La théorie thomiste de l'abstraction
Abstrahere, id est separatim considerate. Abstrahentium non est mendadum. L'abstraction isole, pour le considérer à part, un élément du réel ; ce n'est pas une opération fallacieuse.
Ces brocards scolastiques sont bien connus, et sans doute sont-ils vrais. Si l'on se propose de les examiner à nouveau, c'est simplement dans l'espoir d'en mieux apprécier la vérité. A cet effet, ne convient-il pas de revenir, en deçà des formules et des thèses classiques, à la « bona dubitatio » dont ils sont nés ?
Nous voudrions reprendre la question de l'abstraction dans le cadre du problème plus général de l'accord du logique et du réel. Ce problème, rappelons-le, n'a de sens que si nous nous donnons au point de départ, à la fois, un monde réel, indépendant de la connaissance que nous en prenons, et un monde logique, forgé par l'esprit ; et il consiste à se demander dans quelle mesure ces deux mondes se correspondent : dans quelle mesure nos concepts, les liens ou les distinctions que nous établissons entre eux reflètent-ils les choses, leurs unions ou distinctions réelles ?
11 semble, à priori, que trois attitudes soient concevables en face de ce problème ; en fait, on rencontre dans l'histoire trois orientations principales, désignées traditionnellement par les noms de réalisme exagéré, de réalisme modéré et de nominalisme.
Dans le réalisme exagéré, on considère la pensée conceptuelle ou les termes verbaux qui l'expriment comme l'élément de valeur du couple « pensée — donné réel » ; on tend à modeler le réel sur les exigences de la pensée ; on n'hésite pas à postuler ou à poser des réalités cachées, « métaphysiques », comme correspondants objectifs et conditions de vérité de la pensée. C'est ainsi, par exemple, que Platon « part » du langage énonçant le vrai. Sa conviction première, basée sur l'incohérence de la sophistique, est qu'il est possible de dire vrai et d'être compris. Or, pour qu'un langage vrai ait un sens et pour que soit fondé cet entrelacement de noms et