Lettre de Jean-François Nicolas à Jean-François Séguier, 1774-11-28

DOI : 10.34847/nkl.d3b4se1y Publique
Auteur : Jean-François Nicolas

[transcription] Au Buis le 28 novembre 1774

Monsieur



Je suis enfin parvenu à me procurer quelques ostracites de Valréas et j'en ferai passer incessament quelques unes à M. Calvet d'Avignon qui aura occasion de les faire parvenir à Nîmes. Je crois qu'il seroit bien difficile de prouver que les analogues de ces productions marines peuvent être rencontrés dans nos mers. Les derniers navigateurs q...ui ont visité les isles de la Mer du Sud, y ont trouvé des huîtres plus grands et plus longs que les nôtres; il seroit bien à désirer que quelqu'un d'eux vit les ostracites de Valréas, et qu'il décidât si elles ressemblent aux huîtres de l'Inde. Cette ressemblance reconnue, et établie véritable, quelles idées en résulteroient sur les révolutions étonnantes qui ont changé la face de notre globe! Quelle prévention en faveur du préadamisme! Car, du temps de Jules César, Fréjus étoit un des plus beaux ports des Romains. La mer ne s'en est cependant éloignée que de trois lieues, depuis plus de 2000 ans; nous sommes en Dauphiné à plus de vingt lieues sud de la Méditerranée; que de siècles il a fallu, pour qu'il soit arrivé à nos terres, ce qui est arrivé à Fréjus etc. !

Je ne sçais, Monsieur, si vous reconnoitrés des restes d'huîtres pétrifiés dans ces coquilles fossiles. J'ai beau les examiner; je ne puis me former aucune idée fixe sur leur organisation. Veuillés me faire part de vos conjectures; elles seront des leçons que mon âme avide de savoir, s'empressera de savourer. Cette organisation me paroit singulière en dedans. Les bords de la grande qui ressemblent à quelque espèce d'ammonite, me déroutent entièrement.
Mr De Vérone est parti pour Rome; les circonstances du tems et une occasion l'ont déterminé, sans doute, à cet agréable voyage. Il ne m'a pas été possible de réaliser avec lui le projet du voyage au Ventoux. Dom Fourmaut que [v] je vis en aoust, et que vous voulûtes bien m'adresser, m'a promis de venir ici à la Pentecôte prochaine: et pour lors, nous visiterons cette fameuse montagne. Il m'a remis un gramen panniculatum vel penniferum et un mespilus cotoniaster trouvés sur le sommet; il a dû revenir riche du voyage des Alpes qu'il a fait.

J'ai parcouru une montagne fameuse, et voisine de mon insoutenable hermitage précisément au dessus des collines où l'on trouve les cailloux de Remusat. L'ouest de cette montagne est couvert au sommet de terre labourée; l'est est escarpé et fournit un sable noirâtre et quartzeux, qui s'amoncelant dans la chute des terres, enveloppe des gouttes d'eau qui se cristallisent dans l'intérieur de la masse, et forment les cristaux que nous voyons. Les cailloux ne sont point un noyau d'autres pierres; on les trouve tels que celui que j'ai eu l'honneur de vous envoyer; il y en [a] de très volumineux.

Au nord de cette montagne, tout est horrible; on y apperçoit des repaires affreux de bêtes féroces, et des indices non équivoques d'un bouleversement. Des tas de pierre calcaire semblent avoir été vomis par la terre en convulsion. Les tems et l'inclémence des saisons ont altéré ces pierres. Elles sont friables et exhalent une odeur bitumineuse sans cependant être des laves. On trouve de tems en tems sur le sommet de la montagne, des trous profonds et perpendiculaires qu'on pourroit regarder comme des soupiraux ou des espèces qui conduisent les eaux pluviales dans les réservoirs immenses où elles sont distribuées en différents canaux. (j'en ai vu de ces soupiraux sur les belles montagnes du Diois, à l'endroit où passent les sources qui vont couler dans les plaines. c'est un fait sûr et incontestable). Il sort quelquefois beaucoup de vent de ces trous: c'est, je crois, l'air intérieur qui se dégage, et sort par ces soupiraux que la nature a peut être ménagés à ce dessein. Le Pontias peut bien n'avoir rien de merveilleux que la superstition des peuples qui le respirent. Il y a même quelque apparence qu'il ne sort pas tout du fameux antre dont on a tant parlé; et que c'est un vent qui souffle le long d'une étroite gorge, au milieu de laquelle la rivière d'Aigues coule jusqu'à Nions, depuis Remusat, précisément au nord de la montagne dont je viens de faire le tableau, c'est à dire près de trois lieues et demi. Or ce vent concentré et très gêné entre deux hautes montagnes souffle avec force vers l'endroit, où il cesse d'être [r] comprimé. Et ce point est Nions. Il est renforcé dans sa course ce vent par celui qui souffle entre quelques collines resserrées qui s'ouvrent dans la rivière d'Aigues, en y déposant leurs eaux. Voilà mes conjectures sur le célèbre Pontias : je pourrai les développer quelque jour, et en faire part à votre compagnie, quand vous aurés jugé mes idées.

Je désire ardemment, Monsieur, que votre protection ait accéléré le moment de mon adoption à l'académie de Nîmes. J'en recevrais le diplôme avec une vive reconnoissance; et dans ce cas, je vous prierois de me le faire passer par le canal de M. Calvet, parce que nous avons tous les jours des occasions pour Avignon.

J'aurai aussi l'honneur de vous faire passer dans quelques mois un exemplaire d'un ouvrage utile qui va être mis sous presse. Agréés de nouveau

l'assurance du sincère et respectueux attachement avec lequel je ne cesserai d'être,

Monsieur

Votre très humble et très obéissant serviteur

Nicolas D.M.

des académies de Dijon, des arcades etc.



P.S. depuis quelques mois, je suis le principal auteur d'une feuille hebdomadaire de notre province. Je ne sçai si elle est parvenue à Nîmes. Je me suis formé un plan étranger à celui des affiches ordinaires. La physique, l'histoire naturelle, la médecine humaine et vétérinaire, sont les objets que j'embrasse; j'y fais toujours entrer quelque anecdote de bienfaisance.



[enveloppe]

Du Buis

à Monsieur

Monsieur de Séguier Secrétaire perpétuel de l'académie de Nîmes &c

à Nismes



[cachet de cire noire]

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Citer
Nicolas, Jean-François (2021) «Lettre de Jean-François Nicolas à Jean-François Séguier, 1774-11-28» [Letter] NAKALA. https://doi.org/10.34847/nkl.d3b4se1y
Déposée par Emmanuelle Chapron le 31/10/2021