologie fut d’attribuer aux babouins une conscience sociale et des savoir-faire sociaux plus importants12 : on n’avait plus à faire à des babouins biologiquement astucieux mais socialement astucieux. Leurs savoir-faire impliquent la négociation, l’expérimentation, l’évaluation et la manipulation13. Un babouin mâle, poussé par ses gènes à maximiser ses chances de reproduction, ne peut pas seulement compter sur sa taille, sa force ou son rang hiérarchique pour obtenir ce qu’il veut. Même si sa force de domination était suffisante, la question suivante ne cesserait de se poser : comment les babouins savent-ils qui est dominant ? La domination est-elle un fait ou un artefact ? Si la réponse est un artefact, de quel artefact s’agit-il ? Est-ce celui de l’observateur, à la recherche d’un cadre stable dans laquelle il puisse insérer les babouins ? (Même dans l’étude classique de la dominance, l’investigateur doit intervenir en associant deux par deux les mâles en lutte pour la nourriture, ceci afin de « découvrir » qui est dominant.) Ou bien a-t-on ici affaire à un problème universel que l’observateur et le babouin doivent tous les deux résoudre ? Telle est la solution la plus intéressante pour une définition performative.

  • 14 Cf. [Strum, 1975b, c] ; [Strum, 1981] ; [Strum, 1982] ; [Strum, 1983a, b, 1984] ; [Bœse, 1975] ; [B (...)
  • 15 Cf. [Bernstein et Ehardt, 1985] ; [Chepko-Sade, 1974, Chepko-Sade et Olivier, 1979, Chepko-Sade et (...)

16Si les babouins sont constamment en train d’expérimenter, d’essayer de voir qui est allié avec qui, qui dirige qui, quelles stratégies peuvent être utiles, comme les enquêtes récentes l’ont suggéré, il s’ensuit que les babouins et les scientifiques se posent les mêmes questions. Et, dans la mesure où les babouins sont constamment en négociation, le lien social est transformé en un processus d’acquisition de savoir sur « ce qu’est la société ». Pour le dire quelque peu différemment, si nous admettons que les babouins ne pénètrent pas dans une hiérarchie stable mais plutôt qu’ils négocient ce que sera cette structure, et qu’ils se surveillent et se poussent les uns les autres à de telles négociations, la variété de la société babouine s’accorde avec l’idée d’une structure simple qui peut être vue comme la résultante toujours en mouvement de la définition « performative » du lien social. Ce constat est encore plus frappant dans l’autre sens. S’il existait une structure stable dans laquelle les acteurs trouvent leur place et leur rôle, comment expliquer l’ensemble de ces comportements s’efforçant de tester, négocier et contrôler ce cadre, ces places et ces rôles14 ? Et les babouins ne sont pas les seuls parmi les primates non-humains15.

17Nous pouvons résumer cette évolution des idées, des données et des théories de la manière suivante : tout d’abord, la définition traditionnelle, ostensive, de la société babouine n’a pas pu prendre en compte la variété des données sur la vie sociale de ces primates. Par conséquent, certaines informations ont été traitées comme des « données » et d’autres comme des incongruités à ignorer ou bien à expliquer dans un champ différent. Ensuite, les études plus récentes ont démontré que les babouins investissent beaucoup de temps dans la négociation, la surveillance et le contrôle des uns et des autres.

18Une définition performative de la société nous permet d’intégrer les deux séries de « faits ». Selon cette définition, les babouins ne sont plus perçus comme s’intégrant à l’intérieur d’un groupe. Ils sont plutôt vus comme luttant pour définir la société et les groupes au sein desquels ils existent, leur structure et leurs frontières. Ils ne sont plus perçus comme participant à une hiérarchie, mais plutôt comme ordonnant leur monde social grâce à leur activité. Dans une telle perspective, les hiérarchies stables ou mouvantes sont le résultat, non pas de l’existence d’une société pyramidale au sein de laquelle les babouins devraient prendre place, mais de la recherche de repères provisoires pour rendre les interactions prévisibles. Plutôt que de pénétrer un système d’alliance, les babouins performateurs de la société testeraient la disponibilité et la solidité des alliances sans être certains de connaître à l’avance les relations susceptibles de tenir. Bref, les babouins performateurs sont des acteurs et des joueurs sociaux qui négocient et renégocient activement ce que leur société est et sera.

  • 16 [Strum, 1975b, 1981, 1983a]
  • 17 [Strum, 1982, 1983b, 1984]
  • 18 [Strum, 1983b, 1984]
  • 19 [Strum, 1982, 1983b, 1984]
  • 20 [Western et Strum, 1083]

19La version performative de la société semble plus capable que le modèle traditionnel de rendre compte des données longitudinales de très longues durées concernant un site de babouins. Cela s’avère vrai lorsque l’on se penche sur les comportements de prédation16, les interactions des mâles17, la morsure agonistique18, les stratégies sociales19, l’évolution de la manipulation sociale20, et la fission de la principale troupe étudiée. Les babouins performant la société pourraient aussi fournir une interprétation plus cohérente des données dont nous disposons maintenant sur l’ensemble des populations et sur les autres primates.

COMPLEXITÉ ET COMPLICATION SOCIALE

20Lorsque nous transformons les babouins en interprètes actifs de leur société, cela revient-il à les placer à égalité avec les humains ? Le paradigme performatif laisse entrevoir une distinction importante mais inaperçue jusque là. Ce qui diffère, ce sont les moyens pratiques dont les acteurs disposent pour imposer leur conception de la société ou pour orienter les autres sur une plus large échelle.

  • 21 [Chapais et Schulman, 1980] ; [Hausfater, et al., 1982]
  • 22 [Altmann, Jeanne, 1980] ; [Cheney, 1977] ; [Chepko-Sade et Sade, 1979] ; [Popp et DeVore, 1979] ; [ (...)

21Si les acteurs n’avaient qu’eux-mêmes, que leur corps comme ressource, la tâche qui consiste à construire des sociétés stables serait très difficile. C’est probablement le cas pour les babouins. Ces derniers tentent de décider qui est un membre du groupe, quelles sont les unités pertinentes du groupe devant être prises en compte, quelle est la nature de l’interaction de ces diverses unités, et ainsi de suite, mais ils ne disposent pas de moyens permettant de simplifier ces questions ou encore de les poser séparément. Bien sûr, l’âge, le genre et peut-être la parenté peuvent être considérés comme déjà déterminés dans la plupart des interactions et préalablement connus des intervenants qui, rappelons-le, interagissent constamment sur de très longues périodes – parfois plus de trente ans pour le groupe le plus longuement étudié. Dans la mesure où les systèmes de dominance sont liés à la parenté, le rang hiérarchique peut lui aussi être prédéterminé21. Mais même l’âge, la parenté et le lien entre parenté et dominance peuvent faire l’objet d’une négociation lors de moments critiques22. Une profusion d’autres variables s’affectent mutuellement, profusion qui nous amène à définir les relations des babouins entre eux comme « incluent simultanément une multitude de variables dont aucune ne peut être clairement distingué des autres et prises à part des autres dans une procédure séquentielle procédant pas à pas ».

22Pour repérer la différence entre babouins et humains nous n’allons pas dire que les uns ont une société simple et les autres une société complexe. Au contraire, nous allons dire que les babouins vivent dans des sociétés complexes et qu’ils ont une sociabilité complexe. Lorsqu’ils construisent ou restaurent leur ordre social, ils le font à l’aide de ressources limitées, leurs corps, leurs savoir-faire sociaux et toutes les stratégies sociales qu’ils peuvent élaborer. Un babouin est, de notre point de vue, le cas idéal du « membre compétent » dépeint par les ethnométhodologues, un acteur social qui n’arrive pas à négocier un facteur à la fois, et qui est constamment sujet à l’interférence des autres à qui se posent des problèmes similaires. Ces ressources limitées ne rendent possible qu’une stabilité sociale limitée.

23Une plus grande stabilité ne peut être acquise qu’à l’aide de ressources additionnelles. Il faut introduire dans la description quelque chose de plus, quelque chose qui se situe au-delà de ce que le corps biologique a intégré et qui ne peut être atteint que grâce à des savoir-faire sociaux nouveaux. C’est précisément le point d’entrée où nous pouvons reconnaître l’irruption des techniques au sens très large de ressources extrasomatiques. Les ressources matérielles et les symboles peuvent être utilisés pour imposer ou réimposer une vue particulière de « ce qu’est la société » et permettent de déplacer la vie sociale de la complexité vers ce que nous appellerons la complication. La différence des deux termes complexité et complication n’est pas canonique. Dans notre vocabulaire, quelque chose est « compliqué » quand il est composé d’une succession d’opérations simples dont chacune peut être traité séquentiellement dans une procédure pas à pas qui ne traite à chaque fois qu’un petit nombre de variables. L’ordinateur, par exemple, est l’archétype d’une structure compliquée : la machine accomplit les tâches par le biais d’une série de petits pas. Selon nous, ce déplacement de la complexité vers la complication correspond à la distinction pratique cruciale entre les différents types de vie sociale. Lorsque Descartes demande « de diviser les difficultés en autant de parties qu’on les pourra résoudre », il vise une situation compliquée mais pas complexe puisque cette division est justement impossible.

24Afin d’éclaircir ce point, on peut se pencher sur ce que les observateurs des babouins font pour comprendre la vie sociale de ces derniers. Tout d’abord, les individus sont identifiés et un nom leur est attribué, la composition du groupe est déterminée par l’âge, le sexe et la parenté et peut-être aussi par le rang dans une hiérarchie de dominance. Ensuite des items de comportement sont identifiés, définis et codés. Chaque jour au cours de l’étude, l’attention est consciemment focalisée sur un sous-ensemble d’individus, de moments et d’activités, parmi l’ensemble des interactions qui ont lieu simultanément et dans laquelle un humain serait incapable de se repérer. Bien sûr on pourrait interpréter cette procédure comme une façon rigoureuse de « découvrir » la structure sociale sous-jacente dont l’existence serait la condition de la société babouine. Cette interprétation du travail scientifique est en accord avec la définition ostensive de la société. De notre point de vue, cependant, le travail entrepris par les observateurs humains afin de comprendre les sociétés de babouins s’apparente au processus lui-même qui rend la société humaine différente de celle des babouins. Les observateurs scientifiques modernes remplacent la complexité de relations, de significations, et de comportements changeants, souvent confus et continus, par un ensemble compliqué d’items simples, symboliques et précis. Il s’agit d’un énorme travail de simplification.

25Comment le passage de la complexité à la complication sociale s’opère-t-il ? Le schéma 1 illustre la façon dont nous imaginons cette progression. La première ligne représente une société de babouins dans laquelle la sociabilité et la société sont complexes et non pas compliquées puisque les individus sont incapables d’orienter les autres sur une large échelle. L’intensité de leur négociation sociale reflète leur incapacité à imposer leur conception de la société aux autres, ou de la transformer en une version stable et définitive.

26La seconde ligne positionne des hypothétiques chasseurs-cueilleurs qui sont, en comparaison des babouins, riches en matériel et en significations symboliques pour construire une société, mais plus pauvres que les sociétés industrielles modernes. À ce niveau, le langage, les symboles et les objets matériels peuvent être utilisés pour simplifier la tâche de négociation sur la nature de l’ordre social. Les corps ont toujours une place importante dans les stratégies de performation de la société, mais sur une échelle plus large, plus durable et moins complexe. Les ressources matérielles et les innovations symboliques liées au langage permettent aux individus d’avoir plus de pouvoir sur les autres et, par conséquent, d’accroître leur capacité à déterminer la nature de l’ordre social.

Schéma 1. Complexité versus complication : la progression

27La ligne 3 représente des sociétés agricoles au sein desquelles un plus grand nombre de ressources peut être mobilisé afin de créer le lien social. En fait, ce dernier peut être maintenu en l’absence relative d’individus. Parce que les négociations à chaque étape perdent en complexité, ces sociétés sont plus compliquées et puissantes que celles des chasseurs-cueilleurs et la performation de la société est possible sur une plus large échelle.

  • 23 [Callon et Latour, 1981] ;[Latour, 1986]

28Les sociétés industrielles modernes – ligne 4 – sont capables d’organiser et de « mobiliser » les autres sur une très vaste échelle. Mais selon notre schéma, les savoir-faire dans une société industrielle sont ceux de la simplification qui rend les tâches sociales moins et non pas plus complexes. Une structure stable et compliquée est créée par le biais du maintien d’une variété de facteurs constants et d’une négociation pas à pas des variables. Grâce aux ressources extrasomatiques qui sont employées dans le processus de la complication sociale, des unités comme les entreprises multinationales, les États et les nations, peuvent être constituées [Latour, 1987]. La tendance que nous venons d’ébaucher part d’une sociabilité complexe, comme celle que l’on trouve chez les babouins, pour aller vers une sociabilité compliquée que l’on repère chez les humains. Au commencement, les individus n’ont que peu de chances d’affecter les autres, ou d’imposer leur conception de la société, ou encore de produire un ordre social solide, puis nous rencontrons une situation dans laquelle les individus emploient de plus en plus de matériel et des moyens « extra-sociaux » afin de simplifier les négociations sociales. Cela leur donne la capacité d’assigner des rôles sociaux aux autres, même quand ces derniers ne sont pas physiquement présents. En utilisant des ressources additionnelles, les acteurs sociaux peuvent transformer des associations faibles et renégociables, comme les alliances entre les mâles babouins, en unités fortes et incassables23.

L’ÉVOLUTION DU LIEN SOCIAL PERFORMATIF

29L’usage d’un cadre d’analyse performatif produit deux changements importants. Premièrement, il octroie une capacité d’action complète à tous les participants sociaux. Individuellement et collectivement, ils créent la société et, en théorie, sont tous égaux. Mais, deuxièmement, de nouvelles asymétries sont introduites dès qu’on prend en compte les moyens pratiques dont disposent les acteurs pour imposer leur propre définition du lien social et pour organiser les autres en fonction de leurs vues individuelles sur ce qu’est la société.

30Ce constat suggère une nouvelle façon d’examiner l’évolution du lien social. Dans les lignes suivantes, nous proposons une classification des significations du social qui peuvent avoir des répercussions sur un scénario évolutionniste.

31On peut commencer par la définition commune du social – « associer ». Mais comment un acteur entretient-il le lien social ? Certaines associations sont plus faibles tandis que d’autres sont plus fortes et durables. Notre comparaison entre complexité et complication, des babouins aux humains, suggère que les ressources, en particulier extrasomatiques, jouent un rôle dans la construction de la société et dans la stabilité sociale.

32L’étymologie du mot social est également instructive. La racine est seq-, sequi et le sens premier est donc « partisans ». Le latin socius est un compagnon, un partenaire, un camarade, un associé. Socio signifie s’unir, s’associer, faire ou avoir ensemble. Dans les différentes langues, la généalogie du mot « social » emprunte le chemin suivant : d’abord « suivre quelqu’un », ensuite « enrôler et s’allier avec » et, enfin, « avoir quelque chose en commun ». Ces trois sens sont assez appropriés pour les babouins. Une signification plus tardive de social est « avoir sa part, être associé dans une entreprise commerciale ». Le « social » du « Contrat social » est l’invention de Rousseau. Le « social » des « problèmes sociaux », de la « question sociale », est une innovation du dix-neuvième siècle. Des mots voisins comme « sociable » « sociabilité » font référence à des savoir-faire permettant aux individus de vivre poliment en société. Si l’on se réfère au sens général du mot, il est clair que le sens de « social » s’est rétréci avec le temps. Partant d’une définition qui englobe toutes les associations, nous avons maintenant, dans le langage courant, un usage qui est limité à ce qui reste lorsque la politique, la biologie, le droit, l’économie, la technologie, et ainsi de suite, ont pris leur part dans ces associations.

Schéma 2. L’évolution du lien social performatif

  • 24 [Alcock, 1975] ; [Hamilton, 1971]

33L’agrégation de congénères est la première signification du social dans les nombreux récits sur l’origine de la société [Latour et Strum, 1986]. Cependant, la plupart de ces explications échouent à distinguer cette agrégation de l’origine des savoir-faire sociaux. Une fois que l’agrégation s’est produite, quelle qu’en soit la cause24, notre modèle envisage deux stratégies différentes. La première consiste pour l’acteur à partir, à fuir les autres dès que possible. Cette option génère des animaux asociaux qui vivent seuls à l’exception des brefs moments de reproduction et de quelques associations temporaires.

34La seconde stratégie a plus d’intérêt pour nous. Si le choix n’est pas celui de la fuite, l’individu doit s’adapter à un nouvel environnement constitué par la présence des autres. Il s’agit du sens le plus commun du social que l’on trouve dans la littérature sur le comportement animal : modifier son propre comportement afin de vivre à proximité des membres de son espèce. Acquérir le savoir-faire pour créer la société et la faire tenir est donc une adaptation secondaire à un environnement composé en large partie de congénères. Afin de ne pas se laisser dépérir dans ce nouveau contexte social, les individus doivent gagner en intelligence dans la manipulation des autres.

35Une fois que l’option sociale a été choisie, deux autres possibilités apparaissent. Dans la première, ce sont les génotypes qui sont modifiés jusqu’à ce qu’ils soient socialement distincts. Par exemple, au sein des sociétés d’insectes les corps des acteurs se trouvent modelés de manière irréversible. La seconde possibilité met en jeu une signification différente du social. Dans ce cas, les génotypes produisent des phénotypes similaires. Mais ces phénotypes sont ensuite manipulés par les savoir-faire sociaux des individus, qui ne cessent de s’accroître. Cette option elle aussi donne lieu à deux solutions alternatives.

36Les babouins offrent un exemple de la première. Des savoir-faire sociaux sont nécessaires aux acteurs afin d’imposer aux autres leur conception de ce qu’est la société. Mais les babouins ne disposent que « d’instruments légers » et ne peuvent construire que des « sociétés souples », corps sur corps en quelque sorte. Pour ce faire, ils n’ont en effet que leurs corps, leur intelligence et la mémoire des interactions passés, ce qui est loin d’être négligeable. Il s’agit d’une tâche complexe et, dans la société des babouins, seuls les individus socialement « intelligents » et habiles peuvent espérer l’accomplir.

37La seconde possibilité consiste à acquérir des moyens supplémentaires afin de définir et de renforcer le lien social. Ici, nous disposons du cas humain : l’usage de ressources et de symboles permet aux hommes de simplifier la tâche de création de la société. Les interactions sociales deviennent plus compliquées. La plupart des savoir-faire nécessaires pour accomplir la société résident désormais dans la création de liens symboliques et matériels. Le résultat paradoxal est que les acteurs n’apparaissent plus comme les créateurs de la société, mais sont plutôt perçus comme insérés dans une société matérielle qui les domine (le paradigme traditionnel discuté précédemment).

38En ce qui concerne les sociétés humaines, il existe une branche supplémentaire qui a trait cette fois à la quantité de ressources disponibles. Les sociétés non-industrielles (autrefois considérées comme primitives) sont créées avec une quantité minimale de ressources matérielles, alors que l’augmentation de ces ressources produit les sociétés « modernes ». On voit ainsi que c’est la technologie qui devient la variable décisive pour résoudre le problème de la construction de la société sur une large échelle. Elle représente une ressource de plus en ce qui concerne la mobilisation des individus dans la performation de la société.

39Pour résumer notre modèle théorique, une fois que les individus sont agrégés et ont choisi de ne pas s’éviter, une adaptation secondaire à un nouvel environnement compétitif de congénères est nécessaire. Deux stratégies sont possibles : manipuler les génotypes pour en obtenir des différents (insectes sociaux) ou manipuler les phénotypes de génotypes similaires à travers l’accroissement des savoir-faire sociaux. Des corps identiques qui s’adaptent à la vie sociale ont, eux-mêmes, deux possibilités : construire la société en utilisant seulement des savoir-faire sociaux (les primates non-humains) ou utiliser des ressources matérielles supplémentaires et des symboles pour définir le lien social (les sociétés humaines). Au cours de la « marche » humaine différents types de sociétés sont créés en fonction de l’étendue des nouvelles ressources utilisées.

POLITIQUE

  • 25 Cf. Oxford English Dictionary

40Quel peut être l’intérêt de notre discussion sur les significations du social à propos de la politique ? La réponse dépend, bien sûr, de la façon dont la politique est définie [Mackenzie, Donald, 1967]. À un niveau général, elle renvoie simplement à l’action traditionnelle de représentants, c’est-à-dire de personnes « avisées, prudentes et habiles » qui engagent des actions « opportunes et arbitraires »25. Schubert propose une définition de la politique qui permet des comparaisons entre les espèces dans une perspective évolutionniste [Schubert, 1986]. Pour lui, la politique est la façon dont les individus cherchent à influencer et à contrôler ceux qui ne sont pas étroitement liés à eux mais qui vivent dans le même groupe social. Dans ce groupe, il y a des « sous-groupes » qui coopèrent ou luttent pour le choix d’une ligne d’action qui déterminera les règles culturelles en vigueur.

41Notre approche et celle de Schubert suggèrent que l’habileté à influencer et à contrôler ses congénères est un aspect important du comportement politique. En passant à une définition performative du social, nous concevons le lien social comme le produit d’un exercice actif de négociation et de contrôle. Ce qui diffère, entre les espèces et entre les divers groupes humains, c’est l’échelle à laquelle les autres peuvent être organisés, mobilisés et influencés. En suivant notre modèle, les ressources matérielles et les symboles ont un rôle significatif dans l’instauration d’une différence entre les sociétés « molles » qui ont une stabilité limitée, au sein desquelles les individus possèdent un pouvoir d’influence sur les autres lui aussi limité, et une société « dure » et stable, au sein de laquelle les autres peuvent être influencés sans être présents.

42Pouvons-nous identifier les balbutiements du comportement politique dans ceux de la sociabilité, telle que nous l’entendons, et retracer son développement en suivant notre version de l’évolution du lien social ? Si l’on accepte la perspective traditionnelle qui définit les individus comme relativement passifs, dominés par la société, l’action politique commence lorsque ces derniers deviennent « acteurs », c’est-à-dire quand ils prennent l’initiative de définir « ce qu’est la société ». Dans cette optique, l’initiative arrive très tard dans l’échelle d’évolution. En revanche, si tous les acteurs « performent » jusqu’à un certain point la société et sont, dès le départ, des participants actifs, explorant, négociant et renégociant, où peut-on situer de manière satisfaisante les débuts du comportement politique ? Devons-nous exclure les insectes sociaux parce que les négociations majeures ont lieu avant que les phénotypes apparaissent ? Devons-nous écarter les primates non-humains parce que leur sphère d’influence est limitée par l’étendue de leurs ressources symboliques et matérielles ?

43Alors que la définition « biopolitique behaviouriste » de Schubert préconise la prudence en ce qui concerne l’attribution de comportement politique aux primates non-humains tel que l’ont proposé certaines études récentes [de Waal, 1982], la visée de notre argument est de dessiner un parallèle plus étroit entre ce que nous appelons « social » et ce qui a été défini comme politique. Ces efforts n’effacent pas les différences significatives entre les fourmis, les babouins et, par exemple, les technocrates et le Pentagone. Il s’agit plutôt d’éclairer dans une nouvelle perspective l’origine de ces différences : les ressources utilisées et le travail pratique nécessaire afin de les mobiliser. Dans notre définition des ressources, les gènes, le pouvoir, le langage, le capital et la technologie, par exemple, sont tous vus comme des moyens stratégiques pour renforcer, d’une façon de plus en plus durable, l’influence de chacun sur les autres. La politique n’est pas une sphère d’action étanche. La politique, de notre point de vue, est ce qui permet le mélange de ressources hétérogènes pour produire un lien social qui devient de plus en plus difficile à rompre.

Notes

1 Traduction Catherine Rémy. Shirley C. Strum est professeur au département d’anthropologie de San Diego. Cet article d’abord paru en 1987 : « The Meanings of Social : from Baboons to Humans », Information sur les Sciences Sociales/Social Science Information, 26 : 783-802 et plusieurs fois réédité est ici traduit, sans modification, pour la première fois en français. Pour l’élaboration de l’argument sur les babouins, il faut se référer au livre de Shirley Strum [Strum, 1995] et à l’important volume collectif qu’elle a publié avec Linda Fedigan [Strum et Fedigan, 2000]. Pour une élaboration plus récente de l’argument sociologique on peut se référer à [Latour, 2006]. Sur l’ensemble du domaine, voir le maître-livre de Donna Haraway [Haraway, 1989].

2 [Marais, 1939, 1969] [Zuckerman, 1932]

3 [Maslow et Flanzbaum, 1936] [Zuckerman, 1932]

4 [DeVore, 1965, DeVore et Hall, 1965] ; [Hall, 1963] [Washburn et DeVore, 1961]

5 [Washburn et Hamburg, 1965] ; [Washburn, et al., 1965]

6 [DeVore et Hall, 1965] ; [Hall et DeVore, 1965] ; [Washburn et DeVore, 1961]

7 Cf. [Altmann, Jeanne, 1980] ; [Altmann, Stuart A. et Altmann, 1970] ; [Ransom, 1981] ; [Rowell, 1966] ; [Stoltz et Saayman, 1970]

8 [Rowell, 1966] ; [Rowell, 1969]

9 [Ransom, 1981] ; [Ransom et Ransom, 1971] ; [Strum, 1975b] ; [Strum, 1982]

10 [Crook, 1970, Crook et Gartlan, 1966] ; [Eisenberg, et al., 1972] ; [Gartlan, 1968] ; [Jay, 1968] ; [Struhsaker, 1969]

11 [Maynard Smith, 1976, Maynard Smith et Parker, 1976, Maynard Smith et Price, 1973]

12 [Griffin, 1981, 1984]

13 [Strum, 1975b] ; [Strum, 1975c] ; [Strum, 1981] ; [Strum, 1982] ; [Strum, 1983b] ; [Strum, 1983a] ; [Strum, 1984] ; [Western et Strum, 1083]

14 Cf. [Strum, 1975b, c] ; [Strum, 1981] ; [Strum, 1982] ; [Strum, 1983a, b, 1984] ; [Bœse, 1975] ; [Busse et Hamilton, 1981] ; [Cheney, 1977] ; [Dunbar, 1983] ; [Gilmore, 1980] ; [Hamilton, et al., 1975] ; [Hausfater, 1975] ; [Kummer, 1967, 1973, 1978] ; [Kummer, et al., 1974] ; [Nash, 1976] ; [Packer, 1979, 1980] ; [Parker et MacNair, 1978] ; [Popp, 1978] ; [Post, et al., 1980] ; [Rasmussen, 1979] ; [Rhine, 1975, Rhine et Owens, 1975, Rhine et Westlund, 1978] ; [Sapolsky, 1982, 1983] ; [Seyfarth, 1976] ; [Smuts, 1982] ; [Stein, 1984] ; [Walters, 1980, 1981] ; [Wasser, 1981]

15 Cf. [Bernstein et Ehardt, 1985] ; [Chepko-Sade, 1974, Chepko-Sade et Olivier, 1979, Chepko-Sade et Sade, 1979] ; [de Waal, 1982] ; [Drickamer, 1974] ; [Gouzoules, 1984] ; [Kaplan, 1978] ; [Kleiman, 1979] ; [Parker et MacNair, 1978] ; [Seyfarth, 1977, 1980] ; [Silk, 1980]

16 [Strum, 1975b, 1981, 1983a]

17 [Strum, 1982, 1983b, 1984]

18 [Strum, 1983b, 1984]

19 [Strum, 1982, 1983b, 1984]

20 [Western et Strum, 1083]

21 [Chapais et Schulman, 1980] ; [Hausfater, et al., 1982]

22 [Altmann, Jeanne, 1980] ; [Cheney, 1977] ; [Chepko-Sade et Sade, 1979] ; [Popp et DeVore, 1979] ; [Trivers, 1972] ; [Walters, 1981] ; [Wasser, 1982] ; [Wasser et Barash, 1981]

23 [Callon et Latour, 1981] ;[Latour, 1986]

24 [Alcock, 1975] ; [Hamilton, 1971]

25 Cf. Oxford English Dictionary

Table des illustrations

Légende Schéma 1. Complexité versus complication : la progression
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1192/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 92k
Légende Schéma 2. L’évolution du lien social performatif
URL http://books.openedition.org/pressesmines/docannexe/image/1192/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 137k

Auteurs

Après plus de vingt années comme professeur de sociologie à l’école des mines, il a rejoint à la rentrée 2006 l’Institut d’études politiques de Paris. Agrégé de philosophie, il s’est formé à l’anthropologie en Côte d’Ivoire puis a rejoint le Centre de sociologie de l’innovation en 1982. Très vite il s’est intéressé aux sciences et aux techniques. Son premier livre, La Vie de laboratoire, décrit le fonctionnement quotidien d’un laboratoire californien en utilisant des méthodes ethnographiques. Il a travaillé ensuite sur les liens entre la révolution de Pasteur et la société française du xixe siècle (Les Microbes : guerre et paix, 1984). De plus en plus intéressé par les multiples connections entre la sociologie, l’histoire et l’économie des techniques, il a publié un livre de synthèse (La Science en action) et de nombreux articles sur l’innovation technique. Il a écrit ensuite un ouvrage sur l’ethnographie du Conseil d’État (La Fabrique du droit : une ethnographie du Conseil d’État, 2002). Son dernier ouvrage (Reassembling the Social - An Introduction to Actor-Network-Theory, 2005. Publié en français sous le titre Changer de société - Refaire de la sociologie) fait le point sur l’impact des « science studies » sur la philosophie des sciences. Après avoir été commissaire de l’exposition Iconoclash, il a organisé en 2005 une autre exposition, toujours avec Peter Weibel, au ZKM de Karlsruhe La Chose politique - Atmosphères de la démocratie deux expositions qui ont toutes les deux fait l’objet de volumineux catalogues aux presses du MIT, Cambridge, Mass.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

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