VIEILLIR EN FAMILLE DANS LA FRANCE DES MENAGES COMPLEXES

(L'exemple de Prayssas, 1836-1911)

par Patrice BOURDELAIS

Les drames exceptionnels occasionnés aujourd'hui par la solitude des personnes âgées, comme leurs petites difficultés quotidiennes, invitent à s'interroger sur les modes de constitution, ou d'amplification, d'un phénomène d'isolement résidentiel qui paraît bien récent. Même s'il demeure décisif, l'accroissement de la proportion des personnes âgées n'est pas le seul facteur à prendre en considération ; car, de l'ancêtre régnant jusqu'à sa mort sur une large maisonnée intégrant les enfants mariés, à l'homme qui attend le décès de son père, ou émigré dans un village voisin, pour fonder un ménage, que de différences de situations ! Si l'historien-démographe ne réussit guère à préciser l'intensité et la qualité des liens d'affection qui existaient entre les vieillards d'autrefois et leur famille, en revanche, grâce à la qualité des recensements du XIXe siècle il peut suivre la place qu'ont occupée les personnes âgées dans les ménages, la durée des corésidences et la fréquence des accueils.

Pour qui veut tester la nature et l'ampleur des conséquences du vieillissement de la population sur les structures familiales, sociales, voire même économiques, le cas de la population française est tout à fait unique par la précocité de son évolution d'ensemble : dès 1870 la part des sexagénaires ou plus y franchit 12 °7o, alors que la Grande-Bretagne atteint ce niveau en 1931 et l'Allemagne en 1937. Ces trois quarts de siècle supplémentaires font de l'espace français le laboratoire de la longue durée du phénomène. Et il ne s'agit que des niveaux moyens ! Trois régions offrent des structures encore plus marquées par le vieillissement ; parmi elles, les départements de la vallée de la Garonne se singularisent par l'absence de toute inversion, ou même tout fléchissement temporaire, de la tendance pendant plus d'un siècle1. Par rapport à la France