Lettre de Jean-François Séguier à Antoine Joseph Dezallier d' Argenville,

DOI : 10.34847/nkl.fbae2f25 Publique
Auteur : Jean-François Séguier

[transcription] [Brouillon de réponse de Séguier. La lettre doit dater de 1751 si l'on en croit la lettre de Dezallier d'Argenville du 4 mars 1751].



Monsieur,



Pendant mon le séjour que j'ai fait à Venise, où j'ai passé près de trois mois, j'ai eu tout le loisir de m'informer des particularités et des anecdotes de la vie de la Rosa Alba que vous souhaitez de savoir. J'ai été la voir et j'ai p...resque su de sa bouche toutes les circonstances que je vais vous dire. La signora Rosa Alba Carriera est vénitienne, fille d'un père qui a plusieurs fois espéré l'emploi de chancelier des podestats ou des commandants qui est née il y a quatre-vingt ans dans la paroisse de Saint-Pierre du Château. Dès sa plus trendre enfance, elle travaillait à faire de la dentelle. Elle vit un jour une de ses figures que l'on imprime pour servir de vignette aux sonnets que l'on distribue à l'occasion des noces ou de quelque vestiaire et il lui prit l'envie de la copie. Elle s'en aquita d'une manière à faire connaître qu'elle avait quelque u talent pour le dessin et son père montra cette ébauche à un peintre allemand qui fréquentait alors sa maison qui la trouvat bien et cette jeune fille âgé de 14 ans devint l'élève de ce peintre qui fut son premier maître et qui pendant un an qu'il s'arrêta à Venise continua à lui donner quelquesdes leçons. à celui-ci, il en succéda un Vénitien nommé Diamantini, dont j'ai vu quelqueun tableau à l'église de Saint Moïse de Venise. L'un et l'autre de ces maîtres n'étaient cependant que médiocres et surtout l'Allemand. Elle fit d'abord quelques tableaux à l'huile et surtoutdes portraits à l'huile. J'en ai vu quelques-unsque l'on conserve encore mais comme ce n'était pas son talent marqué, elle n'y réussit que édiocrement. Elle avait deux soeurs qui aimaient autant qu'elle la musique et qui touchaient fort bien du clavecin et savaient chanter. Ces talents et les aimables qualités de ces trois filles attiraient chez leur père un nombre de jeunes gens et d'étrangers qui se faisaient un plaisir de se trouver dans une assemblée si riante. Les peintres surtout cherchaient à entretenir le goût de la Rosalba et ils s'empressaient d'en faire une bonne élève. A ntonio Balestra, fameux peintre véronais, lui forma le goût et elle fit de grands progrès sous un si habile maître, mais il arriva un jour qu'un français qui était à Venise, dont je n'ai pu savoir le nom, lui parla de la peinture au pastel et la lui fit connaître lui-même. Ce français dont on ne m'a pas su dire le nomIl s'appliqua à ce genre de peinture et il lui fit présent de quelques crayons de pastel. Elle acquitEn peu de temps, elle acquit une grande facilité pour faire des portraits au pastel, t elle ne cessait de s'y appliquer que peindre en miniature, où elle réussit extremement bien. Sa réputation [fol. 135 v] était déjà bien établie en 1709 et elle fit alorsle portrait du roi de Danemark qui se trouvait alors à Venise. Pellegrini, dont vous connaissez les tableauxles peintures à fresque qui sont à Paris dans la bibliothèque du roi, prit de l'inclination pour la cadette de la Rosalba et il l'épousa avant que de venir en France. En 1719, ce Pellegrini, la Rosa Alba et le sieur Antoine Zanetti allèrent tous trois de compagnie à Paris. A peine fut-elle de retour à Venise, qu'elle eut plus d'occupation qu'elle en voulut. Il n'y avait point d'étranger de qualité, surtrout des Anglais, qui ne voulurent avoir quelque portrait de sa main. Elle alla ensuite à Vienne, où elle fit les sportraits de l'empereur Charles VI et de l'Impératrice. Elle a beaucoup travaillé pour le roi de Pologne qui a une belle suite de tableaux de sa façon de sa main La duchesse Ottoboni, à Rome, a quatre sibylles qui sont un chef d'oeuvre. Elle a fait le portrait de l'impératrice régnante et un assez bon nombre de ceux des dames vénitiennes. Le dernier qu'elle a peint avant que de perdre la vueest celui de Madame Catherine Barbarigo qui est une des plus belels femmesnobles vénitiennes. c'est une époque douloureuse pour la Rosa Alba. Peu après sa vue commença à diminuer et elle la perdit tout à fait, il y a environ cinq ans par une cattaracte qu'on essaya de lui abaisser en 1749, mais quoique l'opération eut été bien faite et qu'elle commença à y voir, la cataracte est remontée du depuis et cette fille est aujourd'hui sans espérance de larecouvrer la vue. c'est un grand dommage pour le public qu'elle soit réduite dans cet état et outre cela Elle se ressent outre cela du poids de l'âge et est un peu sourdâtre. Elle a supporté la perte de sa vue avec une entière résignation à la volonté du Seigneur: elle ne parle qu'avec beaucoup de modestie de ses plus beaux ouvrages et à l'âge qu'elle est elel a des manières aimables et est encore d'une aimable conversation et d'une politesse extrême, sans affectation. Ceux qui l'ont connue dans un âge moins avancé m'ont infiniment loué ses belles qualités acquises et naturelles : le peu de moment que j'ai passé avec elle ne m'ont presque donné le temps que de les entrevoir. J'oubliais presque de vous parler d'un des plus beaux tableaux de sa main qui est conservéà Venise [fol. 136 r] qui est Monsieur Smith, consul de la nation anglaise, qui représente une femme la tête penchée et le bras droit nu, qui se couvre d el'autre avec une draperie foncér pour se défendre du froid. On y a mis le nom de l'hiver. c'est un des plus beaux tableaux que j'ai vu de cette habile fille, tout y est si bien prononcé et les teintes si bien adoucies que la femme paraît vivante. Elle ne voulait point d'élèves, mais ellene pouvait cependant refuser à des personnes d'autorité d'en prendre quelquefois. Il n'yElle en a queeu deux qui méritent infiniment qu'on en parle. L'une est Félicité Sartori, jeune fille qui dès sa tendre enfance se jeta aux pieds d'un prêtreecclesiastique à Murano, île qui est aux environs de Venise, pour lui servir d'intercesseur la Ros'Alba la prit à son service, où elle passa pour lui servir de fille de chambre. En voyant peindre sa maîtresse, elle prit le goût pour la miniature et elle y réussit. Le roi de Pologne manda, il y a quelques années un gentilhomme de sa cour nommé Monsieur Hoffman à celle de Naples pour y exécuter une commission dont il l'avait chargée. En repassant à Venise, il demanda à la Ros'Alba quelques portraits pour les les présenter à son prince : celle-ci n'avait rien de prêt et elle dit que la seule chose qu'il pouvait lui donner était six portraits en mignatue qu'avait fait sa fille de chambre/ Hoffman les vit et il les accepta, mais son coeur ne resista point aux attraits et aux grâces de la personne qui les avait faits. Il s'en sentit pris et il demanda cette fille en mariage. Le contrat fut bientôt conclu. Hoffman partit pour Dresde et la Sartori promit de l'y suivre pour y célébrer ses noces. Elle s'y rendit bientôt après, mais soit que le voyage lui eut fait perdre une partie de sa beauté, ou des réflexions plus mûres eussent fait changer la résolution d'Hofam, il parut alors dans quelque indifférence. La fille qui avait beaucoup d'intérêt de voir l'exécution de sa promesse, supplia la reine de lui en parler. Hoffman n'opposa que la disparité des conditions: le remède fut prompt. La Reine fit expédier des lettres de noblesse à la Sartori et le mariage s'accomplit, mais ce courtisan ne jouit que quelques années de sa conquête : il décéda et après sa mort sa veuve s'est remariée avec un de ses neveux. Elle soutient aujourd'hui la réputation de la Ros'Alba et ses portraits en miniature sont aussi recherchés que le sont ceux de sa maîtresse au pastel. La seconde éleve est la Signora Angélique [fol. 136 v] le Grou ou Gru, comme on prononce ici. Née à Vérone et fille d'un peintre français originaire de Lyon, celle-ci a passé neuf ans à l'école de la Ros'Alba et elle en a si bien pris le goût qu'il et les manières que peu s'en fait qu'elle ne l'égale. Elle vient de faire une élève, qui est Madame la comtesse Gazola, qui dans un âge que les personnes de sa condition donnent au plaisir a bien voulu s'en servir pour s'appliquer à peindre au pastel. Elle promet déjà beaucoup et l'aisance qu'elle montre est un gage qu'elle y fera de grands progrès.

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Creative Commons Attribution 4.0 International (CC-BY-4.0)
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Citer
Séguier, Jean-François (2021) «Lettre de Jean-François Séguier à Antoine Joseph Dezallier d' Argenville,» [Letter] NAKALA. https://doi.org/10.34847/nkl.fbae2f25
Déposée par Emmanuelle Chapron le 31/10/2021