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Libye
Chronique politique

Fruits et défis de la normalisation libyenne

Saïd Haddad
p. 221-235

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Libye
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Texte intégral

  • 1  Saïd HADDAD, « Le retour à la communauté des nations ou la stratégie américaine de la Libye », Ann (...)
  • 2  Discours du Colonel Kadhafi du 31/8/2003.

1La résolution de l’affaire Lockerbie, le règlement de l’affaire du DC-10 del’UTA et le renoncement aux armes de destruction massive ont marqué le retour de la Libye en 2003 dans « la communauté des nations »1. Ces trois dossiers, à eux seuls, symbolisent la normalisation menée par Tripoli sur le plan international depuis les années d’isolement. La riche actualité libyenne de l’année 2003 a contribué à façonner l’image d’un État libyen plus enclin à se conformer à la légalité internationale. La levée des sanctions internationales, le 12 septembre 2003, par le Conseil de sécurité des Nations unies, récompense les changements opérés dans la politique extérieure libyenne. Elle correspond partiellement à l’objectif que s’était fixée la diplomatie libyenne, à savoir la sortie des « trois listes noires » que sont la résolution des Nations-Unies, l’embargo unilatéral américain et la liste incluant la Libye dans les États soutenant le terrorisme2.

2L’année 2004 va permettre à la Libye d’engranger les fruits de sa normalisation. Le réchauffement des relations avec les États-Unis, le resserrement des liens avec l’Union européenne (UE) et ses principaux pays, l’attrait du marché libyen pour les investisseurs occidentaux sont autant d’indicateurs de la conversion d’un État considéré, il y a peu, comme un rogue state. Dans un sens, l’année 2004 est l’aboutissement de tendances observées auparavant : les principaux dossiers vont connaître, sinon leur résolution, tout au moins des évolutions significatives.

  • 3  René OTAYEK, La Politique africaine de la Libye, Paris, Karthala, 1986.

3Pour autant, les succès de la diplomatie libyenne ne doivent pas occulter les nombreux défis que doit relever la Libye tant sur le plan international que sur le plan intérieur. En effet, en rompant avec la stratégie antérieure d’extériorité au système international afin de « contraindre ces puissances à reconnaître l’exclu comme un interlocuteur valable »3, la Libye s’insère dans un système de normes et de contraintes l’obligeant à aller au-delà des gages de bonne volonté déjà consentie. Tout à son tropisme américain et à son ancrage euro-méditerranéen, Tripoli se doit d’équilibrer sa politique extérieure, notamment en direction de l’Afrique subsaharienne qui craint de faire les frais du nouveau parti pris occidental libyen.

4L’émergence de la question migratoire dans l’agenda libyen illustre non seulement l’interpénétration des deux espaces relationnels (euro-méditerranée et Afrique) dans lesquels se meut la Libye, mais également les nombreuses contradictions et tensions entre ces deux pôles majeurs. Elle soulève également, au-delà des migrants, le thème des droits de l’Homme, la Libye ayant décidé de s’insérer prudemment dans la « toile des contraintes » tissée par le projet euro-méditerranéen. Sur le plan intérieur, les autorités libyennes sont confrontées aux difficultés économiques et sociales et aux aspirations au bien-être de la population.

La poursuite de la normalisation libyenne

5L’annonce, le 19 décembre 2003, par la voix de son ministre des Affaires étrangères que la Libye avait « décidé, de son propre gré, d’éliminer les matériels, équipements et programmes » afin de se défaire « de tous les armements interdits par la communauté internationale » et la visite du 27 au 29 décembre 2003 sur le territoire libyen du directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Ahmed Baradeï, s’inscrivent dans le cadre de la stratégie libyenne de réhabilitation aux yeux de la communauté internationale et de l’administration américaine.

  • 4  Le Monde du 13/2/2004.

6À l’issue de sa visite, le directeur de l’AIEA avait déclaré que les Libyens n’étaient pas sur le point d’avoir l’arme nucléaire. Un rapport de la même Agence, publié le 20 février 2004 précise que si la Libye a secrètement produit de petites quantités de plutonium, importé illégalement de l’uranium enrichi et mené des activités visant à fabriquer une arme nucléaire, elle n’a pas réussi à produire une centrifugeuse fonctionnelle, pouvant servir à l’enrichissement de l’uranium nécessaire à la confection de l’arme atomique. Si la Libye, au cours des années précédentes, n’a jamais fait mystère de sa volonté d’acquérir un tel arsenal, la menace libyenne a été quelque peu surestimée. Ce que semble confirmer l’analyse des 27 tonnes d’équipement et de documents concernant les programmes d’armements nucléaires et de missiles balistiques libyens que Tripoli a envoyés, pour analyse, à Washington4, le 27 janvier 2004.

7Paradoxalement, au-delà de la pauvreté des infrastructures scientifiques et industrielles libyennes et de l’écart entre les prétentions affichées et la réalité de l’armement libyen, ce que révèle le dossier nucléaire libyen, c’est l’ampleur du trafic international, du « supermarché de la prolifération » pour reprendre l’expression du directeur de l’AIEA ainsi que le rôle joué par le Pakistan, allié des États-Unis.

8La publicité faite autour du renoncement libyen est à la hauteur des enjeux que représente le dossier des armes de destruction massive (ADM) pour Washington et Tripoli. Si pour les États-Unis, la stratégie de lutte contre les ADM est ainsi validée, la Libye escompte bien recueillir les dividendes de cette initiative.

Les dividendes américains du renoncement libyen

9En ratifiant, le 6 janvier 2004, le Traité d’interdiction complète des essais nucléaires, élaboré à la Conférence du désarmement de l’ONU et adopté à l’Assemblée générale le 10 septembre 1996 et en signant, le 10 mars de la même année, le Protocole additionnel au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) renforçant les capacités d’inspection de l’AIEA, la Libye poursuit sa stratégie de rapprochement avec les États-Unis. En effet, l’annonce du renoncement aux ADM intervient après la résolution de l’affaire Lockerbie et l’approbation de l’intervention en Irak, autant de conditions posées par Washington pour une éventuelle normalisation des relations américano-libyennes.

  • 5  AFP, 24/1/2004.

10De fait, près d’un mois après la décision libyenne, un élu démocrate américain, membre de la commission des Affaires étrangères se rend à Tripoli en espérant « que cette visite contribuera à rapprocher les deux pays et à améliorer leurs relations »5. Cette visite précède de quelques jours celle de six représentants républicains.

11Ces visites ouvrent la voie à une série de décisions américaines récompensant en quelque sorte les initiatives libyennes. Le 8 février 2004, un Bureau des intérêts américain (Interest Section) est ouvert à Tripoli avant de se voir attribuer, le 28 juin 2004, le rang de Bureau de liaison (Liaison Office). Les Libyens ouvrant, quant à eux, un bureau des intérêts le 8 juillet 2004 avant de le transformer en bureau de liaison en décembre 2004. La levée de l’interdiction faite aux citoyens américains de se rendre en Libye, le 27 février 2004, ainsi que la fin de la plupart des restrictions issues de l’Iran Libyan Act de 1996 pesant sur les relations d’affaires en Libye (23 avril) précèdent de quelques mois la reprise officielle des relations diplomatiques entre les deux pays. Le 20 septembre, le président américain lève l’embargo commercial pesant sur la Libye depuis 1982 (International Emergency Economic Powers Act). Ce qui permet à la Banque centrale de Libye de retirer 1 milliard de dollars d’avoirs financiers libyens qui avaient été précédemment gelés.

12En quelques mois, les relations américano-libyennes ont connu des évolutions significatives : 24 ans après la rupture des liens entre Washington et Tripoli, la plupart des obstacles ont été levés, l’Administration américaine prenant acte des efforts libyens. Malgré le dépôt d’une plainte près d’un tribunal américain concernant une tentative d’assassinat fomentée par la Libye du prince héritier saoudien Abdallah (31 juillet), rien ne semble, en cette année 2004, pouvoir arrêter le rapprochement en cours.

Les promesses du marché et du pétrole libyens

  • 6  La demande d’adhésion a été transmise à l’OMC, le 10/12/2001. Le 27/7/2004, l’OMC a convenu d’enta (...)

13L’attrait du marché libyen a également joué un rôle majeur dans l’accélération de la normalisation entre les deux pays. En effet, la Libye, pays pétrolier dont les réserves sont estimées à près de 36 milliards de barils – soit 3 % de réserves mondiales de pétrole et 1,5 % des réserves de gaz –, est riche sur le plan financier (20 milliards de dollars de réserve selon le FMI). En outre, contrairement à ses voisins, la Jamahiriyya connaît une pression démographique relativement moins contraignante et un revenu par habitant relativement élevé (3 700 dollars par habitant). Industriellement faible, l’économie libyenne est tributaire de son pétrole et de l’extérieur. Les ressources tirées des exportations d’hydrocarbures constituent 95 % des recettes à l’exportation et plus de 60 % du budget. Au lendemain de la suspension de l’embargo, la Libye avait annoncé le lancement d’un programme de développement économique et social de 35 milliards de dollars, visant à atteindre un taux de croissance de l’ordre de 5 % entre 2001 et 2005. Cet ambitieux programme concerne le secteur de l’énergie et la modernisation des infrastructures du pays (télécommunications, transports terrestre et aérien). Il prévoit également le renforcement du secteur privé et la privatisation de l’économie (y compris le secteur des hydrocarbures) ainsi que l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC)6. La mise en place du « capitalisme populaire » défini par le colonel Kadhafi et qui comprend « l’abolition » du secteur public, la privatisation de 360 entreprises d’ici 2008, l’amendement de la loi sur les investissements autorisant les opérateurs étrangers à posséder une propriété foncière, doit permettre la remise à niveau de l’économie libyenne, l’abaissement du taux de chômage (30 %), ainsi que la lutte contre les inégalités et la corruption.

  • 7  Plus précisément des compagnies Marathon, Aramida Hiss, Conoco et Oxy (Arabies, octobre 2003).
  • 8  Interview accordée à Jeune Afrique/L’intelligent, 12-18/12/2004.
  • 9  La suppression d’un tel poste devait souligner la volonté libyenne de diversifier son économie et (...)

14Garantie de la solvabilité de l’État libyen, le pétrole attire, entre autres, les convoitises du lobby pétrolier américain7. La levée du volet libyen de la loi d’Amato-Kennedy coïncide opportunément avec la fin prochaine (en 2005) du gel, décrété en 1986, des concessions du Consortium dit d’Oasis du nom d’un gisement. Les négociations entre les responsables libyens et des représentants des sociétés pétrolières américaines, commencées en octobre 2002, ont connu une accélération depuis la levée de l’embargo si l’on en croit les déclarations de Abdallah al-Badri, président de la National Oil Company8. Selon ce dernier, les contrats précédemment conclus avec ces compagnies devraient être reconduits durant l’année 2005. Autre signe du rôle joué par les hydrocarbures dans la vie politique et économique libyenne : la nomination d’un ministre de l’Énergie, en mars 2004, cinq ans après sa suppression. Si elle s’explique par la volonté d’avoir un interlocuteur officiel face aux compagnies pétrolières lors des négociations, la restauration d’un tel ministère souligne les difficultés pour un État rentier à diversifier ses sources de revenus9.

Une Libye sous surveillance

  • 10  Ainsi que le maintien de l’embargo sur les armes et les aéronefs.
  • 11  AP du 28 octobre 2004. Ce dernier s’était réfugié dans le désert tchadien après la libération de 1 (...)

15Malgré les efforts libyens et la gourmandise des opérateurs pétroliers américains, la normalisation des relations bilatérales atteint, pour l’instant, ses limites. Le maintien de la Libye sur la liste des États soutenant le terrorisme par le Département d’État témoigne de la prudence américaine10, en dépit des gages de bonne volonté fournis par la Jamahiriyya : la remise, le 27 octobre 2004, par la Libye aux autorités algériennes du numéro 2 du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) et qui était détenu, depuis mars 2004, au Tibesti par le Mouvement pour la démocratie et la justice au Tchad11ainsi que les déclarations du Guide de la Révolution Libyenne, lors de sa visite à Bruxelles, le 27 avril 2004 (voir infra) réitérant son soutien aux « combattants de la liberté » s’inscrivent dans le choix libyen, opéré avant les attentats du 11 septembre 2001, d’un repositionnement dans la lutte contre le terrorisme. Deux raisons président à ce maintien de la Libye sur la troisième « liste noire ». La première concerne l’image du dirigeant libyen auprès de l’opinion américaine. Ce dernier est toujours associé au terrorisme. Notamment en raison de ses positions anti-israéliennes et du soutien que Tripoli accorde aux mouvements de lutte palestiniens. La prudence américaine prend également prétexte des manquements aux droits de l’Homme en Libye (voir infra).

Poursuite de la normalisation avec l’Union européenne

  • 12  Un million d’euros pour la famille de la victime turque, la même somme pour le propriétaire de la (...)
  • 13  Cet accord prévoit une réparation financière de 1 million de dollars accordée aux ayants droit de (...)
  • 14  AP du 3/9/2004 et AFP du 28/9/2004. L’accord ne concerne pas les deux victimes américaines. Les fa (...)

16Au début de l’année 2004, les principaux contentieux hérités du turbulent passé de la politique libyenne sont en voie de résolution. L’embargo a, de fait, été levé dès 1999 dans le domaine économique. Les sanctions touchant le transport aérien ont été partiellement levées. Enfin, pour ce qui concerne le volet militaire des sanctions, ce dernier est toujours en vigueur. À la fin de l’année 2003, seul le dossier de l’attentat de Berlin-Ouest (trois morts, deux soldats américains et une turque, le 5 avril 1986, à la discothèque La Belle) est toujours en négociation, l’Allemagne demandant l’indemnisation des victimes, à l’instar des affaires Lockerbie et UTA. À l’issue d’une longue enquête, la justice allemande a condamné en 2001 quatre agents libyens à de lourdes peines d’emprisonnement, délivré des mandats internationaux contre ces derniers et réclamé une indemnisation pour les victimes12. Alors qu’un accord définitif signé le 9 janvier 2004 est intervenu entre le collectif des familles des victimes de l’attentat du DC-10 d’UTA et le gouvernement libyen13, il faudra attendre le 10 août 2004 pour que Tripoli reconnaisse sa responsabilité dans l’attentat de Berlin et le versement de 28 millions d’euros aux 168 victimes. L’accord définitif est signé le 3 septembre et la première tranche des compensations (12,2 millions d’euros) est versée le 28 septembre14. Ce règlement ouvre la voie à un réchauffement des relations germano-libyennes qui se concrétise par la visite du chancelier allemand, Gerhard Schröder, à Tripoli le 15 octobre 2004. Il lève également le dernier obstacle au déplacement du président français Jacques Chirac qui avait conditionné sa visite au règlement du contentieux germano-libyen.

  • 15  Le Premier ministre espagnol Aznar a été de fait le premier chef de gouvernement à se rendre en Li (...)

17Cette visite allemande précède et succède à d’autres visites de hauts dignitaires européens. En effet, dès l’annonce des sanctions internationales, le 12 septembre 2003 et surtout après l’annonce du renoncement aux ADM, la Libye voit les Européens se bousculer à ses portes. Parmi les visites remarquées : celles du président du Conseil italien, Silvio Berlusconi (février, août et octobre 2004), celle du Premier ministre britannique, Tony Blair (25 mars), celle déjà évoquée du chancelier allemand (15 octobre) et du président français (24 et 25 novembre)15. Le président de la Commission européenne s’est rendu également à plusieurs reprises en Libye : sa présence à Tripoli, lors du 35e anniversaire de la révolution libyenne fait suite à la visite, que d’aucuns ont qualifié d’historique, du colonel Kadhafi à Bruxelles, le 27 avril 2004.

  • 16  À L’issue de sa rencontre avec le colonel Kadhafi à Syrte, lors du deuxième sommet extraordinaire (...)
  • 17 . Interview au Figaro, op. cit.

18Dernier pays du pourtour méditerranéen à ne pas entretenir des relations formelles avec l’Union européenne, la Libye poursuit néanmoins sa politique de rapprochement avec Bruxelles tout en maintenant un discours prudent, voire ambigu sur son intégration au processus de Barcelone. Tout en confirmant sa volonté de le rejoindre16, le dirigeant libyen ne cesse de clamer son incompréhension : s’agit-il « de coopération économique, de développement, d’environnement, de faire de la Méditerranée un lac de paix ou bien [s’agit-il] d’un nouveau plan de colonisation pacifique. Les pays européens veulent-ils récupérer leurs colonies à travers ce processus de Barcelone ? »17. Au-delà de ces interrogations, somme toute classiques, le dirigeant libyen souligne le fait que la création de l’Union africaine a engendré « une nouvelle donne » et qu’elle « n’acceptera jamais que l’on découpe l’Afrique du Nord pour l’adjoindre à L’Europe ». Ce faisant, le Guide souligne involontairement les tensions existant entre les deux pôles majeurs de sa politique extérieure.

19Malgré le rétablissement des liens avec les États-Unis, et les professions de foi panafricaines, l’UE demeure le principal client et fournisseur de la Libye. Elle représente près de 83 % de ses exportations (et 90 % de ses exportations pétrolières). En 2002, l’Italie (42,6 %), l’Allemagne (14,1 %) et l’Espagne (13,6 %) sont les principaux clients. L’UE est son principal fournisseur (63 % des importations libyennes). Il est à noter que les visites des dirigeants européens ont eu pour objet principal les dossiers économiques : l’accès au marché libyen, la fourniture de biens industriels et les hydrocarbures. Concernant ce dernier dossier, le retour programmé des compagnies américaines préfigure une future rude concurrence avec les compagnies européennes déjà présentes sur le territoire libyen.

20Engagée dans un ambitieux programme de réforme économique, la Libye a besoin des capitaux et savoir-faire européens. La centralité de l’Union européenne a été soulignée par la visite de deux jours effectuée par Kadhafi au siège de la Commission européenne, les 27 et 28 avril 2004. Premier déplacement du dirigeant libyen hors d’Afrique et du monde arabe depuis 1989, cette visite prend en acte de la normalisation en cours des relations entre Bruxelles et Tripoli. Cependant, en ce premier semestre de l’année 2004, un des objectifs de la diplomatie libyenne est de parachever sa réhabilitation par la levée de l’embargo européen pesant sur les armes.

21Dans la relation qui la lie avec Bruxelles, la Libye va tirer profit de l’intérêt que lui porte la Commission, notamment sur le dossier de la lutte contre l’immigration illégale. Ce faisant, tout en recueillant les fruits de sa collaboration avec l’UE, Tripoli va, à l’épreuve du dossier migratoire, être confrontée à la question des droits humains et à celle de la cohérence de sa politique extérieure.

Droits des migrants, droits de l’Homme

22Les préoccupations migratoires de l’UE vont être au centre des négociations euro-libyennes. La croissance des migrants originaires d’Afrique subsaharienne en Libye, la place prise par la Jamahiriya dans les trajectoires migratoires entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe et la politique migratoire restrictive pratiquée en Europe expliquent l’importance nouvelle accordée à ce dossier par Tripoli et ses partenaires européens.

Les mutations des migrations vers la Libye, reflets de la politique extérieure

  • 18  Pour l’essentiel, sauf indications contraires, tous les chiffres cités sont tirés de : Olivier PLI (...)

23Bien qu’il soit difficile d’accéder à des données officielles fiables concernant la présence étrangère en Libye, plusieurs tendances peuvent être néanmoins soulignées18. Essentiellement arabe, au début des années 1970, l’immigration en Libye va devenir au cours des trois décennies à dominante subsaharienne. Cette évolution accompagne les vicissitudes de la diplomatie libyenne : à chaque temps de la politique extérieure de Tripoli correspond une répartition régionale des flux de personnes vers la Libye. Ainsi durant la décennie 1970, la population étrangère est à 91 % composée de ressortissants arabes provenant majoritairement de Tunisie et d’Égypte. Les années 1980 voient, quant à elles, l’émergence des asiatiques (34 % des immigrés présents sur le territoire libyen) mais également des Européens (19 %) : la politique d’aménagement du territoire nécessite la venue d’une main-d’œuvre contractuelle, plus ou moins qualifiée. Le renversement du cours du pétrole, en 1986, qui touche de plein fouet l’économie, puis l’embargo, à partir de 1992, vont ralentir les grands projets et par conséquent diminuer les flux des migrants originaires d’Asie et d’Europe. Modeste en 1973 (3 %), la proportion de ressortissants d’Afrique subsahariens connaît une progression continue : elle est de 34 % en 1995, date du dernier recensement officiel (contre 9 % en 1984).

  • 19  Les estimations ne permettent pas d’affiner les catégories : parle-t-on d’immigrants réguliers, de (...)
  • 20  Ali BENSAAD, « La grande migration africaine à travers le Sahara », Méditerranée, n° 3-4, Aix-en-P (...)
  • 21  Bechir HAMDOUCHE, « La migration dans le partenariat euro-méditerranéen », in Bichara KHADER (dir. (...)

24Pays d’immigration, la Libye a accueilli, après 1995 – selon les estimations – entre 2 et 2,5 millions de ressortissants étrangers (2000). Leur nombre serait tombé à 600 000 depuis19. Quant à la majorité des migrants subsahariens, ils sont originaires du Mali, de pays frontaliers (Soudanais, Nigériens et Tchadiens), et d’États ayant de fortes relations avec Tripoli (Nigérians, Ghanéens, Burkinabés). Dès 1995, le dirigeant libyen avait décidé d’alléger les conditions d’entrée des Africains subsahariens avant que la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) n’adopte la convention sur la libre circulation des biens et des personnes, en 1998. L’ouverture des frontières s’inscrit sans aucun doute dans la stratégie libyenne de desserrer l’étau imposé par la communauté internationale. Elle est accentuée, ensuite, par la reconnaissance de Tripoli envers les États africains qui ont bravé la mise en quarantaine de la Libye. Cela étant, si la croissance des migrations subsahariennes vers la Libye est le fruit du renouveau panafricain de la Jamahiriyya, elle est également le reflet de la permanence des liens transsahariens. La Libye serait ainsi le lieu de destination de 80 % des 65 à 80 000 migrants subsahariens accédant au Maghreb par les frontières sahariennes20, la plupart d’entre eux tentant de rejoindre l’Italie. Les 20 % restants iraient en Algérie avant de tenter de rejoindre l’Espagne via le Maroc. Point traditionnel d’arrivée des flux Sud-Sud, la Libye s’insère progressivement dans les circuits migratoires Nord-Sud de l’espace méditerranéen. Ce faisant, elle est confrontée, peut-être davantage qu’auparavant, à la complexité et aux transformations du phénomène migratoire dans cette aire régionale21.

La Libye dans la politique migratoire commune

25À plusieurs reprises, la Commission européenne a estimé qu’il fallait engager une coopération dans ce domaine avec Tripoli. À cet effet, elle a envoyé une mission exploratoire en mai 2003. Le Forum informel du 5 + 5 qui s’est tenu à Rabat en octobre 2003 s’est prononcé en faveur d’une approche globale des problèmes migratoires associant la démarche sécuritaire au souci du développement. Cette position a été réaffirmée par le président de la Commission européenne lors du sommet des chefs d’État et de gouvernement du Forum 5 + 5 à Tunis. À l’instar des autres pays du Maghreb, les préoccupations migratoires de l’Union européenne ont reçu un écho favorable de la part des responsables libyens.

Le Maghreb, zone tampon

  • 22  Catherine WITHOL DE WENDEN, « L’Union européenne face aux migrations », Migrations Société, vol. 1 (...)
  • 23  Voir à ce propos la proposition de la Commission européenne d’une harmonisation à minima de l’immi (...)
  • 24  Claire RODIER, « Les camps d’étrangers, dispositif clé de la politique d’immigration et d’asile de (...)
  • 25  L’utilitarisme migratoire peut être défini comme l’appréhension des flux migratoires à travers le (...)

26La mise en place d’une politique migratoire est toute récente dans l’Union européenne. Les accords de Schengen, entrés en vigueur en mars 1995, ont institué la liberté de circulation des personnes dans l’espace Schengen tout en renforçant les contrôles à ses frontières et en harmonisant les procédures d’attribution des visas22. Depuis le traité d’Amsterdam (1997), entré en vigueur en 1999 et le Conseil européen de Tampere (1999), les politiques migratoires et d’asile sont, en grande partie, du ressort de la Commission européenne. L’action des Européens est organisée autour de deux volets : l’accueil des immigrés légaux et la lutte contre l’immigration clandestine. Le sommet européen de Bruxelles (octobre 2003) a par ailleurs entériné une proposition de mise en place d’une agence chargée du contrôle des frontières, étape vers une difficile harmonisation des politiques migratoires des États membres23. Présentée sous l’angle de la sécurité, la lutte contre les migrations construit le migrant comme une altérité menaçante compensant l’effacement ou la redéfinition de la notion de frontière24. Ce discours s’accompagne d’un autre : celui d’avoir le droit de choisir ses immigrés. Cet « utilitarisme migratoire »25construit le migrant comme une variable d’ajustement (économique, démographique) devant permettre d’accroître la prospérité du pays d’accueil. Contrôle et choix de l’immigration vont ainsi de pair. L’adoption d’une politique migratoire plus offensive, contre les clandestins se traduit ainsi par des restrictions et des contrôles renforcés sur le territoire européen. Les restrictions au droit d’asile ont vu la mise en place ou la généralisation des centres de rétention des étrangers.

  • 26  Hassan BOUBAKRY, « Migrations de transit entre la Tunisie, la Libye et l’Afrique subsaharienne : é (...)
  • 27  Claire RODIER, op. cit.
  • 28  Les pressions européennes ont amené, par exemple, les autorités marocaines à adopter, en mars 2003 (...)

27Les pressions européennes sur les pays du Maghreb visent à constituer une « zone tampon » entre l’UE et l’Afrique subsaharienne26. À côté d’instruments classiques tels que l’instauration d’une politique de visas restrictive, l’UE a mis en place une relation de « sous-traitance » des migrations impliquant fortement les pays de départ. Il s’agit en quelque sorte de contrôler une des plaques tournantes des flux migratoires (les pays du Maghreb, pays de départ et de transit) : signature d’accords de réadmission (Italie-Tunisie ; Espagne-Maroc) ; contrôle des frontières internationales mené conjointement par les polices et les marines des pays d’accueil et de départ (accord italo-libyen du 26 septembre 2004 prévoyant des patrouilles communes à partir du 15 novembre). L’externalisation du contrôle des frontières se traduit également par la présence d’officiers de liaison contrôleurs d’immigration des États de l’UE, chargés de former leurs homologues dans les pays du Sud afin « de mieux protéger, en amont, les frontières de l’UE »27. La responsabilisation des entreprises de transports et les sanctions à appliquer aux organisateurs des réseaux migratoires font partie également de ces mesures28.

  • 29  Claire RODIER, op. cit.

28Si l’externalisation des mesures de contrôle n’est pas une idée nouvelle29, la recrudescence de l’immigration clandestine en provenance d’Afrique, les pertes humaines au large des côtes espagnoles ou italiennes et les coûts financiers engendrés par la lutte contre l’immigration clandestine ont été l’occasion de relancer l’offensive en ce domaine. Les dirigeants européens et, notamment ceux du G5, qui regroupe les ministres de l’Intérieur allemand, britannique, italien, espagnol et français ont ainsi défendu la création de centres d’accueil hors de l’UE pour les candidats à l’immigration. Si cette volonté d’associer les pays du sud à un plan de lutte contre l’immigration illégale fait l’objet de divergences internes au sein du G5 (elles ont éclaté lors du sommet de Florence des 17 et 18 octobre 2004) le gouvernement français arguant des atteintes aux droits de l’Homme portées par ce projet, il convient de noter que cette proposition n’est que le prolongement et l’aboutissement de mesures, déjà adoptées, d’externalisation des contrôles. Ce faisant, cette proposition ainsi que l’existence de camps informels au Maroc, en Algérie et en Libye témoignent de la place prise par les migrations dans l’agenda euro-méditerranéen lancé en 1995.

Les usages libyens des migrations subsahariennes : la levée de l’embargo sur les armes

  • 30  Le Monde du 8/10/2004.
  • 31  Delphine PERRIN, op. cit., Allafrica.com du 18/10/2004.
  • 32  Le Monde du 5-6/6/2005.

29Si à l’instar des autres pays du Maghreb, les préoccupations migratoires de l’Union européenne ont reçu un écho favorable de la part des responsables libyens, c’est bien sur la question des camps de rétention que Tripoli se distingue de ses voisins. Contrairement à ces derniers, la Libye n’est pas réticente à l’établissement de centres d’accueil sur son territoire, ce qui entérinerait officiellement les huit zones de camps déjà existantes qu’une mission technique sur l’immigration illégale envoyée par l’UE a pu visiter du 28 novembre au 6 décembre 2004. Cet accueil favorable à une proposition défendue notamment par l’Italie et l’Allemagne fait suite à la décision libyenne d’accepter le retour sur son sol de clandestins partis de ses côtes et expulsés d’Italie, principal lieu de destination des migrants30. Cette attitude conciliante doit être rapprochée de la reprise en 2004 des expulsions et de rapatriements forcés de clandestins d’Afrique subsaharienne31: essentiellement des Nigériens, Tchadiens, Maliens, Sénégalais et Burkinabés, ressortissants d’États membres du CEN-SAD. La Libye aurait ainsi expulsé près de 54 000 personnes en 2004, contre 43 000 en 200332 .

  • 33  Déclaration de Kadhafi, Reuters du 24/6/2002.

30« Aucun État nord-africain n’est volontaire pour garder gratuitement les portes de l’Europe, car la région est elle-même envahie par les migrants subsahariens » avait ainsi déclaré le dirigeant libyen en 200233. Compréhension et marchandage semblent ainsi guider la démarche du colonel Kadhafi. Le discours libyen fait ainsi étrangement écho à celui tenu du côté européen. L’instrumentalisation libyenne serait en quelque sorte le versant diplomatique de l’utilitarisme migratoire européen. Il pourrait être ainsi défini comme l’appréhension des flux migratoires à travers le prisme des objectifs diplomatiques. La politique migratoire et l’ouverture des frontières qui peuvent en découler ne sont envisagées que dans la mesure où les migrations permettent de mener à bien la stratégie du colonel Kadhafi qui consiste à réinsérer la Libye dans le concert des Nations.

31Aussi le discours libyen à destination de l’Europe joue-t-il du statut de victime de l’immigration clandestine. Arguant du fait qu’avec près de 2 000 km de côtes et 7 000 km de frontières terrestres, le « transit zéro » est un objectif hors d’atteinte, le discours officiel n’hésite pas également à emprunter au registre victimaire : ainsi dans une interview au quotidien italien La Stampa du 9 août 2004, le ministre libyen des Affaires étrangères n’hésite pas à qualifier la présence de migrants africains « d’invasion » risquant de « modifier le tissu social » du pays.

  • 34  Interview du ministre libyen de la Justice et de la Sécurité accordée le 23 octobre 2003 au quotid (...)

32Les dirigeants libyens ont notamment argué de leur déficit en moyens matériels pour lutter contre l’immigration clandestine (hélicoptères, jumelles, radars)34, autant d’équipements soumis à l’embargo militaire. Malgré les réticences de Berlin, Tripoli a bénéficié du soutien de Rome. En effet, l’Italie est le principal lieu de destination des migrants transitant par la Libye. L’île de Lampedusa, à six heures des côtes libyennes, est devenue le symbole, non seulement des drames de l’immigration clandestine, mais également du rôle de la Libye comme pays de transit dans les migrations subsahariennes vers l’Europe. En obtenant la levée de l’embargo, le 12 octobre 2004, grâce au soutien de l’Italie, Tripoli a non seulement engrangé les dividendes de sa normalisation politique mais également su tirer profit de son statut d’État pivot dans ce dossier.

  • 35  Les autorités libyennes s’en tiennent au bilan officiel, soit 6 morts

33Pour autant, le satisfecit accordé aux autorités libyennes par l’UE ne doit pas occulter les inquiétudes exprimées par cette dernière en matière de droits de l’Homme. En effet, toujours sur le dossier des migrations, les émeutes à l’encontre de ressortissants d’Afrique subsaharienne, fin septembre 2000 (130 victimes35) et les expulsions massives qui les ont suivis ont mis en lumière les manquements graves en ce domaine. Le procès de cinq infirmières bulgares et d’un médecin palestinien, accusés d’avoir inoculé le virus du sida à près de 400 enfants palestiniens hospitalisés à Benghazi, témoigne également de cette situation préoccupante.

La Libye au miroir de l’immigré

  • 36  Ce profil bas témoigne de la crainte et de la méfiance qu’inspire le régime libyen. En effet, si l (...)
  • 37  Delphine PERRIN, op. cit. ; Ali BENSAAD, « Voyage au bout de la peur avec les clandestins du Sahel (...)

34Discours et pratiques interrogent sur la réalité de l’africanité assumée de la Libye. La question qui demeure est celle de savoir si ces exactions sont le signe d’un rejet des migrants africains ou si elles sont l’expression d’une protestation contre les autorités, alors que la population a connu une réelle dégradation de ses conditions de vie. Malgré une africanité revendiquée officiellement, les dénégations de racisme et la relative discrétion dont ont fait preuve les gouvernements des ressortissants assassinés allant jusqu’à relayer le discours officiel libyen36, le doute persiste. Les restrictions à l’entrée sur le territoire libyen et les vexations qui en découlent (obligation de tests sanitaires, notamment du HIV ; non perception de salaires dus etc.), le flou qui entoure le droit des étrangers (irréguliers et légaux)37, l’existence de centres de rétention sont révélatrices de l’absence de regard, voire de l’indifférence, portée pendant trop longtemps sur les frères africains dont la présence, tolérée, considérée comme conjoncturelle, est perçue comme le fruit de décisions politiques sur lesquelles la population libyenne n’a aucune prise. Elles sont également révélatrices d’une politique fondée sur la non intégration des étrangers. Car au-delà des aménagements juridiques, il suppose que la question de l’identité africaine du pays et celle de la place et du rôle des étrangers dans la vie nationale, soient débattues dans un espace public, encore à construire.

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35Malgré la sombre situation des droits de l’Homme en Libye, les autorités libyennes ont, semble-t-il, pris quelques « décisions positives » au regard de cette dernière38. La visite effectuée par une délégation d’Amnesty international, dans ce pays, en février 2004, après quinze ans d’absence, révèle la persistance des violations des droits de l’Homme39. La visite d’Amnesty international s’est accompagnée de la réorganisation du ministère de la Justice et de la Sécurité publique en deux entités séparées. Le 18 avril 2004, le colonel Kadhafi, en réponse au mémorandum de l’organisation, a déclaré devant le Conseil suprême des institutions judiciaires que de nombreuses réformes légales et institutionnelles devaient être engagées : abolition du Tribunal populaire, tribunal d’exception, réduction du champ d’application de la peine de mort, affirmation du droit des prisonniers à recevoir leurs avocats et leurs familles, droit des familles à savoir ce qui s’était passé en 1996, lors des troubles à la prison d’Abou Salim où de nombreux prisonniers ont été tués. D’après ce même rapport, les autorités libyennes auraient déclaré qu’elles travaillaient à l’amendement de la législation sur les associations.

  • 40  La peine des infirmières bulgares devait être commuée, si l’on en croit Seif al Islam, AP du 9/12/ (...)

36Ce léger frémissement en matière de droits humains est sans nul doute une conséquence de la normalisation libyenne, l’UE tout autant que les États-Unis attachant une certaine importance à ce dossier. En s’insérant dans le concert des Nations, la Libye se voit contrainte de répondre, tout au moins formellement dans un premier temps, aux exigences des grandes puissances. Toutefois, la condamnation à mort, le 6 mai, des cinq infirmières bulgares et du médecin palestinien, soit quelques semaines après la visite d’Amnesty international et surtout une semaine après le déplacement à Bruxelles du Guide témoigne du long chemin à parcourir40.

L’Afrique et le monde arabe, nouvelles périphéries libyennes ?

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37L’instrumentalisation des migrants subsahariens dans ses rapports avec l’Europe, le discours usité à l’encontre de ces mêmes ressortissants et de manière générale l’accélération du parti pris occidental de la diplomatie libyenne ne peuvent qu’écorner le mythe d’un Kadhafi africain41. L’actualité de l’année 2004 entérine une tendance observée auparavant, celle de la banalisation de la politique africaine de Tripoli. Ou pour être plus précis, celui du rééquilibrage de sa politique extérieure.

  • 42  Outre la Libye, la Comessa regroupe le Tchad, le Soudan, le Niger, le Mali, le Burkina Fasso à laq (...)
  • 43  Jeune Afrique/L’Intelligent, 8-14/8/2004.

38Les orientations de la politique africaine libyenne n’ont pas été pour autant remises en cause. En effet, la politique libyenne à l’échelle du continent africain est toujours active : à travers le CENS-SAD où lors de la VIe Conférence des chefs d’État (Bamako, 15 et 16 mai 2004), le dirigeant libyen a signé avec ses homologues africains une convention en matière de sécurité et un protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits42. La création du Forum de Syrte et de la Compagnie africaine d’investissement (CAI), le 24 juillet 2004 témoignent également de l’intérêt porté au continent. Alors que le Forum de Syrte, conçu sur le modèle de Davos, a pour prétention d’organiser des rencontres entre décideurs et de promouvoir l’entreprise à l’échelle de l’Afrique, la Compagnie africaine d’investissement, projet libyo-gabonais, pourvue d’un capital de 1 milliard de dollars, devrait financer une série de projets de développement dans le cadre de l’Union africaine43. Le choix de Seif al-Islam, un des fils de Kadhafi, comme président du Forum de Syrte et comme co-président de la CAI, outre qu’il tend à confirmer de plus en plus sa qualité d’héritier présomptif du Guide, est à analyser comme la marque de l’attachement du Guide à l’Afrique subsaharienne et l’affirmation d’une certaine continuité de la politique africaine entamée en 1995.

  • 44  Le colonel a rappelé que la décision de retrait était essentiellement motivée par le rejet par la (...)
  • 45  Un émissaire libyen a tout de même assisté aux obsèques du roi Fahd.
  • 46  Les États-Unis se sont déclarés gravement préoccupés par ces accusations et continuent d’évaluer l (...)

39Quant aux relations avec le monde arabe, elles sont placées sous le sceau de l’animosité depuis la décision des « frères arabes », lors de la conférence de la Ligue des États arabes du Caire, en septembre 1998, de ne pas suivre l’exemple de l’OUA en recommandant uniquement la levée de l’embargo après un accord entre les parties et lorsque les suspects auront été présentés devant un tribunal international. La décision du leader de la Révolution libyenne de se retirer du 16e Sommet arabe (Tunis, 22 mai 2004) sous prétexte que son pays n’approuve pas l’ordre du jour du Sommet témoigne de la persistance des griefs libyens à l’encontre de la communauté arabe44. Sur le plan bilatéral, la dégradation des relations entre Riyad et Tripoli semble se poursuivre. En effet, selon un article du New York Times du 10 juin 2004, un complot ourdi, en 2003, par les services secrets libyens aurait eu pour but d’assassiner le prince héritier saoudien Abdallah45. S’il n’est pas dans notre propos de juger de la véracité de telles accusations, nouvel épisode des relations libyo-saoudiennes, force est de constater que le passif de la Libye en la matière peut rendre crédible de tels propos46.

  • 47  Le communiqué libyen reproche aux autres pays membres : le gel des réunions au sommet ; le respect (...)

40Concernant le Grand Maghreb, il ne semble pas que ce dernier soit toujours une des priorités stratégiques du dirigeant libyen. Après la défection libyenne au Sommet de l’Union du Maghreb arabe (UMA) qui devait se tenir le 23 décembre 2003 à Alger et qui de fait, a été reporté sine die, l’annonce par le ministère libyen des Affaires, le 8 décembre 2004, de l’intention du Guide de renoncer à la présidence de l’organisation, qu’il assure depuis le 1er janvier 2004 confirme le manque d’intérêt de Tripoli à l’égard de cette institution à vocation régionale. Ceci étant, la lecture du communiqué libyen47rend compte d’une certaine façon des dysfonctionnements, voire de l’absence d’une politique commune maghrébine.

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Notes

1  Saïd HADDAD, « Le retour à la communauté des nations ou la stratégie américaine de la Libye », Annuaire de l’Afrique du Nord, t. XLI, 2003, Paris, CNRS Éditions, 2005.

2  Discours du Colonel Kadhafi du 31/8/2003.

3  René OTAYEK, La Politique africaine de la Libye, Paris, Karthala, 1986.

4  Le Monde du 13/2/2004.

5  AFP, 24/1/2004.

6  La demande d’adhésion a été transmise à l’OMC, le 10/12/2001. Le 27/7/2004, l’OMC a convenu d’entamer des pourparlers avec la Libye.

7  Plus précisément des compagnies Marathon, Aramida Hiss, Conoco et Oxy (Arabies, octobre 2003).

8  Interview accordée à Jeune Afrique/L’intelligent, 12-18/12/2004.

9  La suppression d’un tel poste devait souligner la volonté libyenne de diversifier son économie et de réduire sa dépendance envers les hydrocarbures, Nicolas SARKIS, « Les perspectives pétrolières libyennes », Maghreb-Machrek, n° 181, automne 2004.

10  Ainsi que le maintien de l’embargo sur les armes et les aéronefs.

11  AP du 28 octobre 2004. Ce dernier s’était réfugié dans le désert tchadien après la libération de 14 touristes européens enlevés dans le Sahara algérien et malien en 2003.

12  Un million d’euros pour la famille de la victime turque, la même somme pour le propriétaire de la discothèque et 500 000 euros pour chaque blessé.

13  Cet accord prévoit une réparation financière de 1 million de dollars accordée aux ayants droit de chacune des victimes. Un quart de la somme globale (170 millions de dollars) a été versée par les Libyens le jour même. En contrepartie de ce versement, les familles abandonnent les procédures judiciaires engagées.

14  AP du 3/9/2004 et AFP du 28/9/2004. L’accord ne concerne pas les deux victimes américaines. Les familles de ces dernières ont intenté un procès contre Tripoli devant les juridictions américaines.

15  Le Premier ministre espagnol Aznar a été de fait le premier chef de gouvernement à se rendre en Libye (16-18/9/2003) après la levée des sanctions internationales en septembre 2003.

16  À L’issue de sa rencontre avec le colonel Kadhafi à Syrte, lors du deuxième sommet extraordinaire de l’Union africaine, le président de la Commission européenne a salué la « décision historique » du dirigeant libyen de travailler rapidement à l’adhésion de son pays au Processus de Barcelone (27/2/2004). Disponible sur http://www.europa.eu.int/comm/external_relations/libya. Voir également l’interview accordée par le Guide au Figaro du 24/11/2004.

17 . Interview au Figaro, op. cit.

18  Pour l’essentiel, sauf indications contraires, tous les chiffres cités sont tirés de : Olivier PLIEZ, « La Libye sommée de définir une politique migratoire », Annuaire de l’Afrique du Nord 2003, Paris, CNRS Éditions, 2005. Voir également Delphine PERRIN, « Ballets diplomatiques et droit des étrangers en Libye », Maghreb-Machrek, n° 181, automne 2004.

19  Les estimations ne permettent pas d’affiner les catégories : parle-t-on d’immigrants réguliers, de clandestins, de réfugiés ? Concernant cette dernière catégorie, Tripoli n’a pas ratifié la Convention de Genève sur les réfugiés. Cependant d’après le 2003 UNHCR Statistical Yearbook, la Libye compterait 11 897 réfugiés (et 58 demandeurs d’asile) en 2003 dont 73 % sont originaires des Territoires occupés palestiniens et 24 % de Somalie.

20  Ali BENSAAD, « La grande migration africaine à travers le Sahara », Méditerranée, n° 3-4, Aix-en-Provence, Université de Provence, 2002.

21  Bechir HAMDOUCHE, « La migration dans le partenariat euro-méditerranéen », in Bichara KHADER (dir.), Le Partenariat euro-méditerranéen vu du Sud, Paris, L’Harmattan, 2001. Catherine WITHOL DE WENDEN, « Logiques migratoires, figures de migrants », Les Cahiers français, n° 307, Paris, La Documentation française, 2002.

22  Catherine WITHOL DE WENDEN, « L’Union européenne face aux migrations », Migrations Société, vol. 16, n° 91, CIEMI, janvier-février 2004.

23  Voir à ce propos la proposition de la Commission européenne d’une harmonisation à minima de l’immigration légale : Commission des Communautés européennes, Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques, COM (2004) 811 final, 11/1/2005, 14 p.

24  Claire RODIER, « Les camps d’étrangers, dispositif clé de la politique d’immigration et d’asile de l’Union européenne », in Pierre Arnaud PERROUTY, La Mise ˆ l’écart de l’étranger, centres fermés et expulsions, Bruxelles, Labor, 2004. Article disponible sur http://pajol.eu.org.

25  L’utilitarisme migratoire peut être défini comme l’appréhension des flux migratoires à travers le prisme de leur utilité, et plus particulièrement des besoins de l’économie du pays ou de la région d’accueil. L’ouverture des frontières qui peut en découler n’est envisagée que dans la mesure où la migration est utile.

26  Hassan BOUBAKRY, « Migrations de transit entre la Tunisie, la Libye et l’Afrique subsaharienne : étude à partir du cas du Grand Tunis », communication présentée lors de la Conférence régionale sur Les migrants dans les pays de transit : partage des responsabilités en matière de gestion et de protection, Istanbul, 30/9 - 1/10/2004.

27  Claire RODIER, op. cit.

28  Les pressions européennes ont amené, par exemple, les autorités marocaines à adopter, en mars 2003, des mesures visant à restreindre les arrivées des migrants par voie aérienne et à se doter d’un arsenal législatif restrictif à l’endroit de l’émigration clandestine (mars 2003). L’UE contribue financièrement à la mise en place d’un dispositif de contrôle frontalier.

29  Claire RODIER, op. cit.

30  Le Monde du 8/10/2004.

31  Delphine PERRIN, op. cit., Allafrica.com du 18/10/2004.

32  Le Monde du 5-6/6/2005.

33  Déclaration de Kadhafi, Reuters du 24/6/2002.

34  Interview du ministre libyen de la Justice et de la Sécurité accordée le 23 octobre 2003 au quotidien Corriere della Serra, citée dans Jeune Afrique/L’intelligent, 7/11/2003.

35  Les autorités libyennes s’en tiennent au bilan officiel, soit 6 morts

36  Ce profil bas témoigne de la crainte et de la méfiance qu’inspire le régime libyen. En effet, si les capitales africaines apprécient ses largesses financières (notamment le paiement des arriérés dus à l’Union africaine), elles n’en redoutent pas moins ses tentatives de déstabilisation.

37  Delphine PERRIN, op. cit. ; Ali BENSAAD, « Voyage au bout de la peur avec les clandestins du Sahel », Manière de voir Le Monde diplomatique, n° 62, Paris, 2002.

38  Amnesty International, Libye. Il est temps que les droits humains deviennent réalité (MDE 19/002/2004), avril 2004.

39  « Criminalisation des droits à la liberté d’expression et d’association », « arrestation et détention arbitraires », « torture », « application de la peine capitale », « châtiments collectifs », « morts en détention », « disparitions » etc. Le passif de la Libye en la matière comprend également les liquidations physiques des « chiens errants de la Révolution », pour reprendre la terminologie libyenne en vigueur. Le 27 janvier 2004, le quotidien officiel al-Zahf al-Akhdar a été suspendu une semaine pour « publication d’articles allant à l’encontre du pouvoir des masses », www.rsf.org.

40  La peine des infirmières bulgares devait être commuée, si l’on en croit Seif al Islam, AP du 9/12/2004. En écartant l’application de la peine de mort, le fils du dirigeant libyen, a réagi ainsi aux fortes protestations des dirigeants bulgares, de l’UE et aux préoccupations du département d’État. La proposition libyenne d’un versement d’une indemnité en échange de la libération des accusés (AFP du 6/12/2004) apparaît comme une tentative malheureuse des dirigeants libyens de mettre un terme à une affaire qui jette une ombre sur la réhabilitation de la Libye.

41  À titre d’exemple, lire Fayama TOURE, « L’Union africaine : le mythe de Kadhafi est tombé », San Finna, Ouagadougou, Burkina Fasso, 17/10/2004, disponible sur http://fr.allafrica.com.

42  Outre la Libye, la Comessa regroupe le Tchad, le Soudan, le Niger, le Mali, le Burkina Fasso à laquelle se sont jointes l’Érythrée et la République centrafricaine (avril 1999) ainsi que Djibouti, le Sénégal et la Gambie (février 2000). Depuis l’ont rejointe l’Égypte, le Maroc, la Tunisie, la Somalie, le Bénin et le Togo et le Nigéria. Le Sommet de Bamako a admis, la Côte-d’Ivoire, La Guinée-Bissau, le Ghana, le Libéria.

43  Jeune Afrique/L’Intelligent, 8-14/8/2004.

44  Le colonel a rappelé que la décision de retrait était essentiellement motivée par le rejet par la Ligue arabe d’une initiative libyenne, lors du sommet de Amman en 2001, portant établissement d’un État démocratique palestino-israélien, soulignant l’impossibilité d’établir deux États. Il a qualifié l’initiative de paix arabe de « révolue » car étant remplacée par une feuille de route. Le dirigeant libyen a souligné la nécessité de permettre le retour des réfugiés palestiniens, un retour qualifié de droit naturel et inaliénable, El Moudjahid, Alger, 22/5/2004.

45  Un émissaire libyen a tout de même assisté aux obsèques du roi Fahd.

46  Les États-Unis se sont déclarés gravement préoccupés par ces accusations et continuent d’évaluer l’engagement que la Libye a pris en décembre 2003 de mettre fin à tous les usages de la violence à des fins politiques », « Les États soutenant le terrorisme font obstacle aux efforts de lutte contre ce fléau », http://usinfo.state.gov.

47  Le communiqué libyen reproche aux autres pays membres : le gel des réunions au sommet ; le respect de l’embargo international contre la Libye ; le refus d’appliquer les accords et les conventions relatifs à la libre circulation des biens et des personnes ; le refus de constituer une commission d’enquête pour réfuter les allégations mauritaniennes selon lesquelles Kadhafi serait l’instigateur d’une tentative de putsch contre le président mauritanien ; la décision prise d’organiser des manœuvres conjointes avec l’OTAN ; le refus de sanctionner la Mauritanie pour les relations qu’elle entretient avec Israël, d’après Jeune Afrique/L’Intelligent, 19-25/12/2004.

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Pour citer cet article

Référence papier

Saïd Haddad, « Fruits et défis de la normalisation libyenne  »L’Année du Maghreb, I | 2006, 221-235.

Référence électronique

Saïd Haddad, « Fruits et défis de la normalisation libyenne  »L’Année du Maghreb [En ligne], I | 2004, mis en ligne le 08 juillet 2010, consulté le 18 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/anneemaghreb/307 ; DOI : https://doi.org/10.4000/anneemaghreb.307

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Auteur

Saïd Haddad

CREC Saint-Cyr, chercheur associé à l’IREMAM/CNRS

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