ETIENNE DEJONGHE

Chronique de la grève des mineurs du Nord/Pas-de-Calais

(27 mai - 6 juin 1941)

Que de débats sur le sens de la «grève des dix jours», qui rappelleraient les discussions sur le sexe des anges, si les intentions qui les inspiraient n'étaient pas aussi incarnées ! Curieux rétrécissement, celui de l'historien qui, s 'interrogeant sur les raisons de ses inspirateurs, oublierait les 100.000 acteurs qui leur obéirent et dont la majorité ne se composait pas, loin s'en faut, de communistes. Curieuse dichotomie que cette dissection du cerveau des mineurs pour savoir la part respective qu'y tenaient les motivations alimentaires ou anti-allemandes, comme si elles ne se mêlaient point. L'homme ne vit pas seulement d'idéal, mais aussi de pain. Chaque fois que le parti a lancé une action sans tenir assez compte du soubassement social qui aurait dû la porter, il a couru à l'échec. Du reste, de grève uniquement patriotique, exceptés bien entendu les arrêts symboliques d'une ou plusieurs heures, il n'existe qu'un seul exemple pendant toute la guerre. Il s'agit de la grève insurrectionnelle de la libération que les ouvriers entamèrent au moment où l'occupant s'en allait et dont ils savaient qu'elle leur serait payée. Toutes les autres, à partir de mai 1941 -et ce quels que furent les objectifs au départ des meneurs -ont mélangé le social et le national.

Ce qui frappe dans ce qu'on a appelé «la grande grève» est son ampleur et sa longévité, malgré la répression qui s'abat sur elle. Alors que les débrayages en avril, purement revendicatifs, durent deux ou trois jours et ne débordent guère des alentours qui les ont vu naître, celui du 27 mai ne meurt que le 9 juin, après avoir gagné toutes les concessions, celles qui ont rejoint la lutte le plus tard étant les dernières à céder (Bruay et Ligny par exemple, à dominante socialiste avant guerre). Ainsi que le remarque Pannequin1, l'élan a crû au même rythme que les persécutions. C'est une véritable ambiance de guerre qui s'instaure dans le bassin, au sens propre du terme. Chaque camp a son état major, ses troupes,

Revue du Nord - tome LXIX - n° 273 - avril-juin 1987 - pp. 323 à 345