Méd iterra née N ° 4 - 1 986 33

L'agriculture irriguée dans la Vallée du Souss (Maroc) - Formes et conflits d'utilisation de l'eau

Herbert POPP*

Les plans de développement du Maroc font une distinction fondamentale entre le «secteur traditionnel» et le «secteur moderne», et cet antagonisme est tenu pour être un trait caractéristique de l'organisation économique et spatiale du pays (Plan Quinquennal I960 - 1964 ; Plan Triennal 1965 - 1967). Selon cette vue, l'artisanat, l'industrie et surtout l'agriculture sont à rattacher soit à un secteur économique dynamique d'orientation capitaliste (supporté du point de vue historique par la France au temps du protectorat), à savoir le «secteur moderne» —, soit à un secteur de production autochtone, de type précapitaliste et tribal, et dont la technologie est modeste : le «secteur traditionnel». On affirme que ces deux secteurs économiques sont spatialement localisés l'un à côté de l'autre, mais que les relations fonctionnelles entre eux sont nulles. Pour cette raison, plusieurs auteurs insistent sur le caractère dualiste de l'économie du Maroc (par exemple AYACHE 1956 ; BELAL/ AGOURRAM 1971 ; RAKI 1971 ; VILLENEUVE 1971 ;SALMI 1979).

C'est dans l'agriculture que le contraste mentionné ci-dessus se manifeste d'une manière particulièrement évidente. Le modèle type de l'exploitation du secteur traditionnel se caractérise par un statut foncier collectif, la domination de la petite propriété et de la production de subsistance ou orientée vers le marché local, la faible mécanisation, un capital disponible très réduit, et enfin des formes extensives d'occupation du sol. Par contre, le modèle type du secteur moderne présente les éléments suivants : propriété privée avec titre foncier enregistré dans le cadastre, moyenne ou grande propriété, production pour le marché intérieur et extérieur, niveau de mécanisation élevé avec une technologie qui est souvent avancée, et utilisation intensive aussi bien du point de vue du capital que de la main-d'œuvre. Les manifestations visuelles de ce dualisme sont d'un côté l'araire en bois, tiré par un attelage d'ânes, les semailles manuelles, et l'inondation des champs irrigués par submersion, et de l'autre la charrue métallique tirée par le tracteur, l'usage mécanisé des engrais, l'eau remontée par moto-pompe puissante et distribuée au champ par un système d'asperseurs.