D A N I E L B I Z E U L
Sociétés Contemporaines (1999) n° 33-34 (p. 111-137)
111 FAIRE AVEC LES DECONVENUES UNE ENQUETE EN MILIEU NOMADE 1
Revenir sur une enquête qui a duré plusieurs années, et qui a reposé sur le développement de relations avec les personnes prises pour objet d’étude, ne peut que susciter un jugement mitigé. Une enquête, en effet, est formée d’une succession de contacts réussis et ratés, d’informations neuves, d’idées qui tournent court, de fréquentations obligées, de déplacements pour rien, de journées où rien ne se passe. Il serait fastidieux pour en rendre compte de tout reprendre par le menu. Mais s’abstenir d’envisager la part de l’hétéroclite et du désordonné, ou les incertitudes du jugement sur son propre travail, quand il s’agit de rendre compte du déroulement d’une enquête, c’est donner du travail de recherche une image inexacte. Il est peu crédible, en effet, que le chercheur ait à ce point la parfaite mesure de ce qui s’est passé quand il reprend ses matériaux, y met de l’ordre, les met en forme en vue de faire un compte rendu. Il est moins crédible encore qu’il ait pu accomplir continûment son travail en toute clairvoyance, et selon les règles admises dans sa discipline et reconnues par lui-même. Nombre de récits d’enquête cependant font penser aux morceaux
1. Ce texte prend appui sur les recherches d’ordre méthodologique engagées au sein du Centre de Recherche sur les Institutions, le Travail et l’Éducation par Jean-Pierre Briand, Jean-Michel Chapoulie, Jean Peneff, Henri Peretz. L’étude sur les nomades à laquelle il est fait référence a été réalisée avec le support financier de l’URAGEV (union régionale des associations spécialisées dans l’accueil des gens du voyage sur l’Ouest de la France). Je remercie Jean-Pierre Briand, Marc Suteau, et le comité de rédaction de Sociétés contemporaines pour leurs remarques sur des versions successives de ce texte.
